mercredi 23 septembre 2009

La langue, l'accent, les mots

Il y a peut-être nécessité à oraliser la littérature corse ; à la faire entendre ; la faire lire à haute voix ; afin d'entendre une multitude d'accents en même temps que les principales langues de cette littérature (corse, français, italien, latin, etc.)

La littérature corse de langue corse peut-elle faire du bien à la langue corse ? L'enrichir ? La présenter comme une langue vivante ?

Au même titre que les chansons (combien ont découvert la langue corse en chantant avec les Muvrini ?), la littérature corse peut-elle être un lieu de partage de la langue corse avec tous ceux qui ne la parlent pas, ou pas bien, ou pas suffisamment ? Un lieu où l'on puisse partager ses maladresses, ses prononciations incertaines (où mettre l'accent tonique ? comment faire sonner telle consonne et telle voyelle ?), ses hésitations, ses scrupules... mais aussi ses plaisirs, parfois enfantins lorsqu'une "autre" langue (qui peut aussi être la "nôtre" dans le même temps) occupe notre gorge ?

Le sujet de la langue (n'importe quelle langue) est ultra-sensible, on le sait bien. D'où l'idée que tous les jeux qui associent plusieurs langues (bien ou mal parlées) sont peut-être l'occasion de lever quelques obstacles psychologiques. Le jeu de la lecture et de l'écoute est-il à tenter ? Sûrement... Nous essaierons de faire cela, le 22 octobre 2009, lors du Club de lecture dans la librairie internationale "All Books and Co" à Aix-en-Provence.

En attendant, je me souviens très bien avoir commis de nombreuses erreurs de prononciation des textes littéraires de langue corse. Je me souviens de la première phrase du texte-incendie de "A Funtana d'Altea" de G. Thiers, la prononçant de mémoire devant l'auteur - "A valle si ne stà accumpulata sottu à a serra cheta ma sempre minacciosa." - l'auteur m'indiqua que le "e" de "serra" se pronçait entre le "a" et le "è", ou quelque chose comme ça.

Ou bien au collège à Ajaccio, mes amis me reprenant dans un rire parce que je prononçais toutes les voyelles de l'expression "ancu eiu" (au lieu d'enlever oralement le "u de "ancu")...

Rien que de très normal : quand on apprend une langue, on fait des erreurs. Le problème est quand une grand partie d'une population adulte se retrouve dans la position d'enfants face à l'apprentissage tardif de sa propre langue (qui sans être maternelle ou première est tout de même un peu "maternelle et première"). Ma cumu fà sè ùn avemu micca a pussibilità di sbaglià ci ?

Est-il permis à un Corse de commencer à parler sa "propre" langue comme une vache espagnole ? Est-ce tolérable ? Est-ce un plaisir et un enchantement d'entendre des étrangers apprendre cette langue et la parler avec leur accent ? Je pense que oui.

Tout cela pour vous dire que j'ai beaucoup apprécié le film de Jacques Audiard, "Un prophète" - vous n'êtes pas obligé d'être d'accord, parlons-en, j'ai moi-même quelques critiques négatives à lui faire - et que j'ai particulièrement apprécié une analyse de l'accent de Malik, personnage principal du film, lorsqu'il se met à parler corse. Cette analyse est faite par Vanina Bernard-Leoni, de la revue Fora !, lors d'un numéro de l'émission passionnante "Ma Corse me Suis Partout" (avec Laurent Vitali et Marina Raibaldi) sur France 3 Corse Via Stella. (Voir ici : attention les propos de Vanina se trouvent vers la 32ème minute, mais les propos de l'invité principale, Marie-Ange Pugliesi, à propos des Rencontres de Bonifacio sont aussi intéressants !).

Il me semble que les premiers mots corses de Malik adressés à quelqu'un d'autre que lui-même sont : "Parlu a to lingua"... Il s'adresse à César Luciani, le chef du clan corse en prison. Etonnement de Luciani.

Je suis d'accord avec Bernard-Leoni sur le fait que la langue corse est ainsi montrée d'un point de vue positif, dans des circonstances naturelles d'utilisation, dans un contexte multilingue roboratif (français, arabe, corse). Qu'en pensez-vous ?

Signalons que la discussion va aussi impliquer Marina Raibaldi (et son accent croate), Alain Fleischer (et son "L'accent : une langue fantôme" - que j'ai très envie de lire maintenant), Michael Cimino (avec un extrait de "Voyage au bout de l'enfer" en version française ; film sublime ! - d'ailleurs j'aime autant Christopher Walken que Robert de Niro, personnellement) et Tarantino (avec son récent et multilingue "Inglourious Basterds")...

18 commentaires:

  1. Ce que vous écrivez là m'interpelle depuis un bout de temps parce que ,moi aussi, il m'arrive de faire des erreurs, de mal prononcer ou de faire des confusions (par exemple d'introduire dans le lexique pumunticu des mots qui viennent du cismonte) mais....j'observe que du temps de mes grands parents ont acceptait naturellement les multiples variantes du corse, il arrivait meêm qu'un même locuteur prononce de différentes manières un même mot en fonction de critères euphoniques....Il me semble qu'aujourd'hui, sur les blogs et les forum,il y a toujours un réflexe normatif de celui qui sait ( ou qui est censé savoir) et cela est un peu dommage car "castrateur", il peut fort bien empêcher une personne de s'exprimer au motif qu'elle ne maîtrise qu'imparfaitement une langue dont on s'accorde à dire qu'elle est polynomique...
    En acceptant les variations infimes, nos anciens se montraient beaucoup plus tolérants que nous le sommes car il n'avait pas en tête l'idée de norme, de référence et je leur en suis reconnaissant.
    Pour ce qui est du film en question, il me semble aussi que c'est un bon film, un grand film qui bouscule un peu mais....nous avons toujours besoin d'être bousculés.

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  2. A lingua si more, l'urgenza hè di falla finaita cù u falsu "purisimu" (è di e volte quelli chì pretendenu di currege si sbaglianu, o ùn sò più in a rialità di a lingua) : eiu dicu à tutti, è in particulare à i giovani parlate senza vergogna, mandate à fà leghje à quelli chì curregenu s'elli si ridenu : ma ascultate i vechji, i parlatori nativi, dumandateli cunsigli. Ùn ci vole più à "sacralizà" a lingua : o sinnò hà da more nantu à u so altare! Pensateci : fatela vive, viaghjendu s'acconcia a soma. Quelli chì ridenu di i giovani sò i listessi ch'ùn anu micca trasmessu a lingua à i so figlioli, è u peghju hè chì à spessu i listessi stupanu nantu à i prufessori di corsu chì anu a carica difficiule di richjappà u travagliu di trasmissione, o nantu à i giurnalisti chì s'ardiscenu à aduprà a lingua in u so travagliu : hè ora di avè più tullerenza è di fà tuttu per aduprà a lingua, micca scuragisce à quelli chì a si provanu.

    "Un prophète" ùn m'hè micca piaciutu è ùn capiscu manc'appena quelli chì dicenu ch'è un "capu d'opera"!!! Eiu ùn aghju riisciutu mai à "entre" in u filmu, mi sò ancu annuiata. In più hè troppu longu.
    (u titulu mi dumandu da veru ciò ch'ellu significheghja, Audiard ùn hè mancu statu capace di spiecallu)
    Diceraghju à u cuntrariu di FXR : m'hè dispiaciutu pè u più, ancu s'è li trovu une poche di qualità (u rialisimu di l'ambiente di a prigiò, di l'amparera di u crimine in prigiò, di a viulenza senza pruvà à addulcilla : l'assassinii per esempiu)
    U scenariu ùn hè credibile (DUMANDATE PURU À I SPECIALISTI DI I MEZI FRANCESI, DI E PRIGIÒ, ECC°)
    Ùn trovu miccca l'attori cusì boni : Arestrup hè un gran attore, ma da maffiosu/naziunalistu corsu ùn hè micca credibile; u giovanu Arabu ghjoca propiu bè, è basta.
    I "Corsi" sò "pagliacci" gattivi, stupidi, razzisti, cumu si deve, nè? L'avucatu corsu hè sputritu, cumu pensà altrimente?
    A lingua? parlanu un corsu chì ohimè : è quì ùn hè micca cum'è di criticà giovani chì si sbaglianu , aiò, hè un filmu, nò? Si pudia fà megliu! Criditemi puru, quandu l'Americani mettenu in scena Siciliani è ch'elli parlanu, sò veramente siciliani! È ùn mi dite micca ch'è a rialità : ci sò sempre decine di millaie di Corsi chì parlanu un corsu schiettu quantunque!

    Hè vera chì sò cusì pocu Corsi sti "Corsi" ch'ùn ci duveria fà male...Francu chì i pinzuti è i stranieri chì ne sanu elli? Ritenenu quant'elli sò razzisti è viulenti sti "Corsi" ..!U filu di Mérimée, n'avemu per avà à patelu.
    Certa, hè bon segnu chì a "lingua corsa" sia stata aduprata in un filmu di parigini(ancu male, ma simu i soli à sapella) : hè un segnu di qualcosa. Ma vi ramentu e vere intenzione di Audiard, l'hà detta parechje volte in i media : a lingua ci hè per "MUSTRÀ A CHJUDITURA DI I PERSUNAGI" : ci simu/ Lingua corsa= chjuditura!! eccu pè u spiritu...Quandu u giovanu Arabu dice : "parlu a to lingua" si face pistà di colpi. A lingua ùn era dunque chè u so codice secretu à sti malasciammè...CQFD
    Astrimente, nisuna dimensione, nisuna emuzione (un pucucciu cù l'amicu arabu chì si more di u cancaru), idee arrubbate à grandi filmi, eiu ùn pensu micca chì Sta opera lascerà tanti ricordi da quì à qualchì annu. Vi dò "rendez vous"!!!

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  3. S'agissant de Marina Raibaldi, j'adore son accent, en corse comme en français, et je ne vois pas pourquoi on n'accepterait pas d'entendre le corse avec l'accent anglais, arabe ou "beur", allemand, ou "pinzutu", etc.. Ce qu'on accepte pour les autres langues, on ne pourrait pas le supporter pour le corse???
    Alors, NOUS CONDAMNERIONS NOTRE LANGUE A LA MORT: restons bien droits surtout, sticchiti sticchiti, sur le bateau qui coule, et refusons de partager avec les autres ce que soi-disant nous considérons comme un trésor (mais bien cadenassé dans un coffre fort, au secret? )
    C'est bien d'ailleurs ce que veut dire Audiard : le petit chaouch des Corses ne se voit pas reconnaître le droit de leur "piquer" leur langue... Ce postulat me révulse, mais il y a quand même bien des Corses qui l'ont dans la tête.
    Or, aujourd'hui la société corse est diverse et la langue corse est un LIEN possible entre TOUS, ce n'est pas un bien "exclusif" à garder jalousement (pour crever en l'emportant avec soi?).
    A la stonda corsa au Centre culturel de PORTIVECHJU, le 27 juin dernier, il y avait un jeune élève d'origine maghrébine de 12 ans qui est intervenu en langue corse de manière très pertinente (et qui paraît-il veut devenir prof de corse) : voilà l'avenir pour moi!!

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  4. Relativement à l'oralité, le problème soulevé est plus largement celui de l'apprentissage des langues vivantes en France (qu'il s'agisse des langues régionales ou étrangères) où l'on fonctionne à l'envers.

    On apprend d'abord la grammaire et l'écrit avant de parvenir à un semblant d'oralité, d'où le niveau médiocre des français en anglais ou dans la pratique des langues en général.

    Or, dans les faits on acquiert une langue par l'oralité et l'immersion, et ensuite, une fois acquis les réflexes et idiomatismes, on en étudie la grammaire, ainsi de chaque langue maternelle.

    C'est donc sur ce retournement ou ce retour à la source qu'est fondée la méthode du wall street institute.
    Et de ce point de vue, c'est toute la méthode d'apprentissage des langues qu'il faut revoir en France.

    Concernant le Prophète, c'est un film puissant qui pose en filigrane deux questions essentielles, celle de la transmission (donc de la nature de sa descendance : filiale ou agrégée) des valeurs et des codes d'un peuple, donc de sa langue, et celle plus manifeste à l'écran de l'efficacité de la peine carcérale.

    Ci-dessous mon analyse pour ce film, vu au festival de Cannes en mai dernier

    http://puteauxpourtous.wordpress.com/2009/07/17/628/

    L'oralité doit aussi bien évidemment passer par des supports, l'audiovisuel et le Cinéma étant sans doute les plus fédérateurs.

    En ce sens, un doublage de films en langue régionale aurait un sens, et plus qu'un sens un horizon : l'égalité de considération.

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  5. Ci-dessous, ma vision du "Prophète" :


    Une vie est-elle possible après la peine carcérale ? La peine carcérale permet-elle une réinsertion et une « droite réinsertion » des anciens détenus dans le « corps social » comme cela devrait être son objectif républicain (Rousseau) ou perpétue-t-elle la propension aux actes délictueux par une scission entre le regard que renvoie la société sur le détenu et le vécu du prisonnier, esseulé (Foucault) ? Ce point là est présent tout au long du film.

    Malik, confronté à la violence de l’univers carcéral, finit par trouver sa liberté dans le développement de son propre réseau de délinquance.

    Ainsi, au-delà de toute appréciation morale, c’est bien la question de l’efficacité de la peine carcérale qui est, en filigrane, posée.

    L’insularité et la perpétuation des valeurs d’un peuple peuvent-elles passer outre l’intégration d’autres cultures ? Telles semblent être les grandes interrogations de l’œuvre de Jacques Audiard.

    Si l’on peut bien sûr considérer qu’un amalgame entre « Mafia » et nationalisme corse est un raccourci pouvant induire une confusion du spectateur, il n’en est pas moins troublant que le film de Jacques Audiard pointe un fait incontestable : le dépeuplement d’une île, d’un peuple, et la crainte de la disparition de ses codes.

    La scène qui évoque, en filigrane, cette disparition qui menace, est sans doute celle où l’on perçoit la solitude de César Luciani, l’ancien parrain respecté et craint de tous, rouler à terre un coup de pied au ventre. Aucune jeunesse pour le défendre.

    L’absence de descendance (filiale ou agrégée) est sa faiblesse.

    Le film ne donne pas à voir une Corse raciste.

    Il donne à voir une Corse en manque de descendance. Il donne à penser sinon une transmission de valeurs, à tout le moins une substitution de mœurs.

    Et c’est là toute la force de son propos.

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  6. Ce qui dit Francesca sur la langue me semble tout à fait exact, je suis moi aussi fatigué de lire assez souvent des querelles sur des choses accessoires qui découragent ceux qui veulent écrire ou parler.Bien sûr que des règles sont necessaires pour qui veut apprendre et/ou enseigner car on n'enseigne jamais que des règles mais ces règles devraient peut-être aller dans le sens d'une simplification afin qu'il puisse y avoir entre les différents locuteurs des différentes variantes une sorte de trait d'union . je pense tout particulièrement à la marque de l'accent tonique: ne pas le faire figurer dès lors qu'il n'est pas à sa place habituelle me semble anormalement compliqué. Comment pronocer Baracci, Pacionitoli, Orasi ou Murtoli si l'accanet n'est pas marqué ?
    Pour ce qui est du film je ne partage pas le point de vue de Francesca, moi qui d'ordinaire ne tient pas en place plus d'une heure, j'ai suivi le film avec intérêt d'un bout à l'autre car beaucoup de mes amis l'avaient déjà vu et me questionnaient sans arrêt sur la réalité du "milieu corse". je ne suis pas spécialiste de la question mais ce qui est présenté dans le film ne me semble pas absurde même si j'ai moi aussi noté cette curieuse façon de prononcer notre langue.

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  7. l'intention de l'auteur est, dans ce film moyen, et de son propre aveu, de montrer que la langue corse enferme ("les corses, une entité close difficile à cerner... je me suis penché sur leur idiomes..."). Donc les borborigmes des aliens, pardon, les baragouins des sagouins, pardon, les idiomes de l'entité, sont utilisés pour vilipender les corses...
    C'est le droit (le devoir ?)le plus absolu du réalisateur, mais de là à trouver cela "positif" et même "roboratif"... Faut-il qu'on ait à ce point besoin que l'on parle de nous ?!
    JPA

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  8. Vous voyez dans "le Prophète" bien plus que n'y a vraiment mis Audiard, à mon avis... La transmission des "codes et des valeurs d'un peuple"??? Où ça? Il s'agit de malfrats "corses"(mâtinés nationalistes) en prison, pas du peuple corse. Ce film ne peut prétendre en rien à une analyse "ethnosociologique", même si les propos d'Audiard là-dessus sont fort ambigus : un coup c'est de la fiction, "j'aurais pu prendre des Albanais" (fussila puru), un coup il se penche sur "l'entité" corse (qu'il prend avec des pincettes verbales, car "peuple", c'est un gros mot?), une autre fois son co-scénariste affirme "avoir voulu faire s'affronter Corses et Arabes, car les Arabes ne sont pas les bienvenus en Corse". De même pour les Arabes, ils me semblent assez peu représentatifs de l'ensemble de la population d'immigrés maghrébins de France et les quelques velléités "métaphysiques" (le fantôme, quelques extraits de sourates...) tombent complètement à plat, comme des cheveux sur la soupe.

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  9. Aiò! MSM donne à ce film une dimension qu'il n'a pas. Il ne faudrait pas confondre le film qu'il aurait voulu faire avec celui qu'il a réalisé, avec certes une bonne technique cinématographique, mais sans aucun supplément d'âme, qui moi m'a laissée froide et "à l'extérieur".
    Il est très certainement aux antipodes des intentions d'Audiard de "s'interroger" sur "l'insularité et la perpétuation des valeurs d'un peuple". S'il y a quelque chose qui manque cruellement dans ce film c'est une "distance" avec le sujet, une dimension qui le transcende, et précisément, des "interrogations".
    Pour être claire, concernant la Corse, je vais résumer la "vision" d'Audiard (peut-être dictée par un inconscient collectif parisien alimenté par les media ): les "Corses" ont pu avoir un certain pouvoir vu leur incroyable brutalité (ils sont impitoyables, comme Matteo Falcone), mais ils sont enfermés dans leur petite culture, leur petite langue et Dieu merci, aujourd'hui c'est la fin pour eux, ils vont enfin trouver des gens pour les dresser, bien fait ! C'est presque risible dans son côté caricatural...

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  10. En tant que producteur de cinéma, je ne me fonde pas sur les déclarations de presse des uns ou des autres. Je regarde d'abord le jeu des acteurs, ensuite ce que leur jeu provoque.

    Et pour l'anecdote j'étais à CANNES avec le réalisateur marocain Mohamed Zineddaine, qui m'a lui même recommandé le Prophète, et n'y a vu aucun racisme émanant de la Corse.

    Les liens entre arabes et corses sont bien moins simples qu'il n'y parait dans ce film, comme dirait Almodovar dans Habla con Ella, tout n'est pas aussi simple que cela.

    Malik exerce même une sorte de fascination non avouée chez Cesar Luciani (le maître et l'esclave).

    Relativement à la notion de peuple,qu'elle ait été ou non dans la volonté du scénariste, elle transparait au plan de l'attachement de la langue, précisément.

    Enfin que les corses présentés, que les arabes présentés, aient été des "malfrats" c'est probable mais c'est à mon sens non tant pour les stigmatiser que pour mettre en relief l'absurdité du système carcéral.

    En somme la question posée est bien celle, FONDAMENTALE, du droit des groupes.

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  11. MSM votre vision est belle et généreuse, mais vole à cent mille lieues au-dessus de ce film moyen, comme dit JPA...

    Il ne pose aucune question justement, il se laisse un peu trop fasciner par son sujet et se complaît dans ses "trucs" cinématographiques trop visibles, et au fond ce n'est qu'une "success story" très classique, sans morale. L'homme est un loup pour l'homme, encore bien plus en milieu carcéral (mais cela on le savait depuis longtemps, ou alors on est inculte, pardonnez-moi). Je trouve que tout cela est traité sans imagination, et même avec une certaine platitude, seulement sauvée par le jeu des deux acteurs principaux.

    Le "droit" des groupes? Alors là, non : éventuellement leur force totalitaire, qui oblige à appartenir à l'un ou à l'autre sans liberté individuelle (mais cela aussi il y a longtemps qu'on le sait)

    En parlant de "malfrats" je voulais dire qu'ils ne représentent pas le "peuple" corse et le fait qu'ils parlent corse n'a qu'une signification négative dans le film, je le répète : c'est un enfermement, juste une manière de les identifier comme "Corses", mais en les stigmatisant. Pour en faire un message " de transmission" des valeurs, il faut vraiment chercher...

    Pas de racisme ? Les bras m'en tombent...Certes, votre ami réalisateur a l'intelligence de ne pas en faire un message du racisme des Corses en général. Mais ce ne sera pas le cas du spectateur moyen, qui sautera allègrement aux généralités! Moi aussi, je m'intéresse surtout aux "effets"...

    Pourtant, comme vous dites, les choses ne sont pas si simples, et tous les spécialistes savent à quel point les différents "Milieux" collaborent entre eux, ont des liens, ils n'ont pas de temps à perdre à faire du racisme, les affaires d'abord!!
    Je connais ausssi des histoires VRAIES de prison où des nationalistes corses se sont trouvés aux côtés de prisonniers arabes dans des conflits contre l'administration de la prison. Rien n'est simple en effet, sauf l'esprit du film d'Audiard.

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  12. @ Francesca, à me prêter des visions qui seraient par-delà l'apparaître, on va penser que c'est moi qui prophétise ;-)

    Pour une anecdote plus dansante, la journée s'était donc terminée par la soirée de l'équipe du Festival d'ABU DHABI...sans que quelque image négative de la Corse ait pu ressortir chez les uns ou les autres.

    Pour le droit des groupes, certes, toute la question est celle de la liberté des individus, mais Audiard semble également la poser en montrant une identité multiple (j'y reviendrai par la suite).

    Que des malfrats ne soient pas représentatifs d'un peuple, certes,...mais qui, en son nom, (ou en sa seule fonction) peut se dire représentatif d'un peuple?

    C'est en tout cas une bonne question.

    Personne n'a certes envie de s'identifier à un malfrat, pour autant le malfrat est bien une composante d'un peuple.

    "Il faut qu'il y ait entre nous avec une impossibilité perpétuelle de se confondre, une perpétuelle nécessité de s'unir" (Jaurès)

    Merci en tout cas pour vos commentaires toujours très intéressants.

    Là je n'aurai pas accès à leur lecture avant 23heures.

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  13. Personnellement, je trouve que ce film est d'abord un polar montrant l'ascension d'un caïd. Dans le genre, je trouve que c'est un très bon polar et un excellent film. Peut-être un peu long et reposant pour beaucoup sur les deux acteurs principaux, certes. (D'ailleurs je trouve le personnage du cousin (?) de Malik peut-être plus beau encore : cette façon de sacrifier sa vie durant le temps de sa maladie).

    Maintenant, je ne pense pas qu'il puisse faire du bien à la Corse en général ; je signalais simplement le plaisir pris à voir un film grand public incluant la langue corse comme autre chose qu'une affaire folklorique anecdotique. C'était le cas aussi avec "Le silence" d'Orso Miret.

    Vu par des spectateurs peu scrupuleux, "Un prophète" risque d'alimenter clichés, amalgames et raccourcis, certes : en prison, il y a des Corses, des Arabes et des Gitans ; ils sont sans foi ni loi ; les Corses ont visiblement l'air encore plus fourbes et cruels que les autres ; Corse truand nationaliste raciste, c'est tout un ; etc.

    Les propos du cinéaste (la langue corse qui enferme) et du scénariste (le racisme des Corses envers les Arabes) sont bien sûr ineptes, ils font des généralités idiotes ; je suis sûr qu'ils en conviendraient eux-mêmes.

    Reste le film, qui, je le pense toujours, me paraît excellent, m'a ému, et me laisse des regrets ; j'en discutais avec un ami récemment, la relation entre César et Malik aurait pu être plus riche et complexe (au lieu de rester celle du maître et de l'esclave).

    Concernant l'idée que du côté des Corses il manque une descendance, je trouve cela bien vu ; alors que du côté arabe, Malik se retrouve avec une famille et un petit garçon à la fin du film. Je crois qu'il y a là un thème - esquissé par Audiard - qui est très important pour notre imaginaire contemporain (la transmission, la descendance, le futur : le gage de perpétuation et de métamorphose que représente l'enfant).

    Et nous attendons donc encore des films corses ou sur la Corse qui prennent en charge la vraie complexité humaine de ce peuple. A moins que vous n'ayez déjà des titres en tête, des films qui vos paraissent avoir travaillé cette complexité avec sensibilité et intelligence ? Parlons-en.

    Merci à tous pour cette discussion si riche !

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  14. Justement le cinéma français semble ne plus savoir faire que du Polar. Ou de la comédie insipide. C'est lassant.

    Les créateurs corses? Ils se concentrent surtout sur le noir, le tragique, le politique ...Où raconte-t-on la VIE des Corses? Les histoires d'amour, de travail, de convivialité, de solidarité, de macagna, d'osmose avec la nature ? (à noter que dans "Murtoriu" malgré sa couleur noire dominante de nombreux passages parlent de vie et de chaleur...)

    Comme film j'avais bien aimé "Nous Deux" d'Henri Graziani, bien que je le trouve un peu lent et tristounet, il est plein d'une humanité toute simple ...

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  15. J'oubliais deux films récents, où cette fois la langue corse a réellement un rôle positif et significatif :

    "Liberata", où la complexité des rapports humains entre Corses et Italiens est intéressante, dans le contexte de la Résistance : proximité culturelle, amitié possible entre "ennemis" (complexité également du côté des italiens, qui ne sont pas tous "fascistes")...Le français y est la langue de résistance (pour ne pas être compris) tandis que le corse est (censé être) la langue naturelle.
    Il manque seulement un tout petit peu de vie dans ce village qui semble plus un village d'aujourd'hui ,déserté, que le village grouillant de monde et d'enfants de l'époque.

    "Sempre vivu" , de Robin Renucci, peut-être pas parfait cinématographiquement parlant (je trouve un peu trop "plaquée" l'inspiration de la comédie italienne), est lui aussi plein de notre petite humanité réelle. Rien que le titre nous change un peu de tant d"avis de décès" (pardon Marcu, Marceddu, et les autres...) : "Qui a dit que nous étions morts?" Enfin de la COMEDIE, du rire absurde, du décalage, de la macagna, même si la farce est un peu poussée...

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  16. Francesca,
    tout à fait d'accord sur la place du corse dans les deux films cités, "Liberata" (vu au local de l'amicale en présence du réalisateur, l'écrivain Philippe Carrese, qui nous gratifia de commentaires et explications) et "Sempre Vivu"(vu à la Friche Belle de Mai à Marseille en présence de Robin Renucci).

    Mais c'est vrai que les deux films lorgnent du côté du théâtre, et peut-être que la fusion des deux arts n'est pas parfaite. Cela reste pour moi deux oeuvres très intéressantes, proposant effectivement des intrigues et des situations un peu nuancées, plus humaines, avec des scènes qui m'ont marqué : celle de la course poursuite dans les montagnes, vers la fin du film, dans "Liberata" ; celle de l'arrivée au village du frère parti sur le continent, les virages de la route. Mais il faudrait que je les revoie.

    Il faudrait un film corse à la "shakespeare", où les blagues, la macagna et la comédie n'excluent pas les envolées lyriques les plus graves.

    Et puis à quand une description exhaustive de la production cinématographique corse (ou sur la Corse) dans les vingt dernières années ? Cela existe peut-être déjà quelque part ?

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  17. Heu, je me suis laissé dire qu'il existait une "Cinémathèque de Corse" du côté de Porto Vek'! peut-être faudrait-il leur poser cette question, FXR...

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  18. Très bonne idée, Anonyme 15:19, mais le fait est que si l'ouvrage ou l'étude existent, ils ne sont pas très visibles, comme d'ailleurs l'ensemble de la cinématographie corse.

    C'est là que le bât blesse dans les cultures qui ont peu de moyens : des outils de base manquent cruellement (et je connais pourtant les qualités et les très louables efforts de nombre d'auteurs et groupes pour proposer des ouvrages qui essaient de combler ces manques).

    Allez, je poserai la question à la Cinémathèque ; je vous tiens au courant pour la réponse !

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