mercredi 10 juin 2009

Toutes les réponses sont dans ce billet ! Profitez-en !

Grâces soient rendues à Olivier Jehasse et Jean-Marie Arrighi pour avoir pris la peine de répondre aux quelques interrogations présentées dans le billet du lundi 25 mai 2009, intitulé "Ou bien explose-t-il ? (Langston Hugues)".

Marcu Biancarelli et moi-même y formulions quelques questions sur l'"Histoire de la Corse et des Corses" de ces deux auteurs.

Les voici de nouveau, accompagnées de leurs réponses, écrites à quatre mains. N'hésitez pas à formuler de nouveaux commentaires et de nouvelles questions. Il est temps qu'un débat historiographique précise tout cela.


Questions de moi-même :

1. Y a-t-il en ce moment quelqu'un qui écrive une Histoire des livres intitulés "Histoire de la Corse" (ou "des Corses" ou "du peuple Corse" ou "de la Corse et des Corses" ou "de Corse" ; déjà, cette multiplicité de titre est à interroger...) ?
Ecrire l'histoire d'un peuple, d'une région, d'un ensemble de personnes... quelle ambition !
La réponse est non à ma connaissance, mais il faudrait chercher l’info. Faut-il rêver du LIVRE unique où tout le savoir historique serait concentré ? Nous avons déjà trop le rêve DU roman qui d’emblée hisserait la Corse au niveau de Kadaré ou Sciascia dans la littérature universelle DU dictionnaire où la langue corse serait totalement décrite. Accumulons les briques, chacun selon ses capacités et ses centres d’intérêt, en sachant que le mur ne sera jamais tout-à-fait fini.

2. Mais voici une formulation différente de ma première question : pourquoi n'y a-t-il pas de débats organisés entre les Historiens de la Corse qui, visiblement, usent de projets, de méthodes et d'écritures très différentes ? Quelle commune mesure (et quelles différences) entre les travaux d'un Robert Colonna d'Istria, d'un Antoine-Marie Graziani, d'un Jehasse/Arrighi, d'un Michel Vergé-Franceschi, d'un Ghjacumu Gregorj, d'un Andria Fazi, d'un Fernand Ettori, d'un Ange Rovere, d'un Francis Pomponi, d'un Pierre Antonetti, etc. ? Sans parler des écrits de Jureczek ou de Valli, et de bien d'autres, que je ne connais pas.
Pas de débats parce que souvent les débats sont rares comme les critiques littéraires d’ailleurs. La commune mesure entre tous c’est que l’histoire est d’abord une science en rapport étroit avec l’idéologie au sens marxiste du terme, à savoir un discours de représentation du monde inscrit au cœur d’une société à un moment précis d’élaboration et de fonctionnement d’un système de production. Cette idéologie fait de l’histoire une science humaine à part, car c’est une science dialectique :
- elle repose sur des critères stricts d’analyse et de reconnaissance des faits qui méritent d’être considérés comme des faits historiques, elle les organise suivant les règles d’un discours maîtrisé reposant sur la logique démonstrative proprement fille de Descartes.
-Mais elle est écriture et donc l’angle d’attaque, le lexique, le style, l’objet de l’histoire en deviennent différents suivant l’époque, l’expérience, l’habileté de l’auteur. C’est pourquoi Olivier Jehasse étudie l’histoire de Rome de façon polyglotte (chaque langue porte un regard spécifique sur le même évènement) et travaille beaucoup sur le lexique analytique des textes politiques, administratifs, religieux, mais aussi sur les œuvres littéraires et philosophiques car les mots sont vivants l’ont toujours été et dans notre espace linguistique d’aujourd’hui, ici et maintenant ils ont une longue histoire et une richesse de sens rare et belle.
Tous les auteurs cités sont de statuts différents qui sont tous légitimes pour écrire de l’histoire. En premier lieu l’angle de visée historique varie entre un journaliste essayiste, des universitaires, des militants culturels. Ensuite il y a le temps où l’histoire est produite et les générations d’historiens ont une certaine importance. Dans la liste il y a au moins deux groupes, ceux des années 70, ceux des années 2000, et il faut savoir que Graziani, Vergé, et nous-mêmes sommes de cette deuxième génération, et clairement opposés à la génération Pomponi, Rovere, pour des raisons politiques et proches pour des raisons extrêmement nombreuses des regards d’Antonetti mais surtout d’Ettori. Ce qui n’a pas empêché à l’époque quelques débats et rencontres riches entre ces deux groupes (je pense aux Universités d’Eté de Corti et aux discussions informelles qui se sont déroulées tout au long de ces années). Il faut ajouter que pour les années 1970, les débats entre Pomponi, Ettori, Antonetti étaient liés à leur position chronologique et idéologique devant leur objet. Les autres sont beaucoup inscrits dans le même espace, quel que soit ou fut leur degré d’implication dans l’histoire régionaliste, autonomiste, nationaliste. Ce qui montre qu’il y a les clivages proprement politiques entre les individus et leurs engagements respectifs à partir des années 1970. Cela explique déjà beaucoup les différences d’approche sur le sujet historique dénommé Corse.
Le travail par exemple de Rovere et Casanova sur la période de la révolution corse repose clairement sur une affirmation de départ : le peuple corse a adhéré à la nation française en 1789, et dès lors il ne pouvait pas, même avant, exister de nation corse. Dès lors les contradictions internes de la révolution corse sont, non pas inventées, mais montées en épingle et la moindre hésitation d’un notable est érigée en preuve. Quels que soient nos propres points de vue, nous partons du travail historique pour tirer des conclusions, et non l’inverse.
Pour qu’il y ait débat intéressant il faudrait de toute façon des thèmes précis de débats (et non « l’histoire de la Corse » en général), sur les sujets qui « fâchent » : XVIIIe ou époque contemporaine.

3. A quand cette "oeuvre colossale" d'histoire sociale et populaire de la Corse à la manière d'Howard Zinn, réclamé par Marcu Biancarelli ?
Première réponse : quand un travail de définition d’une histoire sociale sera refait en fonction des données de notre présent. Quant à l’histoire populaire je crois que nous avons tenté d’y apporter une attention forte. Pour les temps médiévaux, modernes et contemporains l’affaire nécessite l’apparition d’une méthode totalement nouvelle dépassant les cadres établis de ce que les communistes du XXe siècle (nous pensons à Soboul et Lefebvre ou encore à l’Ecole de la Revue Annales Economie Sociétés Cultures) définissaient comme telle.

4. A quand une thèse sur l'évolution de l'historiographie corse contemporaine ? (Il me semble qu'Eugène Gherardi a travaillé sur celle du XIXème siècle). Y a-t-il un doctorant dans l'avion ?
Pour Eugène Gherardi je confirme et il y a déjà des livres disponibles. Pour le reste nous ne sommes pas sûrs que l’avion soit construit… et prêt à décoller !!

5. Car l'on sent bien (mais vous n'êtes peut-être pas d'accord) que l'Histoire corse de Jehasse/Arrighi se rapproche d'une visée "nationale" et "populaire" (je ne dis pas "nationaliste", ni "populiste"). Est-ce un signe des temps ?
Cela ne mérite-t-il pas des études, des débats ?
Visée nationale oui au sens latin du mot, mais il va falloir développer cette réponse. Visée nationaliste pourquoi pas, cela ne gêne aucun des deux auteurs, même si il y a un refus de toute transgression des règles de la méthode. En fait nous pourrions plutôt définir notre enracinement comme étant celui de deux « naziunali », au sens de Pasquale Paoli, car profondément nous sommes tous les deux des paolistes. D’un autre côté notre livre voulait s’appeler Nouvelle histoire des Corses, car il paraissait essentiel de sortir de l’histoire d’un territoire et entamer une nouvelle approche du point de vue des acteurs qui ont choisi (il y a fort longtemps) de s’appeler ainsi et d’être reconnus comme tels par tous les autres acteurs historiques les environnant, de manière proche ou lointaine d’ailleurs, ce qui est et reste une grande originalité dans l’histoire des peuples.
Visée populaire, essentiellement oui, car aucun évènement ne laisse les peuples en dehors du chemin, et souvent pour ne pas dire toujours ce sont eux qui sont créateurs d’histoire et bien évidemment pas uniquement en Corse. Avec en plus un enracinement dans le passé qu’il convenait de valoriser : le mot peuple est ancien, il a 3000 ans, il a une origine étrusque certaine, il a un sens précis d’homme en action par le travail et le combat et ce avant Rome qui va lui donner un statut politique pour la première fois de l’histoire des sociétés. C’est un mot central dans notre appréhension du monde, et nous assumons d’être reconnus comme des « Popolari corsi ».

Questions de Marcu Biancarelli :

1. Pour ce qui est du livre de Jehasse et Arrighi, je l'ai trouvé très bon, même si à mon sens il n'atteint pas ce livre qui n'existe pas encore et qui serait la grande histoire sociale dont nous parlons.
C’est exact, mais ce n’était pas son but.

2. Comme j'ai bien plus de qualités que de reproches à mettre en exergue concernant cette publication, je me permettrai donc les deux critiques suivantes :
- il m'a semblé que l'Italie était vue (encore et toujours) comme une entité trop souvent étrangère à l'île. Sans doute y aurait-il aujourd'hui moyen, en tout cas avant 1850, de parler sereinement aujourd'hui de l'Italianité de l'île sans prendre les mille détours stylistiques d'usage que la peur d'être taxés d'irrédentistes nous impose.
Il me semble que nous disons clairement — peut-être faut-il le dire encore plus nettement —que les Corses se sont toujours considérés comme italiens tant que l’Italie a été une notion géographique, linguistique et culturelle. Ils n’ont pas majoritairement voulu entrer dans l’Italie politique quand elle a existé ni au XIXe siècle (voir le chapitre sur le Second Empire) ni en 1940 où l’Italie c’est aussi le fascisme. Nous sommes les premiers à dire nettement que le 30 novembre 1789 n’a aucune importance que symbolique dans le rattachement à la France, que l’on ne peut dater réellement que du Second Empire. Les aspects linguistiques sont aussi soulignés : détachement progressif de l’italien induit au départ par le succès de la politique française.

3. - L'autre critique (mais je la veux bien sûr constructive) est que les fluxs migratoires restent abordés de façon marginale, et que la part n'est pas encore faite des apports des différentes émigrations tant en matière culturelle que sociologique.
C’est vrai mais c’est rude à développer, on manque de travaux et surtout d’informations dépassant soit les livres de souvenirs, soit les articles vraiment solides tout au long des siècles. On la piste tout le temps au moins depuis la Préhistoire mais la mettre en évidence demande un travail d’exploration que les limites de rédaction du livre n’ont pas permis de faire. Nous savons qu’un travail a été initié par Didier Rey et Philippe Pesteil, mais il semble que c’est sur l’immigration en Corse ici et maintenant. A voir. Mais nous ajouterons que pour bien saisir l’histoire sociale il convient de lire les écrivains, ce que l’on appelle les littérateurs, les créateurs. Il est certain que ce sont les œuvres littéraires qui montrent quelquefois, quand elles sont bonnes, cette réalité beaucoup mieux que les historiens ne peuvent le faire. A cet égard les œuvres des écrivains contemporains de Corse, ceux cités par MB, mais aussi les siennes et celles de Jérôme Ferrari sont plus expressives et significatives que ne le seront jamais les œuvres des historiens. Souvent la vérité d’une société se découvre mieux dans une fiction que dans une analyse objective de données qui oublient toujours la dimension culturelle, spirituelle, psychologique et mentale des acteurs du monde social.
Rajoutons qu’il faut distinguer évidemment les émigrations corses et les immigrations en Corse, avec leur poids spécifique. Le nom même d’Histoire des Corses correspond à la volonté d’intégrer ces mouvements de recherche d’argent ou de pouvoir, ou simplement d’une vie moins dure, mais où la Corse reste toujours un centre symbolique.

4. Pour le reste, je ne suis pas historien moi-même et je reste humble face à ce travail. Je le répète c'est une des Histoires de l'île que j'ai lu avec le plus de plaisir et en partageant en général les analyses des auteurs.
Merci MB a sapiami…

17 commentaires:

  1. Le blog atteint là la dimension d'une véritable revue ! Excellente initiative o FX que cette interview croisée des auteurs de l'Histoire de la Corse et des Corses. Une surprise et un régal pour moi et je suppose d'autres habitués de ce blog. En espérant que de tels instants seront renouvelés le plus souvent possible !

    Ghjuvan Filici

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  2. On a pas parlé du style de cet ouvrage. Je trouve important que les auteurs parlent à un moment des qualités d'écriture des différents historiens, car c'est vrai, on a aussi besoin de ça. Un ouvrage d'Histoire doit aussi pouvoir être lu, comme une oeuvre littéraire, et ça n'était pas toujours le cas par le passé.

    J'ai cité dans d'autres billets les qualités d'auteurs de Zinn ou Boorstin, mais j'ai trouvé que cette Histoire d'Arrighi et Jehasse était au niveau stylistique un texte s'en approchant parfois. Très moderne, très clair et précis dans la narration. Un régal de ce côté là. Mais pour faire comme FX : peut-être n'êtes vous pas d'accord avec moi ? Qu'en avez-vous pensé ?

    MB

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  3. Ce blog atteint-il les dimensions d'une revue ? Si oui, j'aimerais que ce soit une revue de lecteurs. (Je ne reprends pas ici ce que je ressasse depuis le début, même si Glissant insiste sur les vertus du "ressassement").

    La question pourrait donc être : dans l'ouvrage d'Arrighi et Jehasse, quelle est la page que chacun de nous aimerait mettre sur la table ? Histoire que nous la lisions et regardions ensemble.

    Pour ma part, il faut que je retrouve mon volume, prêté lors d'un café littéraire.

    A bientôt.

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  4. Bonsoir,
    Je n'ai pas lu le bouquin de Arrighi et Jehasse, mais je suis troublé par ce que je lis ici, quant à expliquer que les Rovere et Casanova balaient d'un revers de main "la nation" en montant en épingle des "hésitations de notables". Je vais donc vite aller lire les deux (je n'ai lu ni l'un ni l'autre,...).
    Il me semblait que le parti français dans cette île s'était tout de même très vite formé (sous Paoli dejà, non?), que les notables, n'ont pas beaucoup hésité après la débacle à prendre les places et même les titres de noblesse après lesquels ils couraient depuis des décennies (et auxquels ils avaint goûté dès le règne de Théodore) et même à envoyer leurs enfants dans les écoles françaises pour certains. Je pense à Charles B. et à son fils N. Je crains fort que du point de vue des chefs de famille (et de "clans") cela n'ait pas été purement symbolique, mais bien un aboutissement, une apothéose. Même si la noblesse était du mauvais côté en 89. On peut leur faire confiance pour s'être vite placés, une nouvelle fois, du côté du manche en applaudissant au changement. Peut-être ne peut-on pas les mettre dans le camp des nationaux de 55-69? ce serait bien curieux vu la structure anthropologique de la société que ceux-ci n'aient jamais été "paolistes" du temps de Paoli. Mais j'avoue que j'en sais trop rien. Ce sont des questions que je (me) pose.
    De même, ce parti français est-il suffisament fort pour que Paoli aille chercher les Anglais pour reprendre la main quand ça barde... Mais c'est vrai que nous sommes après 89.
    Au passage, il faut quand même dire ce que c'est qu'être "paoliste" aujourd'hui, car à mon avis il y a plusieurs P.Paoli. et donc je ne vois pas trop ce que cela veut dire (bien que j'imagine que ce sont les "bons moments" de Pasquale Paoli qui sont retenus pour servir de bannière).
    A ce propos, voilà une question posée aux historiens (de tous bords) : que dire de Paoli qui levait quelques troupes du temps de son exil londonien pour les envoyer combattre avec les Anglais contre les Américains qui, parait-il, attaquaient les Anglais en criant "Remember Paoli"? Comment l'historien explique-t-il cette participation-appui à une guerre coloniale finalement assez proche de ce qu'avait connu la Corse? Mystère pour ce qui me concerne. Ce doit être une drôle de salade que d'essayer de tirer un fil et un seul de tout cela...
    Je crois qu'au lieu de renvoyer au fond du cours certains historiens, probablement virulents par ailleurs, je ne sais pas, il faut simplement reconnaitre que les lectures de l'histoire sont contradictoires car la société qui les produit est nécessairement faite de ces contradictions au jour le jour. Et que les réponses des historiens sont forcément politiques au sens fort du terme. Et donc individuellement, chacune sujette à caution... et donc chacune intéressante car amenant à sa manière, de l'eau au moulin...
    Cela me fait penser à la parabole de l'éléphant et des aveugles dans un bouquin de Kazantzakis. Chacun touche une partie de l'animal : le premier dit "Un éléphant c'est donc comme une grande feuille qui bat dans l'air (il touche l'oreille)" le second dit "mais non, c'est un énorme cylindre rugueux" (la patte); le troisième "c'est rugeux, mais c'est plat" (le ventre) ; le quatrième, "c'est fin comme un ficelle"...
    Jolie parabole sur la connaissance, non?

    Quant au terme de nation, c'est un terme suffisament polysémique pour que chacun l'interprête, dans l'histoire et aujourd'hui. Donc il est peu probable qu'un débat sérieux puisse avoir lieu sur le sujet...

    (suite dans un autre message)

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  5. (suite du message précédent)

    Je conclue de ce que j'ai lu plus haut que l'idéologie gouverne l'histoire en Corse (et sans doute ailleurs) : elle n'est donc lisible et appréhendable que contradictoirement... enfin, pour le béotien que je suis. Il faut lire tous les historiens, que ceux-ci ne cachent pas leur mode d'approche idéologique et surtout usent de méthode. Inutile d'attendre la "Bible" qui mettra tout le monde d'accord! Méfions-nous de nos enthousiasmes et des lectures "faciles et agréables" ! L'esprit critique est ce qui fonde la liberté de penser.

    Au fait, je trouve un peu "limite" de se dire "paoliste" (et non "paolien"? pourquoi?) et de dire que "Quels que soient nos propres points de vue, nous partons du travail historique pour tirer des conclusions, et non l’inverse."
    Voilà donc d'un côté des historiens (des vrais de vrais) paolistes et de l'autre des propagandistes qui ne possèderaient pas la méthode : le débat s'annonce donc chaud...
    La disqualification des arguments d'en face, a priori, n'annonce pas un débat serein, à mon avis. Débat que l'on appelle pourtant de ses voeux... bof!
    C'est une interview vraiment étrange et je trouve que contrairement au titre du papier, elle pose plus de questions qu'elle ne propose de réponses.
    C'est ma lecture... elle vaut ce qu'elle vaut...

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  6. A Anonyme de 23:39 et 23:40,

    vous avez bien compris que le titre du billet était une boutade parodiant les slogans publicitaires des marabouts et autres voyants... Il s'agit surtout de participer (alors que je ne suis ni historien ni spécialiste de quoi que ce soit) à la mise en place des conditions pour une débat sur l'Histoire de la Corse (la production des historiens, en tant qu'elle irrigue - au même titre que la littérature fictionnelle - l'imaginaire corse).

    Je précise qu'il ne s'agit pas d'une interview. Son caractère étrange vient peut-être du fait que les auteurs, sollicités par moi, ont bien voulu s'arrêter sur certaines questions d'un billet précédent et y répondre par écrit (il n'y a donc pas eu dialogue, même par écrit).

    Merci beaucoup pour ce regard critique. Les auteurs auront peut-être envie de répondre à certains points.

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  7. je ne suis pas venu lire ce papier, dans l'espoir de tout savoir ! bien sûr...!
    quant aux marabouts, c'est drôle de les mêler à ces débats d'historiens. Ils sont souvent aussi historiens et prophètes... doit y voir un message... subliminal?!

    Ce n'est pas la forme que je trouve étrange...
    Je n'ai parlé que de ce qui me troublait, mais je trouve par ailleurs des réflexions intéressantes (l'apport du fictionnel aux côtés de l'événementiel pour sonder une société, par exemple). Mais c'était déjà long!
    En tous cas merci pour ces échanges stimulants...

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  8. Au plaisir de dialoguer à nouveau, après la lecture (pour vous et pour moi concernant l'ouvrage de Rovere et Casanova) et la relecture (pour moi du Arrighi-Jehasse).

    C'est vrai qu'il est bon que les "projets" de chaque historien soient explicités. Et relativisés. Je suis d'accord avec l'idée qu'une multitude de contradictions ("cuntrasti, "chjami è rispondi") doive s'exprimer pour finalement constituer une société corse vivante.

    Par contre le terme de "nation" ne me semble pas ni plus ni moins flou qu'un autre (je ne connaissais pas, par exemple, l'origine et la signification étrusque du mot "peuple") : un débat "sérieux" est toujours possible ; la question est en voulons-nous un ?

    J'y reviens : le chapitre d'Arrighi sur le XVIIIème siècle et la "Révolution corse" me semble central ; les chapitres précédents de Jehasse cherchent à mettre en évidence la constitution d'une société qui "parvient" au XVIIIème siècle à s'auto-organiser comme elle ne le fera plus jamais ensuite. N'est-on pas obligé de vivre dans une sorte de "dépression" mentale, légèrement en-dessous d'une vraie vie, vivante, lorsqu'une telle période hante notre mémoire et notre imaginaire ? La question (celle qui me hante personnellement) serait : comment à la fois s'inspirer et se débarrasser de cette période ? Comment s'en nourrir tout en évitant la sidération, la fascination finalement stériles ?

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  9. Intéressante l'intervention critique qui a précédé. Bien évidemment subjective aussi sur de nombreux points.
    Juste envie de dire que ce n'est pas une "Bible" qui est attendue, mais dans les billets précédents il était seulement parlé d'une Histoire Sociale, ou populaire à la Howard Zinn, et que bien évidemment toute oeuvre d'historien restera toujours sujette à relecture et à débat.
    Sur l'idée que ce débat ne soit pas au fond souhaité, qu'est-ce qui permet à l'intervenant de sous-entendre ça ? N'avons-nous pas ici un échange de ce type ? Même s'il n'engage pas à proprement parler des spécialistes (je parle des commentaires). Mais pour connaître un peu les auteurs dont il est question ici je ne crois pas qu'ils soient hostiles à un quelconque débat, et d'ailleurs leur livre reste ouvert lui aussi.

    Bon, en tant que profane mais quand même un peu intéressé à la question deux choses :
    Effectivement une grande partie des notables a trouvé très vite son intérêt à la conquête française, mais la résistance s'est située dans la masse du peuple, ce jusqu'à une période avancée que je situe pour ma part vers 1820/30. Les détails à lire dans les multiples Histoires de la Corse publiées jusqu'ici, et de toutes obédiences.

    Deuxièmement sur le fait que Paoli ait soutenu une guerre coloniale anglo-américaine. On peut souligner effectivement un paradoxe, mais à mon avis la lecture est mauvaise : les paolistes n'ont pas cessé d'être en guerre contre la France après 1769. Les combats ont continué jusqu'en 1774 sous le contrôle direct de Clemente Paoli. Les Anglais ont soutenu ces efforts des fuorusciti de Toscane et de Sardaigne de manière permanente.
    Après le le désastre du soulèvement de 1774 la cause paoliste semblait perdue, mais dès 1778 l'entrée en guerre des Français contre les Anglais en Amérique a ravivé l'espoir des paolistes. Ils se sont logiquement engagés sur tous les lieux de combat où leurs alliés anglais affrontaient les Français : les colonies américaines, certes, mais aussi les Antilles et la Méditerrannée (Gibraltar, Port Mahon). Leur idée était bien sûr qu'une victoire définitive des Anglais permettrait le retour de Paoli. A mon sens il n'y avait rien là de stupide. Je ne vois même pas quel autres calcul ils auraient pu faire. Manque de bol pour eux, cette fois-là les Anglais ont perdu.
    Bref, les Corses qui fesaient la guerre en Amérique ne le faisait pas directement contre la cause américaine : ils combattaient les Français, tout simplement, c'est à dire leurs oppresseurs, et aux côtés des seuls alliés qui auraient pu assurer leur liberté, ou la conception qu'ils en avaient à ce moment-là.

    Pour ma part, n'étant pas historien, je me garderai de pousser plus loin l'analyse. Mais par contre un roman sur le sujet je me le sens bien...

    MB

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  10. Je ne suis pas spécialiste de l'Histoire non plus, mais j'ai toujours entendu dire que les Insurgés américains avaient porté des toasts à Paoli, baptisé des villes à son nom : savaient-ils que des Paolistes étaient du côté de leurs ennemis Anglais ? Et comment pouvaient-ils accepter l'aide de l'armée du Roi (de France) qui oppressait justement celui qu'ils honoraient ainsi ? Les choses sont bien complexes entre les idéaux qu'on affiche (avec sincérité certainement) et les moyens qu'on utilise pour les défendre (avec lucidité certainement).

    Un roman sur ce sujet, voilà une idée (travailler à partir de la réalité linguistique de l'époque serait intéressant). (Cela me fait penser qu'il faut que je lise le roman d'André Mastor, "Rebelles" aux éditions Albiana, qui porte sur cette période paoliste).

    Je me rends compte aussi à quel point établir une "chronologie" est d'une extrème importance. (Pensons au "Quatrième siècle" d'Edouard Glissant qui veut signifier que les Caraïbes ont commencé leur Histoire au XVIIème siècle et qui permet de tout relire via l'expérience de la "créolisation").

    Si l'on prend les dates du commentaire précédent : la périodisation "canonique" de début et de fin de la "Révolution corse" (1729-1769) s'enrichit de 1774, 1778, 1820-1830. Découper le temps, ponctuer le temps, c'est reconfigurer un monde, instituer un autre souffle. Croisier les dates clés de chaque historien pourrait être une entrée possible pour un débat.

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  11. Allez, à mon tour d'alimenter sur ces questions d'historiens que je critiquais sur la forme - n'ayant pas lu ces ouvrages et restant un béotien sur le sujet comme je le disais. Je ne disais pas que le débat n'était pas souhaitable, au contraire. Je disais qu'il était mal engagé en raison même de la suspicion des autres du "camp en face", C'est de mon point de vue une drôle de manière de souhaiter un débat. Mais FXR est intervenu entre temps pour expliqur que la forme de ce billet était déjà problématique, puisque c'était une sorte de copie-collé-réponse par rapport à un autre billet. Ce qui rend peut-être les choses abruptes et donc, j'attends avec vous, Anonyme MB, ce fameux débat.
    Pour le mot Nation, je répond à FXR, qui me dit que ce mot n'est pas polysémique alors que je continue à douter que les naziunali de l'époque l'ait jamais utilisé comme on l'utilise par exemple en droit ou en Sciences politique aujourd'hui. Je voulais juste dire que ces mots sur lesquels on semble s'entendre pour amorcer des débats sont justement peut-être à éclaircir avant.
    POur l'affaire d'Amerique, il y a aussi une raison peut-être plus prosaïque... mais quel chercheur nous dira de quels liens étaient faits les rapports entre Paoli et la Couronne d'Angleterre : quel était son degré de liberté, même si la haine du Français dites-vous était un fonds de commerce suffisant pour les unir, même au-delà des mers. J'y vois par exemple une possibilité d'intervention mercenaire dans un style peut-être enveloppé de considérations politiques, mais du même accabit que celles qui ont vu tant et tant de Corses se mettre à la "solde" - c'est le mot - de tant de causes qui n'étaient pas leurs et même parfois qui étaient contraires à leur nation.
    Je dis à travers cela que les lectures de cette époque sont enrichissantes à condition de croiser les axes de réflexion et de ne pas négliger certaines hypothèses parfois tout aussi étayées... par des "faits". Qu'il existe une vulgate pro-française, une autre pro-corse, qu'il y en ait même eu une pro-italienne (irrédentiste) est en soit préférable à la proposition unique, mais à condition de pouvoir prendre du recul aussi. De cela j'en déduis - et peut-être rejoins-je FXR dans ces relances sur la question de la "lecture" - que c'est l'art de lire qui doit primer : la méthode du lecteur (par exemple cultiver son esprit critique).

    FXR a oublié 1789 dans les dates de sa périodisation "canonique"... c'était pourtant celle qui avait soulevé le débat ! C'est peut-être pour mieux la mettre au centre?

    Pour finir sur Paoli, le plus drôle est qu'il est possible que le fameux "Remember Paoli" des insurgés américains ait trait à un massacre qui avait eu lieu dans un lieu nommé Paoli (une taverne?) et que donc il se soit agi d'une exorte à la vengeance et non pas d'un cri de guerre apologétique, poético-philosophique. Il n'est peut-être pas le Dieu de l'Olympe, le Babbu, que semble accréditer le mythe tel que nous le connaissons (à vrai dire, un mythe probablement très récent). Et d'ailleurs on voit mal des combattants se donner de l'entrain en criant ça... enfin, c'est à vérifier (je vais aller lire Beretti pour voir ce qu'il en est).
    Bon, pour conclure par un sourire : pourquoi un roman, puisqu'on a les livres d'histoire?..

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  12. En réponse au commentaire précédent :

    - je n'ai pas dit que le terme de "nation" n'était pas polysémique ; j'ai dit qu'il ni plus ni moins flou qu'un autre terme. Il est bien sûr polysémique (extrêmement rares les mots qui ne le sont pas).

    - je n'ai pas parlé de "ma" périodisation canonique ; mais de la création de nouvelles chronologies en plus de "la" canonique (celle qui commence en 1729 et se termine en 1769). J'inclus bien volontiers la date de 1789 (elle-même problématique).

    - concernant le "mythe" de Pascal Paoli, il ne semble pas si récent que ça ; en témoigne le travail de Marco Cini, "La nascita di un mito" (voir sa page sur le site d'Albiana)

    - "pourquoi un roman, puisqu'on a les livres d'histoire" : intéressante question. J'y reviendrai avec un billet. Mais je peux dire au moins ceci : la fiction est la création explicite d'un espace imaginaire dans lequel les valeurs et les faits historiquement situés peuvent "jouer", être reconsidérés, mis en cause, reconfigurés, articulés selon d'autres hypothèses ; la fiction fait respirer. Mais encore une fois, un dialogue entre les ouvrages d'histoire et les romans (et tous les ouvrages intermédiaires qui mélangent les genres) me semble encore préférable. En ce sens, je rejoins la réponse d'Arrighi/Jehasse qui refusent l'attente du Livre unique qui dirait tout (Histoire ou Roman). Je proposerais même l'hypothèse libératrice suivante : n'attendons plus Le chef d'oeuvre et Le grand auteur corse, ils sont déjà présents dans notre littérature, personne ne s'en est encore rendu compte, et en plus ils sont plusieurs ! (Et maintenant faites votre choix !)

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  13. Bonjour à tous les membres de ces belles pages.
    Avant que nous répondions relançions la discussion sur tout ce qui a été dit et surtout approfondissions certains déclarations et certains concepts, deux réponses déjà :
    la première est que nous ne réfutons pas la légitimité de nos prédécesseurs ni comme hommes, ni comme historiens, ni même leur façon de présenter les choses : nous les connaissons nous les fréquentons et nous "critiquons" au sens de Kant "Critique de la raison pure". Nous nous inscrivons contre mais DANS le débat, pas ailleurs.
    Sur le paolisme : Etre paoliste aujourd'hui (c'est mon point de vue, on travaillera avec Arrighi pour continuer d'avancer) c'est :
    - rappeler l'existence d'un discours original profondément politique
    - rappeler l'importance de Pasquale Paoli dans l'histoire de la Corse et surtout dans l'histoire de l'Europe, car nous pensons qu'avant Napoléon (qui s'est nourri de cette vision) le premier européen est Pasquale Paoli.
    Enfin nous ne pouvons pas être paoliens car cela voudrait dire qu'il s'agit d'une école de pensée philosophique ou spirituelle, ce qui n'est pas le cas, loin de là. Etre paoliste c'est à mes yeux être dépositaire de la valeur symbolique d'un acteur historique de premier plan, et porter un regard enraciné dans la pensée des Corses sur le monde qui est le nôtre aujourd'hui, c'est un acte politique.
    Sur la nation deux lignes j'y reviendrai : Les Naziunali pensaient en lanque corse, c'est-à-dire en latin, Natio veut dire Espace politique de naissance, national veut dire adhérer à ce sens du mot. Et donc une fois rappelé la belle vie des mots dans le temps, nous ne sommes plus dans le flou et nous pouvons discuter, disputer et faire avancer la connaissance et surtout la reflexion;
    a bientôt
    Olivier Jehasse

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  14. Monsieur Jehasse,
    merci pour ces précisions préliminaires concernant votre rapport aux autres historiens, le paolisme et la nation. Les choses s'éclaircissent et cela conviendra certainement au commentateur critique de ce billet.

    Vos définitions se heurteront certainement à d'autres et il serait intéressant que l'Université (par exemple, mais c'est a priori à elle de le faire d'abord) organise de grands débats historiographiques sur ces sujets.

    La question ne serait-elle pas : à quoi sert la Révolution corse du XVIIIème siècle, aujourd'hui ?

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  15. Ça François visiblement c’est votre interrogation centrale et là aussi vous nous donnez du travail mais on va le faire.
    A bientôt
    OJ

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  16. A quand une réunion des "écrits politiques" de PPaoli qu'on soit enfin au clair avec sa pensée et que le symbole puisse être partagé sur du "sérieux" ?
    Je pense à ces "paolistes" qui ont produit récemment une... comédie musicale ! D'autre des chansons héroiques, d'autre des BD ! (sans compter les tee-shirts, les perruques poudrées, les escarpins dix-huitième et le reste...).
    Cette coagulatio du fait historique, de la pensée et du symbole paoliens mérite quand même un défrichage, puis un déchiffrage à mon avis. Quelque chose de partageable sur le fond (éventuellement) et non plus sur la forme (comme une hostie de communion).
    Et ne me dites pas que la réunion de sa correspondance peut en faire office ! Il est d'ailleurs curieux qu'aucun auteur, historien de la pensée, politologue, simple érudit de village, ne se soit jamais attelé à cette tâche...
    pourquoi? quelqu'un a-t-il une réponse?

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  17. La réunion des "écrits politiques" de Paoli, leur transformation en "quelque chose de partageable sur le fond (éventuellement) et non plus sur la forme (comme une hostie de communion)"...
    Cela me paraît souhaitable.

    Concernant l'édition de la Correspondance, je ne sais pas dans quelle mesure elle peut jouer un rôle dans ce projet ; pourquoi pas ?

    Concernant une analyse de la pensée de Paoli, il me semble que Francis Pallenti a fait quelque chose dans ce sens avec son "Pascal Paoli, ou la leçon d'un "citoyen du ciel"" (édition Albiana). Je l'ai feuilleté il y a déjà quelque temps, il faut que je le reprenne pour pouvoir en parler.

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