- What happens to a dream deferred?
- Does it dry up
- like a raisin in the sun?
Or fester like a sore--
And then run?
Does it stink like rotten meat?
Or crust and sugar over--
like a syrupy sweet?- Maybe it just sags
- like a heavy load.
- Or does it explode?
Et maintenant, une liste :
Howard Zinn
Daniel Boorstin
James Mc Pherson
Ghjacumu Gregorj
Wu Ming
Marceddu Jureczek
Marie-Pierre Valli
Cherchez l'intrus...
Il n'y en a pas ! Deux commentaires au billet "U sguardu d'Howard Zinn", sur le blog de Marcu Biancarelli réunissent ces auteurs autour d'une obsession commune (américaine ou corse peu importe) : faire oeuvre narrative d'historien à partir de ce que l'historiographie dominante occulte (les exclus, ceux qui n'ont pas la parole, la rue, les peuples, etc.)
Pour y voir plus clair dans mon propos, lisez donc d'abord le billet en question et les deux commentaires : ici.
Vous voici de retour.
Ce sera pour lire ceci : y a-t-il en ce moment quelqu'un qui écrive une Histoire des livres intitulés "Histoire de la Corse" (ou "des Corses" ou "du peuple Corse" ou "de la Corse et des Corses" ou "de Corse ; déjà, cette multiplicité de titre est à interroger...) ?
Ecrire l'histoire d'un peuple, d'une région, d'un ensemble de personnes... quelle ambition !
La toute dernière "Histoire de la Corse" en date est celle d'Olivier Jehasse et Jean-Marie Arrighi, qui me paraît extrêmement intéressante, novatrice (oui mais en quoi ? vous avez une opinion ? peut-être différente ?)
Mais voici une formulation différente de ma première question : pourquoi n'y a-t-il pas de débats organisés entre les Historiens de la Corse qui, visiblement, usent de projets, de méthodes et d'écritures très différentes ? Quelle commune mesure (et quelles différences) entre les travaux d'un Robert Colonna d'Istria, d'un Antoine-Marie Graziani, d'un Jehasse/Arrighi, d'un Michel Vergé-Franceschi, d'un Ghjacumu Gregorj, d'un Andria Fazi, d'un Fernand Ettori, d'un Ange Rovere, d'un Francis Pomponi, d'un Pierre Antonetti, etc. ? Sans parler des écrits de Jureczek ou de Valli, et de bien d'autres, que je ne connais pas.
A quand cette "oeuvre colossale" d'histoire sociale et populaire de la Corse à la manière d'Howard Zinn, réclamé par Marcu Biancarelli ?
A quand une thèse sur l'évolution de l'historiographie corse contemporaine ? (Il me semble qu'Eugène Gherardi a travaillé sur celle du XIXème siècle). Y a-t-il un doctorant dans l'avion ?
Car l'on sent bien (mais vous n'êtes peut-être pas d'accord) que l'Histoire corse de Jehasse/Arrighi se rapproche d'une visée "nationale" et "populaire" (je ne dis pas "nationaliste", ni "populiste"). Est-ce un signe des temps ?
Cela ne mérite-t-il pas des études, des débats ?
Pour finir, en feuilletant le grand livre d'Howard Zinn, "Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours" (éditions Agone, à Marseille ; 2003), je retrouve ce passage qui m'avait "sauté" au yeux, certainement du fait des extraits de poèmes cités par Zinn, qui brisent la continuité de son récit et constituent une petite anthologie de littérature noire américaine (ce qui est peut-être une autre façon de donner à lire de la littérature corse ! et surtout ne me dites pas que j'identifie abusivement deux situations qui n'ont rien à voir ou que je compare ce qui n'est pas comparable... car ce n'est pas mon intention !). Il s'agit du chapitre XVII.
La révolte noire qui frappa le Sud comme le Nord dans les années 1950 et 1960 prit tout le monde de court. Il ne s'agissait pourtant pas d'une réelle suprise. La mémoire des opprimés ne s'efface jamais, et le souvenir des événements qui la composent ne cesse de nourrir la révolte. La mémoire des Noirs américains était d'abord celle de l'esclavage, puis celle de la ségrégation, des lynchages et des humiliations subies. En fait, ce n'était pas seulement une question de mémoire, mais aussi de vécu présent bien réel - partie intégrante de la vie quotidienne des Noirs, génération après génération.
Dans les années 1930, Langston Hugues écrivit un poème intitulé Fresque sur Lenox Avenue :
Qu'advient-il d'un rêve suspendu ?
Se déssèche-t-il
Comme un raisin au soleil ?
Ou suinte-t-il comme une plaie
Avant de disparaître ?
Est-ce qu'il pue comme la viande pourrie ?
Ou se couvre-t-il d'une croûte sucrée
Comme un bonbon acidulé ?
Il tombe peut-être comme un fardeau trop lourd.
Ou bien explose-t-il ?
Dans une société aux modes de contrôle complexes, aussi brutaux que sophistiqués, les courants souterrains s'expriment souvent à travers les oeuvres d'art. Le blues, si nostalgique, cachait la colère. Le jazz, pourtant si gai, bouillonnait de révolte. La poésie, enfin, révélait les sentiments. Dans les années 1920, Claude McKay, l'une des figures importantes de ce qui allait devenir la "Harlem Renaissance", écrivit un poème que Henry Cabot Lodge intégra aux Congressionnal Records comme une illustration des dangereux courants qui agitaient la jeunesse noire :
Si nous devons mourir, que ce ne soit pas comme des pourceaux
Chassés et parqués dans un recoin sordide.
En hommes, nous ferons face à la meute meurtrière et lâche,
Le dos au mur, agonisant mais nous battant.
Un poème de Countee Cullen, Incident, est une évocation (toujours différente mais pourtant toujours identique) de l'enfance noire en Amérique :
Un jour à Baltimore,
Le coeur et l'esprit joyeux,
Je remarquai un gars du coin
Qui me regardait fixement.
J'avais alors huit ans et n'étais pas bien grand,
Lui n'était pas plus grand que moi,
Alors je lui ai souri, mais il a tiré
La langue et m'a appelé "Négro".
J'ai tout vu de Baltimore
Entre mai et décembre ;
Mais de tout ce qu'il m'y est arrivé
C'est tout ce dont je me souviens.
A l'époque de l'affaire des jeunes de Scottsboro, Cullen écrivit un poème plus dur, dans lequel il remarquait que les poètes blancs qui se servaient parfois de leur plume pour protester contre certaines injustices flagrantes restaient pour la plupart silencieux lorsqu'il s'agissait des Noirs :
Maintenant c'est sûr, disais-je,
Les poètes vont chanter.
Mais ils n'ont rien dit.
Pourquoi ?
(Pour un exemple de la musique noire américaine des années 1960 dont parle Zinn, voyez ici - montez le son -, cette vidéo est parfaite puisqu'en plus de nous permettre de voir et d'entendre le sextet de Charles Mingus, elle s'interrompt au bout de 8 minutes (avec les solos de Johnny Coles et Jaki Byard) et que nous n'avons pas droit aux solos de Mingus lui-même, de Dannie Richmond, de Clifford Jordan et d'Eric Dolphy !! La frustration est un moteur !)
Là, François, c'est bien plus qu'un rebond que tu proposes. C'est déjà un texte de (grande) réflexion et de prospection vers quelque chose qui nous enrichit vraiment et pose je ne sais combien de questions.
RépondreSupprimerEn écrivant ma petite chronique je n'imaginais pas que cela allait produire si vite des textes et des désirs tels !
Pour ce qui est du livre de Jehasse et Arrighi, je l'ai trouvé très bon, même si à mon sens il n'atteint pas ce livre qui n'existe pas encore et qui serait la grande histoire sociale dont nous parlons.
Comme j'ai bien plus de qualités que de reproches à mettre en exergue concernant cette publication, je me permettrai donc les deux critiques suivantes :
- il m'a semblé que l'Italie était vue (encore et toujours) comme une entité trop souvent étrangère à l'île. Sans doute y aurait-il aujourd'hui moyen, en tout cas avant 1850, de parler sereinement aujourd'hui de l'Italianité de l'île sans prendre les mille détours stylistiques d'usage que la peur d'être taxés d'irrédentistes nous impose.
- L'autre critique (mais je la veux bien sûr constructive) est que les fluxs migratoires restent abordés de façon marginale, et que la part n'est pas encore faite des apports des différentes émigrations tant en matière culturelle que sociologique.
Pour le reste, je ne suis pas historien moi-même et je reste humble face à ce travail. Je le répète c'est une des Histoires de l'île que j'ai lu avec le plus de plaisir et en partageant en général les analyses des auteurs.
Pour ce qui est de cette petite anthologie de la littérature noire américaine que tu mets en avant dans le livre de Zinn, je me dis que là aussi ça nous laisse entrevoir ce que pourrait être une histoire populaire ou sociale de la Corse en y intégrant une meilleure connaissance et analyse de la littérature corse elle-même.
Par exemple Desanti a démontré dans sa thèse qu'il fallait sans doute revoir les jugements définitifs sur certains irrédentistes de l'entre-deux guerres, et que la lecture des oeuvres de Filippini et Angeli (c'est sans doute moins vrai pour Giovacchini) ne permettait pas de préjuger de leurs choix politiques. Il y a donc chez ces hommes des choses plus complexes à étudier et analyser que les anathèmes vindicatifs qui ont servi jusque là de vérité historique les concernant.
De même pour ce qui concerne le journal A Muvra, sans doute faut-il rapprocher plus ses rédacteurs du courant maurrassien que d'un fascisme classique à la sauce mussolinienne.
Bref, il y a encore tant à faire dans ce domaine, et tant de champs de recherches à investir, que ce seul petit billet ne résumerait pas toutes les pistes de travail possible.
Pour ma part, lorsque j'écrivais ma chronique, et que je formulais le voeu d'une telle publication concernant la Corse, j'avais bien en tête un ou deux noms de gens capables de ce plonger dans ce travail. La plume et les intérêts d'un Jureczek, par exemple, me laisse espérer qu'un jour... Mais sans doute ne devrais-je pas indiquer aux auteurs des directions de recherches qu'ils sont bien assez grands et talentueux pour déterminer eux-mêmes. Et puis je ne suis même pas directeur de quelque recherche que ce soit. J'ai seulement des désirs de lecture, moi !
MB
Tutte 'sse reflessione ci danu da pensà, ci hè sempre da fà, un cantieru immensu, è spergu chì cù l'Università tutte 'sse piste seranu sfruttate una ad una.
RépondreSupprimerAveriamu dinù bisognu d'un Aimé Cesaire chì sculunizeghji e nostre mente!
Eppo avemu bisognu di mette e MAGINE nostre nantu à a nostra storia : mi ne sò avvista quandu Denis Luciani avia isciutu una piccula storia di a Corsica pè i zitelli, cù e figure. Tandu mi sò dettu ch'ùn aviamu guasi micca figure in u nostru imaginariu storicu. Tuttu era uccupatu da a storia amparata in iscola, glurifichendu a marchja triunfale di a grande "Francia" prefigurata da a "Gallia" sin'à compie a figura guasi perfetta di l'esagonu, eppo eppo ...noi eramu stu picculu appicciu ch'ùn truvava mai a so piazza indocu, postu ch'ellu hè ficcatu in u Golfu genuvese !
Francesca,
RépondreSupprimer"magine nostre nantu à a nostra storia" : iè, ma ci vulerebbe chì isse magine sianu numerose, sfarente è ancu cuntradittorie.
Ùn avemu micca bisognu di una antra "storia unica".
Ci vole dibattiti ; ed e relazione incù a Francia ne facenu parte, no ?
Marcu,
RépondreSupprimerj'espère que tes "critiques" trouveront écho chez Arrighi et Jehasse, sur ce blog ou ailleurs.
J'attends aussi avec grand intérêt la publication de la thèse de Paulu Desanti.
Je ne connais pas du tout les textes de Marco Angeli, ou de Giovacchini.
J'ai dans l'esprit une image très positive d'Anton Francescu Filippini, en tant que littérateur (nous en avions parlé dans les commentaires d'un billet de février "Comment j'ai (tu as, nous avons) lu..."
Je ferai bientôt un billet sur "Visioni cari" de Filippini chanté par A Filetta et Antoine Ciosi (sur l'album "Sì di mè") : n'est-ce pas une façon, complémentaire du travail universitaire, de faire vivre l'oeuvre de cet auteur dans notre imaginaire ?
Et puis ce poème ("Visioni cari"), je le lis forcément d'une façon particulière, puisqu'il évoque la Corse de loin et que cela fait plus de quinze ans que je vis sur le Continent (certes en revenant régulièrement en Corse).