dimanche 4 octobre 2009

Lisant "Veilleur" de Philippe Stima : Le Lion et la Neige

Le compte rendu de ce que j'ai vu et entendu au Festival Cuntorni, ce sera pour après, pour bientôt. (Ce fut une expérience très riche, bravo aux organisateurs, j'y reviendrai donc).

Un billet sur "Houdini", chanson que j'aime tellement, de Gambini, chantée par lui hier soir, justement au festival, j'y reviendrai aussi.

Ce soir, contre toute attente, cette page, qui m'arrêta, frappa mon imagination (dans l'avion entre Poretta et Marignane), relue ce soir (je la cherchais), relecture confirmant ma première impression : d'aimer cette page. (Je reviendrai dans les commentaires sur ce qui me plaît ici.)


Bon, mais c'est pas le principal, le principal, monsieur, c'est l'une des images, une image que je suis en train de contempler. (Un temps.) Sur cette image, en couleurs, on voit un vieux lion fatigué. (Un temps.) La légende précise qu'il s'agit d'un vieux lion malade, et sur la même page, un texte dit que ce vieux lion malade vit dans un pays... Oh, un pays splendide, monsieur, je le connais un peu d'ailleurs, parce que ma vraie femme venait de là, elle m'en a... Ma vraie femme, monsieur, vous savez, mon seul amour à part ma mère, ma vraie compagne, pas la remplaçante, pas ma femme selon la loi, pas la mère de mon fils... Oui, monsieur, donc, ce vieux lion fatigué, eh bien, il sent la mort venir, se rapprocher, alors il décide de se réfugier dans une grotte isolée, pour se coucher, pour s'éteindre, mourir silencieusement, paisiblement, mourir indépendant, à l'abri de ses congénères, à l'écart des charognards, enfin, le plus possible. (Un temps.) Eh bien, monsieur, moi, ma mort, je la souhaite un peu comme ça. (Un temps.) J'aimerais que l'histoire, MON histoire se termine ainsi, se termine là-bas, même s'ils ont prévu (il hésite, lève les yeux, voix basse) autre chose pour moi ici, un autre sort, une autre fin. (Un temps.) Tant pis, tant pis pour eux, hein, ou tant pis pour moi, peut-être. (Un temps. Il soupire puis sourit tristement. Il referme le livre lentement, avec vénération.) Tant pis pour moi... Oui, monsieur, une grotte, là-bas, loin, loin des gens, loin des médecins, loin des méchants, loin des clients, loin du patron, loin de l'hôtel, loin du royaume, loin de tout, enfin, le plus possible. (Un temps. Voix légèrement plus forte, émue.) Autour de cette grotte, il y aurait de la neige, il neigerait, ce jour-là, le pays des lions et des vraies femmes serait sous la neige, recouvert de neige, il y aurait de la neige autour partout, une neige douce, rafraîchissante, amicale... (Il sourit.) Blanche ou bleue, monsieur, plus aucune (il hésite) importance dans de telles circonstances... (Il rit doucement.) Exactement, monsieur, exactement : ni lit de mort ni croix, ni fils rancunier ni vinaigre, pas de testament, pas d'enterrement, pas de mots, pas de cris, pas de larmes, pas de grimaces, personne, la nature ferait son travail et puis voilà...


"Le pays des lions et des vraies femmes serait sous la neige" : je crois que c'est au moment de cette proposition que le travail du plaisir a commencé en moi, exactement au moment de cette proposition, le pluriel de "lions", la combinaison "lion malade/vraie femme", cette inexplicable (pour moi) et pourtant si "nécessaire" "neige".

C'est un extrait de "Veilleur", un des textes publiés dans le recueil "Le monde a soif d'amour", premier volume de la nouvelle collection "Centu milla" d'Albiana (leur collection de poche, dirait-on, avec des textes originaux dans tous les sens du terme).

Et je pense soudain à cette page de "Une affaire insulaire" de Jean-Baptiste Predali...

Et vous avez certainement une vision autre ?

5 commentaires:

  1. Hè vera chì sta neve imprubabile dà una bellezza prufonda à u testu : simbulizeghja forse digià "l'altru mondu", o u smenticu appacente chì vene cù l'abbandonu di quellu chì hè prontu à parte, chì copre infine e guffezze di u mondu di a sucetà umana, cum'è a neve in muntagna copre i ghjetti lasciati da i spassighjanti...

    In ribombu, eccu un puema di Leconte de Lisle , "la mort d'un lion"


    Étant un vieux chasseur altéré de grand air
    Et du sang noir des boeufs, il avait l'habitude
    De contempler de haut les plaines et la mer,
    Et de rugir en paix, libre en sa solitude.

    Aussi, comme un damné qui rôde dans l'enfer,
    Pour l'inepte plaisir de cette multitude
    Il allait et venait dans sa cage de fer,
    Heurtant les deux cloisons avec sa tête rude.

    L'horrible sort, enfin, ne devant plus changer,
    Il cessa brusquement de boire et de manger,
    Et la mort emporta son âme vagabonde.

    Ô coeur toujours en proie à la rébellion,
    Qui tournes, haletant, dans la cage du monde,
    Lâche, que ne fais-tu comme a fait ce lion ?

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  2. Cara Francesca,
    grazie per issu cummentu. Ma mi piace di più u testu di Stima : u so leone ùn pensa micca cù nostalgia à u so passatu, hè un leone di u futuru... E po ci hè issa neve.

    Je signale que j'ai placé un court propos sur un poème de Stima sur un des sujets du forum de Musa Nostra, qui en appelle (un autre lieu où lire de la littérature corse, c'est magnifique) aux extraits de livres.

    Voici l'adresse : http://musanostraforum.forum-actif.net/votre-1er-forum-f1/

    Le sujet s'appelle : "Textes, extraits...Tout ce qu'on aime".

    Comme quoi je ne suis pas rancunier !

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  3. Nò, ùn sì manc'appena vindicativu ma guasi ci vuleria à beatificatti!!

    U lione di Stima ùn simbulizeghja tantu a speranza, ma una morte dolce è accettata cù lucidità, luntanu da l'ipucrisia di i falsi lamenti ...

    Ma averai induvinatu qualcosa? U lione di e neve hè un simbulu buddistu di gioia, di bellezza, di serenità mentale, di bravezza, di armunia, di curagiu...(in u Tibè)

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  4. Pour répondre à la sollicitation de Jérome, voici une tentative...

    "Il voit les chaos de granit rougoyants, brûlés par les derniers rayons de soleil,avec ces enchevêtrements de buissons noirs qui poussent, tant bien que mal, dans chaque entaille"

    le texte est effectivement empreint d'une gravité rustique que la description du lieu vient renforcer. personnelemnt je ne m'éatis jamais poser la question de la traduction de " à malavia" que j'emploie sans aucune difficulté, en particulier dans "campa à malavia"...ce qui me semble pouvoir se rendre par "tant bien que mal".

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  5. Norbert,
    je replace le commentaire précédent là où il aurait dû être : accroché au billet "Récit de lecture : Jérôme Ferrari et "Murtoriu".

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