mardi 30 novembre 2010

Fernando Ferreira évoque "Corse" de Raymond Depardon


C'est donc une histoire de photographes, qui regardent la Corse, la photographient, et en parlent.

Fernando Fereira, que je rencontrai à la Maison de la Corse à Marseille, rue Sylvabelle, présentait son ouvrage, "L'odyssée corse". Nous discutâmes de choses et d'autres (et notamment de la Corse, si si). Je fus frappé par certaines des photographies : leur vérité, leur beauté, leur sens de la composition (notamment, page 8, 13, 16, 17, la page 29, que je trouve vraiment magnifique - je ne cessai de revenir vers cette photo :

chemin pierreux au premier plan bordé par un muret haut qui conduit le regard vers la petite tache blanche du lac de Codole, paysage vert sombre que plombe un ciel de nuages gris, reliés par le gris clair vaporeux de quelques pluies

Bon, évidemment, il faut feuilleter l'ouvrage (publié chez Privat), car il y a bien d'autres photos (et aussi un texte de Jean Mattei - que je n'ai pas encore lu - évoquant la Corse, avec un regard personnel), il y a aussi un documentaire d'1h20 qui témoigne de la marche nord-sud (Cap Corse-Bonifacio) effectuée par le photographe-alpiniste-trekkeur.

Donc, merci à lui d'envoyer ses réflexions à propos de l'ouvrage de Raymond Depardon, "Corse" (publié au Seuil, en 2000), (qui associe les photographies de l'artiste à un texte autobiographique de Jean-Noël Pancrazi, récit faisant suite à son "Long séjour", et évoquant son père, Ajaccio et la Corse).

Bonne lecture, et bonne discussion, si vous avez eu l'ouvrage de Depardon/Pancrazi en main :

De l’Image(s) de la Corse.

Lors d’une séance de dédicace à la maison de la Corse à Marseille, j’ai rencontré François Renucci, avec qui j’ai entamé une intéressante discussion sur les photos de Corse. Nous en sommes venus à parler du livre de Raymond Depardon (texte de Jean-Noël Pancrazi) qui pour moi est l’un des meilleurs jamais édité sur le sujet et ce pour deux raisons. La première : vous ouvrez le livre, une photo, une phrase, et vous avez déjà un pied sur l’île... en tous cas j’ai personnellement déjà un pied sur l’île ! La deuxième : l’ouvrage tord le cou aux “clichés“ qui monopolisent l’image de la Corse. Je ne rencontre que très rarement des gens sensibles à cet ouvrage, qu’ils soient corses ou continentaux. Il reflète une réalité qui échappe complètement aux images habituelles véhiculées et qui ont donné naissance à une sorte de vision fantasmagorique de l’Île : féérique et surnaturelle.

Raymond Depardon réussit un très beau livre, beau de par la qualité de ses photos, mais surtout de son regard, simple, attentif, objectif, même et surtout à contre courant ! Trop peut-être ? Je ne pense pas ! C’est un regard à un instant précis entre deux parenthèses bien définies. Un portrait de l’île, sans portraits de Corses, mais de leur île au quotidien. Vide ! Et vivante ! Là est le tour de force. Les images déconcertent. La plupart des lecteurs ont du mal à reconnaître leur Corse ou celle qu’ils imaginaient. Et il faut le nom et le talent d’un grand artiste comme Depardon pour oser un livre en noir & blanc sur la Corse, et réussir à le faire éditer.

Il est vrai que les “clichés“ sur l’Île de Beauté sont coriaces à combattre, car comme tout cliché ils sont rassurants, souvent positifs (je ne parle que des photos !) et surtout stables pour l’imaginaire collectif. D’autant que l’image de la Corse est difficile à capter. Elle offre une telle palette de nuances, de tons, de situations, de lumières, d’états, de paradoxes qu’il est quasi impossible par exemple de résumer la Corse à une image symbole. Comment faire tenir une telle diversité dans une photo ? Imprimer sur la “pellicule“ à la fois la plage de Roccapina, les Calanche de Piana, l’Omu di Cagna, le sommet enneigé de la Paglia Orba, le lac de Nino, les chevaux sur la plateau du Coscione, les ruelles voûtées de Cannelle ? Impossible ! Alors qu’on arrive par exemple à “résumer“ l’Australie à un kangourou, le Kenya au Kilimanjaro, l’Espagne à un taureau, la Grèce aux colonnes d’un temple antique, l’Egypte à une pyramide etc… Quelle image pour “résumer“ la Corse et toute sa richesse culturelle et naturelle ? Aucune ! C’est un ensemble d’images qui fait le travail, et du fait justement de cet ensemble qui forme comme un mur, toute autre image devient difficile à exposer, voire illisible. Comme par exemple des photos de hautes montagnes enneigées, où de paysages de forêts aux couleurs automnales rougeoyantes ! C’est en Corse ça ? Non ? Les Alpes, le Canada ? Pas possible ! Et si c’est possible ! Le “gag“ est qu’on retrouve quasiment cette même attitude chez un rédacteur en chef parisien que chez des amis ajacciens… Les Corses eux mêmes ont souvent de par leur culture une connaissance parcellaire de leur île.

Le livre de Depardon reste pour moi un de ceux qui racontent le mieux la Corse, en tout cas ma Corse : hors saison, hors du temps, à la réalité épaisse et multiple. Chaque fois que je tourne la dernière page, j’ai une pointe de nostalgie qui vient me titiller l’âme (sûrement la “saùdade“ portugaise inscrite dans mon ADN) ; c’est un livre “sentimental“, affectif autant par les images que par les textes. A la fin on trouve d’ailleurs un court texte de Depardon expliquant pourquoi il est là en Corse, à traverser l’île de long en large avec une chambre photo : c’est un voyage loin de l’amour d’une femme. Un voyage dans l’espace mais surtout intérieur : il photographie le vide de l’île comme un instantané en miroir de son vide intérieur. Il est un Voyageur sur le continent Corse. Je partage ce sentiment à chaque fois que je pose le pied sur le “caillou“ (comme mon ami Pierre-Paul aime à surnommer affectueusement l’île), celui d’être un voyageur : toujours. Mais à chaque fois c’est un voyage différent. Dans la préface de “L’Odyssée Corse“, j’ai écrit : “…la Corse… Ce fut pour moi une révélation. Je me suis senti chez moi, et depuis je m’y sens à l’abri. Je me sens aussi étranger, et étranger je veux rester. Ainsi je resterai toujours un voyageur... “. J’ai beau connaître par cœur toutes les routes de Corse, ses refuges de montagnes, l’avoir traversée du Cap à Bonifacio, des plages de sables fins chères aux directeurs artistiques parisiens à ses sommets caillouteux ou enneigés, chaque premier pas sur la terre corse est pour moi la promesse d’un voyage : jamais gratuit ! Je reviens toujours plus riche, car plus fort d’expériences de toutes sortes, de rencontres, de découvertes extérieures et de soi, et toujours d’aventures. Je ne reviens jamais “indemne“. La Corse concentre tellement d’états différents, elle a un tel charisme, une telle photogénie, une telle puissance de caractère, une telle force animale mixée à une sensibilité introvertie, elle mélange tellement de paradoxes, de contradictions, de passions, de subtilités que faire des images de la Corse est à la fois un immense bonheur et un défi ; un sujet inépuisable. Merci à Raymond Depardon d’avoir fixé sur pellicule, avec un très grand talent, une des multiples facettes de Kalliste : il y en a beaucoup d’autres ! La Corse est une montagne d’images qui flotte sur la mer ! Y’a pas photo !

Fernando Ferreira photographe-reporter
Auteur de “L’Odyssée Corse Tra u pumonte e u cismonte“ Editions Privat
Blog :
http://web.me.com/fernandoferreira/pancorsica/Bienvenue.html

Bibliographie :


“Corse“ Raymond Depardon et Jean-Noël Pancrazi, Editions du Seuil

Quelques autres livres à lire :


“ Corsica di una volta“ de Rigolu Grimaldi & Rinatu Coti, Editions d’Art/Somogy, un magnifique recueil d’images anciennes.


“L’Excursion en Corse de Roland Bonaparte, Album du pays natal, 1887 “ avec sa série de daguerréotypes, édité par la CTC à l’occasion de l’exposition au Musée de Corse en 2000.

Les cartes et posters publicitaires du siècle dernier : PLM, Service Automobiles d’Excursion…


Je rajoute ici :
- un lien vers un article d'Annick-Peigné Giuly à propos de l'ouvrage de Depardon/Pancrazi (qui évoque aussi un autre livre associant texte et image, "La renfermée, la Corse", de Marie Susini et Chris Marker)
- un lien vers un ouvrage de photographies que j'aurai bientôt entre les mains (mais peut-être voudrez-vous en parler avant moi ?) : "Eloge de la ruralité" de Maddalena Rodriguez-Antoniotti.

(la photo, qui n'est pas de moi, eh non)

5 commentaires:

  1. J'aime le regard de Depardon, exigeant et toujours personnel, juste, en dehors des sentiers battus. J'ai lu récemment un livre sur le Vietnam des années 1990 "La colline des anges", dont il était le co-auteur, et c'était ainsi, une sensibilité personnelle (et particulièrement douloureuse pour lui qui avait "couvert" la guerre du Vietnam), un regard juste et humain, hors des "clichés".

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  2. a voir aussi les photos de jean philippe poli
    simples en noir et blanc, entre autres périgrinations bastiaises... et autres

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  3. Anonyme 16:19,
    merci pour ce commentaire. Signalons le site de Jean-Philippe Poli : http://www.jeanphilippepoli.com

    A bientôt.

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  4. Les photos de Ferreira ?
    http://mausoleo.giussani.free.fr/Mausoleo_aPages_Textes/News/News_2011/2011-04/Corse_Odyssee_Privat-1.html

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  5. Anonyme 08:34,
    merci pour ce lien vers cette présentation de "L'odyssée corse" de Fernando Ferreira.
    Concernant le documentaire retraçant son périple "PanCorsica", je signale ici un compte rendu du visionnage de ce documentaire il y a quelque temps dans les locaux de l'Amicale corse d'Aix, à discuter bien sûr : http://corsicacalling.blogspot.com/2011/02/quoi-de-neuf-1-compte-rendu.html

    A bientôt peut-être ?

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