Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
dimanche 31 octobre 2010
"...ùn sarà festa tutti i ghjorni !" : un nouveau blog, "Tarrori è Fantasia"
Les moments d'horreur ne sont-ils finalement pas les plus importants de nos vies ? (Ceux vers lesquels sans cesse notre esprit revient, pour y puiser quelle énergie ?)
Une chasse au sanglier ne peut-elle pas devenir une quête effrénée du châtiment ?
Que cherche-t-on vraiment à faire lorsqu'on (l'écrivain) donne la parole à quelqu'un comme Jeronimus Cornelisz ? (Et que cherche-t-on (les lecteurs) vraiment lorsque nous lui prêtons l'oreille ?)
A quel moment interviendront la terreur et le surnaturel lorsqu'on (le personnage) est un berger solitaire obsédé par une femme imaginaire, femme-soleil qui hante le sommeil ?
Ce sont quelques-unes des questions que je me suis posé à la lecture des quatre billets offerts sur un TOUT NOUVEAU BLOG (même si tous les textes ne sont pas inconnus).
Ce blog s'intitule "Tarrori è Fantasia" et il a été créé il y a deux jours seulement. J'en ai appris l'existence par un message de Marcu Biancarelli via Facebook.
Les auteurs (Petru Larenzu Santelli, Petru Felice Cuneo-Orlanducci, Jean-Yves Acquaviva et Marcu Biancarelli ; et la liste devrait rapidement s'allonger) offrent ainsi la possibilité de présenter d'une façon cohérente un ensemble d'écrits - en langue corse - qui relèvent tous du grand domaine de l'Imaginaire (incluant science-fiction, horreur, épouvante, fantastique... ah, cela me rappelle mes lectures de Stephen King, je pense soudain aux "Tommyknockers", et à sa première phrase (je cite, mal, de mémoire) : "Pour un morceau de métal, le Royaume fut perdu.", ou bien encore à "Ça" et à sa première phrase qui dit à peu près : "La Terreur, qui devait durer vingt-huit ans, s'incarna la première fois dans un bateau de papier flottant dans un caniveau." ; je pense aussi à une nouvelle de Lovecraft, que j'ai adorée, intitulée "Celui qui chuchotait (ou murmurait) dans les ténèbres" - tout un programme - et qui commence ainsi me semble-t-il : "Qu'il soit bien clair dans l'esprit du lecteur qu'à aucun moment de cette histoire je n'ai assisté à aucune vision d'horreur.", génial...)
Heureuse initiative, je trouve, que ce blog "Tarrori è Fantasia" !! Pourvu qu'elle donne l'occasion à tous les créateurs, confirmés ou en herbe, d'aller très loin avec des récits inouïs.
Personnellement, je ne peux m'empêcher de me dire que les imaginaires insulaires contemporains y trouveront un exutoire, un lieu de liberté, un appel à inventer propres à mettre en mouvement les fables, les formes et les figures qui hantent nos esprits.
Une mutinerie nihiliste, une chasse suicidaire, une solitude obsessionnelle, un bagne enfoui dans le coeur et l'esprit... Non ?
(La photo du doux sommeil.)
vendredi 29 octobre 2010
Une résidence plus que secondaire ?
Qu'en est-il des résidences d'écrivain en Corse ?
Est-ce que cela existe en ce moment ? Est-ce que cela a existé puis disparu ? Y a-t-il des projets ? (Je me souviens que l'Operata culturale avait évoqué l'idée de telles résidences dans le cap Corse).
Serait-ce une bonne chose que de telles résidences en Corse ? Pour quelles raisons ? Avec quels objectifs ? (Un exemple d'objectif ici).
Le temps de l'écriture est toujours volé à un autre temps. Que devient-il lorsqu'il est ainsi offert ? Quels peuvent être les engagements d'un écrivain invité ?
Je me pose aujourd'hui ces questions, avec vous, car j'ai vu sur Facebook (message d'Isabelle Le Bal, qui dirige le Salon international du livre insulaire d'Ouessant) que c'est Alexis Gloaguen qui allait occuper durant quatre mois le sémaphore du Créac'h (cet auteur breton, bourlingueur, arpenteur de la nature et des villes a déjà été évoqué plusieurs fois sur ce blog, à propos de son "Petit Nord" ou de ses "Veuves de verre"). Je clique sur le lien et j'arrive sur la page du site du Salon consacrée aux résidences d'écrivain, où je lis ceci :
C'est la seule résidence sur une île en Bretagne. A part la Corse, et les Dom-Tom, les îles de la France métropolitaine et encore moins en Bretagne, ne disposent à ce jour de résidence d'écrivains sur une île. Elle pourra ainsi s'inscrire dans un réseau européen de résidences insulaires (Irlande notamment).
Pour en apprendre un peu plus sur cette résidence d'écrivain sur l'île d'Ouessant, voici le lien.
(La photo)
jeudi 28 octobre 2010
Qui a pratiqué (pratique encore) ce rituel ?
Ou à défaut, qui a des informations à propos de ce rituel ?
Je reporte ici une demande de la part de Pierre Bacchelli. Il vaut mieux qu'elle se retrouve dans un billet tout neuf qu'à la fin d'un commentaire : c'est plus cohérent et cela lui donnera un peu plus de visibilité. J'espère que l'appel sera entendu.
(Cette histoire de signes dans la cendre, cela me fait penser - cela n'a peut-être rien à voir, il faut attendre la Noël pour voir arriver le livre - au prochain recueil de poésie de Patrizia Gattaceca : il s'intitule en corse "Tempi di rena" et sera traduit, par Dumenica Verdoni, par "Dans le duvet des cendres". Bon, ce n'est guère utile comme première réaction mais tout de même...)
Voici l'appel :
Je voudrais, si cela est possible, parce que je ne sais où le placer ailleurs, demander aux bonnes volontés de ce blog, et si vous le permettez (c'est hypocritement trop tard), de me renseigner sur les origines d'un rituel sarde - mentionné par G. de Cortanze dans Les vice-rois qui raconte les gestes de Grazzia, domestique d'Ercole Tommaso, nommé vice-roi de Sardaigne : "...après le petit déjeuner, elle se rendait dans le petit salon et le fumoir, vidait les cheminées où on avait fait du feu, et prenait les cendres qu'elle tamisait avant de les remettre proprement dans le feu ouvert. Son travail aurait pu s'arrêter là, mais elle mettait un soin particulier à exécuter ensuite des décorations mystérieuses dans les cendres en se servant d'un pied de verre...... -Pourquoi ces dessins dans la cendre des cheminées ? (E.Tommaso) - Pour protèger Monsieur des mauvais esprits du feu, des pièges de l'île.......", et aussi Sergio Atzeni dans : Nous passions sur la terre, légers, mais aussi dans La fable du juge bandit - et une similitude de rituel semblable en Corse dont me parlait ma grand-mère paternelle.
Quelqu'un ou quelqu'une possèderait-il (-elle) des références sur ce rituel en Corse ? Merci.
(La photo, qui n'a strictement rien à voir avec la demande précédente)
mardi 26 octobre 2010
Littérature corse et librairies d'Aix-en-Provence
Où trouve-t-on des livres corses à Aix-en-Provence (voir ici La cité du livre, qui abrite une belle bibliothèque municipale et quelques rares ouvrages corses) ?
Il faudrait que je fasse un relevé, mais celui-ci sera toujours provisoire.
D'ores-et-déjà, je peux signaler ceci :
- à la librairie All Books and Co, Aurélie est très au fait de l'existence d'une littérature corse et du nom des éditeurs insulaires. Donc, si vous y allez, vous pourrez être sûr d'être agréablement accueillis et rapidement compris dans vos demandes. Le rayon de livres corses ne comporte que quelques références, c'est encore bien maigre, surtout pour une librairie internationale qui vise à offrir le meilleur de la production littéraire dans toutes les langues du monde (signalons tout de même que suite aux Clubs de lecture corses qui y ont lieu régulièrement, on peut trouver les ouvrages évoqués durant les semaines qui suivent : citons les oeuvres de Marcu Biancarelli, d'Alanu di Meglio, de Ghjacumu Thiers, de Jérôme Ferrari). Ne désespérons pas, tout cela évoluera dans le bon sens. Surtout si les lecteurs manifestent leur désir (car au fond, si la littérature corse indiffère les Corses et les amis de la Corse, comme on dit, il ne faut pas s'attendre à voir les choses avancer rapidement).
- à la librairie Vents du Sud, vous trouverez "Ecrire en corse" de Jacques Fusina. Précipitez-vous pour acquérir votre exemplaire (il est évident que c'est un ouvrage indispensable pour y voir plus clair dans la littérature d'expression corse et passionnant pour discuter des enjeux actuels de cette littérature). Vous trouverez aussi "Capula" de Charles de Peretti (éditions Colonna), ouvrage d'histoire médiévale corse très intéressant avec notamment une relecture de la "Chronique" de Giovanni della Grossa. L'auteur signait son livre jeudi 21 octobre et en fit une présentation synthétique particulièrement claire.
- à la Librairie de Provence, la responsable du rayon Provence et Régions ne s'étonne plus en entendant l'expression "littérature corse" et vous propose notamment l'incontournable "Pépé l'anguille" de Dalzeto (traduction de Durazzo, publié par Fédérop en 2010) et la très précieuse "Histoire de la Corse et des Corses" de Jehasse et Arrighi (éditions Colonna et Perrin).
- et à la librairie Goulard, un choix restreint, certes, mais extraordinaire, car à l'entrée Cours Mirabeau (oui c'est une librairie qui travers tout un pâté de maison, gigantesque), sur une table à droite en entrant, vous pourrez acquérir en même temps : "Ecrire en corse" de Fusina, "Corse noire" (Albiana, 2010) et "Eloge de la littérature corse" (Albiana 2010) !! De plus, les libraires sont sensibilisés à l'existence de la littérature corse, vous pouvez en parler avec eux.
Evidemment, pour ce qui est de la littérature corse éditée sur le Continent, par de grands éditeurs particulièrement (Jérôme Ferrari, Jean-Baptiste Predali, Marie Ferranti, Angelo Rinaldi, etc...), vous la trouverez dans les rayons de la littérature française ou francophone.
On pourrait remarquer des manques, ne nous gênons pas. Mais encore une fois, il s'agit toujours (ou la plupart du temps) d'une question économique : il faut un public qui ait envie d'acheter les oeuvres littéraires corses, alors les libraires suivront plus volontiers et placeront sur leurs tables (voire en vitrine ?), par exemple, :
- "N'aghju da empia un campusantu", de Moracchini (toujours pas lu, celui-ci)
- "Un dulore squisitu / Une douleur exquise", de Jacques Fusina (aux éditions Sammarcelli : impossible à trouver sur Internet, vraiment dommage).
- etc. etc.
Je termine ce petit tour d'horizon, en rappelant que la bibliothèque de prêt de l'Amicale corse d'Aix comporte plus de 600 ouvrages (dont une partie importante est un don de l'ancien maire de la ville, récemment décédé, Félix Ciccolini). Il suffit de m'appeler pour emprunter ce que vous voulez (06 88 80 62 83).
Et récemment, le nouveau président, monsieur Tomasini, de la Fédération des Groupements corses des Bouches-du-Rhône signalait que sa bibliothèque (rue Sylvabelle à Marseille) serait entièrement ouverte et qu'un point de vente de livres corses serait à disposition ! Excellente nouvelle.
Alors, si commander via les sites internet des éditeurs est très utile, il est tout de même bon d'entretenir son libraire d'une littérature qui est en train de naître et qui propose une production importante en quantité et en qualité, non ?
(La photo)
lundi 25 octobre 2010
Pierre Bacchelli a lu "Eloge de la littérature corse"
Et je reporte ici, avec le plaisir que vous imaginez, l'ensemble de son point de vue (un immense merci à lui). D'autres critiques positives et négatives (précises, courtoises, vives, polémiques - sans mauvaise foi ni malveillance) sont les bienvenues !
1er message :
J'ai lu une première fois votre livre et je dois vous dire qu'au début où j'ai parcouru la couverture, mes yeux et mes sens sont d'abord descendus dans le bouquet sauvage de ces fleurs "prairiales" aux sépales minières qui l'ornementent et comme tout bon primate j'en ai fouaillé les racines pour ensuite en boire les couleurs, tant à la première lecture presque infante, la conceptualisation de votre ouvrage m'a désarçonné comme une sorte de printemps inconnu.
Puis, je me suis dit aussi bêtement que je vous le livre, ce n'est qu'une compilation, une couture à la rigueur, je préfère "cousure" même si je crée le mot, de plusieurs morceaux de toile et qui plus est d'une géométrie des plus simples, puisqu'il ne s'agirait que d'une géométrie chronologique, aussi tristement simple que celle du temps communément admis de tous.
Je suis donc allé à la postface de M.J.Vinciguerra pour revenir à votre présentation, mais de façon intercalaire et en même temps chevauchante de ma lecture de l'une à l'autre pour déconstruire ce que je prenais pour un simple récit d'exécution. Et soudain j'ai compris. Je crois avoir compris, et je n'en suis qu'au début de ma deuxième lecture. Votre livre est unique, d'une conceptualisation émouvante (comprenez-le au sens latin) et originale d'un courage d'auteur assez rare pour l'avoir pensé ainsi surtout dans l'actuel devenir de notre langue. Je vous ferai la même remarque que M.Leiris faisait de Tzara, de mémoire, si cette dernière m'abuse, qu'on la pardonne : "Alors que tant de poètes ont l'air de regarder le monde comme s'il n'était fait que pour eux, Tzara est si proche des choses que ses poèmes ont aisément l'allure d'un entrecroisement de soliloques qui jaillissent de toutes parts...". Vous me faites l'effet d'un Michel-Ange énervé par l'ampleur de son plafond, chutant d'excitation et d'enthousiasme de son échelle si "souventement" qu'il se retrouve avec ses genoux égratignés de couleurs dans les yeux.
M. J.Vinciguerra a fait une postface très ouverte avec des mises en garde de vigilance sur l'exercice du blog littéraire très judicieuses. Ses réflexions nommées par lui "de façon cavalière" sont très pertinentes en cela qu'il perçoit bien votre ouvrage comme l'ouverture d'un grand opéra.Vous suscitez en permanence l'échange et les lectures ne sont plus solitaires, même si elles doivent le rester en partie pour l'eau particulière qu'elles font couler en nous. Comme il le dit d'une autre manière, vous faites sortir la Corse littéraire de sa territorialité et cette sortie en devient grâce à vous son prolongement. Je salue d'autant plus volontiers les morceaux enlevés de M. J. Vinciguerra à propos des "questions de langue" et de "l'imaginaire corse", que grâce à vous certains poètes restent encore des"anfarti". Très brièvement je pense très sincèrement qu'il faut donner à votre livre plus d'audience qu'il n'en a, une"postpublicité" et j'inviterais bien M. J. Vinciguerra, maintenant qu'il a fait une postface à votre ouvrage, à revenir et à contre-courant de lui faire une préface dans un style aussi averti. Puisque, comme il le dit si bien "lisons et relisons". Cela donnerait une dimension plus grande à votre livre qui le mérite largement et une vie plus particulièrement intense à "ce fil d'Ariane" dont vous nous rappelez tant le besoin.
2ème message :
Le lecteur est surpris, votre livre n'est pas une compilation, à plus forte raison une anthologie. Ce n'est pas une somme, pas un "litteratus". Alors de quoi s'agit-il ? De faisceaux de paroles jaillies d'un blog et qui parlent dans un livre? De lecteurs s'adressant à d'autres lecteurs ? Certes il s'agit d'un peu tout cela. Serait-ce tout ? Il serait stupide de le croire.
Votre livre est une fenêtre, une grande fenêtre ouverte, nouvelle, large, vaste et puissante d'horizon, pour celui qui veut se donner la peine de s'y pencher. Pourquoi une fenêtre ? Parce que ce terme est assez précis pour situer votre ouvrage et assez ouvert pour laisser la place à toute forme d'imagination.
De vos trois raisons à l'édification de ce livre, je ne retiendrai que la deuxième et la troisième que je cite : "Deuxième raison : le livre serait un objet complémentaire de l'existence numérique du réseau qu'est le blog, en permettant à loisir des lectures et relecture. Ce livre devrait être aussi un objet dont le caractère concret peut servir à tout moment de porte d'entrée vers le blog numérique." Si je n'ai pas cité la première raison c'est qu'elle me sembl ,sinon comprise dans les deux autres, tout au moins diffuse en elles, comme vous le dites :"permettant de manifester une cohérence". "Troisième raison : le livre serait un objet qui assume sa finitude et son existence autonome là où le blog est en évolution potentielle permanente, sous le regard de tous et se repaît d'une existence illusoirement infinie. Le texte proposé par l'auteur serait figé, retrouvant par là un aspect explicitement mortel et donc charnel, mais en même temps offert en pâture au lecteur qui pourrait l'avoir à sa main, en faire façon, lui adjoindre notes et commentaires proprement individuels..."
Je ne vais pas vous rééditer tout ce que je vous ai déjà dit auparavant, je vais plutôt dire ce qu'a retenu ma compagne mot pour mot : "Pour F.-X. Renucci, le fait de transposer le contenu du blog dans un livre permet de rassembler sous l'oeil d'un lecteur des textes divers et des commentaires, des récits de lecture, produits dans le jaillissement quotidien, de façon à ce qu'il y ait retour critique et distancié, cohérence à redécouvrir sur "la nature, les limites, les effets et les enjeux pour nous tous d'une littérature corse authentique", se nourrissant cependant "comme en miroir" d'autres littératures, en d'autres temps et d'autres lieux. D'une sorte de Journal collectif, qu'est le blog, il veut en faire "la matière d'une réflexion critique et d'un espoir pour l'avenir de la littérature corse".
Lorsque vous dites : "Par ailleurs, je sais combien chaque lecteur se construit son Panthéon personnel d'auteurs et d'oeuvres. Il sera donc loisible de lire l'index des oeuvres et des auteurs cités (170 auteurs, 280 oeuvres) afin de découvrir avec ravissement la présence de son auteur préféré ou avec stupéfaction son absence." Vous venez de lier entre elles deux sensations : le ravissement et la stupéfaction, ravissement/joie, stupéfaction/colère ou incompréhension. Ces deux émotions sont plus senties, plus continues dans le livre que sur le blog et vous enchaînez : "charge à chacun de venir sur le blog s'il le désire (ce que je souhaite) afin de compléter la liste défaillante et d'alimenter de nouveaux échanges." Vous avez employé un mot-clé qui assure le succès d'un blog de qualité, ECHANGE. Vous donnez une immense possibilité au lecteur d'aller du blog au livre, et du livre au blog. Quelle belle interactivité ! Vous le dites très bien et cela vaut tous les commentaires : "Enfin, vous l'aurez compris, cet ouvrage voudrait être un des objets susceptibles de rendre visible, sur une table, ce que peut être la littérature corse, ce qu'elle peut devenir, mais aussi ce qu'"elle pourra faire dans l'esprit de ses lecteurs et sur la société corse en général." Les mots "rendre visible sur une table" sont particulièrement percutants. Le blog est plus près d'une méthodologie barthésienne du symbole et de la lettre. Le livre épouse mieux "la pensée individuelle et collective", il dit mieux la douleur de l'écriture, il décrit mieux, comme aurait dit en son temps Buffat à propos de Barthes, "les failles qui séparent le sens du vécu".
Vous employez le conditionnel à plusieurs reprises dans votre préface à propos de votre ouvrage. Je crois personnellement que nous pouvons en parler comme d'un acte de grande émotion. L'émotion qui vous anime. Or, l'émotion séduit et impose et devient passion. C'est de cela dont il s'agit. C'est de cela dont vous parlez si bien et dont notre littérature corse a tant besoin. Quelqu'un vous a dit, au lendemain de votre blog : "Era ora!" Oui, il était temps et maintenant il est temps pour votre livre. J'ai dit de votre livre : "fenêtre ouverte" et comme la plupart de toutes les grandes fenêtres, il est une fenêtre-carrefour, "labyrinthique et polyphonique" sur notre littérature et pour elle, sa vie en devenir.
(La photo)
De la beauté du geste de traduire
Per esempiu, in francese, e parolle "meurt" è "bouger" sò sfarente assai, no ? Ma in corsu o in talianu, s'assumiglianu di più : "more" è "movesi" ("muore" è "muoversi")... Mi pare chì a traduzzione taliana di issu puema francese ghjustifica tutte e traduzzione : ùn ponu micca rimpiazzà u testu "uriginale", ma pruponenu un scambiu di forma chì ci porghje sensi novi. Eccu issu puema, traduttu da Luana Leonini :
LA CAMPANA INCRINATA
Durante le notti invernali, è dolce e amaro
ascoltare accanto al fuco che scoppietta e fuma,
i ricordi lontani che lentamente si sollevano
al suono dei carilon che cantano nella nebbia.
Beata la campana con l'ugola possente
che, malgrado la vecchiaia, sana e vigile,
lancia fedelmente il suo grido religioso,
così come un soldato che veglia sotto la tenda !
Ma la mia anima è incrinata, e quando è in pena
e vuole popolare con i suoi canti l'aria fredda delle notti,
succede spesso che la sua voce affievolita
sembri il rantolo sordo di un ferito che è stato dimenticato
al bordo di un lago di sangue, sotto un bel mucchio di morti,
e senza muoversi, muore tra immensi sforzi.
(La photo)
samedi 23 octobre 2010
Ouh là là ! Ouh là là !
Bon, c'est peut-être à cause des vacances de la Toussaint (puisque la plupart des personnes qui publient sont dans l'Education nationale ou tournent autour), mais j'ai l'impression qu'il y a sur le Net un regain de remuement qui pourrait faire penser qu'une amorce de discussion n'est pas à exclure.
J'aimerais bien discuter avec qui voudra des intérêts de l'ouvrage - déjà fameux et indispensable - "Ecrire en corse" (Klinscksieck, 2010) de Jacques Fusina.
Résumé des épisodes précédents :
- le 26 septembre 2010, je publie un petit dialogue sur ce blog pour dire tout le bien que je pense de l'ouvrage en question et aussi manifester mon désaccord sur deux ou trois points (son regard sur l'oeuvre et la posture de Marcu Biancarelli ; son avis sur ce qu'il est possible d'inclure ou pas dans la littérature dite "corse"). Mais la discussion a tourné court. Elle commençait bien pourtant.
- le 14 octobre 2010, un billet de Xavier Casanova sur "Isularama" a insisté sur l'utilité d'un tel ouvrage pour évaluer l'impact des prochaines publications en langue corse et sur les politiques éditoriales qui en sont à la source. No comment.
- aujourd'hui, 23 octobre 2010, c'est au tour de Norbert Paganelli (bon, on attend encore le papier de Sébastien Quenot, que devrait accueillir le site de Musa Nostra après une première mention du livre par Marie-France Bereni-Canazzi) de dire la sienne sur son site "Invistita", avec une mini-présentation de l'ouvrage et en questionnant Jacques Fusina. Entretien très intéressant, et dont la dernière réponse me fait réagir. Et comme Norbert Paganelli place son billet aussi sur Facebook, je commence à discuter (le bout de gras, comme dirait l'autre) sur Facebook ; mais Norbert me dit qu'il faudrait que je relaie cette amorce de discussion sur "Pour une littérature corse"...
Dont acte : alors, je place ici un lien vers l'entretien de Jacques Fusina par Norbert Paganelli :
cliquez ici s'il vous plaît
et je place ici une copie de l'amorce de discussion sur Facebook :
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J'aimerais bien discuter avec qui voudra des intérêts de l'ouvrage - déjà fameux et indispensable - "Ecrire en corse" (Klinscksieck, 2010) de Jacques Fusina.
Résumé des épisodes précédents :
- le 26 septembre 2010, je publie un petit dialogue sur ce blog pour dire tout le bien que je pense de l'ouvrage en question et aussi manifester mon désaccord sur deux ou trois points (son regard sur l'oeuvre et la posture de Marcu Biancarelli ; son avis sur ce qu'il est possible d'inclure ou pas dans la littérature dite "corse"). Mais la discussion a tourné court. Elle commençait bien pourtant.
- le 14 octobre 2010, un billet de Xavier Casanova sur "Isularama" a insisté sur l'utilité d'un tel ouvrage pour évaluer l'impact des prochaines publications en langue corse et sur les politiques éditoriales qui en sont à la source. No comment.
- aujourd'hui, 23 octobre 2010, c'est au tour de Norbert Paganelli (bon, on attend encore le papier de Sébastien Quenot, que devrait accueillir le site de Musa Nostra après une première mention du livre par Marie-France Bereni-Canazzi) de dire la sienne sur son site "Invistita", avec une mini-présentation de l'ouvrage et en questionnant Jacques Fusina. Entretien très intéressant, et dont la dernière réponse me fait réagir. Et comme Norbert Paganelli place son billet aussi sur Facebook, je commence à discuter (le bout de gras, comme dirait l'autre) sur Facebook ; mais Norbert me dit qu'il faudrait que je relaie cette amorce de discussion sur "Pour une littérature corse"...
Dont acte : alors, je place ici un lien vers l'entretien de Jacques Fusina par Norbert Paganelli :
cliquez ici s'il vous plaît
et je place ici une copie de l'amorce de discussion sur Facebook :
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- Catherine Cananzi Di sicuru, l'òpera chì m'aiutarà u più, per scrive ( è senza pretensione) u mo memoriu nant'à : " Les métamorphoses de l'identité corse, depuis le XXe siècle jusqu'à nos jours", una ricerca fundata nant'à a spressione cuntempuranea di i pueti è i scrittori corsi i più imparziali. PS: Norbert il se peut que je t'appelle souvent pour que tu me conseilles ;.) Basgi.Il y a 9 heures · · 1 personneChargement... ·
- Irene Gevrey oui je possede des livres pour aprendre la lague corse y compris de cuisine corse ext j aiime la corse et j aimerai savoir ou me procurer votre livre de litterature corse a prestu graçieIl y a 6 heures · ·
- François-Xavier RenucciMerci à Norbert et à Jacques Fusina pour cet entretien, à propos d'un livre que je trouve aussi absolument indispensable.
Personnellement, je le trouve indispensable pour au moins deux raisons :
- il est une synthèse très bien faite, complèt...e, organisée, sur l'histoire et les caractéristiques de la littérature de langue corse
- il porte un regard personnel sur des oeuvres et des auteurs et manifeste un goût, un choix. Je pense, par exemple, aux critiques négatives (légitimes et intéressantes) concernant l'écriture de Marcu Biancarelli (mêlées à des critiques positives) et à l'éloge qui est fait, autre exemple, de "l'oeuvre originale" et de "l'excellent blog" de Stefanu Cesari.
En effet, il me semble qu'une littérature est vivante lorsque les lecteurs énoncent leurs préférences, en détaillent les raisons.
Je réagis donc aux derniers propos, concernant les sites et blogs. Je trouve, contrairement à Jacques Fusina, que les lieux numériques peuvent aussi être des lieux de spontanéité et de discussion, intéressants pour la créativité littéraire corse. Je pense à la "Gazetta di Mirvella", qui offre, au sein de nombreux messages qui peuvent paraître inutiles ou à usage restreint, des fictions ou des réflexions très originales, qui n'auraient jamais trouvé de visibilité publique ailleurs. C'est toute la question du "filtre" qui est posée là.
Par ailleurs, j'aimerais identifier les "certains" qui se livrent à des publications effrénées ou à des commentaires sans fin et qui laissent Jacques Fusina assez dubitatif ; car si je trouve cette opinion tout à fait intéressante, je pense que le débat public a aussi besoin de préciser de quels objets on parle ensemble. Là en l'occurrence, c'est la question des conditions d'un espace critique public qui est posée.
Dans tous les cas, merci encore à Norbert Paganelli et Jacques Fusina pour relancer ainsi la discussion !Il y a 5 heures · - François-Xavier RenucciMais Bon Dieu Norbert Je Ne Veux Pas M'Engueuler Nom De Dieu !!!!! Qui c'est qui crie ici !!!!! Moi ???!!!!! Je Veux Discuter !!!! C'est Pas Compliqué !!!! Non ?!!!! Et je parle calmement là ? C'est Clair Pour Tout Le Monde ???!!! (Allez, j...e relance quand même sur Pour Une littérature corse... on sait jamais... j'te jure, entre les éructations des sodomites en mal de création de Mirvella et les silences et allusions du reste de la Toile, je me sens bien seul dans ma gentille paranoïa et ma mégalomanie bavarde, moi...Il y a environ une heure ·
- Francesca Graziani non tu n'es pas seul FXR et nous on se sent moins seuls avec ton Blog -)Il y a 47 minutes · ·
- François-Xavier Renucci Mais Francesca J'adore Me Sentir Seul Dans Ma Très Grande MégaloManiaquerie !!!!! Personne Ne Me Comprend !!! J'Adore !!!Il y a 44 minutes ·
- Francesca Graziani Ok je n'avais pas compris...précisément. Allora ti campi! -)Il y a 42 minutes · ·
mercredi 20 octobre 2010
57 ghjorni
Passà u tempu... sò tante e manere di passà lu ! Pudemu cuntà i ghjorni... 57 ghjorni trà l'assassiniu di u ghjudice Falcone è quellu di u so amicu Borsellino. Hè un esempiu sicilianu.
Ma ramintemu ci chì Stendhal hà scrittu "La Chartreuse de Parme" in 52 ghjorni !
Eccu un testu di Madeleine Rossi, ghjurnalista (eccu un altru travagliu nant'à i mazzeri). A ringraziemu pè l'autorisazione di publicazione nant'à issu blog !
IL VINO, IL SOLE, IL SANGUE: CORSICA-SICILIA.
La Corse et la Sicile ont en commun une langue maternelle, le silence. Une manière de ne pas dire, une manière de nourrir les codes. La violence souterraine et l’âpreté de la question criminelle ont sur les deux îles de semblables racines, celles du destin, du clan et du sentiment d’appartenance à quelque chose que les autres ne possèdent pas.
Car ce n’est pas tout d’être une île. Après tout, ses habitants ne peuvent se comporter qu’en fonction de la couleur et du degré d’hostilité de la mer qui les entoure. La réalité de l’histoire sicilienne et corse est faite de rivalités, de conquêtes et de passages. Quelques moments de répit, des temps de révolution et d’indépendance, et les hommes devenus pères de nations impossibles. Par Garibaldi ou Paoli, c’est le théâtre de ce monde-là qui s’est installé au cours des siècles.
La stratégie de survie d’une société se trouve parfois résumée à un seul être, ou deux, ou une poignée d’hommes. Ainsi en Sicile, l’incarnation du courage et de la vraie justice se nomme Paolo Borsellino & Giovanni Falcone. Amis et boucliers l’un de l’autre, meurtris pour avoir ouvertement annoncé qu’ils résisteraient aux Léviathans de la violence légale et illégale.
Essendo Stato.
Un double sens déjà, dans le titre de ce livre. Essendo Stato : ayant vécu. Essendo Stato : représentant de l’Etat. Ce livre poignant, profond et brûlant est le monologue d’un Paolo Borsellino qui sait n’avoir plus que quelques secondes à vivre. Lui, ses hommes, les voitures, la rue: déchiquetés. C’est la fin, dit-il. C’est la fin. Et Borsellino, en cet ultime instant de sa vie, nous parle de ses rêves, de l’abandon, de la peur et de l’Etat. «Les cinquante-sept jours pendant lesquels vit Borsellino, après la mort de Falcone, font du juge un homme seul. Il est encerclé par des éléments dérivés de l’Etat et de la politique, de Cosa Nostra. Il est seul, dans l’indifférence générale, ce produit culturel hautement raffiné, fait pour enterrer la vérité». C’est par cette métaphore que Ruggero Cappuccio (1) présente sa pièce de théâtre. Mais ce théâtre-là se décalque parfaitement sur du granit. Combien, loin de la Sicile, ont-ils également élaboré leur propre fin, contraints de l’évoquer auprès d’intimes?
Ce n’est pas tant l’acte de guerre en soi qui peut résonner ici, non, mais ses causes et conséquences, soit le conditionnement du fait criminel. L’Etat ne serait-il “une mafia avec un passeport“ qu’en Sicile, comme le dit un capo à Borsellino?
«Sono le sedici e cinquantotto…
È il diciannove del mese di luglio. È il millenovecentonovantadue. Sono per terra. Sono finito. Forse sono finito. Sapevo che sarei finito.
Il est seize heures cinquante-huit. Il est le dix-neuf juillet. Mille neuf cent quatre-vingt douze. Il y a eu une explosion, suivie d’une étrange sensation de silence. À Palerme, les explosions et les mots ne connaissent comme fin absolue que le silence. Je suis à terre. Je ne vois rien d'autre que le ciel à travers un voile de poussière. C'en est fini de moi. Peut-être que c’en est fini de moi. Je savais que je mourrais. Depuis longtemps, je voyais arriver ma fin, et je la voyais déjà passée, dépassée. L'avant et l'après formaient un amalgame dans ma vie, depuis longtemps. Tout était clair depuis longtemps, comme la cendre de cette insolite déflagration de silence. Je suis à terre. C’en est fini de moi. Peut-être qu'il me reste encore quatre secondes. Cinq. Six. Peut-être qu'il ne m'en reste qu'une seule, si petite, ténue, invisible. Mais cet instant est tellement immense».
La violence illégale, en ce jour de juillet 1992, vient de détruire un symbole de l’Etat. En cause: la mafia, bien sûr. Cosa Nostra, qui d’autre. Des meurtres d’une rare brutalité commis par une institution obéissant à une autre institution. De tels actes ne peuvent être commis sans un accord conclu entre les assassins et les commanditaires. Chacune des parties contractuelles s’observe en silence et nettoie sa propre scène de crime, élimine les témoins, procède à l’évacuation sanitaire des nervis. Les procès et les interrogatoires s’enchaînent, laissant planer les mots sybillins et les menaces. La question, pour ceux qui luttent contre cela, c’est le temps. Le temps de dissimuler les derniers indices et les dernières preuves, avant qu’un autre ne s’en empare. Le temps de se cacher, de fuir, pour ne pas subir d’autres tortures. La question, pour ceux qui survivent et qui à leur tour ne peuvent se défendre vraiment, c’est de devoir affronter la violence des institutions. L’Etat ne peut se satisfaire de détruire ses opposants, il lui faut aussi se coucher devant ses intermédiaires. Il faut que les preuves disparaissent, car ni les uns ni les autres ne doivent être impliqués. Le seraient-ils qu’ils ne seraient pas même châtiés. La question, c’est que ceux qui veulent votre mort ne vous toucheront pas. Ils attendront, repus, le moment exact où donner l’ordre.
«La scienza dei rumori è stata la mia scienza…
…Sapevo che un attimo prima della fine avrei sentito il passo di un faccendiere, la portiera di un auto che si chiude, un motorino di avviamento che si collega alla morte.
La science des bruits a été ma science. Je savais qu’un instant avant la fin, j’aurais entendu le pas d’un intermédiaire, la portière d’une voiture qui se ferme, un démarreur qui se connecte à la mort. La fin aurait été annoncée par un bruit. Et ce bruit, un instant avant la fin, aurait été le point final de cette phrase qu’est ma vie».
Quels qu’aient pu être leur bord et leur camp, ils ont tous su que ce bruit-là était le bon, que c’était le bruit qui annoncerait leur mort. Peu à peu, ils se sont habitués à l’idée que chaque son, chaque bruit, pouvait devenir le dernier. À leur tour, ceux qui les ont remplacés et qui ont été formés par eux vivent dans la métaphore de ce qui est, et de ce qu’ils font. Ils ont une conscience illimitée de ce qu’ils sont. Ils ne voient rien d’extraordinaire dans leur action ni dans leur vie. Ni les magistrats, ni les ragazzi d’escorte; ni les leaders, ni leurs amis.
Un problème se pose. S’ils sont juges et donc représentants de l’Etat, ils n’en connaissent que mieux les arrière-pensées très personnelles et pas très nettes. Et c’est là toute l’amertume de la condamnation. L’intimidation parvient de l’Etat, demandes de prudence officielles. L’intimidation arrive d’ailleurs, demandes de prudence au nom de la mafia. Deux fois au nom de la mort. L’Etat démontre son impuissance lorsqu’il leur demande d’ignorer ce qu’ils savent devoir ignorer. Cette limite est précisément une condamnation à mort.
Il arrive que l’Etat crée ses chimères insulaires, et en perde le contrôle. Il n’est dès lors plus possible d’admettre l’erreur commise ou de négocier, il n’est temps que de faire abattre, de désigner et d’écraser la créature. Combien de niveaux d’intermédiaires, de faccendieri, utiles à l’art de ne pas dire. La science des bruits et des grondements les accompagne sans cesse. Certains ont eu le temps de percevoir que leur voiture se consumait. D’autres ont eu le temps de voir les visages découverts de leurs assassins, en cette ultime seconde de leur vie.
Les choses les plus difficiles à dire, lorsque l’idée chaude et solaire de la terre vient apaiser les humeurs nocturnes ou bleues, sont toujours simples et solennelles. C’est ainsi. Le caractère mélancolique et archaïque de la Sicile/Corse rend si difficile l’expression de l’inconditionnel.
«E penso spesso una cosa: quando rivediamo una persona che non vedevamo da tempo, diciamo facilmente: “da quanto tempo non ci vediamo?“…
…Moi, par contre, je voudrais toujours dire: “pendant combien de temps ne nous reverrons-nous plus?“.
Note (1)
Ruggero Cappuccio est écrivain et metteur en scène Napolitain, vit à Rome et à Palerme. La pièce Essendo Stato a été jouée pour la première fois à Benevento en septembre 2004, avec Massimo de Francovich dans le rôle de Paolo Borsellino (Scritture Segrete editore, Rome 2006 – traduction française de M.Rossi, en attente de publication).
Madeleine Rossi // Journaliste indépendante et traductrice, travaille sur les mécaniques du crime organisé.
Ma ramintemu ci chì Stendhal hà scrittu "La Chartreuse de Parme" in 52 ghjorni !
Eccu un testu di Madeleine Rossi, ghjurnalista (eccu un altru travagliu nant'à i mazzeri). A ringraziemu pè l'autorisazione di publicazione nant'à issu blog !
IL VINO, IL SOLE, IL SANGUE: CORSICA-SICILIA.
La Corse et la Sicile ont en commun une langue maternelle, le silence. Une manière de ne pas dire, une manière de nourrir les codes. La violence souterraine et l’âpreté de la question criminelle ont sur les deux îles de semblables racines, celles du destin, du clan et du sentiment d’appartenance à quelque chose que les autres ne possèdent pas.
Car ce n’est pas tout d’être une île. Après tout, ses habitants ne peuvent se comporter qu’en fonction de la couleur et du degré d’hostilité de la mer qui les entoure. La réalité de l’histoire sicilienne et corse est faite de rivalités, de conquêtes et de passages. Quelques moments de répit, des temps de révolution et d’indépendance, et les hommes devenus pères de nations impossibles. Par Garibaldi ou Paoli, c’est le théâtre de ce monde-là qui s’est installé au cours des siècles.
La stratégie de survie d’une société se trouve parfois résumée à un seul être, ou deux, ou une poignée d’hommes. Ainsi en Sicile, l’incarnation du courage et de la vraie justice se nomme Paolo Borsellino & Giovanni Falcone. Amis et boucliers l’un de l’autre, meurtris pour avoir ouvertement annoncé qu’ils résisteraient aux Léviathans de la violence légale et illégale.
Essendo Stato.
Un double sens déjà, dans le titre de ce livre. Essendo Stato : ayant vécu. Essendo Stato : représentant de l’Etat. Ce livre poignant, profond et brûlant est le monologue d’un Paolo Borsellino qui sait n’avoir plus que quelques secondes à vivre. Lui, ses hommes, les voitures, la rue: déchiquetés. C’est la fin, dit-il. C’est la fin. Et Borsellino, en cet ultime instant de sa vie, nous parle de ses rêves, de l’abandon, de la peur et de l’Etat. «Les cinquante-sept jours pendant lesquels vit Borsellino, après la mort de Falcone, font du juge un homme seul. Il est encerclé par des éléments dérivés de l’Etat et de la politique, de Cosa Nostra. Il est seul, dans l’indifférence générale, ce produit culturel hautement raffiné, fait pour enterrer la vérité». C’est par cette métaphore que Ruggero Cappuccio (1) présente sa pièce de théâtre. Mais ce théâtre-là se décalque parfaitement sur du granit. Combien, loin de la Sicile, ont-ils également élaboré leur propre fin, contraints de l’évoquer auprès d’intimes?
Ce n’est pas tant l’acte de guerre en soi qui peut résonner ici, non, mais ses causes et conséquences, soit le conditionnement du fait criminel. L’Etat ne serait-il “une mafia avec un passeport“ qu’en Sicile, comme le dit un capo à Borsellino?
«Sono le sedici e cinquantotto…
È il diciannove del mese di luglio. È il millenovecentonovantadue. Sono per terra. Sono finito. Forse sono finito. Sapevo che sarei finito.
Il est seize heures cinquante-huit. Il est le dix-neuf juillet. Mille neuf cent quatre-vingt douze. Il y a eu une explosion, suivie d’une étrange sensation de silence. À Palerme, les explosions et les mots ne connaissent comme fin absolue que le silence. Je suis à terre. Je ne vois rien d'autre que le ciel à travers un voile de poussière. C'en est fini de moi. Peut-être que c’en est fini de moi. Je savais que je mourrais. Depuis longtemps, je voyais arriver ma fin, et je la voyais déjà passée, dépassée. L'avant et l'après formaient un amalgame dans ma vie, depuis longtemps. Tout était clair depuis longtemps, comme la cendre de cette insolite déflagration de silence. Je suis à terre. C’en est fini de moi. Peut-être qu'il me reste encore quatre secondes. Cinq. Six. Peut-être qu'il ne m'en reste qu'une seule, si petite, ténue, invisible. Mais cet instant est tellement immense».
La violence illégale, en ce jour de juillet 1992, vient de détruire un symbole de l’Etat. En cause: la mafia, bien sûr. Cosa Nostra, qui d’autre. Des meurtres d’une rare brutalité commis par une institution obéissant à une autre institution. De tels actes ne peuvent être commis sans un accord conclu entre les assassins et les commanditaires. Chacune des parties contractuelles s’observe en silence et nettoie sa propre scène de crime, élimine les témoins, procède à l’évacuation sanitaire des nervis. Les procès et les interrogatoires s’enchaînent, laissant planer les mots sybillins et les menaces. La question, pour ceux qui luttent contre cela, c’est le temps. Le temps de dissimuler les derniers indices et les dernières preuves, avant qu’un autre ne s’en empare. Le temps de se cacher, de fuir, pour ne pas subir d’autres tortures. La question, pour ceux qui survivent et qui à leur tour ne peuvent se défendre vraiment, c’est de devoir affronter la violence des institutions. L’Etat ne peut se satisfaire de détruire ses opposants, il lui faut aussi se coucher devant ses intermédiaires. Il faut que les preuves disparaissent, car ni les uns ni les autres ne doivent être impliqués. Le seraient-ils qu’ils ne seraient pas même châtiés. La question, c’est que ceux qui veulent votre mort ne vous toucheront pas. Ils attendront, repus, le moment exact où donner l’ordre.
«La scienza dei rumori è stata la mia scienza…
…Sapevo che un attimo prima della fine avrei sentito il passo di un faccendiere, la portiera di un auto che si chiude, un motorino di avviamento che si collega alla morte.
La science des bruits a été ma science. Je savais qu’un instant avant la fin, j’aurais entendu le pas d’un intermédiaire, la portière d’une voiture qui se ferme, un démarreur qui se connecte à la mort. La fin aurait été annoncée par un bruit. Et ce bruit, un instant avant la fin, aurait été le point final de cette phrase qu’est ma vie».
Quels qu’aient pu être leur bord et leur camp, ils ont tous su que ce bruit-là était le bon, que c’était le bruit qui annoncerait leur mort. Peu à peu, ils se sont habitués à l’idée que chaque son, chaque bruit, pouvait devenir le dernier. À leur tour, ceux qui les ont remplacés et qui ont été formés par eux vivent dans la métaphore de ce qui est, et de ce qu’ils font. Ils ont une conscience illimitée de ce qu’ils sont. Ils ne voient rien d’extraordinaire dans leur action ni dans leur vie. Ni les magistrats, ni les ragazzi d’escorte; ni les leaders, ni leurs amis.
Un problème se pose. S’ils sont juges et donc représentants de l’Etat, ils n’en connaissent que mieux les arrière-pensées très personnelles et pas très nettes. Et c’est là toute l’amertume de la condamnation. L’intimidation parvient de l’Etat, demandes de prudence officielles. L’intimidation arrive d’ailleurs, demandes de prudence au nom de la mafia. Deux fois au nom de la mort. L’Etat démontre son impuissance lorsqu’il leur demande d’ignorer ce qu’ils savent devoir ignorer. Cette limite est précisément une condamnation à mort.
Il arrive que l’Etat crée ses chimères insulaires, et en perde le contrôle. Il n’est dès lors plus possible d’admettre l’erreur commise ou de négocier, il n’est temps que de faire abattre, de désigner et d’écraser la créature. Combien de niveaux d’intermédiaires, de faccendieri, utiles à l’art de ne pas dire. La science des bruits et des grondements les accompagne sans cesse. Certains ont eu le temps de percevoir que leur voiture se consumait. D’autres ont eu le temps de voir les visages découverts de leurs assassins, en cette ultime seconde de leur vie.
Les choses les plus difficiles à dire, lorsque l’idée chaude et solaire de la terre vient apaiser les humeurs nocturnes ou bleues, sont toujours simples et solennelles. C’est ainsi. Le caractère mélancolique et archaïque de la Sicile/Corse rend si difficile l’expression de l’inconditionnel.
«E penso spesso una cosa: quando rivediamo una persona che non vedevamo da tempo, diciamo facilmente: “da quanto tempo non ci vediamo?“…
…Moi, par contre, je voudrais toujours dire: “pendant combien de temps ne nous reverrons-nous plus?“.
Note (1)
Ruggero Cappuccio est écrivain et metteur en scène Napolitain, vit à Rome et à Palerme. La pièce Essendo Stato a été jouée pour la première fois à Benevento en septembre 2004, avec Massimo de Francovich dans le rôle de Paolo Borsellino (Scritture Segrete editore, Rome 2006 – traduction française de M.Rossi, en attente de publication).
Madeleine Rossi // Journaliste indépendante et traductrice, travaille sur les mécaniques du crime organisé.
lundi 18 octobre 2010
Je lis Jacques Fusina lisant Jean-François Agostini...
Enfin, quand je dis "je lis", on pourrait écrire "nous lisons", car vous pouvez lire, tout comme moi, le long entretien (bonheur !, car il développe les trop brèves pages consacrées à la poésie corse contemporaine dans "Ecrire en corse") que Jacques Fusina accorde à Jean-François Agostini...
Cet entretien en 16 longues pages et 7 questions sert de préface au numéro 44 de la revue Nu(e) (revue de poésie de Béatrice Bonhomme et Hervé Bosio, éditée à Nice) qui contient 217 pages de "poésie corse". En effet, la revue est la première publication (mais est-ce vrai ?) à proposer un choix de poèmes de poètes corses écrits soit en français soit en corse, publiés soit par des éditeurs insulaires soit par des éditeurs continentaux. Il me semble que les précédentes anthologies ne comprenaient que des écrivains de langue corse. Personnellement, je me réjouis de cet appariement des langues (qui était aussi celui de la mythique revue-au-numéro-unique-de-1914 : A Cispra), d'autant plus que certains des poèmes sont traduits en langue corse, certains écrits en langue sont traduits en français, circulation heureuse entre les deux langues d'écriture de la littérature corse contemporaine.
J'ai lu l'ensemble de la revue et ce qui me frappe c'est la belle diversité des styles pour une expression poétique d'abord profondément lyrique ; certes le poète dit "je", presque tout le temps, mais en même temps il ne se contente pas de son moi, il raconte ses façons de sentir et d'appréhender le monde (et dans le cas des poèmes de Marcu Biancarelli on assiste même à un mélange entre récit et poésie qui est totalement déconnecté du lieu insulaire et travaille les figures inventées par Dostoïevski). Bon, voilà un propos général qui ne mange pas de pain, je vous l'accorde ; je reviendrai dans un autre billet sur les poèmes qui me trottent encore dans la tête (je pense à ceux de Fusina qui égrènent les moments du réveil et du café du matin, on y sent un léger humour, délicieux, face au désarroi du poète qui tente de dire quelque chose ; je pense à ceux de Durazzo, son "Livre des couleurs" - j'aime tout particulièrement le poème intitulé "Biancu 1" - est-ce que cela augure d'une prochaine publication en recueil ?; je pense à la page 87, sorte d'explication d'Alanu di Meglio, intitulée "Ecrire de l'île", qui pourrait sonner comme le tranquille manifeste de la nouvelle poésie corse, libérée des mots d'ordre : "pour moi (car je ne prétends qu'à la subjectivité), c'est tenter de dépasser la prétention d'écrire une page d'un collectif tout en ne reniant rien." Pas mal, comme projet ? Qui ne conviendrait pas à tous nos auteurs, peut-être, mais en même temps il est possible que tout soit dans le jeu entre "dépasser" et ne "rien renier"... non ? ; je pense enfin à l'extrait de "Derrière le fleuve" de Joël Bastard, réjouissant va-et-vient entre la Corse et le Mali, ou plutôt entre le Mali du poète résident et la Corse du poète enfant ; je pense... mais chut, pour la prochaine fois ; à moins que vous ne me devanciez et vous exprimiez à propos de votre poème préféré dans cette magnifique sélection ?).
Que voulais-je dire ? Mon impression générale face à ce volume : l'impression de se sentir en prise directe avec une poésie vivante, totalement libre, dense, imprévisible. Mais j'y reviendrai, donc.
Pour le coup signalons tout de suite ce qui me chiffonne quelque peu :
- on ne sait pas toujours (presque jamais) si les poèmes proposés sont inédits ou pas.
- on ne sait presque jamais si les poèmes ont d'abord été écrits en corse ou en français, avant d'être traduits dans l'autre langue (et par quel traducteur d'ailleurs ?)
- on se demande d'ailleurs pourquoi certains poèmes sont présents dans les deux langues et certains uniquement en langue française.
- on aimerait disposer d'une bibliographie des poètes présents dans le volume (outre les photographies de Maddalena Rodriguez-Antoniotti, on compte donc des poèmes de - dans l'ordre d'apparition dans le volume - Jacques Fusina, Jean-Paul Angeli - que je ne connaissais pas du tout -, Joël Bastard, Marcu Biancarelli, Stefanu Cesari, Alain di Meglio, Francescu-Micheli Durazzo, Nadine Manzagol, Danièle Maoudj, Marcel Migozzi, Hélène Sanguinetti, Lucia Santucci, François Viangalli).
Voilà à quoi je pense pour le moment, vous trouverez peut-être d'autres éléments qui vous posent problème. Parlons-en.
Mais dans tous les cas, il reste pour moi que le volume propose un panorama particulièrement réjouissant de l'expression poétique corse ou en relation avec la Corse. J'utilise cette expression un peu compliquée car Joël Bastard explique dans un petit préambule qu'il "ne souhaite pas être catalogué poète corse dans l'île et hors de l'île". D'où le titre de la revue :
CORSE
13 poètes
Mais l'essentiel est bien de rassembler des textes qui font leur office littéraire en rapport avec la Corse d'aujourd'hui, non ? Peu importe les sentiments et les identités des poètes. Je m'empresse d'ajouter que je ne porte aucun jugement sur le choix de Joël Bastard, chacun est libre, et qu'il ne me gêne nullement. Au contraire, il me semble qu'une littérature contemporaine fonctionne d'autant mieux qu'elle n'est pas sclérosée en centre versus marges et que nous pouvons faire jouer les textes entre eux, d'où qu'ils viennent, surtout quand ils nous proposent des objets et des histoires plutôt que des idées et des discours. D'ailleurs, Joël Bastard a une expression superbe et très concrète (et très alléchante) pour conclure le préambule où il explique qu'il est "né à la poésie en Corse" : "Je suis né à la poésie en Corse une truite dans la main dans une rivière qui pour toujours coule en moi. Dans la besace : des tranches de pulenda dans un linge fariné, des plumes de geais, un lance pierre, un couteau, des hameçons et un harmonica. À la seule évocation de tout cela, l'écriture frémit comme une frappe dans l'huile bouillante." Superbe, non ? (Vous n'êtes pas obligé d'être d'accord... je sais, je me répète.)
Revenons à nos moutons, c'est-à-dire à l'entretien de Jacques Fusina par Jean-François Agostini ; voici les 7 questions, histoire de vous apâter (car pour les réponses, il va vous falloir vous fendre de 20 euros auprès de la revue Nu(e) ! - Bon, il est vrai que le site de la revue ne mentionne pas encore ce numéro 44 - quel dommage ! - je vous renvoie donc ici à un billet de Norbert Paganelli, qui salue lui aussi la sortie de ce volume et donne l'adresse de la revue à laquelle il vous faudra écrire ; à quand une possibilité de commander par Internet ?) :
1. L'imaginaire d'une majorité de nos auteurs était étroitement lié à la tradition poétique orale en langue corse, peut-on dire qu'il reste des traces de cette oralité dans l'écrit contemporain ?
2. En quoi, forte de cette double ouverture, la poésie contemporaine corse se différencie-t-elle de la production continentale, en d'autres termes quelle serait d'après toi la part commune la plus significative, fond et forme, aux poètes corses au-delà, bien entendu, de leur singularité ?
3. Vers quelle période se produit le "basculement", d'une poésie que nous qualifierons de "traditionnelle", vers la modernité ?
4. Tu dis que la création, en poésie particulièrement, ne se porte pas si mal, as-tu observé le regroupement de certains genres, ce que l'on appelait autrefois des écoles, un registre se détache-t-il de l'ensemble ? Quels auteurs sont susceptibles d'incarner cette modernité ?
5. La poésie corse est-elle reconnaissable ?
6. On assiste actuellement à la multiplication de lectures, rencontres, festivals et autres événements poétiques sur l'île, tu as été membre du comité de rédaction de la revue "Le Puits de l'Ermite" qui, dans les années soixante-dix, jouissait d'une haute réputation, penses-tu possible l'émergence d'un laboratoire original de poésie capable, pour reprendre une célèbre formule, "d'étonner le monde" ?
7. Quelle a été l'influence de ton parfait bilinguisme sur ton oeuvre poétique ? Penses-tu avoir assingé à telle langue, consciemment ou inconsciemment, un registre différent de l'autre ?
Passionnantes, ces questions, non ? Les réponses sont souvent précises, prudentes, informées. Je voudrais simplement ce soir citer un extrait d'une de ces réponses (celle correspondant à la question 5. Il s'agit du moment où le poète se transmue devant nous en lecteur de poésie, et cite, oui, cite, un poème aimé (il s'agit d'un poème de Jean-François Agostini, justement), et revient sur les mots cités, évoque sa façon de les lire, c'est proprement fantastique (même lorsque c'est exprimé dans le style calme, prudent et transparent de Jacques Fusina), écoutez plutôt :
"Autre rencontre, celle de ta poésie dont l'oeuvre m'est à présent bien connue et que j'apprécie comme une des toutes premières qui se constituent aujourd'hui chez nous alors même qu'elle est publiée chez des éditeurs spécialisés extérieurs à l'île : j'ouvre, par exemple, un mince recueil de 2008 intitulé Era ora (d'un titre en corse qui signifie "Il était temps !", éd. Les Presses littéraires, avec des illustrations de Gérôme Fricker) et lis une page au hasard : La mer ne roule plus/Les pierres de la tour/relevée Pas plus que le figuier attenant/n'y trempe les pennes/de son geai En attente/La main provisoire/effleure la déroulé/des monts Index tendu/où pointe un hibernacle.
Les signes d'appartenance au midi y foisonnent (la mer, le figuier...) dont quelques-uns me sont plus familiers encore (la tour, le geai, le déroulé des monts...) et me rapprochent de cette écriture alors qu'elle n'est traditionnelle ou ordinaire ni par l'organisation très moderne (enjambements inattendus et coupures asymétriques, absence de ponctuation, parataxe dominante) ni par l'expression lexicale parfois recherchée ou précieuse (pennes, hibernacle). L'ensemble, qui mérite assurément un tout autre approfondissement que ce survol occasionnel, présente donc pour moi des éléments d'accroche qui me semblent liés à l'évocation, si ténue fût-elle, du lieu au sens large qui les inspire."
Même dans un contexte un peu léger comme celui-ci (ouverture du livre au hasard, "survol occasionnel" du poème), je ressens une profonde émotion à découvrir la réalité d'une lecture ; et tout en écrivant ce billet, j'imaginais les pensées et les émotions de Jean-François Agostini écoutant Jacques Fusina évoquer devant lui un de ses poèmes : où se trouve la poésie corse, à ce moment précis ? Entre Fusina et Agostini et le livre ouvert, et moi écrivant ce billet, et vous le lisant.
One more time (et ce, sans respecter la disposition originale du poème, désolé !) :
La mer ne roule plus
Les pierres de la tour
relevée Pas plus que le figuier attenant
n'y trempe les pennes
de son geai En attente
La main provisoire
effleure le déroulé
des monts Index tendu
où pointe un hibernacle.
(La photo)
vendredi 15 octobre 2010
Max Caisson -1960 - 1984 - 2010 - Pierre Bacchelli
... que la vie est lente...
Reçu, ce matin, une écriture nocturne, une sorte de vif hommage, de la part de Pierre Bacchelli. (Pour en savoir plus sur Pierre Bacchelli).
Ce texte est un hommage au texte de Max Caisson, "Brumes Réseaux Miroirs", évoqué en avril 2009 sur ce blog. Merci de tout coeur à Pierre Bacchelli. Bonne lecture. (Et encore une fois, personne n'est obligé d'aimer ce texte comme moi !)
Le voici.
BAGAGE
Le jour avance dans un soir vomi et farouche de solitudes affamées et de fosses de nuages grossières.
Le vent s'était rembruni.
Des halliers de ciel traversaient les promenades encombrées de statues de corrégidors et de flamines hagards.
Il n'y a pas d'ombre.
Personne ne hurle.
Des yeux hâves attendent. L'attente des couchants exclus.
Les bateaux allaient comme des draves de souvenirs vers plus de rivage que la gîte d'un rêve démâté.
Sur les collines derrière, la pluie d'octobre faisait du goutte à goutte à l'ennui.
Enfances, ruines, mosaïque étaient en brigade dans la vaine quérulence de l'histoire.
L'écho imaginaire sous le drap recousu du temps arpentait le cours scélérat de l'eau.
Personne ne hurle.
Tout semblait pourtant comme un morceau de bonheur de la terre des morts, importé tel un miel rare par un voyer boiteux.
14/10/2010
P.Bacchelli
Reçu, ce matin, une écriture nocturne, une sorte de vif hommage, de la part de Pierre Bacchelli. (Pour en savoir plus sur Pierre Bacchelli).
Ce texte est un hommage au texte de Max Caisson, "Brumes Réseaux Miroirs", évoqué en avril 2009 sur ce blog. Merci de tout coeur à Pierre Bacchelli. Bonne lecture. (Et encore une fois, personne n'est obligé d'aimer ce texte comme moi !)
Le voici.
BAGAGE
Le jour avance dans un soir vomi et farouche de solitudes affamées et de fosses de nuages grossières.
Le vent s'était rembruni.
Des halliers de ciel traversaient les promenades encombrées de statues de corrégidors et de flamines hagards.
Il n'y a pas d'ombre.
Personne ne hurle.
Des yeux hâves attendent. L'attente des couchants exclus.
Les bateaux allaient comme des draves de souvenirs vers plus de rivage que la gîte d'un rêve démâté.
Sur les collines derrière, la pluie d'octobre faisait du goutte à goutte à l'ennui.
Enfances, ruines, mosaïque étaient en brigade dans la vaine quérulence de l'histoire.
L'écho imaginaire sous le drap recousu du temps arpentait le cours scélérat de l'eau.
Personne ne hurle.
Tout semblait pourtant comme un morceau de bonheur de la terre des morts, importé tel un miel rare par un voyer boiteux.
14/10/2010
P.Bacchelli
samedi 9 octobre 2010
Un grand merci
Oui, un grand MERCI, aux artistes et écrivains qui - à l'invitation de l'Amicale corse d'Aix-en-Provence - ont consacré deux heures de leur temps à lire de la poésie, la traduire, chanter, évoquer leur travail, parler des auteurs qu'ils aiment... Ils nous ont donné beaucoup de plaisir et ont permis, de la façon la plus naturelle qui soit, de donner à voir et à entendre que la littérature corse est bien vivante, contemporaine, multilingue.
Nous avons eu la chance de pouvoir écouter en avant-première les poèmes du prochain recueil de Patrizia Gattaceca ("Tempi di rena" qui sera traduit sous le titre "Dans le duvet des cendres"). Albiana va publier le tout sous forme d'un coffret de deux livres (le premier contenant les poèmes en langue originale, et le second leur traduction en français par Dumenica Verdoni). Cela devrait sortir pour la Noël (et voici une bien belle idée de cadeau, non ?)
Nous avons eu la chance d'écouter les lectures des poèmes de Pasquale Ottavi et d'Alanu di Meglio, issus des recueils "Rime à dirrimera" et "Migraturi".
Poèmes de haute émotion, tout en sensations, travaillant les lieux (le détroit de Bonifaziu, les îles de l'archipel toscan, les chemins enfantins) et les époques (notamment le Riacquistu des années 1970, la vie quotidienne des années 90 et 2000).
La poésie de langue corse, son histoire - Santu Casanova, la revue "A Cispra", les revues de l'entre-deux guerres, la synthèse de Jacques Fusina récemment publiée, l'importance de la revue "Rigiru", les atouts de la revue "Bonanova" - ont tour à tour été évoqués. Bref, ce fut un moment très agréable de découverte qui a été conclu en chanson : Patrizia Gattaceca et le fils de Dominique Verdoni ont interprété "L'odore di nostri mesi" et "Ci hè dinù", textes de Ghjacumu Fusina. Et Patrizia nous a aussi régalé avec "Và la nave", un poème issu du recueil, "L'arretta bianca" de Ghjacumu Thiers.
Une soirée simple et superbe. Merci aussi au public, qui fut ravi, ainsi qu'à la librairie All Books and Co, c'est-à-dire Aurélie, pour sa gentillesse et sa disponibilité. (Je mentionne que les recueils des poètes invités sont en vente dans le rayon littérature corse durant tout le mois d'octobre.)
Oui, une dernière chose, j'ai posé la question suivante : mais quels poètes corses relisez-vous encore avec plaisir ? Ghjacumu Santu Versini, Anton Francescu Filippini, Ghjacumu Fusina et Ghjacumu Biancarelli ont été mentionnés. Relisons-les !
Parlons-en.
Pour finir, tout de même, un des poèmes lus ce soir-là. Il fut choisi par une personne dans le public (Madame Kessler) ! Je venais de faire passer, en introduction à la soirée, un exemplaire du numéro 44 de la revue Nu(e) - évoquée ici au temps de sa souscription - consacré à 13 poètes corses, dont Alain di Meglio. Il s'agit d'un poème de cet auteur, intitulé "Frontières" :
Je veux pour toute frontière le sillage du bateau
L'horizon bleu dans l'échancrure des terres
Ma frontière
c'est ton pas sur le sable chaussé par la vague
C'est aussi cette ligne d'écriture ma frontière
qui fuit de gauche à droite ou de droite à gauche
Peu importe
Ma frontière n'est ni fleuve ni montagne
Au-delà des confins de l'homme
il y a l'homme
qui fuit avec courage
l'abominable étreinte des frontières humaines
ed eccu a versione corsa :
Fruntieri
A mea a fruntiera hè sulcu nantu à u mari
L'orizonti framissu in l'inzecca turchina
A mea fruntiera
hè u to passu nantu à a rena
calzatu da u marosu ingordu
Hè issu filari di scrittura a mea a fruntiera
chì sfughji da manc'à dritta o da dritt'à manca
Pocu premi
A mea fruntiera ùn hè nè fiumu nè muntagna
Chì al di là di i cunfini di l'omu ci hè l'omu
In la circa addulurata
di i so virtù
È chì sfughji cun curaghju
L'avvinta affugatoghja di i fruntieri umani
(La photo)
mardi 5 octobre 2010
Oeuvre en cours
C'est tout de même bon, pour un lecteur ou une lectrice, de savoir que la source des livres qu'il ou elle aime est toujours vivace, que de l'auteur en question des textes jaillissent un peu partout, que ces textes font des petits, qu'une publication se prépare, que l'écriture d'un roman est en cours !
Un exemple, ce soir ? Celui de Marcu Biancarelli ; signalons donc avec joie :
- la renaissance d'un blog consacré à son oeuvre (c'est son blog perso) : marcubiancarelli.blogspot.com
- l'existence sur Facebook d'un certain nombre de poèmes inédits (mais enfin, cela ressemble à une certaine forme d'édition...)
- l'assurance que la traduction en cours du dernier roman, "Murtoriu", est bien en cours (oui mais jusqu'à quand ?)
- la nouvelle qu'un recueil des meilleures chroniques publiées dans Corse-Matin sera bientôt publié (en version bilingue corse/français)
- que la pièce de théâtre tirée de "51 Pegasi" est toujours en tournée (à ce que je crois, voir le Facebook du comédien, Christian Ruspini)
- et puis quoi encore ? Ah mais oui, bien sûr, la récente publication chez Materia Scritta, de "Vae victis", un recueil d'une quinzaine d'articles (traduits du corse ou écrits directement en français) et qui évoquent la Corse contemporaine à travers le point de vue créateur d'un écrivain qui choisit cette fois de ne pas s'exprimer au moyen de personnages ou de poèmes mais au moyen de son intelligence, de sa réflexion, de son désir d'intervention dans le champ public. Un exemple ? Le voici, extrait de l'article intitulé "Célébrations" :
La geste, l'évocation du merdier, ça veut encore dire quelque chose, de par chez nous. Dans toutes les familles l'épopée a laissé des traces, dans les veillées, dans les albums-photos, dans les cimetières. Notre culture et notre imaginaire ont été marqués au fer rouge. Une part de notre héritage est là. Mon père me racontait comment, alors qu'il était enfant, il écoutait la chute de Dien Bien Phu en direct à la radio, avec mon grand-père sous-off de la coloniale à ses côtés : "Isabelle vient de tomber... Gabrielle ne tiendra plus longtemps". Et tous deux pleuraient, le gamin et l'ancienne bête de guerre (Les Eparges, Verdun, le Maroc, la Syrie, plus quelques destinations exotiques plus tranquilles...), ils pleuraient les illusions perdues d'un Empire en décrépitude.
Ils nous l'ont bien fait avaler, leur bréviaire colonial, leur farce sinistre, à nous et à nos vieux. Par exemple un éminent conseiller municipal de mon village avait proposé un jour de faire baptiser une rue "Avenue de la Grande Aventure Coloniale des Corses". Je suis sérieux, mais je me fous pas de sa gueule, j'étais pas mieux que lui. Mon livre de chevet, quand j'avais une dizaine d'années, c'était quand même "Par le sang versé", de Bonnecarrère, le Quid des combats de la Légion en Indochine. J'étais illuminé, envoûté par la bravoure du colonel Mattei, je voulais être lui, diriger plus tard au feu une bande hétéroclite de Spartiates couillus, y aurait eu des Russes blancs frappadingues, des Ritals vicieux, anciennes chemises-noires ayant échappé aux purges de la Résistance, des Teutons disciplinés nostalgiques de la Wermacht, et puis quelques pays à moi, qui auraient fait là leurs premières armes avant d'intégrer le milieu. En face : des milliers de rastaquouères bridés en pyjama à qui on aurait défoncé leurs gueules, et qui seraient morts en poussant des gloussements pas humains, comme dans les vieux films de Tarzan où les porteurs noirs chutent dans les Abymes avec des hurlements grotesques. C'était ça, les scénarios de mon enfance.
Pas mal, non ? Je dois dire que cette bande dessinée enfantine et imaginaire me ravit, dans le sens où elle m'enlève et m'élève dans ce nébuleux imaginaire collectif (nébuleux car complexe, changeant et peut-être inexistant, je suis d'accord avec Jacques Fusina). Complexité des imaginaires (fantasmes, scénarios imaginaires, désirs, souvenirs, remords et haines), c'est cette complexité vivante des imaginaires corses que ce recueil d'articles met en scène, pour moi. Avec une grande liberté de parole, et de ton. Et cela me paraît extrêmement nécessaire et bénéfique.
Complexité, comment tout est plié de façon si subtile : car l'article suivant s'appelle "Guerre civile" et je ne lis pas sans trembler l'évocation vécue - par celui qui n'était plus un enfant alors - de la chute de la tribune à Furiani (5 mai 1992), notamment ceci :
Au milieu des hurlements, j'ai entendu les cris de guerre.
Cela vaut bien "Jim la Jungle", non ? (Ici, on voit bien que son propre poing va lui revenir en pleine face, non ?)
(La photo)
lundi 4 octobre 2010
Un autre écho à "Eloge de la littérature corse"
Eh bien, ma foi, je le trouve bien troussé cet article ! Et comme il est très élogieux à propos de "Eloge de la littérature corse", cela fait un double plaisir.
Il est signé Philippe Martinetti - que je ne connais pas (le seul Martinetti que je "connaisse" c'est le boucher chez lequel nous allions quand nous habitions Ajaccio) - et il dit l'essentiel, avec deux citations pertinentes. Il est paru dans le supplément de Corse-Matin, samedi 2 octobre 2010, supplément qui s'appelle "Fémina" (tiens, ça me fait penser que le roman de Jérôme Ferrari n'est pas non plus sur la liste du Fémina - j'avais signalé qu'il n'était ni sur celle du Goncourt, ni sur celle du Renaudot, mais ne désespérons pas). Dans ce supplément, il y a quelques pages réunies sous le chapeau "Versant corse" et une de ces pages est une nouvelle chronique "dédiée à l'actu culturelle". Saluons la naissance de ce nouvel espace de mise en valeur des productions culturelles corses !
Comme je le disais, il me semble que l'article dit l'essentiel, mais puis-je ajouter mon grain de sel ? Oui ? Ok, d'accord.
Alors voici mes réactions :
- je rectifie une information : je suis certes professeur de français (certifié lettres modernes pour les spécialistes) mais pas à "l'université d'Aix-en-Provence" ! On me rencontre plutôt dans les collèges et lycées de la zone Nord-Est 13 où je remplace mes collègues (attention, pas de mauvaises blagues...)
- j'approuve à 100 pour 100 la vision "positive" qui est donnée du livre, notamment dans ces phrases : "Le jeu de ping-pong entre les internautes et l'auteur constitue un formidable passeur de culture et prouve que le livre corse est plus vivant que jamais." Oui : plus vivant que jamais, j'en suis persuadé (et encore, bien plus de paroles pourraient émerger sur le Net, cela viendra).
- j'approuve à 99 pour 100 l'expression suivante : "À la fois plein de vérité, d'humour et d'ironie grinçante, cet éloge de la littérature corse est un bon remède contre la morosité ambiante." Car la formule est un peu forte, je trouve... et j'ai peur que les lecteurs soient surpris quand ils liront les billets consacrés à des pages particulièrement déprimantes comme nos auteurs savent nous en concocter ! Je plaisante, je plaisante. Je trouve effectivement important de souligner qu'il s'agit de partager des plaisirs de lectures (malgré, ou grâce à, des débats qui "ne cessent d'enflammer la toile" ; bon là encore, c'est excessif, il y a des périodes très calmes sur ce blog... en ce moment par exemple !)
- je m'étonne (comme lorsque Véronique Emmanuelli avait présenté l'ouvrage dans La Corse Votre Hebdo) qu'il ne soit pas fait mention de la postface de Marie-Jean Vinciguerra. Ce n'est pas gravissime, mais tout de même, je crois important de souligner que l'ouvrage a été lu dans son intégralité par au moins une personne et que cette personne en a jaugé (avec son regard singulier et discutable bien sûr) les qualités et les défauts. La lecture critique de Marie-Jean Vinciguerra est roborative (toujours adoré ce mot). Elle relance la machine littérature en désolidarisant le lecteur éventuellement tombé sous le charme du livre ! Elle nous renvoie tous vers les livres, ces grandes piscines publiques où nous nous baignons tous plus ou moins en même temps sans nous connaître ou nous reconnaître, masqué que nous sommes par nos bonnets de bain et notre extraordinaire nudité quasi intégrale...
Donc, je répète, je suis ravi par la présentation de l'ouvrage et ravi que la presse insulaire apprécie l'ouvrage.
Maintenant que mon autosatisfaction est à son comble, j'attends les critiques négatives, il y en a, il y en a, mais je ne les entends pas !
(La photo)
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