vendredi 3 juillet 2009

3 extraits d'extraits de "Balco Atlantico"

Les femmes et les enfants d'abord... et les extraits des oeuvres aimées (avant nos commentaires, analyses, études et discours en tous genres, pourtant si importants).

Parce que le texte résiste. Le texte attire notre regard, suscite notre parole, hante notre esprit, crée en nous des images et des sentiments, des idées, des désirs. Mais le texte - ainsi soumis à nos lectures - résiste : nous ne l'épuiserons jamais. Voilà pourquoi il me semble hautement nécessaire de lui donner de la place à l'intérieur même de nos discours.

Enième définition : Un "récit de lecture" est finalement ceci, selon nous : un noyau de texte qui fait nos délices, entouré - si possible - de la chair de nos paroles.

Je suis heureux de signaler ici qu'Emmanuelle Caminade, blogueuse littéraire émérite (déjà citée plusieurs fois sur ce blog, voir à son nom), a mis en ligne un billet consacré à sa lecture (analyse claire et fouillée, à discuter bien sûr) de "Balco Atlantico" de Jérôme Ferrari (son quatrième livre).

Et elle cite trois extraits du livre, voir à la fin de son billet. Auriez-vous cité les mêmes passages ? Pourquoi ?

Parlons-en...

(Finalement, l'idéal serait de recomposer le livre entier avec tous les morceaux vraiment lus et cités... Et nous verrions quels passages disparaîtraient définitivement parce que non retenus par notre mémoire ou notre volonté ? et s'il n'y avait qu'un passage non retenu, non cité ? et si finalement ce passage "oublié" devenait la clé de tout le livre ? il y a une idée à la Borges ici, non ?)

Voici ma sélection d'aujourd'hui dans les trois extraits cités :

Oh, maman, maman
des stylets minuscules
son étreinte
tachée de boue
et de sang
oui, tu l'aimais
tu n'oublieras jamais.

simplement si stupides et autodestructeurs
adolescents attardés et arrogants,
si peu doués
pour la vie
les gesticulations hystériques
les pulsations d'un coeur sombre
et profond
des flots de tristesse et d'ennui
à aboyer contre les gendarmes de la brigade
d'Olmiccia
comparution immédiate
faire la caisse d'une station-service en mobylette
perdre son porte-feuille, avec tous ses papiers en règle, en sortant du bar-tabac qu'il venait de braquer à Ajaccio.
une sorte de génie de la catastrophe.

Et c'était une telle merveille que tu cessais de voir des murs partout.
Pour la première fois, tu voyais les chalutiers silencieux,
tout en bas,
qui rentraient au port,
l'horizon flamboyant, la douce lumière du phare qui s'allumait. Tu rêvais.
Je crois que c'est toi Khaled, qui, envoûté par la douceur infinie de ces coups
frappés à votre porte,
t'es levé pour ouvrir à la mort.
dans un grand vent.

6 commentaires:

  1. Message de Francesca (redirigé par mes soins vers le bon billet) :

    Très belle lecture d'Emmanuelle Caminade, que dire de plus...

    D'accord sur le "Style Ferrari", éblouissant, et sur la fluidité dont elle parle, je suis notamment profondément sensible à la poésie qui s'en dégage.

    Le personnage de Hayet, lumineux, traverse le roman avec toute sa beauté et sa fragilité, elle allège l'atmosphère de plomb, elle semble une fleur jamais éclaboussée par la boue qui l'entoure. Ces passages sont de la poésie pure, belle et poignante.

    Le thème des "murs" impalpables que les hommes érigent de tant de façons n'est jamais aussi fort que quand il est traité poétiquement.

    Moracchini, je lui vois plus un rôle comique dans le roman (quelle idée brillante que "l'excès de mémoire" et ses effets) qu'un rôle messianique à propos duquel Emmanuelle C. fait un parallèle avec le prince Mychkine, mais pourquoi pas, c'est une vision intéressante.

    Je vais chercher des passages. Promis.

    RépondreSupprimer
  2. Mais le prince Mychkine de Dostoïevski a,justement, à la fois une fonction comique et messianique : on rit beaucoup dans l'Idiot!
    Quant au rôle "Christique" de Moracchini, qui m'est apparu flagrant, il me semble également confirmé par l'étymologie grecque de son prénom qui signifie "don de Dieu" ainsi que par la teneur de l'amour qui le lie à Marie-Angèle ( Marie, la mère de Jésus + Angèle, la messagère)...

    RépondreSupprimer
  3. J'espère que Ferrari nous dira un mot après ces lectures

    Les murs:

    - Celui de l'océan, celui que voit Khaled qui veut partir, comme tous les candidats à une vie rêvée meilleure, mais pas sa soeur Hayet:

    " L'océan est un mur, nous sommes entourés de murs. Il y a des murs liquides, des murs de sable. Nous sommes toujours du mauvais côté. Mais il n'est écrit nulle part que nous devons y rester pour toujours
    (...)
    Est-il écrit aussi que ta vie ressemblera à celle de maman ou de notre soeur aînée Karima, que tu perdras ta beauté auprès d'un homme qui t'engrossera et sera trop épuisé pour t'adresser la parole?"
    (...)
    "Oui, bien sûr, je viendrai. Mais pas parce que j'ai peur de devenir comme maman ou Karima, mais parce que je ne veux pas vivre loin de lui".

    (...)

    - Le mur de la ségrégation sociale, qui se retrouve où qu'on aille, partout, l'"ailleurs" où l'on croit trouver une vie meilleure n'est qu'illusion :

    " Tu te souviens, Hayet, chez nous, la place de la Libération? Il y a avait aussi un mur qui la traversait. Tout le monde faisait comme s'il y avait un mur.
    (...)
    Nous habitions tous la même ville, pourtant. Mais ce n'était pas la même ville. Il y avait plusieurs villes et aucun chemin qui aille des unes aux autres. Dieu est l'Unique, mais il a rempli la création de frontières qui la coupent en morceaux.Ici comme ailleurs.
    Alors, il ne fallait pas venir, peut-être, si c'est pareil ici.
    Ne dis pas de bêtises. Nous sommes quand même mieux ici.
    Mais j'ai l'impression qu'il commence à ne plus le croire."

    - Hayet imagine qu'avant sa mort, Khaled s'est libéré de cette image des murs en se laissant enfin pénétrer de la beauté du monde qu'Hayet ne perd jamais de vue quelles que soient les circonstances:
    Oui, définitivement j'aurais cité ce passage pour sa beauté indicible, apaisante(cf dernier extrait ci-dessus), échappée de lumière dans un univers sans espoir.

    Le Sexe joue aussi un rôle moteur, essentiel, dans la trame des destins, mais côté "Corse" uniquement, c'est curieux, ni Khaled, ni Hayet ni Ryad ne semblent "sexués", ce qui leur donne un petit côté "désincarné". La vraie sainte c'est Hayet.

    C'est un sexe triste, parfois dégoûté de lui-même, jamais un épanouissement, jamais un refuge...

    Pas de refuge, n'en cherchez pas. Sauf dans votre esprit, s'il est capable de s'émerveiller malgré tout, comme celui d'Hayet.

    En tout cas quelle beauté dans le style, on l'a déjà dit, et dans la construction qui me fait penser aux rouleaux de l'océan venant tourner sur la plage et refluant...


    -

    RépondreSupprimer
  4. Merci pour ces commentaires :
    - j'ai bien envie de relire "Balc Atlantico" en faisant attention aux personnages d'Hayet et de Moracchini (si différents)
    - et aussi "L'idiot" de Dostoïevski ! J'ai déjà lu "Les démons" à cause de Marcu Biancarelli ! Je savais bien que ce Russe était important pour la Corse !
    - quant à l'auteur - J. Ferrari - nous accueillerons bien sûr ses commentaires avec plaisir mais il n'est pas obligé : je crois me souvenir que ce n'est pas sa tasse de thé ; et puis il a déjà parlé, puisque son livre est là !

    RépondreSupprimer
  5. Je précise que le choix de ces extraits, appartenant délibérément à chacun des 3 fils narratifs, avait pour but d'inciter à la lecture de Balco Atlantico, ce qui ne nécessitait pas forcément de choisir mes passages préférés.
    Il me semblait , dans cet objectif, important :
    - d'illustrer le « style Ferrari », de montrer que dès les premières pages on est happé par sa fluidité et sa grande puissance évocatrice, qu'il y a aussi de la dérision ( 2ème passage) , de la légèreté (3ème passage ) , et que le respect de l'auteur pour ses personnages est toujours sensible...
    - de souligner la présence d'une profonde énergie vitale, au côté même de l'ennui, de la violence et de la mort, de tenter de combattre cette idée fausse répandue par nombre de « lecteurs », selon laquelle les romans de cet auteur seraient pessimistes, noirs et désespérés...
    ( Je pars en vacances et je n'ai pas le temps de chercher des extraits correspondants à des critères plus subjectifs ...)

    RépondreSupprimer
  6. Merci de ces précisions, bien utiles.
    Bonnes vacances, mêmes les blogueurs littéraires y ont droit !

    A bientôt j'espère, ici ou là (ou "yonder", évoqué par Michel Chaillou dans son blognotes : http://www.michel-chaillou.com/blog_notes.php)

    RépondreSupprimer