lundi 5 octobre 2009

U fritu sinu à l'infondu di u soli

Lors de cette espèce de ronde nocturne, répétitive et maniaque sur les sites littéraires corses qui m'intéressent et où je fouine, le coeur serré, des indices de vitalité de la littérature corse (voir ce billet à ce sujet, et tant de choses encore à lire, tant d'autres auteurs à découvrir !), je me suis rendu compte que je revenais régulièrement vers un poème d'Angèle Paoli, intitulé "Hallali".

Il a été traduit en corse par Nurbertu Paganelli qui dit un petit quelque chose de très intéressant dans un des commentaires au billet d'Angèle.

Le poème se termine par ces mots :

J'ai froid
Jusque dans le soleil

non, j'ai fait une erreur, il est écrit :

J'ai froid jusque
dans le soleil


ce qui n'est effectivement pas la même chose.

E Paganelli l'hà traduttu cusì :

T’aghju u fritu sinu à
l’infondu di u soli


Je vous laisse découvrir ou relire ce poème sur le site d'Angèle Paoli, Terres de femmes (qui est une mine constamment renouvelée de poésie du monde entier - ces derniers jours, Charles Olson et Jacques Dupin - et dans toutes les langues ; voir aussi un autre texte de Paoli traduit cette fois par Jacques Fusina, et tout le reste aussi, notamment les textes de Jean-François Agostini ou Nadine Manzagol !).

J'apprécie particulièrement dans "Hallali" la juxtaposition problématique d'une sensibilité singulière et le comportement d'un groupe de chasseurs.
Par exemple, ceci, qui m'a plu :

toi qui m’aimes me diras-tu qui
quel passé vibre encore en moi
les coups de feu déchirent la toile lisse du dimanche
les chiens hallali hurlent


ou encore

soif de sang le sanglier geint à la mort
déchirement de l’hallali
cri de goret que l’on égorge
les rues des villes bruissent
d’un dimanche livré aux pas industrieux
des passants


Les façons de vivre la Corse sont d'une variété infinie, la littérature est aussi là pour le donner à ressentir, en deçà des discours qui courent les rues et nos consciences.

Et la seule difficulté est de trouver le temps - la durée du temps que l'on veut bien essayer d'accorder à la lecture - pour goûter et regoûter au plaisir de ce poème. J'y retournerai.

Vous avez un autre point de vue, peut-être ?

34 commentaires:

  1. Merci, François-Xavier, d'avoir pensé à me rendre visite, au retour des Festivali Cuntorni de Portivechju. Vous avez dû y apprendre qu'était en préparation, pour la revue Nu(e) de Béatrice Bonhomme, un numéro spécial sur la poésie corse/et en Corse, dont la coordination a été confiée par Béatrice à Jean-François Agostini, le président de l'association Entrelignes. Un bel événement dont nous avons tous à nous réjouir.
    Outre Jacques Fusina, et Norbert Paganelli, est présent également dans Terres de femmes Stefanu Cesari, par l’un de ses poèmes, mais aussi par une traduction qu'il a faite du poème « Peut-être », extrait du recueil Noir écrin.
    A nouveau merci, François-Xavier, pour le beau travail que vous entreprenez autour de/sur la littérature corse. Nous aurons sûrement l’occasion de nous rencontrer un de ces prochains jours… sur l’île ou hors de l’île.

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  2. Angèle, merci pour votre commentaire.
    Je n'ai malheureusement pas rencontré Jean-François Agostini, qui était à Porto-Vecchio, comme quoi, le temps passe trop vite et les occasions manquées doivent être vues comme le signe positif d'une profusion.
    Je contacterai bientôt Monsieur Agostini. Je vais me procurer ses livres, et lire.
    Ravi d'apprendre (Maddalena Rodriguez-Antoniotti m'en avait déjà touché un mot) qu'une revue de poésie va consacrer un numéro spécial à la Corse. Je vais y être attentif.

    Voilà un sujet de recherche pour un étudiant (ou pour quiconque se passionne pour ce sujet) : un état des lieux et des lignes de force de la poésie corse/et en Corse aujourd'hui. Qui écrit quelle poésie et publie où, est lu par qui, comment, pourquoi ?

    C'est vrai j'avais oublié Stefanu Cesari sur votre site ; d'ailleurs je ne l'ai pas non plus rencontré à Porto-Vecchio et je ne sais pas s'il y était ! Mais qu'ai-je fait à Portivechju ce samedi 3 octobre ?

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  3. Ghje' t'aghju vistu baddendu nudu à l'after, una butteglia in manu è i spichjetti in capu !

    Marchesu di Gomorra

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  4. Aghju missu nantu u me situ (invistita, ultima news) cio chè mi vinia in capu sopra i prublemi di traduzzioni di sta puisia d'Anghjula ma ùn sapiu micca chè tuttu u mondu era andatu in Purtivechju par ballà nudu.A punta ch'ùn l'aghju sapiuta....

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  5. Cher Marquis de Gomorrhe,
    il était donc écrit quelque part que j'aurais à subir toutes les attaques, à supporter toutes les calomnies !
    Avà basta, caru Marchesu, t'aghju ricunnisciutu : sì un veru bucciardu ! Quand'eru nudu à l'after, ùn aviu più spichjetti nè davanti à l'ochji nè in capu !
    Par contre, je t'ai bien vu ce soir-là haranguer les pauvres écrivains invités. Après les avoir pressurés dans des débats infinis et obscurs, tu leur réclamais des chansons, et encore et encore.
    Pourquoi pas d'ailleurs ?
    Je suis persuadé qu'une grande partie de la littérature corse s'invente au comptoir (réel ou virtuel) !
    Allez, beiu un colpu à a to salute !

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  6. Cher François-Xavier,
    Ci-après un lien vers un commentaire de Nurbertu

    Amicizia

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  7. Merci, Angèle, pour cette information.
    J'ai lu ce que dit Norbert de sa traduction en corse de votre poème, c'est passionnant.
    Je trouve toujours très beau de découvrir pas à pas un travail de traduction, ou d'écriture, ou même de lecture. Je pense que nous avons besoin d'aller vers les textes avec autant de précision et d'humilité qu'en montre ici Norbert.
    Une dialectique entre les nécessaires discours, théories, idées et le concret de la vie et des textes.

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  8. Tout d’abord, je veux remercier Norbert Paganelli d’avoir accepté, il y a de cela plusieurs mois, d’endosser pour moi « le tablier de l’artisan traducteur ». Tout comme Jacques Fusina pour d’autres de mes poèmes. Ni l’un ni l’autre n’était obligé de souscrire à ma demande. Pourtant tous deux l’ont fait, avec beaucoup de gentillesse, de générosité et de talent. Ce à quoi je suis sensible, infiniment.

    Norbert Paganelli aborde dans ce papier sur la traduction de mon poème « Hallali » des questions fort importantes et fort intéressantes aussi. Suffisamment pour que je me décide à lui répondre sur quelques points.
    Iconoclaste, je crois que la traduction est déjà en soi un exercice qui relève de la transgression dans la mesure où le traducteur endosse, pareil à Jason avec la Toison d’or, une peau et un texte étrangers à lui-même. Situation inconfortable qui l’oblige à un va-et-vient incessant entre lui-même et l’autre, jusque dans sa pensée, sa sensibilité, ses rythmes, son phrasé. Tout ce qui constitue son univers poétique. Cela nous en sommes d’accord.
    Iconoclaste, oui ! Ce texte l’est aussi puisqu’une femme, la femme que je suis, ose, avec ses mots, s’emparer d’une thématique insulaire éminemment masculine et confier à un homme le soin de traduire ce texte. Paradoxe de part et d’autre assumé.
    Thématique : la battue au sanglier. Chasse gardée. Place aux hommes depuis des siècles et pour des siècles. Les femmes sont exclues de ce rituel. Mais les hommes ne le sont-ils pas de la même manière pour d’autres rituels spécifiquement féminins ?
    Ceci étant, je ne suis pas tout à fait sûre que la chasse d’aujourd’hui, telle que je la vois pratiquer dans mon village, assume intégralement les fonctions de rituels de passage qu’elle avait jadis. Il est vrai que je suis une capcorsine et qu’il en va sans doute encore autrement dans d’autres régions de Corse !
    Iconoclaste ? Oui, j’aime assez ! La transgression ? N’est-ce pas la voie/voix que j’ai choisie en prenant la parole, en m’exposant, là où mes aïeules (Jeanne et Angèle) n’avaient qu’un droit : celui de se taire et d’obéir. Terres de femmes ? Taire des femmes ! Depuis bientôt cinq ans que je mène mon navire « cap-corsaire » et que je cabote en mer insulaire, les mots m’habitent, me tenaillent et trouvent leur chemin pour dire. Ce que je vis au jour le jour dans l’île où je suis née, où mes ancêtres ont vécu et où je serai enterrée. Ce que je vis dans mon village, saison après saison.
    La question que je me pose est la suivante : existe-t-il sur l’île une poétique qui réglemente la poésie insulaire? Y-a-t-il des sujets tabous que seuls certains membres de la communauté insulaire sont habilités à mettre en mots ?
    [à suivre]

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  9. [suite]

    Aux yeux de Norbert, ma poésie serait « cérébrale » : « elle semble enfantée par la clairvoyance, elle énonce en fonction d’un projet dont on sent bien qu’il a été consciemment mûri et son impact savamment calculé ».


    « Cérébrale » ? En réalité, ce poème est un cri. Un cri de révolte. Un cri qui s’inscrit dans une histoire. Une histoire de chasse et de guerre. De guerre et de chasse. La chasse, c’était celle d’un dimanche d’hiver ordinaire. La guerre c’était celle de Gaza. Celle dont la violence assourdissante n’en finissait plus de me crever les yeux, jour après jour. Une violence qui obsédait tous les esprits. Le mien compris. C’est de ce vécu-là que j’ai tiré mon inspiration, de la guerre en Palestine d’abord. Puis de la chasse, alors qu’installée en plein maquis au creux d’un rocher, avec mon crayon et mes carnets, j’entendais les aboiements des chiens et les cris des sangliers. Je me suis sentie encerclée. Et je l’étais bel et bien. Pas une once de maquis qui ne résonnât des coups de fusil qui traversaient le vallon. J’étais prise dans la violence extrême de ce moment-là. Violence que j’ai violée par ma présence. Violence à laquelle est venue se surimposer d’elle-même, instantanément comme dans un flash, celle, cuisante, à vif, des événements de Gaza. Un coup de poignard et des larmes qui coulaient. Telle est l’histoire de ce texte.
    Les mots qui sont venus à moi ce jour-là, les rythmes qui ont surgi rageusement sur mon carnet, ce sont ceux de la souffrance qui m’a étreinte sur mon rocher. Physiquement, charnellement. J’étais bouleversée. Mais Hallali était là. Il s’est imposé à moi, presque d’un seul jet, d’un seul tenant. Je n’ai eu que quelques retouches à y apporter à mon retour.

    Ma poésie n’est pas conforme à la poésie insulaire ? Parce que la chasse, domaine masculin par excellence, en est l’objet ? Parce que ce poème est traduit du français au corse et non l’inverse ? Parce qu’il sent trop sa rhétorique et sa culture continentales classiques ? Parce qu’il est trop frotté à la poésie contemporaine (tous pays confondus) et aux vastes champs d’investigation qui l’occupent ?

    Hors Patrizia Gattaceca, quelles sont les voix féminines qui incarnent aujourd’hui la poésie insulaire ? Et quelles sont les formes poétiques choisies par Patrizia Gattaceca ? Le poème en terza rima, le sonnet, la sextine,… et le haïku !!! Des formes typiquement insulaires ou typiquement féminines ? Evidemment pas ! Plutôt subversives à mon sens, dans le contexte insulaire corse ! Mais la subversion n’est-elle pas l’une des fonctions essentielles de la poésie ?

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  10. Bonjour à tous,

    Une phrase d'Angèle Paoli retient mon attention "Hormis Patrizia Gattaceca quelles sont les voix féminines qui incarnent aujourd'hui la poésie insulaire ?"

    De mon côté j'apprécie personnellement beaucoup Patrizia Gattaceca, mais sans écarter les autres voix féminines de la poésie corse ! Et elles sont nombreuses!!! Quelques unes ont même participé et sont référencées sur son blog "Terres de Femmes" !...

    Mais peut être l'heure tardive à laquelle a été posté son message et l'émotion compréhensible qu'elle déploie pour se faire entendre expliquent ils cela.

    Nadine Manzagol

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  11. Oui, Nadine, j'ai bien écrit "quelles sont les voix féminines qui incarnent aujourd'hui la poésie insulaire" (sous-entendu corse) et non pas "quelles sont les voix féminines corses dans le monde de la poésie ?" Celles-là, je les connais en effet : elles sont présentes sur Terres de femmes et sont souvent mes amies. Remarquez par ailleurs qu'il s'agit là d'une question. Non, Nadine, tout ceci n'a pas été écrit sous le coup de l'émotion et chacun est libre d'apporter sa réponse. Celle-ci ne me serait pas indifférente.

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  12. Je rajoute : lors de la soirée "Lectures poétiques" au centre culturel de Porto-Vecchio, étaient invités par les organisateurs : Patrizia Gattaceca, Alain Di Meglio, Jean-François Agostini, Stefanu Cesari, Maurizio Mattiuzza, Marco Porcu, Paulu Santu Pariggi, Gérard Jacquet, Jean-Yves Casanova, Giovanni Rizzo, Olivier Ancey, Francesco Pallara, Miguel Angel Arcas, Pierre-Laurent Santelli, Alberto Masala, Jacques Fusina, GF Terrazzoni.
    Combien de femmes? Une. Patrizia Gattaceca. Et mise en tête de liste.

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  13. Nous pourrions dire aussi que les invités d'un festival sont toujours l'objet d'un choix, et que ce choix doit être difficile même pour les organisateurs du festival.
    Il y a encore bien d'autres voix poétiques masculines en Corse ! Et en Méditerranée !
    Donc tout choix est à la fois pertinent et discutable.

    Mais la question d'Angèle est tout de même intéressante : comment organiser la visibilité de toute la littérature corse/en Corse - dans toute sa diversité - tout le temps ?

    Cela rejoint le travail du groupe de Luri, et notamment la proposition de Xavier Casanova d'un travail bibliographique exhaustif.

    Concernant la poésie corse (ou en Corse) : je suis personnellement très heureux de voir la grande diversité de son expression (en français, en corse, traditionnelle, moderne, etc.)

    Prenons la poésie de Di Meglio (en corse) et de Stima (en français) par exemple ; elles participent de l'expression insulaire, toutes deux.

    Concernant la poésie en langue corse, je conçois avec Norbert Paganelli qu'il y ait une tradition et un certain génie de la langue qui conduit à rencontrer des difficultés de traduction ; mais peut-être serait-il intéressant de voir combien les usages de la langue corse sont en train de se diversifier, notamment du fait du contact avec le français : est-ce à prohiber ?

    Allez, il y a longtemps, à Ajaccio, j'avais écrit quelque chose avec des mots de la langue corse (je ne peux dire que je l'avais écrit en langue corse, que je ne maîtrisais pas, et aujourd'hui toujours pas, d'un point de vue traditionnel). Que faire avec une chose pareille ? N'est-ce pas un "monstre" ? Un essai mort-né ? (Je ne le cite pas ici car il n'a vraiment aucun intérêt autre que personnel, et je ne m'en souviens que partiellement). Mais j'ai longtemps pensé à cet essai poétique : quelle valeur accorder à un effort si maladroit ? La littérature corse n'est-elle pas emplie de telles maladresses ?

    Voilà un sujet d'étude : de l'usage des langues dans la littérature corse, modalités, enjeux, perspectives, non ?

    Merci à tous pour ce dialogue !

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  14. Je vois que ma question a été mal comprise. C'est d'avantage la question de la parité que celle du choix qui se pose ici. 17 poètes invités, une seule femme invitée. Il ne manque pourtant pas de femmes poètes dans nos îles, dont une des plus grandes poètes d'aujourd'hui, Antonella Anedda, d'origine sarde (et corse par sa grand-mère), qui vit la plupart du temps en Corse et enseigne notamment à l'université de Rome.

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  15. Merci pour la précision, Angèle.
    Le critère de la parité en est un parmi d'autres (qualité, formes utilisées, perspectives littéraires, etc. en sont d'autres, et je ne connais pas ceux suivis par l'équipe de Cuntorni, qui doivent avoir leur justification).
    Je ne connaissais pas Antonella Anedda ; je viens de taper son nom dans la fonction "recherche" de votre site "Terres de femmes" et je vois qu'elle y est présente : des moments de plaisir en perspective.
    D'où l'idée suivante : tout le monde profitera de la volonté d'échanges de chacun (plaisir d'offrir, joie de recevoir, comme dit la chanson).
    A bientôt.

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  16. Pour en savoir plus sur Antonella Anedda, vous pouvez vous adresser à Marcu Porcu (l'un des poètes invités de Porto-Vecchio et l'un de ses traducteurs - avec Jean-Baptiste Para, le rédacteur en chef de la Revue Europe)...

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  17. Angèle, la communication littéraire est trop souvent une politique du -jouir du sens- (joui-sens).
    Et même si la poésie subvertit justement le sens commun, on tente d'y enferrer, à corps perdu, ceux ou celles qui deviennent otages de cette scène.
    Ce qui explique la prévalence des femmes qui donnent accès public à cette arène.

    Ainsi, Patrizia, qui a de grandes qualités de subversion en écriture, est-elle réellement privilégiée pour ces grandes qualités où bien - et c'est fort différent - pour être considérée, comme un porte drapeau d'une communauté de sens, au point même d'en être victime en même temps que fétiche ?

    Laissons ce sujet en suspens : il est assez grave pour qu'on ne puisse le clore...

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  18. Je suis un peu étonnée de la réponse un peu vive d'Angèle Paoli à Norbert Paganelli: taxer sa poésie de "cérébrale" serait-il une insulte ?

    Un auteur, en publiant, ne s'expose-t-il pas délibérément à des interprétations et des analyses variées de son oeuvre et la diversité de ces "retours" n'est-elle pas pour lui enrichissante? Pourquoi chercher à rectifier, à censurer une interprétation dérangeante?

    Quant à la surabondance des détails donnés par A. Paoli sur l'élaboration de son poème "Hallali", elle me gêne un peu, il me semble que ça ne me regarde pas ...

    Et pour terminer en riant un peu, un extrait d'"Ethnologue" ( la dernière nouvelle de "Variétés de la mort" de Jérôme Ferrari :

    (...)
    ... Je travaille sur le rôle symbolique des femmes dans la chasse au sanglier...
    - "Merde!" pensa Théodore.
    - Je suis sûre, poursuivit-elle en s'exaltant visiblement, que le sanglier représente la féminité inaccessible et que la stratégie de la battue est une tentative symbolique d'encerclement de l'Un féminin par le Multiple masculin, une façon pour les hommes d'échapper à la frustration inhérente à leur condition, je veux dire la difficulté d'être porteur du Phallus dans une société traditionnelle - et à cet égard, le sort réservé aux entrailles de l'animal, dans lequel il est facile de reconnaître une métaphore de l'utérus, me semble ...

    Et vous, qu'en pensez-vous ?

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  19. Ah, j'oubliais, c'est aujourd'hui l'anniversaire de Patrizia...

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  20. Angèle, Nadine, Emmmanuelle,
    un grand merci : la preuve est faite que malgré les désaccords et la diversité des caractères, des convictions et des manières d'être la discussion est possible.
    Je pense sincèrement que la liberté du créateur, du traducteur et des lecteurs, quand elles se rencontrent, commencent à fabriquer un espace commun unique : il crée du jeu dans l'imaginaire.
    Et je pense que le mot "cérébral" peut légitimement susciter des réactions différentes voire contradictoires. Si ces réactions permettent de préciser des pensées et de faire découvrir d'autres auteurs, d'autres textes, c'est tant mieux !
    Encore merci.

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  21. @ Emmanuelle : comme me l'écrit ce jour Norbert sur Terres de femmes, "ceux qui passent et s'attardent vont penser qu'il existe entre nous un malentendu dont le petit papier dont il est fait référence serait le témoignage. Il n'en est rien, chers visiteurs. En Corse, nous ne pouvons échanger sans un minimum de mise en scène, c'est aussi ce qui fait notre charme paraît-il..."

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  22. ... Comme j'aimerai que l'on ait moins de charme, alors...

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  23. Anonyme 12:48,
    voilà une remarque qui réclame un développement.
    Ou bien, peut-être pas.
    Vous jugerez vous-même !
    Le plus sympathique serait de donner ici des "récits de lecture".
    A bientôt, j'espère.

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  24. En passant, en pensant, je lis ce cliquetis de mots. Une intervention m'intéresse, celle d'E. Caminade. Sans l'accord du participe passé, aurais-je deviné que je lisais une parole de femme ? Je relis, oubliant cet accord. Autour du mot "gêne" se construit une pudeur, autour "une réaction un peu vive", quelqu'un se fait fragile. C'est une réticence que je ressens comme teintée d'un désir de protection de Norbert Paganelli. J'avais trouvé si haut et fort cet échange. Ni l'un ni l'autre ne semblent avoir besoin d'un soutien. L'échange se joue à un autre niveau que celui de "la censure" ou la "rectification" de quelque chose qui dérange. L'échange se situe au niveau de la langue, celle écrite par Angèle Paoli, celle lue pour être traduite par Norbert Paganelli. Un travail au corps des mots, précis, ciselé et pour l'un et pour l'autre. C'est passionnant et cela me renvoie à ce qu'on met dans un texte quand on le lit, la façon dont on le ressent, l'interprète. La façon dont il fait miroir avec nos sentiments, nos mots (maux) tus, nos non-dits.
    Un nouveau lecteur apparaît, une lectrice, E. Caminade. Quoi... l'empêche de lire le texte d'Angèle sans qu'elle éprouve cette "gêne" ? Le texte cité de "Variétés de la mort" de Jérôme Ferrari (superbe) est comme une déchirure dans son intervention.
    Puisque vous terminez en posant une question : "Et vous qu'en pensez-vous ?", je vais tenter une réponse. J'aime l'écriture qui met en danger, c'est-à-dire en vérité. Je trouve cela dans les écrits d'Angèle Paoli (poésie - carnets de marche - échos de lecture). C'est une parole vraie, drue, parfois impudique qui cerne la naissance des sentiments, des pensées, du moi profond. Une plume d'écorchée qui lance dans le silence des femmes un cri. Terres de femmes... "taire des femmes" écrivit-elle. Et Elle sait de quoi elle parle, cette femme-là de cette terre-là. Et elle sait de quoi elle parle cette mère qui regarde la guerre et les tueries de son regard de mère. Oui, il y a de belles fleurs dans le maquis et on peut en faire un bouquet et aux heures de silence, même une aquarelle... Mais sans cette race de combattantes des mots, qui labourent la langue sans concession, où en serions-nous ? Je trouve cet échange entre ce poète et ce poète-traducteur flamboyant et passionnant et digne d'être enfanté dans cette rude terre de Corse.
    Amitiés.
    Christiane

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  25. Qu'en pensé-je? je crois que je préfère les textes à leurs commentaires, du moins lorsqu'ils se font trop encombrants -))

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  26. Anonyme 23:36,
    merci de cette précision.
    Personnellement, ce que j'apprécie c'est le dialogue, la dialectique que l'on peut instaurer entre une oeuvre et ses commentaires (ses lectures).
    Ensuite, effectivement, chacun peut trouver quel tel commentaire est trop encombrant, ou que telle oeuvre est un échec.
    Donc, il nous reste la possibilité de faire retour vers les belles oeuvres aimées.
    A bientôt.

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  27. Les commentaires (même courts) que je n'aime pas sont ceux qui se cachent derrière l'anonymat. Cela ressemble trop à des lettres de corbeaux.

    Ce que j'ai personnellement lu, c'est un dialogue entre un auteur et son traducteur. Compte tenu des difficultés que représente la traduction, et plus particulièrement la traduction poétique, c'est toujours une chance pour le traducteur d'avoir "sous la main" l'auteur, cela lui permet d'éviter bien des contre-sens et des erreurs d'interprétation. Ce dialogue (quand l'auteur est vivant) a lieu la plupart du temps dans l'ombre, c'est un privilège pour nous de pouvoir y assister en direct, et de pouvoir ainsi remettre à plat quelques paramètres de ce que sont les problèmes théoriques de la traduction (pour paraphraser le titre du célèbre linguiste Georges Mounin).
    à très bientôt
    Yves Thomas

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  28. Allez ! allons-y ! les corbeaux !
    une lettre de corbeau est une lettre insultante, une lettre de dénonciation, une lettre de haine! Un peu Vichyste, un peu 3° république, un peu Clochemerle: bien française, donc. Je n'ai rien vu de tel ici pour le moment. Donc laissons les anonymes s'exprimer. J'assimile cela à de l'humilité d'ailleurs l'anonymat: l'anonyme éprouvant parfois le besoin de "dire" tout en estimant à juste titre que son avis n'est pas si transcendant que cela...
    Tiens moi par exemple je signe JPA, mais qu'est-ce que cela signifie ? Les initiales de quoi ? de qui ? Sui-je un anonyme ? Pour le JPA que je suis (Jeune Prolétaire Anonyme), Yves Thomas, C. Parrat ou Caminade, sont tout autant des anonymes...
    JPA

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  29. @ Christiane Parrat

    D'abord, il n'existe pas pour moi de paroles de femmes ou d'hommes! Pourquoi pas, alors, de la littérature féminine ?

    J'ai écrit un peu vite - ça se voit !- et sans doute de manière insuffisamment explicite.

    Ma gêne ne vient pas du tout des textes d'Angèle Paoli, mais des précisions qu'elle donne sur l'élaboration de son poème ( lieu, état émotif ...)pour bien montrer qu'elle l'a écrit avec ses "tripes " et sa sensibilité ...

    Ma gêne vient de la voir monter au créneau pour rectifier ainsi ( censurer est trop fort...) le qualificatif de "cérébrale" donné à son écriture par Norbert Paganelli.

    Pour moi, ce n'est pas le rôle d'un auteur et mon intervention se situe dans la lignée de l'article que j'ai publié sur mon blog reprochant, entre autres, le même travers à Michon à propos des interviews données à la sortie de son dernier roman "Les Onze".
    Je suis, par ailleurs, bien persuadée que N. Paganelli n'a guère besoin du soutien de ma modeste personne!

    Quant à la question -rituelle- finale, ce n'était qu'un petit clin d'oeil humoristique à FXR !
    Que voulez-vous, j'aime plaisanter et en citant ce beau texte de J. Ferrari qui déclenche chez moi le fou rire, j'espérais détendre l'atmosphère ...

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  30. A vous tous,
    Yves Thomas
    JPA
    Emmanuelle Caminade
    Christiane Parrat

    merci pour ces échanges.
    Il me semble que nous ne nous mettrons pas d'accord sur les rôles respectifs de l'Auteur, du Lecteur, de l'Anonyme et du Nommé.
    Je dois vous dire cependant que j'apprécie vraiment beaucoup que la courtoisie prévale dans les échanges : elle permet d'écouter quelqu'un d'autre dire comment il a ressenti nos propos et ainsi, si nécessaire, de revenir sur sa propre parole pour la rectifier, la préciser.

    Il me plaît de penser que la littérature (corse, en particulier) est un lieu où jouent entre eux de "larges et bizarres contrastes" (excusez-moi, je cite le texte de Balzac que j'ai vu en classe cet après-midi avec des élèves de seconde, parce que cette expression m'a plue).

    "Cuntrasti", "chjami è rispondi", "macagna" : la parole corse est pleine de ces plaisirs du dialogue. Continuons comme cela. Il ne s'agit pas de viser l'unanimité mais la précision des pensées. Donc merci encore.

    Personnellement, je vais répéter ici :
    - qu'un livre peut se défendre tout seul
    - qu'un auteur peut aussi répondre aux commentaires de ses lecteurs
    - que les sensibilités sont d'autant plus intéressantes qu'elles s'expriment
    - que choisir ou non l'anonymat est une question personnelle
    - que l'anonymat des commentateurs ne me dérange pas
    - que ce qui me gêne c'est l'outrance qui n'en démord pas ou qui refuse le dialogue ou qui agresse gratuitement ou qui sort du cadre de la réflexion culturelle et littéraire (ce qui me semble assez rare ici)
    - que j'aime la gravité et la plaisanterie
    - qu'une atmosphère détendue est vraiment beaucoup plus sympathique (car il y a bien d'autres domaines de la vie qui réclame notre attention affectueuse, comme faire à manger aux enfants, les conseiller, les écouter, parler avec eux de ce concert au cours duquel Richard Galliano a joué "Oblivion " d'Astor Piazzolla... ouh là ! je retrouve ma pente sentimentale, il faut que je m'arrête !)

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  31. Emmanuelle,
    j'ai lu votre "sacre de Michon" pour mieux comprendre votre intervention. C'est une méditation qui donne à réfléchir sur les paroles d'auteur, sur le vertige que peuvent offrir interview et célébrité pour celui qui vivait dans l'ombre et la discrétion.
    L'écriture avait pris la place de la vie comme une ogresse, croquant le silence des mots d'encre, muselant ce qui vivait ensauvagé. La porte du livre restait fermée. L'oeuvre respirait tranquille et attendait son lecteur mais le portillon rouillé a grincé, annonçant un visiteur et le taiseux a ouvert la bouche tremblant de dire.
    Quelque part, une lectrice devint triste...
    Ai-je bien compris ?
    amitié
    christiane
    christiane

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  32. Merci, Christiane de poursuivre le dialogue.

    Pour que chacun suive bien la discussion, voici les liens utiles :

    - blog d'Emmanuelle Camindae : L'or des livres : http://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com

    - billet sur Pierre Michon : http://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/article-35450144.html

    (Pas encore trouvé comment créer un lien hypertexte dans un commentaire, cela doit pourtant certainement être très facile !)

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  33. Les explications des auteurs sur la naissance de leurs textes, à condition qu'il ne s'agisse pas de "marketing" (un peu comme les faussses-vraies légendes que l'on crée autour d'un produit industriel) moi, j'adore : j'aime savoir la genèse d'un texe, les circonstances, je veux "tout" savoir, ce qui est impossible, car l'auteur ne peut tout dire, et en fait ne saurait tout expliquer, une part de mystère demeurant toujours quant à l'acte de création, y compris pour le créateur lui-même.
    L'impudeur, j'adore également, car écrire c'est déjà se mettre à nu, ou alors, aucun intérêt...

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  34. Tous les mots que je vous destinais, Francesca, se sont effacés ! Mes incursions (récentes) sur internet sont malhabiles. Il suffit d'un rien et tout s'envole donnant son juste poids aux mots ! J'essayais de vous dire ma joie de vous avoir lue. J'aime que vous ouvriez ce qu'Emmanuelle avait un peu fermé, quêtant une présence dans le dialogue des taiseux de l'écriture. Nous sommes parfois tellement séparés des vivants par leur écriture, comme si, ayant choisi de s'exprimer et de nous atteindre par "l'ancre" des mots, leur être devait rester otage d'une nacelle de papier retenue au silence dans un monde sans passage. J'aime aussi, avec les mêmes réticences que vous, écouter ce qu'ils ont à dire, connaître leur voix de compagnon de notre marche. Et si parfois leurs mots sont cabossés c'est que le silence de l'écriture les a noués au fond de leur gorge.
    Ce qui serait bien c'est qu'Angèle (Paoli) aille jusqu'au bout de son souffle et apprenne le corse. Je trouve cette langue si forte, si belle. Tout en elle est prêt à ce risque de l'origine.
    Ah, c'est bien ce blog (site ?) - je n'y connais pas grand chose !)- mais quand même, ça me chatouille au bout des doigts, il faut que j'approche ce paysage avec mes crayons et mes encres car la lumière va changer et tout vacille dans cette hébétude de la terre gonflée de soleil. Encore merci !
    christiane

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