Oghje, una puesia sola, chì mi piace assai : discrive u veru paradisu (quasi dantescu) di a literatura corsa, sicondu mè, dapoi a brama zitellesca sin'à oghje è quì, una mossa chì giranduleghja, chì volta è gira senza mai piantassi. (Ma forse truverete issu testu à pena troppu liricu ? parlemu ne...)
L'ALTU PRATU
Quassù nantu à l'altu pratu
Trinca u son di un viulinu
Volta è gira a ronda zitellina
A notte sottu à e stelle
A ghitara pè cuscinu
Accumpagni u cantu di e spiscine
Pè e strade di u mondu
Cantarinu hè u to versu
Chì a to voce movi l'universu
Cumpagnu girandulone
Fratellu di e mo fame
Di cantà tutt'ognunu hè in brama
Si à spessu sì infelice
Cercali bè i to pari
Hanu in core u là di a ghitara
È si puru di cantà
Ùn cunnosci l'armunia
Fà una strinta d'ochju à a puesia
Ùn ti scurdà d'issa mossa
Chì t'hà purtatu oghje quì
À tutti cantali puru cusì
Quassù nantu à l'altu pratu
Trinca u son di un viulinu
Volta è gira a ronda zitellina
(L'autori ? Dominique Nobili è François Pesce, issu puema u cantanu I Chjami Aghjalesi nant'à u dischettu "L'altu pratu di a mimoria" (1983).)
Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
dimanche 28 février 2010
jeudi 25 février 2010
Une page : "Et l'odeur des narcisses", de Marie Casanova
Donc, la littérature corse se publie chez bien des éditeurs, nous le savions, en voici un nouvel exemple : Galaade éditions.
Le livre : "Et l'odeur des narcisses", de Marie Casanova, est un roman où se raconte la vie d'une femme corse, Thérèse, depuis son enfance jusqu'à sa vieillesse étrange et triste, une vie de femme tiraillée entre ses désirs (d'aventure, d'amour, d'amour aventureux, de séduction donc) et les réalités familiales, historiques (avant et après la Seconde Guerre mondiale), sociales et surtout physiques (Thérèse a été amputée d'une jambe, suite à une maladie mal soignée) qui tour à tour suscitent, empêchent, retardent ces désirs amoureux. Cette vie oscille entre différents lieux, à la fois géographiques et imaginaires : Cayenne, Saint-Raphaël/Nice, l'Italie (pôle du bonheur perdu : où meurt le grand-père adoré, Maestro Francesco), et la Corse (le village de Reccio, imaginaire, visiblement).
Dans ma mémoire (le livre a été lu il y a quelques semaines maintenant), deux moments : les deux moments de séduction aventureuse (avec Roland ; avec le soldat italien).
Je choisis le premier moment (pour le second, il se trouve que c'est celui que le site des éditions Galaade donne la possibilité de lire !) : il se déroule à Bastia, il pleut des trombes ; Thérèse veut retrouver Roland, Madeleine sa mère est contre, elle craint la réaction violente du père, Joseph. C'est un des moments du livre où j'ai senti l'histoire décoller, s'emballer, cela m'a beaucoup plu (en plus de cette écriture faite de sensations, de mouvements, de sons, présentant toujours le monde au travers de la sensibilité de cette femme ; écriture virevoltante qui permet peut-être au livre de respirer et de ne pas tomber dans le conventionnel et le sans surprise). Qui a lu ce livre ? Peut-être avez-vous fait une lecture différente, moins agréable ?
"Tu sais ce que veulent les garçons ?
- La même chose que moi, elle répond, Thérèse, et puis il veut m'épouser."
Silence de Madeleine qui n'a plus qu'une obsession, la réaction de Joseph, la colère de l'ogre. Il faut repousser le problème, il faut parler d'autre chose. Sourire. Dire :
"La nouvelle jambe est bientôt prête, plus légère, bien adaptée, dans quelques jours nous irons la chercher et puis nous pourrons remonter au village. C'est la bonne saison pour les châtaignes grillées, les champignons, les biegnets. Tu allumeras le feu dans la cheminée comme t'a si bien appris à le faire Maestro Francesco."
Tu, tu, tu, ça résonne au loin, le son est brouillé, les paroles inaudibles.
Thérèse ailleurs est partie avec Roland là où la prothèse, la gamba, est-ce possible, est presque un charme de plus, une jambe de poupée.
Le lendemain, il pleut à torrent, un vrai déluge, comme à Cayenne. Les rues sont des ruisseaux, dans les ruelles toutes les eaux du ciel se précipitent comme pour fuir, se ruer vers la mer. Les banderilles de la pluie hachent les feuilles des platanes, les feuilles de la vigne vierge. Elles saccagent la belle parure rouge qui recouvre la tonnelle du bar des Amis, et Thérèse s'apprête à aller retrouver Roland, qui, là-bas, l'attend.
"Tu ne peux pas sortir avec ce temps, c'est de la folie."
Thérèse va y aller, elle n'a peur de rien. Rien ne l'arrête. Aucune colère humaine ou divine, aucune tempête, tornade, bourrasque. Les épreuves, elle connaît, sa volonté parle plus haut que les éléments déchaînés, et l'orage, le grondement superbe qu'elle a au-dedans est plus violent que celui du dehors. Et puis le ciel exaspéré, illuminé d'éclairs. Tu comptes jusqu'à trois et le tonnerre éclate, elle aime, elle aime, elle aime les extrêmes.
Marcher, avancer, aller vers lui, c'est aller vers elle, savoir qui elle est, sortir de sa chrysalide, éclore, fleurir, ramasser au passage ses désirs essaimés. Alors Madeleine met son chapeau, s'empare du parapluie de berger, souvenir de Maestro Francesco, grand, assez large pour deux.
"Allons-y, elle dit, je viens avec toi."
Sursaut, montée de romantisme qui, avec son goût de l'impossible, ses aspirations vers l'absolu, se plaît dans la tourmente, préfère l'automne au printemps, certainement l'hiver à l'été. Que sa fille soit comblée, heureuse comme elle ne l'a jamais été. Passage des songes de Madeleine. Alcôves tapissées de velours où viennent se poser les soupirs amoureux. Mirage de Nice, la nuit dans le jardin qui surplombait la mer. Mon Dieu, que d'images, que le temps n'estompe pas mais qu'il adoucit, peu à peu édulcore. Que de péchés inassouvis, absous par la résignation, la routine, une maille à l'endroit, une maille à l'envers, c'est simple tu sais, tu continues c'est toujours pareil, tu somnoles toutes lumières éteintes, délectation morose, bienheureuse béatitude. Ah ! mais d'un coup quelque chose te réveille, un bric-à-brac de sentiments disparates, la joie, l'espoir, l'enthousiasme, la peur et puis quoi, il vaut mieux se perdre de sa passion que perdre sa passion. Aujourd'hui, dans la ville déserte, deux femmes, deux guerrières affrontent la mitraille de la pluie, de l'eau jusqu'aux chevilles. Thérèse tire sa jambe lourde avec son pied qui s'enfonce dans la boue. Têtue la jambe, une vraie mule. Elle résiste.
"Allez avance, encore un effort."
Entre Thérèse et sa jambe c'est toujours comme ça, elle lui parle, elle l'insulte, elle la supplie.
"Allez on n'arrivera jamais, Roland sera parti."
Roland est là. Dans la pénombre. À cause de la tempête la ville est sans lumière. Sur le comptoir, sur les tables, des bougies éclairent vaguement la salle, leurs flammes mouvantes projettent sur les murs un va-et-vient de clarté. Roland est là, souriant, sympathique. Magnétisme de celui qui veut conquérir, et cette chose qui vous enjôle, vous engourdit, c'est le charme.
En fait j'aime beaucoup ces figures de confusion (pluie de Cayenne, rues de Bastia, amant de Lorraine, chapeau d'Italie et rêves niçois ; la mère et la fille, contre et avec ; passé, présent, avenir du désir). Figure-maëlstrom qu'il est si enivrant de découvrir dans la littérature corse.
(AJOUT DU DIMANCHE 28 MARS 2010 : je signale ici une autre lecture de ce roman, par Paul M., sur le site de Musa Nostra, lecture très instructive qui montre que le charme du livre opére de bien des façons).
Le livre : "Et l'odeur des narcisses", de Marie Casanova, est un roman où se raconte la vie d'une femme corse, Thérèse, depuis son enfance jusqu'à sa vieillesse étrange et triste, une vie de femme tiraillée entre ses désirs (d'aventure, d'amour, d'amour aventureux, de séduction donc) et les réalités familiales, historiques (avant et après la Seconde Guerre mondiale), sociales et surtout physiques (Thérèse a été amputée d'une jambe, suite à une maladie mal soignée) qui tour à tour suscitent, empêchent, retardent ces désirs amoureux. Cette vie oscille entre différents lieux, à la fois géographiques et imaginaires : Cayenne, Saint-Raphaël/Nice, l'Italie (pôle du bonheur perdu : où meurt le grand-père adoré, Maestro Francesco), et la Corse (le village de Reccio, imaginaire, visiblement).
Dans ma mémoire (le livre a été lu il y a quelques semaines maintenant), deux moments : les deux moments de séduction aventureuse (avec Roland ; avec le soldat italien).
Je choisis le premier moment (pour le second, il se trouve que c'est celui que le site des éditions Galaade donne la possibilité de lire !) : il se déroule à Bastia, il pleut des trombes ; Thérèse veut retrouver Roland, Madeleine sa mère est contre, elle craint la réaction violente du père, Joseph. C'est un des moments du livre où j'ai senti l'histoire décoller, s'emballer, cela m'a beaucoup plu (en plus de cette écriture faite de sensations, de mouvements, de sons, présentant toujours le monde au travers de la sensibilité de cette femme ; écriture virevoltante qui permet peut-être au livre de respirer et de ne pas tomber dans le conventionnel et le sans surprise). Qui a lu ce livre ? Peut-être avez-vous fait une lecture différente, moins agréable ?
"Tu sais ce que veulent les garçons ?
- La même chose que moi, elle répond, Thérèse, et puis il veut m'épouser."
Silence de Madeleine qui n'a plus qu'une obsession, la réaction de Joseph, la colère de l'ogre. Il faut repousser le problème, il faut parler d'autre chose. Sourire. Dire :
"La nouvelle jambe est bientôt prête, plus légère, bien adaptée, dans quelques jours nous irons la chercher et puis nous pourrons remonter au village. C'est la bonne saison pour les châtaignes grillées, les champignons, les biegnets. Tu allumeras le feu dans la cheminée comme t'a si bien appris à le faire Maestro Francesco."
Tu, tu, tu, ça résonne au loin, le son est brouillé, les paroles inaudibles.
Thérèse ailleurs est partie avec Roland là où la prothèse, la gamba, est-ce possible, est presque un charme de plus, une jambe de poupée.
Le lendemain, il pleut à torrent, un vrai déluge, comme à Cayenne. Les rues sont des ruisseaux, dans les ruelles toutes les eaux du ciel se précipitent comme pour fuir, se ruer vers la mer. Les banderilles de la pluie hachent les feuilles des platanes, les feuilles de la vigne vierge. Elles saccagent la belle parure rouge qui recouvre la tonnelle du bar des Amis, et Thérèse s'apprête à aller retrouver Roland, qui, là-bas, l'attend.
"Tu ne peux pas sortir avec ce temps, c'est de la folie."
Thérèse va y aller, elle n'a peur de rien. Rien ne l'arrête. Aucune colère humaine ou divine, aucune tempête, tornade, bourrasque. Les épreuves, elle connaît, sa volonté parle plus haut que les éléments déchaînés, et l'orage, le grondement superbe qu'elle a au-dedans est plus violent que celui du dehors. Et puis le ciel exaspéré, illuminé d'éclairs. Tu comptes jusqu'à trois et le tonnerre éclate, elle aime, elle aime, elle aime les extrêmes.
Marcher, avancer, aller vers lui, c'est aller vers elle, savoir qui elle est, sortir de sa chrysalide, éclore, fleurir, ramasser au passage ses désirs essaimés. Alors Madeleine met son chapeau, s'empare du parapluie de berger, souvenir de Maestro Francesco, grand, assez large pour deux.
"Allons-y, elle dit, je viens avec toi."
Sursaut, montée de romantisme qui, avec son goût de l'impossible, ses aspirations vers l'absolu, se plaît dans la tourmente, préfère l'automne au printemps, certainement l'hiver à l'été. Que sa fille soit comblée, heureuse comme elle ne l'a jamais été. Passage des songes de Madeleine. Alcôves tapissées de velours où viennent se poser les soupirs amoureux. Mirage de Nice, la nuit dans le jardin qui surplombait la mer. Mon Dieu, que d'images, que le temps n'estompe pas mais qu'il adoucit, peu à peu édulcore. Que de péchés inassouvis, absous par la résignation, la routine, une maille à l'endroit, une maille à l'envers, c'est simple tu sais, tu continues c'est toujours pareil, tu somnoles toutes lumières éteintes, délectation morose, bienheureuse béatitude. Ah ! mais d'un coup quelque chose te réveille, un bric-à-brac de sentiments disparates, la joie, l'espoir, l'enthousiasme, la peur et puis quoi, il vaut mieux se perdre de sa passion que perdre sa passion. Aujourd'hui, dans la ville déserte, deux femmes, deux guerrières affrontent la mitraille de la pluie, de l'eau jusqu'aux chevilles. Thérèse tire sa jambe lourde avec son pied qui s'enfonce dans la boue. Têtue la jambe, une vraie mule. Elle résiste.
"Allez avance, encore un effort."
Entre Thérèse et sa jambe c'est toujours comme ça, elle lui parle, elle l'insulte, elle la supplie.
"Allez on n'arrivera jamais, Roland sera parti."
Roland est là. Dans la pénombre. À cause de la tempête la ville est sans lumière. Sur le comptoir, sur les tables, des bougies éclairent vaguement la salle, leurs flammes mouvantes projettent sur les murs un va-et-vient de clarté. Roland est là, souriant, sympathique. Magnétisme de celui qui veut conquérir, et cette chose qui vous enjôle, vous engourdit, c'est le charme.
En fait j'aime beaucoup ces figures de confusion (pluie de Cayenne, rues de Bastia, amant de Lorraine, chapeau d'Italie et rêves niçois ; la mère et la fille, contre et avec ; passé, présent, avenir du désir). Figure-maëlstrom qu'il est si enivrant de découvrir dans la littérature corse.
(AJOUT DU DIMANCHE 28 MARS 2010 : je signale ici une autre lecture de ce roman, par Paul M., sur le site de Musa Nostra, lecture très instructive qui montre que le charme du livre opére de bien des façons).
mercredi 24 février 2010
"A propos des prix", par Malko Nimu
Je reporte ici un commentaire envoyé à la suite du billet précédent mais qui évoque un autre sujet que celui du billet. Comme il comporte une question, il peut peut-être susciter des réponses ?
Le voici :
A propos des prix
Je voudrais que quelqu’un m’explique pourquoi et par qui le Murtoriu de M. Biancarelli a été évincé de la sélection finale du Prix des lecteurs corses où ne reste qu’un recueil de poèmes, très beau, de A. Di Meglio (mais déjà primé ailleurs), une bande dessinée (certes d’un éditeur), un autre recueil de poèmes celui de N. Paganelli, et deux autres livres, je prie leurs auteurs de me pardonner mais je n’ai pas retenu leurs noms. Pas le moindre sélectionné insulaire pour les ouvrages en langue française.
J’ai le sentiment confus qu’un grand n’importe quoi gouverne les choses de la littérature en Corse et qu’il devient urgent de créer des prix spécifiques avec des jurés compétents pour chaque genre.
Malko Nimu
Une question subsidiaire : où peut-on prendre connaissance de cette liste ? (Y a-t-il eu un article dans la presse ?)
Premier élément de réponse à la question de Malko Nimu, trouvé sur le site de la Collectivité territoriale de Corse, qui organise le "Prix des lecteurs de Corse" : ici.
Je ne sais pas si la CTC communique le nombre de votes dans chaque bibliothèque et si chaque vote correspond à une lecture effective des livres élus (c'est à supposer bien sûr). J'ai souvenir de Jacques Thiers disant (publiquement, je ne révèle rien ici) combien il y avait un gouffre entre le nombre de votants pour l'ouvrage en langue française et celui pour l'ouvrage en langue corse (il avait obtenu le prix la même année que Muriel Barbéry pour son "Elégance du hérisson").
En tout cas, j'adorerais lire les récits de lecture - ici ou ailleurs, bien sûr - de tous ces lecteurs !
Voici donc une discussion (courtoise) en perspective, avec des amoureux des livres et de la Corse.
Le voici :
A propos des prix
Je voudrais que quelqu’un m’explique pourquoi et par qui le Murtoriu de M. Biancarelli a été évincé de la sélection finale du Prix des lecteurs corses où ne reste qu’un recueil de poèmes, très beau, de A. Di Meglio (mais déjà primé ailleurs), une bande dessinée (certes d’un éditeur), un autre recueil de poèmes celui de N. Paganelli, et deux autres livres, je prie leurs auteurs de me pardonner mais je n’ai pas retenu leurs noms. Pas le moindre sélectionné insulaire pour les ouvrages en langue française.
J’ai le sentiment confus qu’un grand n’importe quoi gouverne les choses de la littérature en Corse et qu’il devient urgent de créer des prix spécifiques avec des jurés compétents pour chaque genre.
Malko Nimu
Une question subsidiaire : où peut-on prendre connaissance de cette liste ? (Y a-t-il eu un article dans la presse ?)
Premier élément de réponse à la question de Malko Nimu, trouvé sur le site de la Collectivité territoriale de Corse, qui organise le "Prix des lecteurs de Corse" : ici.
Je ne sais pas si la CTC communique le nombre de votes dans chaque bibliothèque et si chaque vote correspond à une lecture effective des livres élus (c'est à supposer bien sûr). J'ai souvenir de Jacques Thiers disant (publiquement, je ne révèle rien ici) combien il y avait un gouffre entre le nombre de votants pour l'ouvrage en langue française et celui pour l'ouvrage en langue corse (il avait obtenu le prix la même année que Muriel Barbéry pour son "Elégance du hérisson").
En tout cas, j'adorerais lire les récits de lecture - ici ou ailleurs, bien sûr - de tous ces lecteurs !
Voici donc une discussion (courtoise) en perspective, avec des amoureux des livres et de la Corse.
mardi 23 février 2010
Le jeu de la vérité
Alors, allons-y, ce soir, dans ce que nous pourrions appeler "le jeu de la vérité" (belle et profonde expression, je trouve).
J'ai lu "U vantu di a puvartà" de Marceddu Jureczek (coédition Cismonte è Pumonti et Matina Latina, 2008), il y a plusieurs mois déjà. Mes lacunes en langue corse m'empêchent de comprendre l'intégralité de chaque phrase, mais je pense avoir saisi l'essentiel. Cet "éloge de la pauvreté", j'en ai apprécié le fond et la forme : 50 brèves pages qui synthétisent une critique de la société de consommation actuelle, version insulaire (les premières pages m'ont enchanté : invitant le lecteur à s'asseoir avec l'auteur devant un lycée et à regarder attentivement les élèves qui en sortent).
Mais quand je repense à cet ouvrage (cela me fait penser qu'il faut absolument que je lise son roman "Ghjuventù, ghjuventù" ! Je ne retrouve pas une critique de Marcu Biancarelli qui m'avait donné envie de me plonger dans ce livre...), quand je repense à cet ouvrage, disais-je, il m'en reste peu de choses en mémoire : l'impression d'avoir déjà lu ce qui y était dit (MB rapproche d'ailleurs les propos de Jureczek de ceux de George Orwell, tout était donc déjà dit ?). Ma lecture doit être erronnée et je fais état ici d'une impression, n'hésitez pas à la discuter (d'ailleurs - fait très appréciable - l'auteur de "U vantu di a puvartà" appelle lui aussi ses lecteurs à critiquer ses idées et sa posture, qu'il ne veut pas dénonciatrice et pessimiste à outrance mais analytique et optimiste). La fin de cet essai m'a donc déçu : donc, il faut faire un effort sur soi pour sortir du comportement consumériste, refuser l'hédonisme et l'égoïsme, l'individualisme, retrouver des valeurs antiques de solidarité sans être passéiste. Bien.
Et puis ce soir, j'ai repris l'ouvrage, avec en tête une petite musique qui grésille, la petite musique d'une expression corse que je ne suis même pas sûr de bien comprendre ("tenir compte", "prendre soin", "faire attention" ?) : "tene à contu".
Je cherche le passage où se trouve cette expression : des mots de sa grand-mère maternelle (à qui est dédié le livre), mots qui sont restés dans sa mémoire, "tenilu à contu". Je trouve : ce sont les pages 49 à 51. Pour moi, elles sont le coeur vivant du livre, elles me sont précieuses ; voici comment je les "lis" : elles sont l'image même de ce que j'aimerais faire : collecter ainsi ce qui pourrait paraître inutile, de peu de valeur, mais qui recèle pourtant de nouveaux usages, de nouvelles façons de faire et de penser. Pages allégoriques d'une (pauvre) littérature (corse) que l'on doit constituer de bric et de broc (avec des morceaux de textes à peine lus, oubliés, ou resssassés et assimilés, excellents ou mauvais, stockés au cas où..., remis en circulation pour voir si...), selon les circonstances, les désirs - parfois contradictoires.
Selon l'auteur, l'être humain ne peut être réduit à un "morceau de chair avec deux yeux" (la phrase - très dans le style de Rinatu Coti (non ?) - se trouve en quatrième de couverture : "Ma cà un pezzu di carri cù dui ochji ùn pò essa l'omu...") : ce qui le définit, dignement, c'est donc cette injonction - combien difficile, combien difficile - d'avoir le souci de...
Voici le passage (vous n'êtes peut-être pas d'accord avec moi ?) :
U primu passu u ci faremu tempi fà, ma oh ! un passatu vicinu vicinu, eppuri chì mi pari un antru mondu à mè. Quiddu passatu ch'e dicu s'hè spintu à tempu à tina di minnanna, mamma di mamma. Morta à 92 anni, a puvaretta era nata cù u seculu dicenovi, in Borgu, u carrughju pupulari d'Aiacciu, pupulatu tandu à paisani scalati è à ghjugniticci. Za Catalì, o Nannò, era cusì chì tutti a chjamavami, chjuchi è maiori. È mi volta in menti stu passatu cù ciò ch'edda dicìa Nannò : "Tenilu à contu". Sò i paroli di soi chì mi fermani u più impressi. Comu sarà ? Ùn la saparìu dì di fatti. Forsa par via chì sti pochi paroli tandu mi parìani d'andà bè bè à l'aritrosa di u mondu ch'e cunniscìu eiu, dicu di u mondu matiriali mudernu cù a so accatamassera di robba in sopra più, prestu compra, prestu ghjittata. "Tena à contu", è par chì, quandu tuttu vi veni ammanitu, u più nicissariu è à tempu à u più inutuli ? Erani sti paroli strani ch'edda mi dicìa Nannò quand'e mi sciaccavu quiddu paghju di scarpi framanti novi. Erani sti paroli ch'edda dicìa quandu chì mamma mi cumprava calchì ghjuculeddu : "Tenilu à contu". À tempu à 'ssu cumandu, c'erani i fatti. Erami in Natali è comu s'usa à fà oghji chì hè oghji, si rigala è si ricevi cicculata à vulenni più. Nannò, di fòrvici, attaccava à taglià i cuparchjuli di i scatuletti di a cicculata : annantu, à quandu v'era una ghjatta alliscendusi, à quandu un vasettu cù fiori di centu culori spampillulenti, o calchì babbu Natali grassottulu in a so coltra rossa, ammaschittatu, à boccarisa. Cusì dicìa edda : "Chì piccatu di ghjittalli tutti 'ssi beddi quatri". Eppo ni facìa altr'è tantu cù quiddi frisgetti rossi o ciaddi è i sacchetti di u plàsticu ch'e no tiravami in a rumenzula in abbundenza, tutti quanti sìmbuli cumpiti di a noscia sucità di u cunsumu è di u frazu sfrinatu. Ebbè edda, i si tinìa, l'allucava, casu mai pudissini ghjuvà un antru pocu, casu mai vinissini à mancà, ch'e no i bramessimi. Tandu, eiu, zitiddacciu, ùn a li facìu micca à capì u veru fondu di a so andatura. Circavu à spiicaddila à minnanna, à cunvertala à l'usi è à i valori di u mondu d'avali. In darru. Isacchetti imbriavani i tiretti, i quatri di a cicculata s'allibravani nantu à cridenza. Eppo ci era l'altru restu : pezzi di stofa, bichjeri di a mustarda, buttigli di licori... Comu ? Sfrumbulà tutta 'ssa roba ? Era for di ciò ch'edda pudìa intenda : chì ci fussi tanta è tanta ghjenti techja abbastanza da ghjittà cosi utuli.
(Je me rends compte maintenant - en fin d'écriture de ce billet, alors que je cherche sur Internet le moyen de faire acheter l'ouvrage - que la présentation de ce livre sur le blog "Avali" met elle aussi l'accent sur l'expression "tene à contu" (traduite par "prendre soin") ! Je ne sais pas qui a écrit cette présentation ; l'auteur lui-même ?)
J'ai lu "U vantu di a puvartà" de Marceddu Jureczek (coédition Cismonte è Pumonti et Matina Latina, 2008), il y a plusieurs mois déjà. Mes lacunes en langue corse m'empêchent de comprendre l'intégralité de chaque phrase, mais je pense avoir saisi l'essentiel. Cet "éloge de la pauvreté", j'en ai apprécié le fond et la forme : 50 brèves pages qui synthétisent une critique de la société de consommation actuelle, version insulaire (les premières pages m'ont enchanté : invitant le lecteur à s'asseoir avec l'auteur devant un lycée et à regarder attentivement les élèves qui en sortent).
Mais quand je repense à cet ouvrage (cela me fait penser qu'il faut absolument que je lise son roman "Ghjuventù, ghjuventù" ! Je ne retrouve pas une critique de Marcu Biancarelli qui m'avait donné envie de me plonger dans ce livre...), quand je repense à cet ouvrage, disais-je, il m'en reste peu de choses en mémoire : l'impression d'avoir déjà lu ce qui y était dit (MB rapproche d'ailleurs les propos de Jureczek de ceux de George Orwell, tout était donc déjà dit ?). Ma lecture doit être erronnée et je fais état ici d'une impression, n'hésitez pas à la discuter (d'ailleurs - fait très appréciable - l'auteur de "U vantu di a puvartà" appelle lui aussi ses lecteurs à critiquer ses idées et sa posture, qu'il ne veut pas dénonciatrice et pessimiste à outrance mais analytique et optimiste). La fin de cet essai m'a donc déçu : donc, il faut faire un effort sur soi pour sortir du comportement consumériste, refuser l'hédonisme et l'égoïsme, l'individualisme, retrouver des valeurs antiques de solidarité sans être passéiste. Bien.
Et puis ce soir, j'ai repris l'ouvrage, avec en tête une petite musique qui grésille, la petite musique d'une expression corse que je ne suis même pas sûr de bien comprendre ("tenir compte", "prendre soin", "faire attention" ?) : "tene à contu".
Je cherche le passage où se trouve cette expression : des mots de sa grand-mère maternelle (à qui est dédié le livre), mots qui sont restés dans sa mémoire, "tenilu à contu". Je trouve : ce sont les pages 49 à 51. Pour moi, elles sont le coeur vivant du livre, elles me sont précieuses ; voici comment je les "lis" : elles sont l'image même de ce que j'aimerais faire : collecter ainsi ce qui pourrait paraître inutile, de peu de valeur, mais qui recèle pourtant de nouveaux usages, de nouvelles façons de faire et de penser. Pages allégoriques d'une (pauvre) littérature (corse) que l'on doit constituer de bric et de broc (avec des morceaux de textes à peine lus, oubliés, ou resssassés et assimilés, excellents ou mauvais, stockés au cas où..., remis en circulation pour voir si...), selon les circonstances, les désirs - parfois contradictoires.
Selon l'auteur, l'être humain ne peut être réduit à un "morceau de chair avec deux yeux" (la phrase - très dans le style de Rinatu Coti (non ?) - se trouve en quatrième de couverture : "Ma cà un pezzu di carri cù dui ochji ùn pò essa l'omu...") : ce qui le définit, dignement, c'est donc cette injonction - combien difficile, combien difficile - d'avoir le souci de...
Voici le passage (vous n'êtes peut-être pas d'accord avec moi ?) :
U primu passu u ci faremu tempi fà, ma oh ! un passatu vicinu vicinu, eppuri chì mi pari un antru mondu à mè. Quiddu passatu ch'e dicu s'hè spintu à tempu à tina di minnanna, mamma di mamma. Morta à 92 anni, a puvaretta era nata cù u seculu dicenovi, in Borgu, u carrughju pupulari d'Aiacciu, pupulatu tandu à paisani scalati è à ghjugniticci. Za Catalì, o Nannò, era cusì chì tutti a chjamavami, chjuchi è maiori. È mi volta in menti stu passatu cù ciò ch'edda dicìa Nannò : "Tenilu à contu". Sò i paroli di soi chì mi fermani u più impressi. Comu sarà ? Ùn la saparìu dì di fatti. Forsa par via chì sti pochi paroli tandu mi parìani d'andà bè bè à l'aritrosa di u mondu ch'e cunniscìu eiu, dicu di u mondu matiriali mudernu cù a so accatamassera di robba in sopra più, prestu compra, prestu ghjittata. "Tena à contu", è par chì, quandu tuttu vi veni ammanitu, u più nicissariu è à tempu à u più inutuli ? Erani sti paroli strani ch'edda mi dicìa Nannò quand'e mi sciaccavu quiddu paghju di scarpi framanti novi. Erani sti paroli ch'edda dicìa quandu chì mamma mi cumprava calchì ghjuculeddu : "Tenilu à contu". À tempu à 'ssu cumandu, c'erani i fatti. Erami in Natali è comu s'usa à fà oghji chì hè oghji, si rigala è si ricevi cicculata à vulenni più. Nannò, di fòrvici, attaccava à taglià i cuparchjuli di i scatuletti di a cicculata : annantu, à quandu v'era una ghjatta alliscendusi, à quandu un vasettu cù fiori di centu culori spampillulenti, o calchì babbu Natali grassottulu in a so coltra rossa, ammaschittatu, à boccarisa. Cusì dicìa edda : "Chì piccatu di ghjittalli tutti 'ssi beddi quatri". Eppo ni facìa altr'è tantu cù quiddi frisgetti rossi o ciaddi è i sacchetti di u plàsticu ch'e no tiravami in a rumenzula in abbundenza, tutti quanti sìmbuli cumpiti di a noscia sucità di u cunsumu è di u frazu sfrinatu. Ebbè edda, i si tinìa, l'allucava, casu mai pudissini ghjuvà un antru pocu, casu mai vinissini à mancà, ch'e no i bramessimi. Tandu, eiu, zitiddacciu, ùn a li facìu micca à capì u veru fondu di a so andatura. Circavu à spiicaddila à minnanna, à cunvertala à l'usi è à i valori di u mondu d'avali. In darru. Isacchetti imbriavani i tiretti, i quatri di a cicculata s'allibravani nantu à cridenza. Eppo ci era l'altru restu : pezzi di stofa, bichjeri di a mustarda, buttigli di licori... Comu ? Sfrumbulà tutta 'ssa roba ? Era for di ciò ch'edda pudìa intenda : chì ci fussi tanta è tanta ghjenti techja abbastanza da ghjittà cosi utuli.
(Je me rends compte maintenant - en fin d'écriture de ce billet, alors que je cherche sur Internet le moyen de faire acheter l'ouvrage - que la présentation de ce livre sur le blog "Avali" met elle aussi l'accent sur l'expression "tene à contu" (traduite par "prendre soin") ! Je ne sais pas qui a écrit cette présentation ; l'auteur lui-même ?)
lundi 22 février 2010
"Jeremiah", de Joseph Chiari, suite...
Un petit dossier autour de ce "Jeremiah", de Joseph Chiari, étrange développement poétique anglophone à partir du travail plastique de Toni Casalonga à la fin des années 1970 :
1. Introitu de Francis Beretti à l'édition de "Jeremiah", éditions Accademia d'i Vagabondi, avril 1980.
2. Le poème de Joseph Chiari (dans son intégralité).
3. L'article de recensement de Francis Beretti dans le n° 113 du magazine Kyrn, novembre 1980.
4. Les réponses de Toni Casalonga à mes questions sur tout cela.
(J'indique que pour ceux qui voudraient se procurer l'ouvrage, il faudra se mettre en contact avec Toni Casalonga).
Bonne lecture !
1. Introitu di Francis Beretti (avril 1980)
In a fumaccia è a tristezza piumbina di Londra, scuntrà à Ghjaseppu Chiari, cusì curdiale, hè un ragiu di calore latinu. Una maraviglia, cume a carriera, pocu cumuna, di stu Fiurmubacciu.
Ghjaseppu hè natu in Aiola, vicinu à Poghju di Nazza. Hè sculare in Aiacciu è Bastia, studiante in Ecchisi. In 1938, parte in Iscozia per priparà un dutturatu di literatura. In 1940, si trova incù i partigiani di de Gaulle, ma invece di riparte, à a Liberazione, s'avvezza à u modu di vive, o megliu, à u modu di scrive, britannicu. Acquistà a maestria d'una lingua micca materna, hè una vera prova. U casu di u Polaccu Conrad diventatu un classicu inglese hè quasi unicu. Difatti, Chiari hè u scrittore corsu u più cunnisciutu for di casa, cun antologie, critiche literarie, memorie chì trattanu di T.S. Eliot, prisentazione turistica di "l'Isula di Culombu", assaghji estetichi è filosofichi, è puesie. Una trentina di libri, un solu in francese, Sampieru Corsu. Un eccessione significante. Fra e so opere e più cummuvente, una, Homeward Bound, Ver di Casa, secondu a traduzzione di Pasquale Marchetti, rammenta a nostalgia strana, quand'elli rivenenu in core i lochi di a so zitellina.
A tempu Toni Casalonga li mustrò a so seria di studii eleganti è fantastichi di un Geremia penserosu e serenu, Chiari ebbe a primura d'illustrà, o piuttostu d'interpretà, sti dissegni cun un puema. Jeremiah rispetta u spiritu di u Testamentu, cù a so visione apocalittica d'una terra in cumbugliu, trasiccata è tenebrosa, a maledizzione di u diu vindicatore, chì mena i prufittori techji è indegni, l'omu chì si fida à l'omu è micca à Geova, cumanda à u faraone di carcà u populu sceltu cun una coppia di ferru, castica à Gerusalemme, è surveglia senza pietà a marchja di i figlioli spapersi d'Adamu in cerca di l'Eden. Ancu in l'evocazione di u macellu di i Ghudei in i campi nazi un cuntrasta mica cù e Scritture : l'oraculi eranu spessu fatti dopu l'evenimenti.
A nota persunale chì Chiari aghjusta à st'ambiente di scumpientu hè l'umanizazzione di Geremia. Cio chì, in u scrittu sacru, era solu una parolla immateriale, l'incarna in un saviu invechjatu, stancu di mughjà elegie tremende, è di soffre crepacori, chì, in u splendore auturnale, cume a culomba à l'orlu di l'abissu, brama di sfugassi di li so affanni. Quì, forse, si toccanu mitologia è verità intima. L'ultimu sognu di u prufeta, u ritornu versu u valdu verde di u paradisu, serà u scopu di u pueta spiantatu, fiaccu di caminà in u desertu, ed oramai appaciatu cù a so isula nativa.
2. "Jeremiah", by Joseph Chiari (avril 1980)
The autumn sun, on the brow of the hill,
Floods evening sky and shimmering sea
With gold, orange, saffron and red.
I, an old man, worn out and tired
With all the parts that I have played,
Sit and wait, longing for the voice
That will call me back to the fire,
Whence all things surge and to which they return,
Where pains and pleasures, joys and sorrows,
And all beginnings and ends of human life,
Winged on air, or wracked on seas,
Through endless summers and winters,
Are finally fused into the embers of Eternity.
From a rocky ledge, overlooking the plain,
I watch, in the darkening sky, a hawk
Hovering over crags and feathery pines,
Shot through with shafts of setting light ;
Below me, olive groves, lentisks, thyme,
Wild flowers criss-crossed with bees,
While fire-flies weave through leaves
A dazzling dance of silver arrows.
Further down, across the haze-covered plain,
With closed eyes I see countless shapes
Running in all directions, colliding, falling,
Picking themselves up, scurrying like ants
Into holes, or tumbling down in heaps,
With no more apparent pattern or purpose
Than bubbling water in a giant cauldron -
Hairless animals, sparks of the Divine,
Brothers to the stones, the water and the birds -
They are Adam's forlorn children
Romaing the earth in search of Eden.
Beyond the chasm of chaotic years
I see the mountains I have climbed,
The deserts I have crossed, and the visions
Of apocalypse which, in words not my own,
I have painted, and I hear the voice
Of the unutterable Name that spoke the love
That led His children out of Egypt,
Across deserts and the Red Sea, to Mount Sinai
Where He gave Moses the Laws
For His chosen people to follow.
I see the narrow backstreets of Jerusalem
Teeming with life, and teeming with Death,
And I see my people swept by appetites
And personal ambition, tied to alien gods,
Herded like flocks of sheep, in camps,
Hounded and slaughtered in strange lands,
Leaving behind Jerusalem, soiled, widowed,
Sunk in affliction, her temple destroyed,
And I remember fear in my parched throat
And impotent rage at the aching thought
That I could do nothing to prevent the sorrow
And the death my people had to undergo.
It is all written in the Book of Time,
And, at God's command, men and Nations
Rise and play their appointed parts ;
Thus, Pharaoh had to oppress and kill,
And Moses to lead his people through deserts
To the Promised Land, where, surfeited
With pleasures and riches, they soon turned
To man-made gods and forgot their own ;
Thus, Nebuchadnezzar had to surge from his eagle's nest
And carve out a vaste empire, which in turn
Had to be torn apart, and broken down,
So that Israel could rise from its rubble,
And return to its God, and to its land.
Full moons, waning moons,
Revolutions of the sun, cycles of seasons,
Centuries, millennia will come and go
During which Israel - God's lamb,
God's ram, scapegoat of mankind,
Cherry tree in blossom robbed of its fruit -
Will endure other wars, other exiles,
Bread will again turn to salt, our land
Will again be broken up and given to men
Worshipping strange gods, and great holocausts
Will again befall our people before they return,
At last, to the land God gave to Moses.
Whatever happens was bound to happen,
And will happen again, and again, until
Every man, sieved through metamorphoses and cycles,
Has discovered and exhausted his essential part,
And through knowing it, reached his eternity.
In God's mind, there are no yesterdays,
Or tomorrows, there is only now,
And in His light, we are only shadows
Of dreams, treading our numbered paths,
With our allotted load of joys and sorrows,
Living our deaths, dying our lives,
Transmuted by the timeless mind into the music
That sings over seas, hills and isles,
Or in shells asleep by the ocean shores.
I have seen it all, and I know it all,
But this great Book, handed from prophet
To prophet, is heavy to carry, its contente
Unbearable, and my sheperd's crook or iron
Is too heavy to handle ; I wish I had never been born,
I wish I was back in the Divine kiln
And the light of light, without darkness,
Where God hammers into truth what life begins !
O God, forgive such thoughts and regrets !
Forgive me, as You forgave Your people ;
I am now on the donyard side of the hill,
And at my back, Your breath oppresses
Me with visions of burning cities and agonies
On hilltops that break the heart !
O God, let my eyes be closed, and my voice
Be stilled, and let me cease to ache
At visions that scorch and scar the mind,
And the sight of men, women and children
Consumed by fire, or nailed on crosses !
Let me sleep for Time's lenght, and only awaken
When Death on the Hill has been undone,
When men and animals - wild and tame -
And all birds and flowers live as brothers
In a world of light without shadows,
And man's long journey from fallen grace
Has ended on the green slopes of Paradis.
3. Article de Francis Beretti dans Kyrn (novembre 1980)
Un poème hors du commun
Ils sont fous ces artistes ! Songer à publier un poème en anglais introduit par une notice en corse, et illustré par des eaux-fortes fantastiques, il fallait l'audace et l'originalité de Toni Casalonga pour s'y risquer.
Le portefeuille, de grand format, de plein cuir de mouton patiné à l'ancienne, marqué au fer d'un dessin, dû au talent d'Alain Maini, est un plaisir pour l'oeil et pour la main. Maini, relieur attitré de l'Accademia d'i Vagabondi, a aussi conçu un beu jeu de l'oie - échiquier en cuir frappé. Avec sa marque de fabrique, une élégance hiératique, Casalonga a corsisé un thème antique. Un personnage étrange, méditatif, porte une tête de mouflon décharnée en guise de bucrane des Grecs et des Romains, et une rustaghja en guise de sceptre. Les paysages esquissés ont une sérénité biblique. Jeremiah, c'est Jérémie, le prophète d'Israël qui annonça les malheurs du royaume de Judas. Joseph Chiari, le poète-philosophe corse qui a choisi de s'exprimer dans la langue de T.S. Eliot, respecte l'esprit de l'ancien Testament, avec son évocation apocalyptique d'une terre désséchée assombrie par les malédictions d'un Jéhovah vengeur qui fustige les hommes oublieux des valeurs spirituelles. Son allusion à l'holocauste du peuple juif, "pourchassé et massacré dans des pays inconnus" prend une tragique résonnance d'actualité, en ces jours où des détraqués aveuglés par la haine raciste mitraillent des crèches et dynamitent des synagogues.
Jeremiah, c'est aussi le poète qui prie pour que cessent ces visions qui lui brûlent le coeur. Il aspire à ne plus se réveiller qu'à la fin des temps, quand la mort, les ténèbres, et la déchéance, seront abolies.
4. Réponses de Toni Casalonga à quelques-unes de mes questions (février 2010)
Q : Comment vous est-il
venu de travailler cette figure de Jérémie ? d'en faire un mouflon ?
Pourquoi ? Je me rappelle que dans l'ouvrage de Florence Antomarchi,
vous aviez expliqué que vous vous étiez rendu compte qu'autour des
événements d'Aleria vous vous étiez mis à dessiner à des boucs,
l'animal de la tragédie (le chant du bouc).
R : Cette année 1978 fut pour moi une année d'interrogations à la fois personnelles et générales, et la figure de Jérémie me semblait convenir pour les exprimer. Transformer le personnage en lui donnant une figure de muvra s'est fait le plus naturellement du monde : cet animal n'est-il pas la plus belle représentation de notre île ?
Q : F. Beretti écrit dans son "introitu" : "A tempu Toni Casalonga li mustrò
a so seria di studii eleganti e fantastichi di un Geremia penserosu e
serenu. Chiari ebbe a primura d'illustrà, o piuttostu d'interpretà,
sti dissegni cun un puema." Pourquoi lui avez-vous montré ces
dessins ?
R : Tout simplement parce que, comme chaque année, il faisait un séjour en Balagne chez des amis communs et qu'à cette occasion il ne manquait jamais de me demander de lui montrer mes derniers travaux.
Q : Aviez-vous l'idée de lui demander d'écrire un poème ou cela
s'est-il fait de façon imprévisible ? Est-ce une commande de votre part ?
R : Non, jamais je n'aurais pensé à le lui demander.
Q : Connaissiez-vous Joseph Chiari, son oeuvre ?
R : Oui, je connaissais Joseph Chiari depuis fort longtemps, car quand j'étais encore étudiant aux Beaux-Arts à Paris, au début des années 60, Dominique Alfonsi, qui présidait l'UNEC, voulait monter son Sampiero Corso et j'avais donc travaillé avec lui sur le projet de décors. La chose ne s'est pas réalisée, mais nous sommes restés amis, malgré la différence notable d'age.
Q : Aviez-vous en tête de publier ainsi un texte écrit en anglais ?
R : J'avais déja illustré et publié, par l'Accademia, Homeward, en anglais bien sûr avec une belle traduction que j'avais demandée à Pasquale Marchetti. Donc, quand Jo est revenu me voir en me disant regarde ce que j'ai écrit à partir de tes gravures, et qu'il m'en a fait à haute voix au fil de la lecture une traduction mezza corsa-mi française, il m'est apparu évident que nous allions l'éditer.
Q : Y a-t-il un lien avec Bastelica-Fesch ? (parution de "Jeremiah",
avril 1980 / affaire Bastelica-Fesch, janvier 1980). J'ai déjà écrit
un billet qui évoque ces événements.
R : Non, car tout le processus amenant à la publication s'était déroulé bien avant, mais la situation générait alors à la fois ce genre de sentiment et ce genre d'action (et de réaction !) sans qu'ils soient liées entre eux.
Q : Ou bien le lien est-il à faire avec ce que Francis Beretti évoque
dans son article de Kyrn : ""en ces jours où des détraqués aveuglés
par la haine raciste mitraillent des crèches et dynamitent des
synagogues."
R : Sans doute !
1. Introitu de Francis Beretti à l'édition de "Jeremiah", éditions Accademia d'i Vagabondi, avril 1980.
2. Le poème de Joseph Chiari (dans son intégralité).
3. L'article de recensement de Francis Beretti dans le n° 113 du magazine Kyrn, novembre 1980.
4. Les réponses de Toni Casalonga à mes questions sur tout cela.
(J'indique que pour ceux qui voudraient se procurer l'ouvrage, il faudra se mettre en contact avec Toni Casalonga).
Bonne lecture !
1. Introitu di Francis Beretti (avril 1980)
In a fumaccia è a tristezza piumbina di Londra, scuntrà à Ghjaseppu Chiari, cusì curdiale, hè un ragiu di calore latinu. Una maraviglia, cume a carriera, pocu cumuna, di stu Fiurmubacciu.
Ghjaseppu hè natu in Aiola, vicinu à Poghju di Nazza. Hè sculare in Aiacciu è Bastia, studiante in Ecchisi. In 1938, parte in Iscozia per priparà un dutturatu di literatura. In 1940, si trova incù i partigiani di de Gaulle, ma invece di riparte, à a Liberazione, s'avvezza à u modu di vive, o megliu, à u modu di scrive, britannicu. Acquistà a maestria d'una lingua micca materna, hè una vera prova. U casu di u Polaccu Conrad diventatu un classicu inglese hè quasi unicu. Difatti, Chiari hè u scrittore corsu u più cunnisciutu for di casa, cun antologie, critiche literarie, memorie chì trattanu di T.S. Eliot, prisentazione turistica di "l'Isula di Culombu", assaghji estetichi è filosofichi, è puesie. Una trentina di libri, un solu in francese, Sampieru Corsu. Un eccessione significante. Fra e so opere e più cummuvente, una, Homeward Bound, Ver di Casa, secondu a traduzzione di Pasquale Marchetti, rammenta a nostalgia strana, quand'elli rivenenu in core i lochi di a so zitellina.
A tempu Toni Casalonga li mustrò a so seria di studii eleganti è fantastichi di un Geremia penserosu e serenu, Chiari ebbe a primura d'illustrà, o piuttostu d'interpretà, sti dissegni cun un puema. Jeremiah rispetta u spiritu di u Testamentu, cù a so visione apocalittica d'una terra in cumbugliu, trasiccata è tenebrosa, a maledizzione di u diu vindicatore, chì mena i prufittori techji è indegni, l'omu chì si fida à l'omu è micca à Geova, cumanda à u faraone di carcà u populu sceltu cun una coppia di ferru, castica à Gerusalemme, è surveglia senza pietà a marchja di i figlioli spapersi d'Adamu in cerca di l'Eden. Ancu in l'evocazione di u macellu di i Ghudei in i campi nazi un cuntrasta mica cù e Scritture : l'oraculi eranu spessu fatti dopu l'evenimenti.
A nota persunale chì Chiari aghjusta à st'ambiente di scumpientu hè l'umanizazzione di Geremia. Cio chì, in u scrittu sacru, era solu una parolla immateriale, l'incarna in un saviu invechjatu, stancu di mughjà elegie tremende, è di soffre crepacori, chì, in u splendore auturnale, cume a culomba à l'orlu di l'abissu, brama di sfugassi di li so affanni. Quì, forse, si toccanu mitologia è verità intima. L'ultimu sognu di u prufeta, u ritornu versu u valdu verde di u paradisu, serà u scopu di u pueta spiantatu, fiaccu di caminà in u desertu, ed oramai appaciatu cù a so isula nativa.
2. "Jeremiah", by Joseph Chiari (avril 1980)
The autumn sun, on the brow of the hill,
Floods evening sky and shimmering sea
With gold, orange, saffron and red.
I, an old man, worn out and tired
With all the parts that I have played,
Sit and wait, longing for the voice
That will call me back to the fire,
Whence all things surge and to which they return,
Where pains and pleasures, joys and sorrows,
And all beginnings and ends of human life,
Winged on air, or wracked on seas,
Through endless summers and winters,
Are finally fused into the embers of Eternity.
From a rocky ledge, overlooking the plain,
I watch, in the darkening sky, a hawk
Hovering over crags and feathery pines,
Shot through with shafts of setting light ;
Below me, olive groves, lentisks, thyme,
Wild flowers criss-crossed with bees,
While fire-flies weave through leaves
A dazzling dance of silver arrows.
Further down, across the haze-covered plain,
With closed eyes I see countless shapes
Running in all directions, colliding, falling,
Picking themselves up, scurrying like ants
Into holes, or tumbling down in heaps,
With no more apparent pattern or purpose
Than bubbling water in a giant cauldron -
Hairless animals, sparks of the Divine,
Brothers to the stones, the water and the birds -
They are Adam's forlorn children
Romaing the earth in search of Eden.
Beyond the chasm of chaotic years
I see the mountains I have climbed,
The deserts I have crossed, and the visions
Of apocalypse which, in words not my own,
I have painted, and I hear the voice
Of the unutterable Name that spoke the love
That led His children out of Egypt,
Across deserts and the Red Sea, to Mount Sinai
Where He gave Moses the Laws
For His chosen people to follow.
I see the narrow backstreets of Jerusalem
Teeming with life, and teeming with Death,
And I see my people swept by appetites
And personal ambition, tied to alien gods,
Herded like flocks of sheep, in camps,
Hounded and slaughtered in strange lands,
Leaving behind Jerusalem, soiled, widowed,
Sunk in affliction, her temple destroyed,
And I remember fear in my parched throat
And impotent rage at the aching thought
That I could do nothing to prevent the sorrow
And the death my people had to undergo.
It is all written in the Book of Time,
And, at God's command, men and Nations
Rise and play their appointed parts ;
Thus, Pharaoh had to oppress and kill,
And Moses to lead his people through deserts
To the Promised Land, where, surfeited
With pleasures and riches, they soon turned
To man-made gods and forgot their own ;
Thus, Nebuchadnezzar had to surge from his eagle's nest
And carve out a vaste empire, which in turn
Had to be torn apart, and broken down,
So that Israel could rise from its rubble,
And return to its God, and to its land.
Full moons, waning moons,
Revolutions of the sun, cycles of seasons,
Centuries, millennia will come and go
During which Israel - God's lamb,
God's ram, scapegoat of mankind,
Cherry tree in blossom robbed of its fruit -
Will endure other wars, other exiles,
Bread will again turn to salt, our land
Will again be broken up and given to men
Worshipping strange gods, and great holocausts
Will again befall our people before they return,
At last, to the land God gave to Moses.
Whatever happens was bound to happen,
And will happen again, and again, until
Every man, sieved through metamorphoses and cycles,
Has discovered and exhausted his essential part,
And through knowing it, reached his eternity.
In God's mind, there are no yesterdays,
Or tomorrows, there is only now,
And in His light, we are only shadows
Of dreams, treading our numbered paths,
With our allotted load of joys and sorrows,
Living our deaths, dying our lives,
Transmuted by the timeless mind into the music
That sings over seas, hills and isles,
Or in shells asleep by the ocean shores.
I have seen it all, and I know it all,
But this great Book, handed from prophet
To prophet, is heavy to carry, its contente
Unbearable, and my sheperd's crook or iron
Is too heavy to handle ; I wish I had never been born,
I wish I was back in the Divine kiln
And the light of light, without darkness,
Where God hammers into truth what life begins !
O God, forgive such thoughts and regrets !
Forgive me, as You forgave Your people ;
I am now on the donyard side of the hill,
And at my back, Your breath oppresses
Me with visions of burning cities and agonies
On hilltops that break the heart !
O God, let my eyes be closed, and my voice
Be stilled, and let me cease to ache
At visions that scorch and scar the mind,
And the sight of men, women and children
Consumed by fire, or nailed on crosses !
Let me sleep for Time's lenght, and only awaken
When Death on the Hill has been undone,
When men and animals - wild and tame -
And all birds and flowers live as brothers
In a world of light without shadows,
And man's long journey from fallen grace
Has ended on the green slopes of Paradis.
3. Article de Francis Beretti dans Kyrn (novembre 1980)
Un poème hors du commun
Ils sont fous ces artistes ! Songer à publier un poème en anglais introduit par une notice en corse, et illustré par des eaux-fortes fantastiques, il fallait l'audace et l'originalité de Toni Casalonga pour s'y risquer.
Le portefeuille, de grand format, de plein cuir de mouton patiné à l'ancienne, marqué au fer d'un dessin, dû au talent d'Alain Maini, est un plaisir pour l'oeil et pour la main. Maini, relieur attitré de l'Accademia d'i Vagabondi, a aussi conçu un beu jeu de l'oie - échiquier en cuir frappé. Avec sa marque de fabrique, une élégance hiératique, Casalonga a corsisé un thème antique. Un personnage étrange, méditatif, porte une tête de mouflon décharnée en guise de bucrane des Grecs et des Romains, et une rustaghja en guise de sceptre. Les paysages esquissés ont une sérénité biblique. Jeremiah, c'est Jérémie, le prophète d'Israël qui annonça les malheurs du royaume de Judas. Joseph Chiari, le poète-philosophe corse qui a choisi de s'exprimer dans la langue de T.S. Eliot, respecte l'esprit de l'ancien Testament, avec son évocation apocalyptique d'une terre désséchée assombrie par les malédictions d'un Jéhovah vengeur qui fustige les hommes oublieux des valeurs spirituelles. Son allusion à l'holocauste du peuple juif, "pourchassé et massacré dans des pays inconnus" prend une tragique résonnance d'actualité, en ces jours où des détraqués aveuglés par la haine raciste mitraillent des crèches et dynamitent des synagogues.
Jeremiah, c'est aussi le poète qui prie pour que cessent ces visions qui lui brûlent le coeur. Il aspire à ne plus se réveiller qu'à la fin des temps, quand la mort, les ténèbres, et la déchéance, seront abolies.
4. Réponses de Toni Casalonga à quelques-unes de mes questions (février 2010)
Q : Comment vous est-il
venu de travailler cette figure de Jérémie ? d'en faire un mouflon ?
Pourquoi ? Je me rappelle que dans l'ouvrage de Florence Antomarchi,
vous aviez expliqué que vous vous étiez rendu compte qu'autour des
événements d'Aleria vous vous étiez mis à dessiner à des boucs,
l'animal de la tragédie (le chant du bouc).
R : Cette année 1978 fut pour moi une année d'interrogations à la fois personnelles et générales, et la figure de Jérémie me semblait convenir pour les exprimer. Transformer le personnage en lui donnant une figure de muvra s'est fait le plus naturellement du monde : cet animal n'est-il pas la plus belle représentation de notre île ?
Q : F. Beretti écrit dans son "introitu" : "A tempu Toni Casalonga li mustrò
a so seria di studii eleganti e fantastichi di un Geremia penserosu e
serenu. Chiari ebbe a primura d'illustrà, o piuttostu d'interpretà,
sti dissegni cun un puema." Pourquoi lui avez-vous montré ces
dessins ?
R : Tout simplement parce que, comme chaque année, il faisait un séjour en Balagne chez des amis communs et qu'à cette occasion il ne manquait jamais de me demander de lui montrer mes derniers travaux.
Q : Aviez-vous l'idée de lui demander d'écrire un poème ou cela
s'est-il fait de façon imprévisible ? Est-ce une commande de votre part ?
R : Non, jamais je n'aurais pensé à le lui demander.
Q : Connaissiez-vous Joseph Chiari, son oeuvre ?
R : Oui, je connaissais Joseph Chiari depuis fort longtemps, car quand j'étais encore étudiant aux Beaux-Arts à Paris, au début des années 60, Dominique Alfonsi, qui présidait l'UNEC, voulait monter son Sampiero Corso et j'avais donc travaillé avec lui sur le projet de décors. La chose ne s'est pas réalisée, mais nous sommes restés amis, malgré la différence notable d'age.
Q : Aviez-vous en tête de publier ainsi un texte écrit en anglais ?
R : J'avais déja illustré et publié, par l'Accademia, Homeward, en anglais bien sûr avec une belle traduction que j'avais demandée à Pasquale Marchetti. Donc, quand Jo est revenu me voir en me disant regarde ce que j'ai écrit à partir de tes gravures, et qu'il m'en a fait à haute voix au fil de la lecture une traduction mezza corsa-mi française, il m'est apparu évident que nous allions l'éditer.
Q : Y a-t-il un lien avec Bastelica-Fesch ? (parution de "Jeremiah",
avril 1980 / affaire Bastelica-Fesch, janvier 1980). J'ai déjà écrit
un billet qui évoque ces événements.
R : Non, car tout le processus amenant à la publication s'était déroulé bien avant, mais la situation générait alors à la fois ce genre de sentiment et ce genre d'action (et de réaction !) sans qu'ils soient liées entre eux.
Q : Ou bien le lien est-il à faire avec ce que Francis Beretti évoque
dans son article de Kyrn : ""en ces jours où des détraqués aveuglés
par la haine raciste mitraillent des crèches et dynamitent des
synagogues."
R : Sans doute !
vendredi 19 février 2010
Has anyone read these corsican verses ?
The autumn sun, on the brow of the hill,
Floods evening sky and shimmering sea
With gold, orange, saffron and red.
L'auteur, me dit T.C., lui en fit une traduction mi-française mi-corse ; quelque chose, peut-être, comme :
U sole d'auturnu, sur le sommet de la colline,
Inonde (o annega, s'è tù voli) ciel du soir et mer miroitante
D'or, d'arancinu, di saffranu (o : zafferanu, zaffaranu, faranu, zaffranu, ziferanu, zifranu) et de rouge.
Quale hè chì puderà dici quale hè chì hà scrittu issi versi ed u titulu di u puema ? (Sò i trè primi di un puema di 119 versi). Forse scriveraghju in un altru bigliettu u puema interu. L'aghju lettu oghje per a prima volta ! Ma n'avia intesu parlà dapoi anni è anni. A prestu.
jeudi 18 février 2010
Charles Timoléon Pasqualini
Depuis que j'ai lu les articles qui leur sont consacrés dans l'Anthologie des écrivains corses de Hyacinthe Yvia-Croce, je pense à Lorenzo Vero (1865-1890) et Charles Timoléon Pasqualini (1840-1866) comme à un étrange couple de poètes : morts très jeunes tous les deux, le premier était ajaccien (je me souviens que son poème cité par Yvia-Croce évoque le golfe, la lumière diurne puis nocturne jouant sur ses vagues, il faudra que je le retrouve et que je le cite ici : il fait partie des textes qui se sont glissés entre moi et le golfe), le second était campilais ! Né et mort à Campile, mon village. Deux poètes de langue française qui représentent une pratique lyrique romantique : esprits déchirés par les espoirs et les désenchantements, sentimentaux, métaphysiques ou politiques.
Eh bien je feuillette à nouveau ce soir le recueil posthume de Pasqualini, "Choses du siècle et choses du coeur" (titre assez plat et peu attirant d'ailleurs), réédité chez Lacour en 1998. Je feuillette et je feuillette encore, à la recherche d'un poème et je suis sans cesse arrêté dans mon élan : les alexandrins et les octosyllabes se succèdent et ne parviennent pas à me captiver... J'entends un ronronnement un peu creux, des emportements lyriques un peu excessifs. Vero et Pasqualini représentent-ils d'une certaine façon l'impasse d'une littérature mimant la norme et répétant des formules vieillies ? Y a-t-il des poèmes de ces deux auteurs qui vous ont enchantés ?
Et puis je trouve finalement ce poème-là, parce que je veux tout de même citer un de ses poèmes, il est tout de même de mon village ! Et puis ce poème-lettre contient assez de prosaïsme pour équilibrer la rhétorique et les vers, je m'accroche à cette "ancre" (Pasqualini avait été médecin dans la marine marchande).
MES NOUVELLES
Malgré vos conseils trop fondés
J'ai levé l'ancre - et toujours bonne,
Madame ! vous me demandez
Des nouvelles de ma personne,
Des mers de l'Inde, du bateau
Qui me conduit, de mon voyage,
Comment on peut vivre sur l'eau
Et si je suis devenu sage ;
Car me voilà depuis deux ans
Entre la Ligne et le Tropique,
Tantôt sur les flots gémissants,
Tantôt sur les sables d'Afrique.
Charmants climats ! pays heureux
On rôtit à l'air en décembre,
Mais en juillet, mois très frileux,
Je puis séjourner dans ma chambre.
Ma chambre ! Ah dame ! un grand vizir
N'a pas pareille bonbonnière,
Trois pieds de large et, sans mentir,
Presque aussi longue qu'une bière,
J'y loge bon nombre d'amis,
Gais vivants, races incertaines ;
Cent pieds, moustiques, rats, fourmis
Et des cancrelats par centaines !
Où donc est le barde bourru
Qui trouve l'onde peu constante ?
Bêtise ! jamais coeur féru
Ne rêve plus fidèle amante,
Curieuse comme un oisif,
Malgré consigne et sentinelle
Trop souvent chez moi, sans motif,
Elle accourt par excès de zèle.
Il faut la voir courir, jaser
Et sautiller sur mon visage,
Comme un oiseau, comme un baiser,
Comme un enfant sur le rivage.
Hélas ! Qu'apporte-t-elle ? Rien !
Toujours l'ennui, toujours la brume
Qui me dérobe mon Éden,
Parfois aussi quelque bon rhume.
Et la terre ? on y devient fou,
On est entouré de Malgaches,
On a des cases de bambou,
On peut se nourrir de pistaches,
On voit ce que nul ne rêvait,
De beaux guerriers tout nus, Madame,
Des rois comme s'il en pleuvait
Déguenillés à fendre l'âme ;
Des Armides aux crins suiffés
Aux pieds crottés, à la peau noire,
Des vieillards, mendiants fieffés,
Des enfants laids comme un grimoire.
On sue, on baille, on dormirait
Sans mille insectes indociles ;
La lèpre ou la gale à souhait,
La fièvre jaune et les reptiles.
Sur le rivage on va s'asseoir,
On nage, c'est fort salutaire ;
Mais gare aux requins ou bonsoir !
A cela près on peut s'y faire.
A propos de Charles-Timoléon Pasqualini, on peut lire avec profit l'article d'Eugène Gherardi dans le "Dictionnaire historique de la Corse".
Et notamment ceci : "Charles-Timoléon Pasqualini laisse toutefois à la littérature corse d'expression française, une oeuvre poétique et de critique littéraire de très grande tenue bien que fort inégale. (...) La lecture de ses poésies traduit la tristesse et la mélancolie d'un poète qui dès l'adolescence est hanté par la mort et par le triste destin qu'il semble présager. C'est une mise à nu profonde et très maîtrisée de l'âme du poète que l'on découvre dans l'oeuvre. Ses attaches religieuses le rapprochent des courants issus du catholicisme social. A la manière de Victor Hugo, le jeune poète corse refuse les dogmes. Il s'interroge, médite et raisonne sur un Dieu qui doit finir par éclairer le songeur."
Eh bien je feuillette à nouveau ce soir le recueil posthume de Pasqualini, "Choses du siècle et choses du coeur" (titre assez plat et peu attirant d'ailleurs), réédité chez Lacour en 1998. Je feuillette et je feuillette encore, à la recherche d'un poème et je suis sans cesse arrêté dans mon élan : les alexandrins et les octosyllabes se succèdent et ne parviennent pas à me captiver... J'entends un ronronnement un peu creux, des emportements lyriques un peu excessifs. Vero et Pasqualini représentent-ils d'une certaine façon l'impasse d'une littérature mimant la norme et répétant des formules vieillies ? Y a-t-il des poèmes de ces deux auteurs qui vous ont enchantés ?
Et puis je trouve finalement ce poème-là, parce que je veux tout de même citer un de ses poèmes, il est tout de même de mon village ! Et puis ce poème-lettre contient assez de prosaïsme pour équilibrer la rhétorique et les vers, je m'accroche à cette "ancre" (Pasqualini avait été médecin dans la marine marchande).
MES NOUVELLES
Malgré vos conseils trop fondés
J'ai levé l'ancre - et toujours bonne,
Madame ! vous me demandez
Des nouvelles de ma personne,
Des mers de l'Inde, du bateau
Qui me conduit, de mon voyage,
Comment on peut vivre sur l'eau
Et si je suis devenu sage ;
Car me voilà depuis deux ans
Entre la Ligne et le Tropique,
Tantôt sur les flots gémissants,
Tantôt sur les sables d'Afrique.
Charmants climats ! pays heureux
On rôtit à l'air en décembre,
Mais en juillet, mois très frileux,
Je puis séjourner dans ma chambre.
Ma chambre ! Ah dame ! un grand vizir
N'a pas pareille bonbonnière,
Trois pieds de large et, sans mentir,
Presque aussi longue qu'une bière,
J'y loge bon nombre d'amis,
Gais vivants, races incertaines ;
Cent pieds, moustiques, rats, fourmis
Et des cancrelats par centaines !
Où donc est le barde bourru
Qui trouve l'onde peu constante ?
Bêtise ! jamais coeur féru
Ne rêve plus fidèle amante,
Curieuse comme un oisif,
Malgré consigne et sentinelle
Trop souvent chez moi, sans motif,
Elle accourt par excès de zèle.
Il faut la voir courir, jaser
Et sautiller sur mon visage,
Comme un oiseau, comme un baiser,
Comme un enfant sur le rivage.
Hélas ! Qu'apporte-t-elle ? Rien !
Toujours l'ennui, toujours la brume
Qui me dérobe mon Éden,
Parfois aussi quelque bon rhume.
Et la terre ? on y devient fou,
On est entouré de Malgaches,
On a des cases de bambou,
On peut se nourrir de pistaches,
On voit ce que nul ne rêvait,
De beaux guerriers tout nus, Madame,
Des rois comme s'il en pleuvait
Déguenillés à fendre l'âme ;
Des Armides aux crins suiffés
Aux pieds crottés, à la peau noire,
Des vieillards, mendiants fieffés,
Des enfants laids comme un grimoire.
On sue, on baille, on dormirait
Sans mille insectes indociles ;
La lèpre ou la gale à souhait,
La fièvre jaune et les reptiles.
Sur le rivage on va s'asseoir,
On nage, c'est fort salutaire ;
Mais gare aux requins ou bonsoir !
A cela près on peut s'y faire.
A propos de Charles-Timoléon Pasqualini, on peut lire avec profit l'article d'Eugène Gherardi dans le "Dictionnaire historique de la Corse".
Et notamment ceci : "Charles-Timoléon Pasqualini laisse toutefois à la littérature corse d'expression française, une oeuvre poétique et de critique littéraire de très grande tenue bien que fort inégale. (...) La lecture de ses poésies traduit la tristesse et la mélancolie d'un poète qui dès l'adolescence est hanté par la mort et par le triste destin qu'il semble présager. C'est une mise à nu profonde et très maîtrisée de l'âme du poète que l'on découvre dans l'oeuvre. Ses attaches religieuses le rapprochent des courants issus du catholicisme social. A la manière de Victor Hugo, le jeune poète corse refuse les dogmes. Il s'interroge, médite et raisonne sur un Dieu qui doit finir par éclairer le songeur."
mardi 16 février 2010
Ecrit en Bretagne, édité en Corse, lu à Aix
Cela fait un petit moment (depuis ma lecture de ce livre en septembre 2009) que je voulais pointer du doigt quelques pages.
La lumière de Balagne est en partie la source des mots qui vont suivre (du moins, c'est ce que j'imagine). Ils sont extraits de la deuxième partie du livre, la plus courte (la plus belle à mes yeux). Cette deuxième partie s'intitule "Création". C'est pour moi une des "formes" qui aujourd'hui remue l'imaginaire corse : comment glorifier le monde et le verbe, initier sans cesse un nouveau départ, recommencer sans cesse le grand jeu, se remettre à la tâche, y trouver force et espoir, une respiration. (Cela me rappelle - avec des variantes - le regard du randonneur écossais James Boswell, plongeant dans la Vie, en 1765, et la plongée imminente de Max Caisson dans le labyrinthe des mythes qui innerve les sentiers autour de Bastia). Une littérature à l'infinitif, une littérature de jubilation (assez rare dans la littérature corse, non ? Et puis vous aurez peut-être un avis différent du mien ?).
L'éditeur est Albiana, l'auteur Yves Goulm (plus un lien sur son site où vous pourrez lire d'autres regards sur ce livre, intitulé "Matins").
Voici l'extrait :
Deuxième jour
Jour, j'ai sacre des grands de sidères couronnés des sacrés du créé, sacre des grands sidérants s'enroulant l'un l'autre en coupoles ceignantes.
J'ai sacre d'un trône de dôme d'où hémisphérer les eaux en équilibre.
Jour, j'ai sacre des pôles d'extrémités à l'extrême des tenues.
J'ai sacre du berceau des voûtes aux solidités des retenues, sacre des solives massives aux charpentes des royaumes de ciels.
J'ai sacre de la juxtaposition des miroirs en position de vis-à-vis.
Jour, j'ai sacre du reflet de la lumière en ce double majestueux où projeter nos perpétuelles actuelles, nos incessantes naissances, nos ininterrompues.
J'ai sacre du déroulé de nos essences blanches, du déboulé des présences filantes, nos énergies gigantesques, nos cinétiques en battements du rythme constant.
J'ai sacre de nos descentes en soirs d'ombre noire, la moire de nos deux couches, couche du haut et du bas.
J'ai sacre de nos bouches embouclées contenant chacune en sa partie les eaux d'existence en vice versa d'horizons, versant des cirques en criques époustouflantes, déversant les souffles aux aires du maintenu des airs suréminents.
Jour, j'ai sacre d'espaces en plans du vaste, sacre de place où placer les matières roulantes, les coulantes, les ondes des mondes, les sondes porteuses.
J'ai sacre du mouvement du mouvant, sacre qu"abonde en face à face les surfaces de ciels surélevés en cieux lumineux.
J'ai sacre des lieux du lumen.
Jour, j'ai sacre de plaques superposées où s'irradient les brûlances, où s'incendient les ardences, où jaillissent les lances porteuses des feux sacrés.
J'ai sacre des sidérances en adhérence d'ascences, sacre d'immenses immensités ou se mireront les étendues profondes.
J'ai sacre des plafonds de nacre d'où migreront les éclairs, les roulements des tonnerres, d'où s'iront les frappes des tambours de l'orage, d'où se tendront les tendons éclatants de l'arc bandé reliant les eaux de bas en haut du haut en un convexe vice versa de couleurs.
Jour, j'ai sacre des strates de lumière en frais de voûte qu'envoûte la coulée des chaleurs colorées.
Voilà le dit.
La lumière de Balagne est en partie la source des mots qui vont suivre (du moins, c'est ce que j'imagine). Ils sont extraits de la deuxième partie du livre, la plus courte (la plus belle à mes yeux). Cette deuxième partie s'intitule "Création". C'est pour moi une des "formes" qui aujourd'hui remue l'imaginaire corse : comment glorifier le monde et le verbe, initier sans cesse un nouveau départ, recommencer sans cesse le grand jeu, se remettre à la tâche, y trouver force et espoir, une respiration. (Cela me rappelle - avec des variantes - le regard du randonneur écossais James Boswell, plongeant dans la Vie, en 1765, et la plongée imminente de Max Caisson dans le labyrinthe des mythes qui innerve les sentiers autour de Bastia). Une littérature à l'infinitif, une littérature de jubilation (assez rare dans la littérature corse, non ? Et puis vous aurez peut-être un avis différent du mien ?).
L'éditeur est Albiana, l'auteur Yves Goulm (plus un lien sur son site où vous pourrez lire d'autres regards sur ce livre, intitulé "Matins").
Voici l'extrait :
Deuxième jour
Jour, j'ai sacre des grands de sidères couronnés des sacrés du créé, sacre des grands sidérants s'enroulant l'un l'autre en coupoles ceignantes.
J'ai sacre d'un trône de dôme d'où hémisphérer les eaux en équilibre.
Jour, j'ai sacre des pôles d'extrémités à l'extrême des tenues.
J'ai sacre du berceau des voûtes aux solidités des retenues, sacre des solives massives aux charpentes des royaumes de ciels.
J'ai sacre de la juxtaposition des miroirs en position de vis-à-vis.
Jour, j'ai sacre du reflet de la lumière en ce double majestueux où projeter nos perpétuelles actuelles, nos incessantes naissances, nos ininterrompues.
J'ai sacre du déroulé de nos essences blanches, du déboulé des présences filantes, nos énergies gigantesques, nos cinétiques en battements du rythme constant.
J'ai sacre de nos descentes en soirs d'ombre noire, la moire de nos deux couches, couche du haut et du bas.
J'ai sacre de nos bouches embouclées contenant chacune en sa partie les eaux d'existence en vice versa d'horizons, versant des cirques en criques époustouflantes, déversant les souffles aux aires du maintenu des airs suréminents.
Jour, j'ai sacre d'espaces en plans du vaste, sacre de place où placer les matières roulantes, les coulantes, les ondes des mondes, les sondes porteuses.
J'ai sacre du mouvement du mouvant, sacre qu"abonde en face à face les surfaces de ciels surélevés en cieux lumineux.
J'ai sacre des lieux du lumen.
Jour, j'ai sacre de plaques superposées où s'irradient les brûlances, où s'incendient les ardences, où jaillissent les lances porteuses des feux sacrés.
J'ai sacre des sidérances en adhérence d'ascences, sacre d'immenses immensités ou se mireront les étendues profondes.
J'ai sacre des plafonds de nacre d'où migreront les éclairs, les roulements des tonnerres, d'où s'iront les frappes des tambours de l'orage, d'où se tendront les tendons éclatants de l'arc bandé reliant les eaux de bas en haut du haut en un convexe vice versa de couleurs.
Jour, j'ai sacre des strates de lumière en frais de voûte qu'envoûte la coulée des chaleurs colorées.
Voilà le dit.
lundi 15 février 2010
Un maître livre / Une pièce de théâtre magnifique
Je ne suis pas objectif, je ne peux pas l'être !
J'ai lu la version originale corse et la traduction française de "51 Pegasi, astru virtuale" il y a déjà quelque temps ; j'ai vu la mise en scène théâtrale de ce roman de Marcu Biancarelli (en langue française, avec un chant corse) deux fois déjà (à Aubagne, à Porti Vechju). J'ai adoré les deux : la version théâtrale n'est qu'un choix - très judicieux - parmi les scènes du roman, joué avec une intensité superbe par Christian Ruspini, et servi par la mise en scène astucieuse et symboliquement forte de Jean-Pierre Lanfranchi ; le roman a une force qui a imprimé en moi plusieurs moments (je vais en citer un en fin de ce billet, quant à vous, quelle page hante votre mémoire ? à moins que vous n'ayez pas du tout aimé ce roman très dérangeant, parlons-en...).
Or, cette pièce a tourné et tourne encore sur le continent : le 20 février à Cannes (voir ici) ; le 26 mars à Ventabren (je ne connais pas les autres dates). Je ne pourrai pas me rendre à Cannes mais je serai, avec tous les compères de l'amicale corse d'Aix-en-Provence à Ventabren (j'espère que l'émotion fera naître quelques discussions...).
DONC, à tous ceux qui le peuvent, je recommande très chaudement d'aller voir cette pièce de théâtre, de faire part de leurs réactions (ici ou sur d'autres sites, blogs et forums), de lire le roman de Biancarelli, etc. etc.
Voici un extrait du roman qui n'a pas été retenu pour la version théâtrale : je me rappelle très bien combien cette scène m'avait fait jubiler (le méchant est puni, certes de façon excessive, mais la disproportion est ici un des ressorts du comique ; un comique affreux et désespéré - car la punition est aussi la préparation de la fin du roman) : une jubilation et un grand malaise, tout à la fois ; en plus dans une rue d'Ajaccio que je connais bien, qui est encore dans mon oeil (que je peux voir n'importe quand, en fermant les yeux, et sentir l'air chaud autour des palmiers, le frôlement des voitures, les chaises des bars sur les trottoirs, les bâtiments et immeubles, la place du Diamant non loin de là, la mer, le golfe fermé à l'ouest par un horizon qui cache Barcelone - évoquée dans "A barca di a Madonna" de Thiers, mais aussi Madrid, évoquée notamment dans "Ecce Leo" de Flavia Accorsi (tiens, cela me fait penser : mais qui donc a lu cet unique roman de Flavia Accorsi, paru aux éditions Centofanti ?), et tous les souvenirs ensemble).
Eccu u strattu (hè a fine di u capitulu "Matteu Piredda", u nome di u issu gattivu omu) :
N'eramu à a fin' di ripastu. Ùn aghju dittu nudda è l'aghju lacatu parlà d'una cosa è di l'altra mentri ch'iddu arrigulaia l'addizioni. Da i donni, ni semu vinuti à evucà certi cosi d'una strema banalità, com'è u me ritornu in paesu dopu meziornu, quantu ci vulia tempu, u statu vargugnosu di a strada, ecc. Prestu, ci semu ritrovi in carrughju, Piredda m'hà toccu a mani, hà spiicatu ch'iddu duvia mova anch'iddu, ùn mi pudia micca accumpagnà sinu à a me vittura, avali era prissatu ma era cuntenti d'avè fattu a me cunniscenza, ci vurria à tena u cuntattu, chjamassi - ùn mi deti ben sigura nisciun adrizzu o nùmaru di teleffonu. Ciao ! Ciao ! ch'iddu m'hà ghjittatu à a faccia nanzi di vultammi i spaddi è d'ingagiassi in una stretta chù cuddaia longu à l'anziana prifittura. Aghju lacatu u cursu anch'eu, è socu andatu versu a via Lantivy, dund'e' aiu lacatu a me vittura. L'imàghjina di Piredda chì accillaraia u passu in a stretta mi fantasimaia. Duvia essa fieru di u so fattu, fieru com'è un paonu di a so vittoria, è certamenti prissatu di cuntalla à ùn chì cumpagnu cussì spaversu chè iddu. Subrattutu, dopu à tamanti sforzi pà purtammi à u risturanti, si lincinziaia senza tanti difficultà, è senza tanti cari di mamma nemenu. Mi lacaia in unu statu vicinu à a diprissioni, sintiu u me cori chì mi pichjaia in pettu, battia chì vulia rumpa, u sanguu mi buddia in l'arichji. Ch'iddu avissi pussidutu à Lisa nanzi à mè, a mi pudiu ingutta, ùn aviu mancu a pratinzioni di truvà a Verghjini Maria, à u cuntrariu, ma ch'iddu a m'imparessi iddu, cussì, u lindumani stessu di a me prima notti incun idda, è ch'iddu ni ritiressi tamantu sìntimu di vittoria, quissa era dura à incascià. Eru statu l'ughjettu di a so vindetta, è sariu dumani l'ughjettu di u so taroccu, sariu un sughjettu spiciali di risa mentri i sirati trà amici intellettuali, u mondu di a cultura ùn mi vidaria mai più chè à traversu à i scherzi di Matteu Piredda, era sigura. Più chè quissa, Lisa saria assuciata à a me disgrazia, Piredda si vantaria è cuntaria com'iddu l'avia inculata, diciaria com'idda l'avia lubrificatu bè nanzi di dirighja a punta 'llu so cazzu versu l'apartura di u so culu, è i moghja ch'idda lintaia mentri ch'idda si facia imburrà, è a testa ch'e' faciu eu mentri ch'iddu mi lacaia suttintenda ch'in fatti ùn eru chè un currutu à ritardamentu, un "currutu tricaticciu", comm'iddu invintaria pò dassi pà spanzassi 'lla risa cù i so fideli. Diciaria com'ì ghjeu eru ripartitu capibassu è vintu, sfattu è dilusu, dopu à u ripastu. Diciaria com'ì a so cunfissioni era vinuta, appruntata è calculata, dopu à un'almanecchera di futtiti, par chjuda u discorsu à u finali. Spiicaria u talentu ch'era statu u soiu, di prisintammi i rivelazioni annantu à Lisa Benedetti com'è un dulciumu dopu à u piattu di risistenza, è ghjeu sariu u scaccu, sariu u baulu di sirivziu.
Mi so fermu ghjustu nanzi di ghjunghja à a me vittura, t'aviu ghjà i chjavi in manu, è mi so dittu nò, hè impussìbuli, ùn la ti lasciu micca cussì, a to vittoria. Socu vultatu annantu à i me passa, prima marchjendu prestu, è po mi so missu à curra com'è un scemu, l'aienti mi fighjulaiani passà è si duviani dì qual'hè 'ssu tontu. Aghju cursu u più prestu pussìbuli, spirendu d'ùn avè micca tardatu troppu. Socu passatu davanti à a vechja prifittura è mi socu ingagiatu in a stretta dund'ì Piredda s'era infrugnatu. Avia ditu ch'iddu circaia a so vittura anch'iddu, forza u richjapparia nanzi ch'iddu sichi partitu. Mi ci vulia à fighjulà i vitturi, ma i vitturi ùn passaiani micca in u sensu bonu, ùn andaghjiani micca versu u cursu ; un sensu difesu ! Sì Piredda s'era imbarcatu era ghjà à longu è ùn risicaiamu micca di scruchjacci. In altu di a stretta, mi so fermu, ùn lu vidiu indocu, aghju fighjulatu bè da partuttu, à dritta è à manca, aghju rimarcatu una vittura firmata à unu stop, era ubligata di lacà u passaghju nantu à a via Lantivy ; infatti m'eru fattu guasgi un chjirchju cumplettu, mi saria bastatu di taddalli a strada. Nanzi ch'iddu dimaressi, mi so rimissu à curra com'è un dannatu, è più m'avvicinaiu da 'ssa vittura è più eru siguru ch'iddu era iddu. Socu ghjuntu à a so altezza à u momentu ch'iddu s'appruntaia à accillarà pà ingagiassi annatu à a via. Aghju briuantu "Matteu ! O Mattè !", eru sfiatatu. Hà frinatu d'un colpu è hà vultatu u capu versu mè, suspresu. Hà fattu par surdiami, ma ùn l'aghju micca lacatu u tempu di riagiscia. Aghju lampatu u me pugnu à traversu à a purtiera, è aghju intesu u scioccu di i canteghji chì schiattaiani, à tempu ch'iddu si mittia à mughjà com'è un scemu. Aghju apartu è l'aghju strascinatu pà i capiddi for'di a vittura. Prima hè cascatu, ma hà circu di ridrizzassi cussì prestu, si vulia pò dassi difenda, o circaia di fughja, ùn la so. Ma quand'iddu era mezu rittu, aghju lampatu a capata, è à a stessa sigonda u so nasu hè imbuffatu, facia trè volti u so vulumu. S'hè missu i mani annantu à a faccia ed hè cascatu in daretu, contru à a purtiera aparta. L'aghju sciaccu una dicina di calcia in cudda, in i costi, in i canteghji, l'aienti in carrughju briunaiani, mi diciani d'arristà, ma nimu hè intarvinutu. Quand'e' aghju vistu ch'iddu ùn si prutighjia mancu più, aghju arristatu di pichjà, l'aghju lacatu cussì, incuscenti, in sanguu, com'è u ghjàcaru ch'iddu era.
J'ai lu la version originale corse et la traduction française de "51 Pegasi, astru virtuale" il y a déjà quelque temps ; j'ai vu la mise en scène théâtrale de ce roman de Marcu Biancarelli (en langue française, avec un chant corse) deux fois déjà (à Aubagne, à Porti Vechju). J'ai adoré les deux : la version théâtrale n'est qu'un choix - très judicieux - parmi les scènes du roman, joué avec une intensité superbe par Christian Ruspini, et servi par la mise en scène astucieuse et symboliquement forte de Jean-Pierre Lanfranchi ; le roman a une force qui a imprimé en moi plusieurs moments (je vais en citer un en fin de ce billet, quant à vous, quelle page hante votre mémoire ? à moins que vous n'ayez pas du tout aimé ce roman très dérangeant, parlons-en...).
Or, cette pièce a tourné et tourne encore sur le continent : le 20 février à Cannes (voir ici) ; le 26 mars à Ventabren (je ne connais pas les autres dates). Je ne pourrai pas me rendre à Cannes mais je serai, avec tous les compères de l'amicale corse d'Aix-en-Provence à Ventabren (j'espère que l'émotion fera naître quelques discussions...).
DONC, à tous ceux qui le peuvent, je recommande très chaudement d'aller voir cette pièce de théâtre, de faire part de leurs réactions (ici ou sur d'autres sites, blogs et forums), de lire le roman de Biancarelli, etc. etc.
Voici un extrait du roman qui n'a pas été retenu pour la version théâtrale : je me rappelle très bien combien cette scène m'avait fait jubiler (le méchant est puni, certes de façon excessive, mais la disproportion est ici un des ressorts du comique ; un comique affreux et désespéré - car la punition est aussi la préparation de la fin du roman) : une jubilation et un grand malaise, tout à la fois ; en plus dans une rue d'Ajaccio que je connais bien, qui est encore dans mon oeil (que je peux voir n'importe quand, en fermant les yeux, et sentir l'air chaud autour des palmiers, le frôlement des voitures, les chaises des bars sur les trottoirs, les bâtiments et immeubles, la place du Diamant non loin de là, la mer, le golfe fermé à l'ouest par un horizon qui cache Barcelone - évoquée dans "A barca di a Madonna" de Thiers, mais aussi Madrid, évoquée notamment dans "Ecce Leo" de Flavia Accorsi (tiens, cela me fait penser : mais qui donc a lu cet unique roman de Flavia Accorsi, paru aux éditions Centofanti ?), et tous les souvenirs ensemble).
Eccu u strattu (hè a fine di u capitulu "Matteu Piredda", u nome di u issu gattivu omu) :
N'eramu à a fin' di ripastu. Ùn aghju dittu nudda è l'aghju lacatu parlà d'una cosa è di l'altra mentri ch'iddu arrigulaia l'addizioni. Da i donni, ni semu vinuti à evucà certi cosi d'una strema banalità, com'è u me ritornu in paesu dopu meziornu, quantu ci vulia tempu, u statu vargugnosu di a strada, ecc. Prestu, ci semu ritrovi in carrughju, Piredda m'hà toccu a mani, hà spiicatu ch'iddu duvia mova anch'iddu, ùn mi pudia micca accumpagnà sinu à a me vittura, avali era prissatu ma era cuntenti d'avè fattu a me cunniscenza, ci vurria à tena u cuntattu, chjamassi - ùn mi deti ben sigura nisciun adrizzu o nùmaru di teleffonu. Ciao ! Ciao ! ch'iddu m'hà ghjittatu à a faccia nanzi di vultammi i spaddi è d'ingagiassi in una stretta chù cuddaia longu à l'anziana prifittura. Aghju lacatu u cursu anch'eu, è socu andatu versu a via Lantivy, dund'e' aiu lacatu a me vittura. L'imàghjina di Piredda chì accillaraia u passu in a stretta mi fantasimaia. Duvia essa fieru di u so fattu, fieru com'è un paonu di a so vittoria, è certamenti prissatu di cuntalla à ùn chì cumpagnu cussì spaversu chè iddu. Subrattutu, dopu à tamanti sforzi pà purtammi à u risturanti, si lincinziaia senza tanti difficultà, è senza tanti cari di mamma nemenu. Mi lacaia in unu statu vicinu à a diprissioni, sintiu u me cori chì mi pichjaia in pettu, battia chì vulia rumpa, u sanguu mi buddia in l'arichji. Ch'iddu avissi pussidutu à Lisa nanzi à mè, a mi pudiu ingutta, ùn aviu mancu a pratinzioni di truvà a Verghjini Maria, à u cuntrariu, ma ch'iddu a m'imparessi iddu, cussì, u lindumani stessu di a me prima notti incun idda, è ch'iddu ni ritiressi tamantu sìntimu di vittoria, quissa era dura à incascià. Eru statu l'ughjettu di a so vindetta, è sariu dumani l'ughjettu di u so taroccu, sariu un sughjettu spiciali di risa mentri i sirati trà amici intellettuali, u mondu di a cultura ùn mi vidaria mai più chè à traversu à i scherzi di Matteu Piredda, era sigura. Più chè quissa, Lisa saria assuciata à a me disgrazia, Piredda si vantaria è cuntaria com'iddu l'avia inculata, diciaria com'idda l'avia lubrificatu bè nanzi di dirighja a punta 'llu so cazzu versu l'apartura di u so culu, è i moghja ch'idda lintaia mentri ch'idda si facia imburrà, è a testa ch'e' faciu eu mentri ch'iddu mi lacaia suttintenda ch'in fatti ùn eru chè un currutu à ritardamentu, un "currutu tricaticciu", comm'iddu invintaria pò dassi pà spanzassi 'lla risa cù i so fideli. Diciaria com'ì ghjeu eru ripartitu capibassu è vintu, sfattu è dilusu, dopu à u ripastu. Diciaria com'ì a so cunfissioni era vinuta, appruntata è calculata, dopu à un'almanecchera di futtiti, par chjuda u discorsu à u finali. Spiicaria u talentu ch'era statu u soiu, di prisintammi i rivelazioni annantu à Lisa Benedetti com'è un dulciumu dopu à u piattu di risistenza, è ghjeu sariu u scaccu, sariu u baulu di sirivziu.
Mi so fermu ghjustu nanzi di ghjunghja à a me vittura, t'aviu ghjà i chjavi in manu, è mi so dittu nò, hè impussìbuli, ùn la ti lasciu micca cussì, a to vittoria. Socu vultatu annantu à i me passa, prima marchjendu prestu, è po mi so missu à curra com'è un scemu, l'aienti mi fighjulaiani passà è si duviani dì qual'hè 'ssu tontu. Aghju cursu u più prestu pussìbuli, spirendu d'ùn avè micca tardatu troppu. Socu passatu davanti à a vechja prifittura è mi socu ingagiatu in a stretta dund'ì Piredda s'era infrugnatu. Avia ditu ch'iddu circaia a so vittura anch'iddu, forza u richjapparia nanzi ch'iddu sichi partitu. Mi ci vulia à fighjulà i vitturi, ma i vitturi ùn passaiani micca in u sensu bonu, ùn andaghjiani micca versu u cursu ; un sensu difesu ! Sì Piredda s'era imbarcatu era ghjà à longu è ùn risicaiamu micca di scruchjacci. In altu di a stretta, mi so fermu, ùn lu vidiu indocu, aghju fighjulatu bè da partuttu, à dritta è à manca, aghju rimarcatu una vittura firmata à unu stop, era ubligata di lacà u passaghju nantu à a via Lantivy ; infatti m'eru fattu guasgi un chjirchju cumplettu, mi saria bastatu di taddalli a strada. Nanzi ch'iddu dimaressi, mi so rimissu à curra com'è un dannatu, è più m'avvicinaiu da 'ssa vittura è più eru siguru ch'iddu era iddu. Socu ghjuntu à a so altezza à u momentu ch'iddu s'appruntaia à accillarà pà ingagiassi annatu à a via. Aghju briuantu "Matteu ! O Mattè !", eru sfiatatu. Hà frinatu d'un colpu è hà vultatu u capu versu mè, suspresu. Hà fattu par surdiami, ma ùn l'aghju micca lacatu u tempu di riagiscia. Aghju lampatu u me pugnu à traversu à a purtiera, è aghju intesu u scioccu di i canteghji chì schiattaiani, à tempu ch'iddu si mittia à mughjà com'è un scemu. Aghju apartu è l'aghju strascinatu pà i capiddi for'di a vittura. Prima hè cascatu, ma hà circu di ridrizzassi cussì prestu, si vulia pò dassi difenda, o circaia di fughja, ùn la so. Ma quand'iddu era mezu rittu, aghju lampatu a capata, è à a stessa sigonda u so nasu hè imbuffatu, facia trè volti u so vulumu. S'hè missu i mani annantu à a faccia ed hè cascatu in daretu, contru à a purtiera aparta. L'aghju sciaccu una dicina di calcia in cudda, in i costi, in i canteghji, l'aienti in carrughju briunaiani, mi diciani d'arristà, ma nimu hè intarvinutu. Quand'e' aghju vistu ch'iddu ùn si prutighjia mancu più, aghju arristatu di pichjà, l'aghju lacatu cussì, incuscenti, in sanguu, com'è u ghjàcaru ch'iddu era.
dimanche 14 février 2010
Façons de parler de la littérature corse
Allons-y, l'année 2010 s'annonce très riche pour la littérature corse : citons ici trois façons particulières de la rendre présente et de lui donner de la valeur :
- la soirée poétique organisée par Jean-François Agostini, à Sartène, le samedi 23 janvier 2010, a été un franc succès, en mariant lectures, musiques, vidéos, entretiens, présentations ; je vous recommande de lire le compte rendu/analyse qu'en propose Norbert Paganelli sur son site "Invistita" (rubrique "News").
- la prochaine rencontre littéraire proposée par Xavier Casanova, à Poghju di Venacu, le samedi 20 février 2010, qui réunira un éditeur, un auteur, une critique littéraire pour évoquer quatre livres différents. (Un complément du 19 février 2010 : le lien vers le site d'Annette Luciani qui est la véritable organisatrice de cette rencontre : ici).
- l'éditorial de l'éditeur de février 2010 sur le site des éditions Albiana, au ton affirmé (et même un peu provocant : ce qui ne fait pas de mal), décrétant "unilatéralement" 2010, "année de la littérature corse". Comment ne pas souscrire ?
Nous essaierons, à Aix notamment, de profiter de toutes ces expériences ! Vous avez peut-être des avis singuliers sur ces expériences passées, en cours ou à venir ?
- la soirée poétique organisée par Jean-François Agostini, à Sartène, le samedi 23 janvier 2010, a été un franc succès, en mariant lectures, musiques, vidéos, entretiens, présentations ; je vous recommande de lire le compte rendu/analyse qu'en propose Norbert Paganelli sur son site "Invistita" (rubrique "News").
- la prochaine rencontre littéraire proposée par Xavier Casanova, à Poghju di Venacu, le samedi 20 février 2010, qui réunira un éditeur, un auteur, une critique littéraire pour évoquer quatre livres différents. (Un complément du 19 février 2010 : le lien vers le site d'Annette Luciani qui est la véritable organisatrice de cette rencontre : ici).
- l'éditorial de l'éditeur de février 2010 sur le site des éditions Albiana, au ton affirmé (et même un peu provocant : ce qui ne fait pas de mal), décrétant "unilatéralement" 2010, "année de la littérature corse". Comment ne pas souscrire ?
Nous essaierons, à Aix notamment, de profiter de toutes ces expériences ! Vous avez peut-être des avis singuliers sur ces expériences passées, en cours ou à venir ?
De nouveau à propos d'"Isula Blues" (de JP Santini) par une lectrice (E Caminade)
Reçu aujourd'hui, ce propos d'Emmanuelle Caminade à propos de sa lecture du roman de Jean-Pierre Santini, "Isula Blues".
Je note avec plaisir et intérêt les désaccords, les différences, les écarts qui se manifestent dans ce récit de lecture. La conjonction de ces écarts est ce qui me semble donner du prix aux livres lus, donnant envie de les relire, et les transformer ainsi en nouvelles occasions de plaisir.
Bonne lecture ! (Cette lecture-réponse fait suite à un billet posté sur le blog d'Emmanuelle : L'or des livres).
ISULA BLUES
Ton billet et celui de Norbert Paganelli sur Invistita m'ont incitée à acheter le livre de Jean-Pierre Santini, d'autant plus qu'il se situe dans une région que je connais bien pour en avoir souvent arpenté les chemins en dehors de la période estivale...
Isula blues est un court mais dense roman noir qui se déroule dans la lumineuse beauté des paysages du Cap corse. C'est un blues, à mon sens, plus nostalgique que mélancolique qui fait résonner une musique douce-amère exhalant l'âme d'une terre désertée mais néanmoins habitée, bruissant de la vie de ces morts qui ont marqué ces paysages de leur empreinte. Un roman jouant sur les ambivalences , tant dans son propos que dans son style où alternent observations aiguës et réflexions subtiles condensées dans des formules percutantes et longues descriptions évocatrices laissant la porte ouverte au rêve. Et Jean-Pierre Santini, avec une maîtrise remarquable, parvient à lier une succession de courts épisodes narratifs juxtaposés, à l'image de ses personnages solitaires qui se croisent sans se rencontrer, par un chant au timbre émouvant qui s'amplifie jusqu'à son terme...
Pour répondre plus précisément à ta lecture, peut-être n'as-tu pas ressenti – ou du moins pas avec la même intensité que moi - cette profonde osmose entre l'ambivalence du propos et celle de la forme, cette harmonie apaisante qui émane de ce livre ?
Il me semble que tes critiques sur le style, que tu juges trop appuyé, trop explicite, sur certaines phrases, à ton avis trop longues, prennent en compte deux aspects complémentaires de l'écriture de Santini, mais sans les relier...
Et ta surprise quant au «tour de force» consistant à faire se rencontrer quatre solitudes paraît montrer que tu n'as pas entendu se développer progressivement le «legato» de ce ce chant - exprimant le rapport de l'homme avec sa terre - jusqu'à son paroxysme (essentiellement dans les épisodes concernant les deux héros).
J'ai vraiment ressenti ce livre comme très musical, je l'ai entendu comme un chant, avec toutes ses «couleurs» - ses harmoniques – , ses nuances et son accompagnement «staccato».
Par ailleurs, j'ai remarqué à la lecture des critiques que l'on trouve sur le blog de J-P Santini, que cette ambivalence, pour moi flagrante, a été peu relevée et que c'est surtout le côté noir et amer, désenchanté, qui a été retenu.
Personnellement, ce désenchantement me semble s' exprimer de manière feutrée. Dans ce roman, j'ai vu aussi de la lumière, et plus de douceur que d'amertume. Le plaisir lié à l'évocation idéalisée du passé, d'un paradis perdu, d'un territoire d'enfance, m'y semble manifeste même s'il coexiste avec le sentiment douloureux de l'irréversibilité.
Deux courts extraits pour illustrer mes remarques sur le style, ainsi que sur la lumière et la douceur, le plaisir lié à l'évocation du passé (2ème extrait):
p.5/6
Julien Costa finit tranquillement de déjeuner en attendant la météo. C'est ainsi. La sarabande des images aide l'âme à s'évader. Elles n'éclairent pas la conscience, invitent à la légèreté, à la tentation de n'exister que pour soi. Si au spectacle de l'horreur les plus sensibles versent encore une larme, cela n'empêche personne, le soir, d'aller dîner en ville. Il y a une géographie de l'émotion qui est une catégorie de l'obscénité. Et qui sert sans doute, quelque part, des intérêts bien compris. Seule l'intimité de la mort affecte encore les êtres. On ne meurt pas indifférent.
Julien Costa est conforme aux modèles dominants. Il n'exprime jamais ses opinions réelles. Il respecte strictement les consignes de ses employeurs. Il a appris à jouer les rôles utiles et roule dans le monde comme une monnaie en cours.
p.22
La jeune femme se perd dans la contemplation du paysage. Elle suit le maillage complexe des chemins dont la trace lumineuse couve sous les signes obscurs du maquis. Ici, par l'humilité de leurs oeuvres, des itinéraires masqués, des pas effacés et qui pourtant ont durci à jamais le sol, les morts se rappellent aux vivants et, inlassablement, les appellent à eux.
Florence ressuscite le pays dans sa tête, le capte dans l'immensité de son regard, l'éveille aux clartés diffuse de sa mémoire, l'imprègne de sensations vécues, ces fantômes de plaisirs qui, doucement, sous la nuque, dénouent leurs lassitudes.
Je note avec plaisir et intérêt les désaccords, les différences, les écarts qui se manifestent dans ce récit de lecture. La conjonction de ces écarts est ce qui me semble donner du prix aux livres lus, donnant envie de les relire, et les transformer ainsi en nouvelles occasions de plaisir.
Bonne lecture ! (Cette lecture-réponse fait suite à un billet posté sur le blog d'Emmanuelle : L'or des livres).
ISULA BLUES
Ton billet et celui de Norbert Paganelli sur Invistita m'ont incitée à acheter le livre de Jean-Pierre Santini, d'autant plus qu'il se situe dans une région que je connais bien pour en avoir souvent arpenté les chemins en dehors de la période estivale...
Isula blues est un court mais dense roman noir qui se déroule dans la lumineuse beauté des paysages du Cap corse. C'est un blues, à mon sens, plus nostalgique que mélancolique qui fait résonner une musique douce-amère exhalant l'âme d'une terre désertée mais néanmoins habitée, bruissant de la vie de ces morts qui ont marqué ces paysages de leur empreinte. Un roman jouant sur les ambivalences , tant dans son propos que dans son style où alternent observations aiguës et réflexions subtiles condensées dans des formules percutantes et longues descriptions évocatrices laissant la porte ouverte au rêve. Et Jean-Pierre Santini, avec une maîtrise remarquable, parvient à lier une succession de courts épisodes narratifs juxtaposés, à l'image de ses personnages solitaires qui se croisent sans se rencontrer, par un chant au timbre émouvant qui s'amplifie jusqu'à son terme...
Pour répondre plus précisément à ta lecture, peut-être n'as-tu pas ressenti – ou du moins pas avec la même intensité que moi - cette profonde osmose entre l'ambivalence du propos et celle de la forme, cette harmonie apaisante qui émane de ce livre ?
Il me semble que tes critiques sur le style, que tu juges trop appuyé, trop explicite, sur certaines phrases, à ton avis trop longues, prennent en compte deux aspects complémentaires de l'écriture de Santini, mais sans les relier...
Et ta surprise quant au «tour de force» consistant à faire se rencontrer quatre solitudes paraît montrer que tu n'as pas entendu se développer progressivement le «legato» de ce ce chant - exprimant le rapport de l'homme avec sa terre - jusqu'à son paroxysme (essentiellement dans les épisodes concernant les deux héros).
J'ai vraiment ressenti ce livre comme très musical, je l'ai entendu comme un chant, avec toutes ses «couleurs» - ses harmoniques – , ses nuances et son accompagnement «staccato».
Par ailleurs, j'ai remarqué à la lecture des critiques que l'on trouve sur le blog de J-P Santini, que cette ambivalence, pour moi flagrante, a été peu relevée et que c'est surtout le côté noir et amer, désenchanté, qui a été retenu.
Personnellement, ce désenchantement me semble s' exprimer de manière feutrée. Dans ce roman, j'ai vu aussi de la lumière, et plus de douceur que d'amertume. Le plaisir lié à l'évocation idéalisée du passé, d'un paradis perdu, d'un territoire d'enfance, m'y semble manifeste même s'il coexiste avec le sentiment douloureux de l'irréversibilité.
Deux courts extraits pour illustrer mes remarques sur le style, ainsi que sur la lumière et la douceur, le plaisir lié à l'évocation du passé (2ème extrait):
p.5/6
Julien Costa finit tranquillement de déjeuner en attendant la météo. C'est ainsi. La sarabande des images aide l'âme à s'évader. Elles n'éclairent pas la conscience, invitent à la légèreté, à la tentation de n'exister que pour soi. Si au spectacle de l'horreur les plus sensibles versent encore une larme, cela n'empêche personne, le soir, d'aller dîner en ville. Il y a une géographie de l'émotion qui est une catégorie de l'obscénité. Et qui sert sans doute, quelque part, des intérêts bien compris. Seule l'intimité de la mort affecte encore les êtres. On ne meurt pas indifférent.
Julien Costa est conforme aux modèles dominants. Il n'exprime jamais ses opinions réelles. Il respecte strictement les consignes de ses employeurs. Il a appris à jouer les rôles utiles et roule dans le monde comme une monnaie en cours.
p.22
La jeune femme se perd dans la contemplation du paysage. Elle suit le maillage complexe des chemins dont la trace lumineuse couve sous les signes obscurs du maquis. Ici, par l'humilité de leurs oeuvres, des itinéraires masqués, des pas effacés et qui pourtant ont durci à jamais le sol, les morts se rappellent aux vivants et, inlassablement, les appellent à eux.
Florence ressuscite le pays dans sa tête, le capte dans l'immensité de son regard, l'éveille aux clartés diffuse de sa mémoire, l'imprègne de sensations vécues, ces fantômes de plaisirs qui, doucement, sous la nuque, dénouent leurs lassitudes.
samedi 13 février 2010
Anne O. parle d'un texte de Soltèsan del Rio Bomor
Reçu ce "récit de lecture" il y a quelques jours. Je le place donc ici avec grand plaisir. Il évoque une nouvelle qui a été "publiée" une première fois sur le site de la "Gazetta di Mirvella" (voir ici et ici), dont il a déjà été question ici plusieurs fois. Ce site est d'une très grand richesse, d'une très grande créativité ; je ne peux signaler ici que la rubrique "Scrittori di Mirvella" (qui prend la suite, me semble-t-il, des "Scritti imposti" du Foru Corsu) : textes écrits en corse ou en français, souvent brefs, parfois multimédia, traversant les genres et les tonalités. Je n'ai pas fait une lecture exhaustive de tous les textes, mais j'y retourne régulièrement : il s'y joue une extension jubilatoire de l'imaginaire et de l'expression corse.
Voici le récit de Anne O. :
Bonsoir, non pas à proprement parler un récit de lecture, mais 2 ou 3 impressions sur un texte que j'ai aimé particulièrement. Choisi d'abord pour son titre : Sympathy for Soledad et, solidarité féminine "oblige" pour sa signature : Soltèsan.
Ce texte plein de rythme semble écrit comme un scenario. Tres imagé, visuel. Avec des séquences bien scindées que l'on imagine. Des flash backs et puis cette chanson, d'abord comme un générique, puis personnage à part entière du récit.
Un récit en termes crus, actuels.
Que j'ai ressenti comme un clip.
Voilà sommairement quelques commentaires, qui j'espère en génèreront d'autres sur ce texte du monde de Mirvella.
A bientôt.
anne.O
SYMPATHY FOR SOLEDAD
And I was 'round when Jesus Christ
Had his moment of doubt and pain
Made damn sure that Pilate
Washed his hands and sealed his fate
Pleased to meet you
Hope you guess my name
But what's puzzling you
Is the nature of my game
Blême, livide, comme exsangue, les pupilles dilatées et l'oeil dans le vide, stone, halluciné, le jean déchiré et des taches de sang séchées sur sa chemise qui avait été blanche, il marqua un temps d'arrêt avant de pousser les battants de la porte. Il regarda à l'intérieur à travers les vitres crasseuses. Ce qu'il voyait lui parvenait dans un halo blafard encore plus tamisé par la buée sur les carreaux. La carcasse de la station-service se découpait dans l'aube naissante. Le ballet des camions ne tarderait pas à reprendre.
I watched with glee
While your kings and queens
Fought for ten decades
For the gods they made
Les riffs de la guitare s'extirpaient du brouhaha comme pour qu'il les entende mieux. Meme déformée par le bruit du dedans, les vapeurs de bourbon et les flash-back stroboscopiques des poussées d'acide, il reconnut sans peine la chanson. Mais c'était sa voix qu'il écoutait à présent.
whoo whoo,
Who killed the Kennedys
When after all
It was you and me
Il ne pouvait la voir de la fenetre où il se trouvait car l'estrade était au fond du bar.
Mais il voyait la silhouette du patron dans le miroir sur le pilier. Ce gros porc immonde la matait comme tous les soirs, bavant. Il éteignit son cigarillo et pénétra dans la salle. Les cris et les sifflets couvraient presque la chaude et rauque voix . Elle le vit de loin et sourit ; elle commençait à présent leur chanson. Celle-là même sur laquelle ils l'avaient connue.Il essayait de se souvenir combien de temps s'était écoulé depuis cette nuit au "Criollo Loco ". 2 ans ? 3 ans? chaque effort pour penser lui causait une insoutenable douleur . ils étaient alors tous deux à Buenos Aires; quand ils s'engouffrèrent dans le cabaret, l'heure était déjà bien avancée et leur démarche trahissait leur début de soirée bien arrosé. En début de semaine, il avait convoyé et vendu un lot de bétail et depuis ils écumaient les bouges de la ville. Les filles, le bourbon, la Corinne quand ils en trouvaient . ce soir, ils s'étaient contentés de bonbons . des acides à moitié frelatés qui les avaient plus endormis que speedé mais pas de bad trip. Sex, drugs and rock'n 'roll. Dès leur entrée dans le cabaret tous se tournèrent et tous les yeux se braquèrent sur eux.
Même elle. Et ils la virent . Comme tous les autres eux aussi furent saisis par la sensuelle beauté . brute. Hypnotique ; Puis la voix les pris pour ne plus les lâcher. Elle ne chantait que des mièvres balades country et quand elle eut fini le morceau, ils lui demandèrent en même temps " Sympathy for the devil".
Elle esquissa un sourire et chanta . Elle ondulait au rythme chaloupé et ne les quittait pas des yeux. Elle chanta et dansa pour eux. À la fin du set, ils burent un verre puis deux, puis une bouteille et partirent avec elle . elle continua d'onduler et soupirer pour eux . Le soleil était déjà bien haut quand ils s'endormirent tous les trois, enfin repus, chevaux fourbus.
Soledad les avait suivis et depuis ils ne se quittaient plus. Elle honky tonk woman et eux tantôt cow-boys, tantôt barmen, tantôt braqueurs. Ils lui avaient trouvé un nom de scène et tout le monde l'appelait à présent Soltèsan, le soleil de printemps en aztèque;
15 jours qu'ils étaient arrivés à Trinidad. 15 jours qu'il lui demandait d'arrêter de chanter dans ces gargotes immondes . 15 jours qu'il lui disait qu'ils avaient assez d'argent pour se casser à New York . là-bas elle pourrait rencontrer un producteur. 15 jours qu'il lui avait dit qu'il l'aimait et qu'il voulait partir avec elle . Seul . 1 jour qu'elle lui avait dit oui et qu'elle parlerait à Pedro.
Pleased to meet you
Hope you guessed my name, whoo whoo oh yeah
But what's confusing you
Is just the nature of my game whoo whoo um yeah whoo whoo
Il s'avança jusqu'à l'estrade en titubant . ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle remarqua sa chemise tachée, maculée de sang caillé.
Les riffs continuaient, mais la voix s'était tu.
- Qu'est ce qu'il y a eu ? ou est Pedro ?
À ces cris, il revit son frère, hors de lui, excédé, comme un taureau blessé, cassant tout dans la chambre du motel . puis il s'était jeté sur lui le traitant de salaud, d'ordure . le frappant. À coup de poings, de pieds, il n'avait pas bougé et s'était laissé faire. Jusqu’à ce qu'il prenne le calibre dans le sac.
- Tu la veux ? dit-il .
- Je te la laisse.
Avant qu'il n'ait pu rien faire Pedro appuyait le canon sur sa tempe.
-Vient, on s'arrache.
- Ou il est ? ou est Pedro ? qu'est ce que tu as fait ??? qu'est ce que tu as fait??
- Viens je te dis ! et il sauta sur l'estrade et la tira par le bras . elle continuait de crier :
-Pedro!!
Il fendit la foule et comme il s'approchait de la sortie le gros lard se mit devant la porte avec ses 2 roquets, 2 serveurs lèche culs, frustrés comme lui,2 chiens lâches toujours prêts à vous mordre au talon dès qu'on leurs tournait le dos.
- Dégage!
- Elle a pas finit !
Il regardait les caniches du coin de l'oeil et vit que le gros sortait sa matraque. Lui avait saisi le calibre qu'il avait dans le dos et quand l'adipeux leva la main pour le frapper, il le cueillit d'un coup de crosse en plein front.
Ce qu'il aimait dans ces moments-là , plus que le sang qui coulait ; c'était l’instant de surprise puis de peur dans les yeux de l'autre.
Il lui mit le second coup sous la tempe et comme il s'affalait de tout son gras, lui en assenât un autre derrière le crâne . il s'étala de toute sa graisse .
il le regardait par terre et lui mit 2 coups de botte dans la bouche . il devint comme fou quand il vit qu'il avait taché ses santiags en peau de python.
Elle criait et le tirait en arrière.
ll le finit à coup de talons
Rassasié il allait sortir mais son regard s'arrêta sur un des roquets. Il le prit par les cheveux et lui enfila le canon dans la bouche. Le serveur avait les yeux exorbités d'un lézard qui aurait lapé de la tequila.
Elle continuait de hurler et de s'accrocher à sa chemise.
Il lâcha le caniche et la tira dehors ;
La moto était garée devant. Il mit le contact . elle pleurait et repetait, hébétée, :
-Pedro, Pedro
Il mit la première, partit et se retourna pour la regarder.
Elle criait encore mais il ne comprenait pas ce qu'elle disait.
Il comprit quand il entendit le klaxon bloqué du semi-remorque . le chauffeur se leva sur les feins.
Comme il tournait la tête il vit la remorque qui glissait vers eux.
Just as every cop is a criminal
And all the sinners saints
As heads is tails
Just call me Lucifer
'Cause I'm in need of some restraint
So if you meet me
Have some courtesy
Have some sympathy, and some taste whoo whoo
Use all your well-learned politesse
Voici le récit de Anne O. :
Bonsoir, non pas à proprement parler un récit de lecture, mais 2 ou 3 impressions sur un texte que j'ai aimé particulièrement. Choisi d'abord pour son titre : Sympathy for Soledad et, solidarité féminine "oblige" pour sa signature : Soltèsan.
Ce texte plein de rythme semble écrit comme un scenario. Tres imagé, visuel. Avec des séquences bien scindées que l'on imagine. Des flash backs et puis cette chanson, d'abord comme un générique, puis personnage à part entière du récit.
Un récit en termes crus, actuels.
Que j'ai ressenti comme un clip.
Voilà sommairement quelques commentaires, qui j'espère en génèreront d'autres sur ce texte du monde de Mirvella.
A bientôt.
anne.O
SYMPATHY FOR SOLEDAD
And I was 'round when Jesus Christ
Had his moment of doubt and pain
Made damn sure that Pilate
Washed his hands and sealed his fate
Pleased to meet you
Hope you guess my name
But what's puzzling you
Is the nature of my game
Blême, livide, comme exsangue, les pupilles dilatées et l'oeil dans le vide, stone, halluciné, le jean déchiré et des taches de sang séchées sur sa chemise qui avait été blanche, il marqua un temps d'arrêt avant de pousser les battants de la porte. Il regarda à l'intérieur à travers les vitres crasseuses. Ce qu'il voyait lui parvenait dans un halo blafard encore plus tamisé par la buée sur les carreaux. La carcasse de la station-service se découpait dans l'aube naissante. Le ballet des camions ne tarderait pas à reprendre.
I watched with glee
While your kings and queens
Fought for ten decades
For the gods they made
Les riffs de la guitare s'extirpaient du brouhaha comme pour qu'il les entende mieux. Meme déformée par le bruit du dedans, les vapeurs de bourbon et les flash-back stroboscopiques des poussées d'acide, il reconnut sans peine la chanson. Mais c'était sa voix qu'il écoutait à présent.
whoo whoo,
Who killed the Kennedys
When after all
It was you and me
Il ne pouvait la voir de la fenetre où il se trouvait car l'estrade était au fond du bar.
Mais il voyait la silhouette du patron dans le miroir sur le pilier. Ce gros porc immonde la matait comme tous les soirs, bavant. Il éteignit son cigarillo et pénétra dans la salle. Les cris et les sifflets couvraient presque la chaude et rauque voix . Elle le vit de loin et sourit ; elle commençait à présent leur chanson. Celle-là même sur laquelle ils l'avaient connue.Il essayait de se souvenir combien de temps s'était écoulé depuis cette nuit au "Criollo Loco ". 2 ans ? 3 ans? chaque effort pour penser lui causait une insoutenable douleur . ils étaient alors tous deux à Buenos Aires; quand ils s'engouffrèrent dans le cabaret, l'heure était déjà bien avancée et leur démarche trahissait leur début de soirée bien arrosé. En début de semaine, il avait convoyé et vendu un lot de bétail et depuis ils écumaient les bouges de la ville. Les filles, le bourbon, la Corinne quand ils en trouvaient . ce soir, ils s'étaient contentés de bonbons . des acides à moitié frelatés qui les avaient plus endormis que speedé mais pas de bad trip. Sex, drugs and rock'n 'roll. Dès leur entrée dans le cabaret tous se tournèrent et tous les yeux se braquèrent sur eux.
Même elle. Et ils la virent . Comme tous les autres eux aussi furent saisis par la sensuelle beauté . brute. Hypnotique ; Puis la voix les pris pour ne plus les lâcher. Elle ne chantait que des mièvres balades country et quand elle eut fini le morceau, ils lui demandèrent en même temps " Sympathy for the devil".
Elle esquissa un sourire et chanta . Elle ondulait au rythme chaloupé et ne les quittait pas des yeux. Elle chanta et dansa pour eux. À la fin du set, ils burent un verre puis deux, puis une bouteille et partirent avec elle . elle continua d'onduler et soupirer pour eux . Le soleil était déjà bien haut quand ils s'endormirent tous les trois, enfin repus, chevaux fourbus.
Soledad les avait suivis et depuis ils ne se quittaient plus. Elle honky tonk woman et eux tantôt cow-boys, tantôt barmen, tantôt braqueurs. Ils lui avaient trouvé un nom de scène et tout le monde l'appelait à présent Soltèsan, le soleil de printemps en aztèque;
15 jours qu'ils étaient arrivés à Trinidad. 15 jours qu'il lui demandait d'arrêter de chanter dans ces gargotes immondes . 15 jours qu'il lui disait qu'ils avaient assez d'argent pour se casser à New York . là-bas elle pourrait rencontrer un producteur. 15 jours qu'il lui avait dit qu'il l'aimait et qu'il voulait partir avec elle . Seul . 1 jour qu'elle lui avait dit oui et qu'elle parlerait à Pedro.
Pleased to meet you
Hope you guessed my name, whoo whoo oh yeah
But what's confusing you
Is just the nature of my game whoo whoo um yeah whoo whoo
Il s'avança jusqu'à l'estrade en titubant . ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle remarqua sa chemise tachée, maculée de sang caillé.
Les riffs continuaient, mais la voix s'était tu.
- Qu'est ce qu'il y a eu ? ou est Pedro ?
À ces cris, il revit son frère, hors de lui, excédé, comme un taureau blessé, cassant tout dans la chambre du motel . puis il s'était jeté sur lui le traitant de salaud, d'ordure . le frappant. À coup de poings, de pieds, il n'avait pas bougé et s'était laissé faire. Jusqu’à ce qu'il prenne le calibre dans le sac.
- Tu la veux ? dit-il .
- Je te la laisse.
Avant qu'il n'ait pu rien faire Pedro appuyait le canon sur sa tempe.
-Vient, on s'arrache.
- Ou il est ? ou est Pedro ? qu'est ce que tu as fait ??? qu'est ce que tu as fait??
- Viens je te dis ! et il sauta sur l'estrade et la tira par le bras . elle continuait de crier :
-Pedro!!
Il fendit la foule et comme il s'approchait de la sortie le gros lard se mit devant la porte avec ses 2 roquets, 2 serveurs lèche culs, frustrés comme lui,2 chiens lâches toujours prêts à vous mordre au talon dès qu'on leurs tournait le dos.
- Dégage!
- Elle a pas finit !
Il regardait les caniches du coin de l'oeil et vit que le gros sortait sa matraque. Lui avait saisi le calibre qu'il avait dans le dos et quand l'adipeux leva la main pour le frapper, il le cueillit d'un coup de crosse en plein front.
Ce qu'il aimait dans ces moments-là , plus que le sang qui coulait ; c'était l’instant de surprise puis de peur dans les yeux de l'autre.
Il lui mit le second coup sous la tempe et comme il s'affalait de tout son gras, lui en assenât un autre derrière le crâne . il s'étala de toute sa graisse .
il le regardait par terre et lui mit 2 coups de botte dans la bouche . il devint comme fou quand il vit qu'il avait taché ses santiags en peau de python.
Elle criait et le tirait en arrière.
ll le finit à coup de talons
Rassasié il allait sortir mais son regard s'arrêta sur un des roquets. Il le prit par les cheveux et lui enfila le canon dans la bouche. Le serveur avait les yeux exorbités d'un lézard qui aurait lapé de la tequila.
Elle continuait de hurler et de s'accrocher à sa chemise.
Il lâcha le caniche et la tira dehors ;
La moto était garée devant. Il mit le contact . elle pleurait et repetait, hébétée, :
-Pedro, Pedro
Il mit la première, partit et se retourna pour la regarder.
Elle criait encore mais il ne comprenait pas ce qu'elle disait.
Il comprit quand il entendit le klaxon bloqué du semi-remorque . le chauffeur se leva sur les feins.
Comme il tournait la tête il vit la remorque qui glissait vers eux.
Just as every cop is a criminal
And all the sinners saints
As heads is tails
Just call me Lucifer
'Cause I'm in need of some restraint
So if you meet me
Have some courtesy
Have some sympathy, and some taste whoo whoo
Use all your well-learned politesse
vendredi 5 février 2010
La "bouche amère" de Don Petru
Je le disais dans un précédent billet, je repense souvent à cette expression, utilisée par le personnage Don Petru lui-même, dans la pièce de théâtre écrite par Marie-Jean Vinciguerra (si vous la trouvez, perdue dans une librairie en Corse, bravo...).
La pièce est en trois actes eux-mêmes découpés en tableaux.
Voici le passage (acte III) :
CHANGEMENT DE TABLEAU
(On est dans le pallier. De chaque côté de la planche sur laquelle est couché le mort le choeur des vieux et celui des vieilles.)
CHOEUR DES VIEILLES EN PLEUREUSES
Ghjuvan Battì, à la Vadina dei Cani
Tu ne mèneras plus ton troupeau.
Tu ne chanteras plus sous l'ormeau.
Tu ne prendras plus les filles par la taille.
(Ensemble.) Il est mort le bien-aimé.
Celui-là sur la planche
Ghjuvan Battì, ce n'est pas toi.
Tu cours le maquis
Tu siffles les chèvres.
(On entend le culombu dans la vallée.)
CHOEUR DES VIEUX
Le vent crie dans les châtaigniers
Le mort appelle le mort
La vengeance qui l'a faite l'attende !
(Les vieux se mettent debout, les vieilles sont assises. Orsola apparaît soudainement.)
ORSOLA
Ô gens, laissez-moi parler
Ma bouche va dire ce qu'elle n'osa jamais
Ghjuvan Battì, c'est toi que j'aimais
Tu ne m'avais pas choisie
J'ai gardé mon secret
Si j'avais été à tes côtés
Avant d'atteindre ton coeur
La balle de l'assassin
Aurait trouvé le mien.
Si tu m'avais choisie
Je t'aurais donné un fils
Il aurait eu ta beauté
Une pluie d'étoiles rousses sur le visage
Ton sourire et cette même fossette.
Malheur à celui qui en te donnant la mort
M'ôte la vie.
CHOEUR DES VIEILLES
Nous veillerons seules
Les berceaux vides
VOIX OFF
La tramontane gémit.
Le village, désert.
L'olivier, sec.
La cheminée pleure des larmes de suie.
Vaine est la vengeance.
Que le feu vienne
et
Qu'il mange les souvenirs !
DERNIER TABLEAU
(La cuisine est dans une semi-obscurité. Petru toujours vêtu de noir.)
PETRU
À cause de ces folles, je suis la risée du village !
Les soeurs Bonavita amoureuses d'un berger lucquois !
Sur la place publique, ma soeur qui pleure ce traître.
J'ai tout perdu pour avoir misé sur l'honneur.
J'ai craché toute ma salive. Ma bouche est amère.
(J'y pense : avec le passage de "Nimu" cité dans le précédent billet, cela fait deux extraits d'oeuvres corses qui réutilisent une tonalité biblique (comme les "Psaumes" par exemple, cette écriture prophétique, écriture de l'imprécation, de l'appel et de la lamentation, alliant sècheresse d'expression et violence imagée).
(Je pense à la nouvelle traduction de la Bible, aux éditions Bayard ; par exemple, cet extrait du Psaume 31 (versets 6 à 17), traduit par Olivier Cadiot et Marc Sevin, évoquant un rachat que ne connaîtra pas Don Petru - et qu'il ne réclame pas d'ailleurs :
Entre tes mains je remets mon souffle
oui c'est moi que tu rachètes
Yhwh Dieu de vérité
Je hais les adorateurs du rien
moi j'ai confiance en Yhwh
Joie
oh joie à cause de ton amour
Oui tu as vu mon humiliation
tu sais ce qui pèse sur moi
Tu ne me livres pas à mes ennemis
tu diriges mes pas dans l'espace
Pitié pour moi Yhwh
usé par tout ce qui m'oppresse
Yeux et gorge et ventre dans le chagrin
Oh ma vie a disparu dans le chagrin
mes années perdues en soupirs
Ma force affaiblie par la faute
Usure
de mes os
Je suis la honte de mes adversaires
et de mes voisins encore plus
Je fais peur à mes proches
dehors on me fuit
Je suis oublié comme un mort
Loin
de soi
Vase en miettes
J'ai trop écouté les calomnies
cette terreur partout
Conciliabules contre moi
ils veulent me voler ma vie
Moi j'ai confiance en toi
Yhwh
Je te dis toi tu es mon Dieu
tout ce qui m'arrive est dans tes mains
Délivre-moi des mains ennemies et des persécuteurs
Que ta face illumine ton serviteur
sauve-moi dans ton amour
La pièce est en trois actes eux-mêmes découpés en tableaux.
Voici le passage (acte III) :
CHANGEMENT DE TABLEAU
(On est dans le pallier. De chaque côté de la planche sur laquelle est couché le mort le choeur des vieux et celui des vieilles.)
CHOEUR DES VIEILLES EN PLEUREUSES
Ghjuvan Battì, à la Vadina dei Cani
Tu ne mèneras plus ton troupeau.
Tu ne chanteras plus sous l'ormeau.
Tu ne prendras plus les filles par la taille.
(Ensemble.) Il est mort le bien-aimé.
Celui-là sur la planche
Ghjuvan Battì, ce n'est pas toi.
Tu cours le maquis
Tu siffles les chèvres.
(On entend le culombu dans la vallée.)
CHOEUR DES VIEUX
Le vent crie dans les châtaigniers
Le mort appelle le mort
La vengeance qui l'a faite l'attende !
(Les vieux se mettent debout, les vieilles sont assises. Orsola apparaît soudainement.)
ORSOLA
Ô gens, laissez-moi parler
Ma bouche va dire ce qu'elle n'osa jamais
Ghjuvan Battì, c'est toi que j'aimais
Tu ne m'avais pas choisie
J'ai gardé mon secret
Si j'avais été à tes côtés
Avant d'atteindre ton coeur
La balle de l'assassin
Aurait trouvé le mien.
Si tu m'avais choisie
Je t'aurais donné un fils
Il aurait eu ta beauté
Une pluie d'étoiles rousses sur le visage
Ton sourire et cette même fossette.
Malheur à celui qui en te donnant la mort
M'ôte la vie.
CHOEUR DES VIEILLES
Nous veillerons seules
Les berceaux vides
VOIX OFF
La tramontane gémit.
Le village, désert.
L'olivier, sec.
La cheminée pleure des larmes de suie.
Vaine est la vengeance.
Que le feu vienne
et
Qu'il mange les souvenirs !
DERNIER TABLEAU
(La cuisine est dans une semi-obscurité. Petru toujours vêtu de noir.)
PETRU
À cause de ces folles, je suis la risée du village !
Les soeurs Bonavita amoureuses d'un berger lucquois !
Sur la place publique, ma soeur qui pleure ce traître.
J'ai tout perdu pour avoir misé sur l'honneur.
J'ai craché toute ma salive. Ma bouche est amère.
(J'y pense : avec le passage de "Nimu" cité dans le précédent billet, cela fait deux extraits d'oeuvres corses qui réutilisent une tonalité biblique (comme les "Psaumes" par exemple, cette écriture prophétique, écriture de l'imprécation, de l'appel et de la lamentation, alliant sècheresse d'expression et violence imagée).
(Je pense à la nouvelle traduction de la Bible, aux éditions Bayard ; par exemple, cet extrait du Psaume 31 (versets 6 à 17), traduit par Olivier Cadiot et Marc Sevin, évoquant un rachat que ne connaîtra pas Don Petru - et qu'il ne réclame pas d'ailleurs :
Entre tes mains je remets mon souffle
oui c'est moi que tu rachètes
Yhwh Dieu de vérité
Je hais les adorateurs du rien
moi j'ai confiance en Yhwh
Joie
oh joie à cause de ton amour
Oui tu as vu mon humiliation
tu sais ce qui pèse sur moi
Tu ne me livres pas à mes ennemis
tu diriges mes pas dans l'espace
Pitié pour moi Yhwh
usé par tout ce qui m'oppresse
Yeux et gorge et ventre dans le chagrin
Oh ma vie a disparu dans le chagrin
mes années perdues en soupirs
Ma force affaiblie par la faute
Usure
de mes os
Je suis la honte de mes adversaires
et de mes voisins encore plus
Je fais peur à mes proches
dehors on me fuit
Je suis oublié comme un mort
Loin
de soi
Vase en miettes
J'ai trop écouté les calomnies
cette terreur partout
Conciliabules contre moi
ils veulent me voler ma vie
Moi j'ai confiance en toi
Yhwh
Je te dis toi tu es mon Dieu
tout ce qui m'arrive est dans tes mains
Délivre-moi des mains ennemies et des persécuteurs
Que ta face illumine ton serviteur
sauve-moi dans ton amour
Mais cette machine dans ma tête / Machine sourde et tempête
Oui, j'ai une furieuse envie de lire de vraies belles analyses littéraires - mixte de plume journalistique pour le plus large public et de regard acéré pour pointer l'enjeu vital d'une oeuvre - de ces vraies belles analyses approfondies qui donnent une perspective, éclairent le passé en passe d'être oublié et éclaircissent un présent saturé d'objets qui se font de l'ombre. (Je me vois, légèrement assoupi dans un large fauteuil, il est presque 15 h, je lis et relis la Corsican Review of Books, sublime mensuel de 150 pages sur papier bible, où la liberté de ton le dispute à l'intelligence et à la finesse des études et des discussions... ah : cette revue existe déjà, dites-vous ? ah, excellent !)
Mais ici, sur ce blog, il est d'abord question de permettre à qui le veut de pointer du doigt une page lue, restée en mémoire, nourrissant nos pensées, disparaissant, revenant, se métamorphosant en nous, nous métamorphosant ; et peu importe si nos façons de désigner cette page sont encore floues - nos murmures sont ceux de l'éveil cotonneux - peu importe car l'essentiel est d'avoir désigné l'objet de nos désirs : la page, le moment, ce petit bloc de temps et d'espace, de bric et de broc, qui, en nous, travaille...
Donc aujourd'hui, sans même quelques explications floues, je pointe cette page de "Nimu" de Jean-Pierre Santini, qui foisonne de trouvailles formelles (et il faut bien que la littérature - qui combine le travail de la forme et la force du regard - fasse son office avec la matière corse). La première fois que je l'ai lue, c'est la surprise qui a dominé en moi, devant l'incongruité de l'invention (cet étrange "dialogue" des frères Capretti) ; et puis j'ai senti qu'il y avait là une trouvaille, une véritable trouvaille formelle capable de dire quelque chose sur l'état de la parole en Corse, toujours vivace, par éclats, mais mettant en scène son impasse. Bref, j'aime cette page, je la trouve géniale : elle me soulève d'enthousiasme (peut-être pas vous ? parlons-en).
(Ah oui, élément aggravant pour mon cas : je n'ai pas encore fini de lire le livre : il faut que j'y retourne !)
Il s'agit du chapitre 55 (de la page 154 à la page 158) :
Le commissaire n'était pas homme à se laisser impressionner par les arrière-mondes. Il ne croyait ni aux mystères, ni aux miracles, toutes formes de dissimulation et de mensonge sous lesquelles le rôle de l'enquêteur consiste précisément à traquer la vérité. L'histoire du monde, depuis la nuit des temps, est comparable à l'anecdote criminelle la plus commune. Sauf que dans l'histoire du monde, le mensonge atteint des proportions considérables au point d'embuer les consciences, des siècles durant, et de provoquer guerres et massacres entre les pauvres gens au nom de constructions hypothétiques que les plus habiles ont placées au ciel, ce qui complique évidemment les procédures de l'enquête. Par définition, les vérités révélées se suffisent à elles-mêmes. Sauf qu'elles sont révélées par quelques hommes pour la multitude et que, dans l'élection même de cette infime minorité, réside le mensonge le plus abject ; celui qui consiste à manipuler les foules au nom du ciel afin qu'une élite - peuples élus, églises et clergés de tous poils, classes dominantes - puisse tranquillement jouir des biens de ce bas monde.
Yann Caramusa ne croyait qu'aux lumières de la raison, de l'intelligence, de la liberté humaine, de la faculté formidable qu'ont les hommes d'établir des liens de causalité et donc de comprendre, peu à peu, tous les phénomènes qui les entourent. C'est pourquoi, au matin de ce cataclysme peu banal qui avait causé des dégâts considérables et modifié brusquement les clartés du jour, il avait gardé son calme, considérant qu'il devait y avoir une explication quelque part. Bien que l'entreprise fût difficile - mais la recherche de la vérité l'est toujours -, en toutes circonstances, il avait décidé de s'y employer en fonction de ses moyens, aussi modeste fussent-ils.
Lorsqu'il entendit les premières phrases apparemment prononcées par les frères Capretti, il eut le réflexe habituel de sortir son carnet pour noter tout ce qui pouvait être retenu de la situation.
Il présenta les lieux en quelques mots - hameau de Casanova, maison Capretti, façade nord, voix aux fenêtres, auteurs invisibles, probablement les frères Bartolomeu et Lisandru Capretti - et nota d'autant plus facilement les termes du dialogue qu'il y a avait chaque fois un silence entre deux échanges comme si les interlocuteurs souhaitaient que leurs incantations fussent enregistrées.
Voici donc ce que le commissaire Yann Caramusa, qui s'était assis en tailleur à même le sol au milieu du sentier, écrivit sur son carnet en supposant B pour Bartolomeu, fenêtre centrale du troisième étage et L pour Lisandru, fenêtre gauche du premier étage :
B : Que celui qui passe, passe...
L : Et que celui qui reste, reste...
B : Que celui qui parle soit écouté.
L : Et que celui qu'on écoute soit loué.
B : Loué soit l'Enseigneur.
L : Et loué soit l'enseigné.
B : Ecoutez, prêtez l'oreille.
L : Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.
B : Malheur aux nations pêcheresses.
L : Et aux peuples chargés de crimes.
B : Malheur aux pères corrompus.
L : Malheur aux fils rebelles.
B : Toute tête est malade
L : Et tout coeur exténué.
B : Villages et cités sont tombés en ruines
L : L'île s'effondre dans l'écume des jours
B : Le ciel a perdu ses clartés
L : Voici venu le temps des ténèbres.
B : Parce que rebelles et voleurs ont scellé leur alliance.
L : Il ont porté les mêmes masques
B : Toutes couleurs assemblées.
L : Les noirs, les rouges, les blancs, les grisés
B : Et sous leur masque la haine
L : Le regard avide, le coeur vide
B : Et le corps sans âme qui ne sait plus ce qu'il est.
L : Ils se sont détournés du pauvre, du vieillard
B : Des femmes et des enfants,
L : Des damnés de cette terre
B : Des veuves, des orphelins
L : Parce qu'ils ont aimé les présents
B : Qu'ils se sont parés d'ors, de bijoux, d'écarlate
L : Parce qu'ils se sont attachés à la matière
B : Parce qu'ils vont au silence
L : Parce que tout ce qui est ne sera plus
B : Et tout ce qui est décomposé sera décomposé
L : Des nuages d'acier monteront à l'assaut
B : Pareils à l'armée des chars, ils gronderont au ciel
L : Et quand ils seront passés, la lumière aura disparu
B : Le pays sera comme un désert
L : Villes et villages abolis
B : Et les semeurs de misère seront moissonnés
L : Passés au fil des armes, anéantis, laminés
B : Dieu ne prête pas main-forte aux malfaiteurs
L : Il les étendra dans la poussière
B : Et ils deviendront poussière.
L : Mais pour les humbles, les innocents, les sacrifiés
B : L'éblouissante splendeur, répandra ses clartés d'ord.
L : Ce qui fut au premier matin du monde sera.
B : Des larmes versées, des chagrins et des deuils
L : Ressurgiront les vergers, les jardins, les fleurs.
B : Tout ce qui a été sera.
L : Que celui qui passe écoute
B : Car celui qui passe est déjà passé.
Le commissaire achevait de noter la dernière phrase, celle qu'il présumait être prononcée par Bartolomeu et s'apprêtait calmement à prendre note de la suite de cet échange dont certains éléments paraissaient correspondre à quelques indices relevés dans le témoignage de Michel Casanova, quand il perçut nettement comme des battements d'ailes à l'intérieur de la Casa Capretti. On eût dit de grands volatiles effarés brassant l'air en vain, impuissants à prendre leur envol dans des pièces trop exiguës. Puis, il y eut un bruit de fuite, de pas rapides dégringolant des escaliers de bois et une porte claquant sur l'autre façade. Enfin, de nouveau, le silence. Comme si rien ne s'était passé.
Le commissaire Yann Caramusa, très rationnel, peu enclin à se laisser impressionner par les fables, en conclut que Bartolomeu et Lisandru Capretti méritaient amplement leur réputation d'originaux. Les événements de la nuit et l'ampleur du cataclysme avaient sans doute accentué leur penchant habituel à se singulariser par des comportements étranges. Ne disait-on pas qu'à la Saint-André, à l'époque où les enfants venaient encore frapper aux portes pour une pièce de monnaie, les deux frères n'ouvraient pas, mais en jetaient à poignée par les fenêtres ? Une pluie métallique tintait parmi les rires et ravissait les petits mendiants occasionnels.
Le commissaire Yann Caramusa rangea son carnet et reprit son chemin en direction du hameau du Poghju, situé à une centaine de mètres au-dessus. Il gardait l'espoir de rencontrer enfin quelqu'un puisque les frères Capretti avaient manifestement choisi de ne pas apparaître.
Mais ici, sur ce blog, il est d'abord question de permettre à qui le veut de pointer du doigt une page lue, restée en mémoire, nourrissant nos pensées, disparaissant, revenant, se métamorphosant en nous, nous métamorphosant ; et peu importe si nos façons de désigner cette page sont encore floues - nos murmures sont ceux de l'éveil cotonneux - peu importe car l'essentiel est d'avoir désigné l'objet de nos désirs : la page, le moment, ce petit bloc de temps et d'espace, de bric et de broc, qui, en nous, travaille...
Donc aujourd'hui, sans même quelques explications floues, je pointe cette page de "Nimu" de Jean-Pierre Santini, qui foisonne de trouvailles formelles (et il faut bien que la littérature - qui combine le travail de la forme et la force du regard - fasse son office avec la matière corse). La première fois que je l'ai lue, c'est la surprise qui a dominé en moi, devant l'incongruité de l'invention (cet étrange "dialogue" des frères Capretti) ; et puis j'ai senti qu'il y avait là une trouvaille, une véritable trouvaille formelle capable de dire quelque chose sur l'état de la parole en Corse, toujours vivace, par éclats, mais mettant en scène son impasse. Bref, j'aime cette page, je la trouve géniale : elle me soulève d'enthousiasme (peut-être pas vous ? parlons-en).
(Ah oui, élément aggravant pour mon cas : je n'ai pas encore fini de lire le livre : il faut que j'y retourne !)
Il s'agit du chapitre 55 (de la page 154 à la page 158) :
Le commissaire n'était pas homme à se laisser impressionner par les arrière-mondes. Il ne croyait ni aux mystères, ni aux miracles, toutes formes de dissimulation et de mensonge sous lesquelles le rôle de l'enquêteur consiste précisément à traquer la vérité. L'histoire du monde, depuis la nuit des temps, est comparable à l'anecdote criminelle la plus commune. Sauf que dans l'histoire du monde, le mensonge atteint des proportions considérables au point d'embuer les consciences, des siècles durant, et de provoquer guerres et massacres entre les pauvres gens au nom de constructions hypothétiques que les plus habiles ont placées au ciel, ce qui complique évidemment les procédures de l'enquête. Par définition, les vérités révélées se suffisent à elles-mêmes. Sauf qu'elles sont révélées par quelques hommes pour la multitude et que, dans l'élection même de cette infime minorité, réside le mensonge le plus abject ; celui qui consiste à manipuler les foules au nom du ciel afin qu'une élite - peuples élus, églises et clergés de tous poils, classes dominantes - puisse tranquillement jouir des biens de ce bas monde.
Yann Caramusa ne croyait qu'aux lumières de la raison, de l'intelligence, de la liberté humaine, de la faculté formidable qu'ont les hommes d'établir des liens de causalité et donc de comprendre, peu à peu, tous les phénomènes qui les entourent. C'est pourquoi, au matin de ce cataclysme peu banal qui avait causé des dégâts considérables et modifié brusquement les clartés du jour, il avait gardé son calme, considérant qu'il devait y avoir une explication quelque part. Bien que l'entreprise fût difficile - mais la recherche de la vérité l'est toujours -, en toutes circonstances, il avait décidé de s'y employer en fonction de ses moyens, aussi modeste fussent-ils.
Lorsqu'il entendit les premières phrases apparemment prononcées par les frères Capretti, il eut le réflexe habituel de sortir son carnet pour noter tout ce qui pouvait être retenu de la situation.
Il présenta les lieux en quelques mots - hameau de Casanova, maison Capretti, façade nord, voix aux fenêtres, auteurs invisibles, probablement les frères Bartolomeu et Lisandru Capretti - et nota d'autant plus facilement les termes du dialogue qu'il y a avait chaque fois un silence entre deux échanges comme si les interlocuteurs souhaitaient que leurs incantations fussent enregistrées.
Voici donc ce que le commissaire Yann Caramusa, qui s'était assis en tailleur à même le sol au milieu du sentier, écrivit sur son carnet en supposant B pour Bartolomeu, fenêtre centrale du troisième étage et L pour Lisandru, fenêtre gauche du premier étage :
B : Que celui qui passe, passe...
L : Et que celui qui reste, reste...
B : Que celui qui parle soit écouté.
L : Et que celui qu'on écoute soit loué.
B : Loué soit l'Enseigneur.
L : Et loué soit l'enseigné.
B : Ecoutez, prêtez l'oreille.
L : Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.
B : Malheur aux nations pêcheresses.
L : Et aux peuples chargés de crimes.
B : Malheur aux pères corrompus.
L : Malheur aux fils rebelles.
B : Toute tête est malade
L : Et tout coeur exténué.
B : Villages et cités sont tombés en ruines
L : L'île s'effondre dans l'écume des jours
B : Le ciel a perdu ses clartés
L : Voici venu le temps des ténèbres.
B : Parce que rebelles et voleurs ont scellé leur alliance.
L : Il ont porté les mêmes masques
B : Toutes couleurs assemblées.
L : Les noirs, les rouges, les blancs, les grisés
B : Et sous leur masque la haine
L : Le regard avide, le coeur vide
B : Et le corps sans âme qui ne sait plus ce qu'il est.
L : Ils se sont détournés du pauvre, du vieillard
B : Des femmes et des enfants,
L : Des damnés de cette terre
B : Des veuves, des orphelins
L : Parce qu'ils ont aimé les présents
B : Qu'ils se sont parés d'ors, de bijoux, d'écarlate
L : Parce qu'ils se sont attachés à la matière
B : Parce qu'ils vont au silence
L : Parce que tout ce qui est ne sera plus
B : Et tout ce qui est décomposé sera décomposé
L : Des nuages d'acier monteront à l'assaut
B : Pareils à l'armée des chars, ils gronderont au ciel
L : Et quand ils seront passés, la lumière aura disparu
B : Le pays sera comme un désert
L : Villes et villages abolis
B : Et les semeurs de misère seront moissonnés
L : Passés au fil des armes, anéantis, laminés
B : Dieu ne prête pas main-forte aux malfaiteurs
L : Il les étendra dans la poussière
B : Et ils deviendront poussière.
L : Mais pour les humbles, les innocents, les sacrifiés
B : L'éblouissante splendeur, répandra ses clartés d'ord.
L : Ce qui fut au premier matin du monde sera.
B : Des larmes versées, des chagrins et des deuils
L : Ressurgiront les vergers, les jardins, les fleurs.
B : Tout ce qui a été sera.
L : Que celui qui passe écoute
B : Car celui qui passe est déjà passé.
Le commissaire achevait de noter la dernière phrase, celle qu'il présumait être prononcée par Bartolomeu et s'apprêtait calmement à prendre note de la suite de cet échange dont certains éléments paraissaient correspondre à quelques indices relevés dans le témoignage de Michel Casanova, quand il perçut nettement comme des battements d'ailes à l'intérieur de la Casa Capretti. On eût dit de grands volatiles effarés brassant l'air en vain, impuissants à prendre leur envol dans des pièces trop exiguës. Puis, il y eut un bruit de fuite, de pas rapides dégringolant des escaliers de bois et une porte claquant sur l'autre façade. Enfin, de nouveau, le silence. Comme si rien ne s'était passé.
Le commissaire Yann Caramusa, très rationnel, peu enclin à se laisser impressionner par les fables, en conclut que Bartolomeu et Lisandru Capretti méritaient amplement leur réputation d'originaux. Les événements de la nuit et l'ampleur du cataclysme avaient sans doute accentué leur penchant habituel à se singulariser par des comportements étranges. Ne disait-on pas qu'à la Saint-André, à l'époque où les enfants venaient encore frapper aux portes pour une pièce de monnaie, les deux frères n'ouvraient pas, mais en jetaient à poignée par les fenêtres ? Une pluie métallique tintait parmi les rires et ravissait les petits mendiants occasionnels.
Le commissaire Yann Caramusa rangea son carnet et reprit son chemin en direction du hameau du Poghju, situé à une centaine de mètres au-dessus. Il gardait l'espoir de rencontrer enfin quelqu'un puisque les frères Capretti avaient manifestement choisi de ne pas apparaître.
mercredi 3 février 2010
Coup de sonde dans le passé récent
Je me souviens de la "bouche amère" de Don Petru, personnage principal de la tragédie du même nom écrite par Marie-Jean Vinciguerra (encore lui !), publiée par Sammarcelli en 2006. Cela fait un petit moment que j'ai envie braquer à nouveau mon regard sur ce passage où il parle de sa "bouche amère" (acte III). Je le ferai bientôt et je mettrai en ligne la préface que l'auteur m'avait demandé d'écrire ; ce fut un plaisir : j'avais été emballé par cette pièce de théâtre (sera-t-elle représentée un jour ? Peut-être cette forme littéraire paraîtra-t-elle trop classique ? Mais qui a lu cette pièce ?).
Le 19 septembre 2007, j'avais pris la parole, en compagnie de Jean-Marie Arrighi, à l'invitation du Centre culturel universitaire de l'Université de Corse. Donc à Corti, ce jour-là, j'évoquais oralement, rapidement, quelques pensées sur cet improbable objet qu'est la "littérature corse". Le mois suivant, je réécrivis mon propos, le mis en forme. Puis ce texte fut publié dans la revue ouessantine - que je vous conseille bien évidemment très chaleureusement - "L'archipel des lettres" (numéro 2 ; voir ici les sommaires de tous les numéros, la Corse est souvent présente, et toutes les îles du monde aussi...). Je l'ai relu aujourd'hui (ressassement, ressassement), et je me suis laissé aller à penser qu'il pouvait être utile de proposer ici cet essai - légèrement remanié - de formulation d'une pensée (oui, certainement encore maladroite ou contradictoire). Cela veut être une des contributions à la réflexion générale qui s'étoffe de plus en plus ces derniers temps (je pense par exemple au "Manifeste des Agriates" de Xavier Casanova : voir ici).
Evidemment, la question est de nouveau celle de la place des "lecteurs" dans la fabrication d'une littérature (corse).
Bonne lecture.
(Et passez votre chemin si vous avez soupé de mes redites, nous nous retrouverons peut-être avec la "bouche amère" de Don Petru ?).
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UNE LITTERATURE CORSE, POUR QUOI FAIRE ?
Pour que le matériel de la culture soit un capital, il exige, lui aussi,
l’existence d’hommes qui aient besoin de lui, et qui puissent s’en servir –
c’est-à-dire d’hommes qui aient soif de connaissance et de puissance
de transformations intérieures, soif de développements
de leur sensibilité ; et qui sachent, d’autre part, acquérir ou exercer
ce qu’il faut d’habitudes, de discipline intellectuelle,
de conventions et de pratiques pour utiliser l’arsenal de documents
et d’instruments que les siècles ont accumulé.
Paul Valéry, « La liberté de l’esprit », 1939.
Une littérature singulière comme une autre
Aujourd’hui, je me réjouirai avec vous tous d’un fait que je considérerai comme avéré et certainement définitif : il existe une littérature corse, au même titre qu’une littérature française.
Comme toute autre littérature, nous la définirons comme un ensemble de textes, donc d’auteurs (conscients et désireux de créer une œuvre), d’éditeurs, de libraires, de bibliothèques, de manuels, d’enseignants face à des élèves, de chercheurs universitaires, de prix… Tous les éléments d’une véritable institution littéraire sont présents, même s’ils peuvent paraître encore balbutiants.
Cette littérature existe si bien qu’il est possible d’en décrire l’histoire, les courants, les époques, les évolutions (à l’instar de Jean-Marie Arrighi) et d’en offrir des introductions ou des anthologies.
Un tel travail est absolument légitime et nécessaire. Légitime, car il s’agit de décrire une réalité : comment des œuvres littéraires corses sont nées, pourquoi, pour qui. Nécessaire, car si l’on veut lire de la littérature corse, il faut bien en dresser la cartographie la plus précise, l’histoire la plus fine, la bibliothèque la plus complète.
Cette littérature a cependant un certain nombre de caractéristiques qu’il ne faudrait pas laisser de côté car elles lui donnent en effet un sel tout particulier.
Premièrement, la littérature corse est multilingue. Ecrite en latin, en italien, en français ou en corse. C’est un fait. Il suffit de feuilleter l’Anthologie des écrivains corses de Hyacinthe Yvia-Croce pour le constater. Cette idée peut paraître étonnante, tant nous sommes habitués à concevoir qu’une langue donne lieu à une littérature, et donc qu’une littérature ne peut être que monolingue. Mais la longue histoire de notre peuple veut que plusieurs langues aient investi son gosier – bien sûr selon des modalités très différentes (linguistique et sociolinguistique nous permettent d’y voir plus clair dans les multiples situations de diglossie, de conflit et d’affirmation de ces langues). Aujourd’hui, il est possible d’envisager ces quatre idiomes comme les variations linguistiques passées (latin, italien) ou présentes (français, corse) de la littérature corse. Le Vir Nemoris de Nobili-Savelli (XVIIIème siècle, en latin), la Dionomachia de Viale (XIXème siècle, en italien), U Salutu di a morte de Ghjuvan Maria Comiti (XXème siècle, en corse), Les Roses de Pline de Rinaldi (XXème siècle, en français) : toutes œuvres qui concourent à développer l’expression littéraire corse.
Deuxièmement, notre littérature est le fruit de points de vue d’auteurs très différents : issus de l’île ou venant d’ailleurs, s’ignorant, s’opposant ou bien se mélangeant. De fait, un certain nombre de textes qui nous paraissent légitimement donner une image stéréotypée et négative de la Corse ont joué et jouent encore un rôle dans notre imaginaire. Par exemple, la canonique Colomba de Prosper Mérimée. Comment ne pas prendre nos distances avec un tel ouvrage ? Pourquoi conserver encore le miroir tyrannique du romantisme français qui avait sa propre histoire, sa propre logique exotisante ? Deux faits cependant doivent frapper nos esprits : Eugène Gherardi nous a expliqué (dans Esprit corse et romantisme, en 2004) que Mérimée s’était notamment inspiré des plaidoiries des avocats corses qui eux-mêmes utilisaient dans des buts particuliers des « images », des « histoires », dont les types pouvaient être de quelque utilité pour gagner un procès. Ce fait concerne la production de ce roman, mais sa réception est tout aussi éclairante : un tel texte est non seulement régulièrement adapté au cinéma (signalons la version en langue corse d’Ange Casta), mais encore nos écrivains, en langue corse ou en langue française, récupèrent l’intrigue et les personnages du roman, les déforment, les revivifient ou s’en moquent… mais ne les passent pas sous silence. Ainsi, nous ferons l’effort d’accepter une extension maximale des œuvres littéraires corses, lorsque leurs propos nous regardent particulièrement, quelles que soient les origines et les intentions de leurs auteurs. La Colomba de Mérimée, le Pasquale Paoli de Guerrazzi (existe-t-il d’ailleurs une traduction française de ce roman italien du XIXème siècle ?), le Tout-Monde d’Edouard Glissant, dont un des personnages martiniquais fait une étape à Cargèse dans les années 50, sont certaines des facettes de notre littérature.
Multilingue et venant d’horizons variés, la littérature corse est aussi d’une qualité très inégale et en cela, elle ne se différencie pas des autres. Les difficultés dans lesquelles elle est née (historiques, linguistiques), l’exiguïté et la fragilité de notre institution littéraire (combien de publications qui disparaissent au bout de quelques jours ?) impliquent une édition et une critique parfois trop bienveillantes. Les œuvres médiocres ou banales côtoient sans vergogne les textes plus originaux ou puissants. Mais comment faire le tri ? Notre littérature est très jeune, dans sa réalité factuelle et encore plus dans la prise de conscience d’elle-même. Hors c’est le temps long des relectures et des partages collectifs qui parvient à faire un tri (je ne dis pas forcément le « bon tri »). Bien sûr, nos intuitions nous font nous endormir sur certains ouvrages et désirer la relecture de quelques autres, mais encore une fois, il me semble que la littérature corse est trop jeune pour se passer du moindre de ses éléments. Chacun des moindres textes devrait être réellement interrogé, lu comme susceptible de nourrir notre imaginaire. C’est une règle semblable aux préceptes de la morale provisoire de Descartes qui dans le Discours de la méthode décide d’accepter les erreurs les plus évidentes dans la vie réelle afin de s’assurer une tranquillité d’esprit et de corps qui lui permettra de chercher de plus solides vérités. On comprendra donc que je ne puisse citer en illustration de ce paragraphe que des œuvres que j’aime mais qui auront, ou n’auront peut-être pas, le bonheur de convenir à la Postérité (incertitude qui n’enlève rien à mon affection pour celles-ci) : le roman noir Caveau de famille d’Elisabeth Milleliri, le récit symbolique A Stanza di u spichju de Rinatu Coti, l’étrange texte poétique « Je rêvais aux pierres de mes enfances » de Dominique Memmi…
Maintenant que le champ est délimité, que nous lui avons accordé l’étendue la plus généreuse et la plus mouvante, l’institution littéraire (comme précédemment définie) doit faire son travail, essentiel, c’est-à-dire construire la bibliothèque littéraire corse : éditer, rééditer, traduire, référencer, archiver, indexer, préfacer, postfacer, critiquer, discuter, analyser, enseigner, primer, fêter, célébrer. Ce travail est primordial, mais il n’est pas suffisant. Car une littérature n’est pas que l’affaire des professionnels de la profession (comme dit Godard en parlant du cinéma) ; une littérature est au bout du compte l’affaire des lecteurs.
Ce que veut un lecteur
Une œuvre littéraire ne m’intéresse que pour autant qu’elle a un effet sur un lecteur, qu’elle construit ou modifie son imaginaire. Par imaginaire je n’entends pas un monde irréel et uniquement personnel ; j’entends plutôt cet espace collectivement fabriqué et partagé et qui superpose à la cartographie du quotidien une cartographie des possibles, des invisibles, des métaphores et des fantasmes. Sans le monde porté par les œuvres de Ghjacumu Thiers, de Marie Ferranti, de Jérôme Ferrari, de Marcu Biancarelli, de Rinatu Coti ou de Petru Gambini (j’arrête là une liste impossible à finir), je serais différent et je respirerais moins bien. Parce que leurs textes et leurs paroles m’enchantent, me secouent, me choquent, me rappellent des évidences oubliées, me révèlent des points de vue et des mondes inouïs.
La lecture n’est pas un acte anodin et parmi tous les auteurs qui se sont essayés à en décrire la spécificité, je trouve que l’écrivain israélien Amos Oz est particulièrement éclairant. Il explique dans une conférence intitulée « Pourquoi lire ? » (reprise dans un volume nommé Les deux morts de ma grand-mère) que la littérature est avant tout une « affaire privée », « une affaire intime entre deux personnes, l’écrivain et le lecteur » dans laquelle l’attention du lecteur, son implication sont immenses, engagent tout son esprit et tout son corps : « la participation que la lecture exige du lecteur est inestimablement plus intense que la participation requise par tout autre forme d’art. » Notez qu’il ne dit pas que les autres arts ont des effets moins puissants, mais que la lecture d’une œuvre littéraire engage le lecteur à « co-produire » le livre. Le lecteur est toujours actif, au point que le texte lu par une personne est toujours différent du même texte lu par quelqu’un d’autre, voire par la même personne dans d’autres circonstances. Ceci pour dire que la littérature (corse, en l’occurrence) est la somme de ses lectures, tout comme un mythe est la somme de ses variations ou de ses interprétations. Ce que veut un lecteur est proprement impossible à décrire a priori, car c’est sa lecture qui lui accordera une lumière sur « des choses que nous avions peut-être refoulées dans le passé », comme l’écrit encore Amos Oz.
Des fables, des formes et des figures
En ce qui concerne le cas particulier de la lecture réelle des œuvres littéraires corses, plusieurs éléments sont à prendre en compte : les désirs des lecteurs, leurs compétences et les hasards qui leur font rencontrer, ou non, tel ou tel livre.
Le lecteur pourra lire pour s’évader (et profiter pour cela du temps passé dans les avions par exemple), prendre du plaisir, méditer, prendre une revanche, préparer un cours en collège, une thèse ou même se donner un genre.
Le lecteur de littérature corse aura des compétences linguistiques très variables lui interdisant ou lui permettant des lectures de textes écrits en italien ou en corse – textes qui seront donc plus ou moins bien compris dans toutes leurs finesses.
Le lecteur de littérature corse enfin, pourra chercher longtemps certains ouvrages épuisés, en découvrira d’autres qui lui étaient inconnus.
Ces trois paramètres nous indiquent que l’imaginaire issu des lectures des œuvres littéraires corses est forcément divers, non homogène, lacunaire ; et c’est bien ainsi car l’important est la vivacité réelle de cet imaginaire et non son idéalisation illusoire.
J’emprunte la triade « fables, formes, figures » à André Chastel, l’historien d’art, qui s’en est servi pour intituler un grand recueil d’articles variés. J’utilise ces trois mots comme des doubles, symboliquement plus riches, des trois termes suivants : histoires (ou intrigues), genres (et sous-genres), personnages (du Grand Héros au petit personnel). La fable implique que les histoires ont un fond mythique, qui dit beaucoup et plus, obscurément. La forme signale que les œuvres ont une grande plasticité et sont des états transitoires en perpétuelle métamorphose. La figure est plus et moins qu’un personnage simplement défini par une fiche d’identité ; la figure peut être une association d’éléments, un geste sur un paysage, des objets entre des êtres. J’aime voir la lecture comme ce qui transforme les livres bien rangés d’une belle bibliothèque en un conglomérat d’imaginaire où s’ébattent des fables, des formes, des figures. Toutes les lectures réelles d’une littérature constituent cet ensemble à la fois intime et collectif d’éléments symboliques.
Je crois que la littérature corse gagnerait à être regardée ainsi dans son activité créatrice de fables, de formes et de figures dans l’imaginaire des lecteurs et pas uniquement comme un ensemble fixe de textes illustrant des genres canoniques ou traditionnels et dont on attendrait sempiternellement les « chefs d’œuvre ». Je pense par exemple à la tentative de poème épique en langue corse qu’est Viaghju in Vivaldia de Marcu Biancarelli. Je pense aux figures mi-humaines mi-animales que l’on trouve chez Thiers, Biancarelli ou Comiti. Je pense à la fable du Musconu d’Avretu qui court de texte en texte depuis le chroniqueur du quinzième siècle, Giovanni della Grossa jusqu’au www.mazzeri.com de Ghjuvan Luigi Moracchini en passant par les analyses anthropologiques de Max Caisson (dans La griffe des légendes) et le Viaghju de Biancarelli.
Je crois que la constitution la plus scientifique possible de la bibliothèque de littérature corse doit se doubler du travail des lectures qui défont sans cesse le bel ordonnancement de celle-ci, qui mélangent sans vergogne des œuvres que tout séparait, qui oublient les incontournables et exhaussent les trouvailles les plus improbables.
Lire les lectures
« Recensement des lectures » : mais comment faire pour que cette « affaire privée » qu’est la lecture selon Amos Oz soit partagée par tous ? L’institution littéraire doit venir ici à notre secours. Nous avons besoin d’outils, de lieux, d’activités communes qui nous permettent de mettre en scène l’invisible.
Parmi ces outils indispensables, nous désirons ceux-ci :
- un salon du livre corse vivant où l’on ne contentera pas de stands muets dont les principaux objectifs sont des autographes qui ne rajoutent presque rien aux livres, un vrai salon avec conférences, débats, dialogues, lectures, concerts littéraires, rencontres, mises en scènes, en voix, créations qui proposent d’autres métamorphoses des textes lus. Il faudrait que ce salon soit régulier, dense, ouvert aux autres arts et aux autres littératures (méditerranéennes ou d’ailleurs). Des expériences prometteuses ont lieu dans diverses circonstances et vont dans ce sens.
- un prix des lecteurs mieux mis en valeur, s’assurant que les votes seront nombreux, issus de lectures argumentées, racontées. Le prix des lecteurs de Corse existe, mais on pourrait imaginer qu’il intègre les Corses vivant hors de Corse :des bibliothèques de littérature corse existent dans certaines villes du continent, et je ne citerai que celle que je connais pour l’avoir constituée à l’amicale corse d’Aix-en-Provence (voir la liste des ouvrages sur le site).
- un site Internet collaboratif permettant de collecter des récits de lecture, les avis, les questions, les critiques, les rêveries des lecteurs de littérature corse.
Car le but est de donner à voir et à lire – autant que faire se peut – ce que fait réellement la littérature corse, ce qu’elle fait en nous, et peut-être comment elle participe à nous fabriquer individuellement et collectivement. Et pour cela une attention extrême doit être portée à la singularité de chaque lecteur et de chaque lecture.
Comment je lis
Lecteur parmi d’autres, je présente ici ma façon singulière de lire, qui n’est ni un modèle ni une exception.
Ma lecture est associative et allégorisante.
Lorsque je lis un texte, je vois en lui un chemin offert à d’autres, un propos général caché dans une forme particulière. J’évoquais précédemment la figure de la mouche monstrueuse d’Avretu : un seigneur abominable dans le sud de la Corse est finalement assassiné et enterré, mais la tombe est ouverte et au lieu d’un cadavre immobile, c’est une mouche bien vivante qui sort, grossit et répand une odeur mortelle sur la région entière. C’est cette figure qui m’a fait voir dans cette page de chronique historique de langue italienne (que j’ai lue dans sa traduction française) une image de ce que pourrait être et faire la littérature corse. Je l’ai écrit, il y a quelque temps, de cette façon :
« Mais la figure noire et diabolique d’Orsolamano n’est pas solitaire. La beauté fascinante de sa métamorphose et de sa résurrection en mouche est d’autant plus saisissante que les causes de son apparition sont décrites avec une simplicité elliptique digne des contes de notre enfance ou de l’écriture des Évangiles : « Un an après la mort d’Orsolamano, retournant sur ce lieu où il avait été tué et enseveli au hasard, quelques hommes allèrent d’un commun accord ouvrir la sépulture parce qu’on disait qu’il y avait vraiment le démon. » Qui étaient ces hommes, quand se mirent-ils d’accord, quelle fut la nature précise de leur curiosité ? Pourquoi n’entend-on plus parler de ces hommes une fois que la mouche est libérée ? Si leur présence ne devait être que fonctionnelle (ouvrir une tombe), pourquoi s’inquiéter de leur mobile ? Giovanni della Grossa en dit trop ou trop peu. Et c’est notre très grande chance. Car apparaît ainsi, sous les traits de ces quelques hommes, une figure de la création collective, anonyme, rouvrant les blessures de la communauté. Le corps monstrueux d’Orsolamano succède à ses actes ignobles parce que la représentation de soi (en l’occurrence, du démon en soi) est une nécessité. C’est ainsi que, par la magie de l’écriture, une scène originelle terrifiante surgit devant nos yeux : une mouche, aussi grosse qu’un bœuf, s’élève jusqu’au col de Pruno, et déverse son odeur sur nous. »
« Sur nous », c’est-à-dire sur les lecteurs, à chaque moment de leurs lectures, et dans leur imaginaire.
A côté de cette littérature allégorisante, je pratique une lecture associative : les fables, les formes, les figures se répondent en moi, un élément déniché dans tel texte se retrouve sous d’autres aspects dans un autre. J’associe sans cesse une page avec une autre, créant des liens plus ou moins imprévisibles, et donc des textes hybrides.
La fable du texte brûlé dans la « Confession du solstice » de Marie-Gracieuse Martin-Gistucci et dans la deuxième partie de A Funtana d’Altea de Jacques Thiers ; la figure du porte-parole dérisoire de la communauté corse (Maria Laura dans A Barca di a Madonna et Brancaziu dans A Funtana d’Altea) ; la forme de la chronique bastiaise depuis Sebastianu Dalzeto (Pesciu Anguilla) jusqu’à Thiers en passant par le magnifique manifeste de Max Caisson (dans « Brumes, réseaux, miroirs ») et les romans d’Angelo Rinaldi… Autant d’exemples que je ne détaillerai pas ici. Mais je citerai la dernière association qu’il m’est arrivé de faire – c’était durant ce mois de septembre 2007 en lisant cette nouvelle historique et sentimentale de 1768, Dominique et Séraphine, rééditée par Albiana au mois de juin précédent ; c’était peu de temps après avoir lu la nouvelle « Sirata d’inguernu » incluse dans le recueil Stremu miridianu de Marcu Biancarelli, publié en août 2007. Le premier texte peut sembler largement anecdotique (une histoire d’amour impossible entre une jeune Corse dont la famille est paoliste et un officier français aussi amoureux que loyal) et avoir comme principale valeur les faits d’être l’œuvre d’un officier français anonyme et la première œuvre de fiction de langue française prenant la Corse pour objet. Cependant une association me frappa lorsque je lus qu’au moment de leur première rencontre (marqué par un coup de foudre réciproque), Séraphine dut empêcher son propre frère de tuer le Français Dominique et qu’elle le fit de cette façon : « « Ah ! s’écria le Corse, un François ! » et il le couche en joue. Dans l’instant Dominique s’éveille, se relève et tire son épée. Mais en même tems il voit la Corse, d’une main, détourner le fusil de son frère, et de l’autre l’embrasser en le caressant… ». Dans « Sirata d’inguernu », nous découvrons une jeune femme revenir en Corse et tomber amoureuse du « Corse par excellence » pour elle, le type même d’homme à la virilité violente dont le canon du pistolet et le sexe sont l’objet de toutes ses attentions admiratives. On voit bien que les deux figures ne sont pas identiques et interchangeables mais il me plaît de voir qu’un regard extérieur en langue française du dix-huitième siècle n’est pas totalement étranger à un regard intérieur en langue corse au vingt-et-unième siècle : la main d’une jeune femme amoureuse sur le canon d’une arme prête de servir les a superposés dans mon imaginaire ; je vous en fais part.
Valeur de la littérature, et de la littérature corse en particulier
Tous les jours de notre vie, nous nous berçons d’anecdotes stéréotypées transmises par des médias de toutes sortes. Au contraire des récits littéraires, ces anecdotes ne nous parlent pas, n’appellent pas notre participation intense et exigeante, ne nous donnent pas à saisir des parcours humains à la fois singuliers et familiers. Pour un développement de la distinction entre « récit » et « anecdote », je renvoie aux articles de Christian Salmon inclus dans le recueil Verbicide, du bon usage des cerveaux humains disponibles.
Or je crois, avec Pierre Bergounioux et son Bréviaire de littérature à l’usage des vivants, que la littérature offre des textes qui « expliquent le monde qui les a engendrés et éclairent notre profondeur présente ». Ou bien encore que la littérature a une « puissance réfléchissante, inventive, contestataire ».
Je désire donc, avec d’autres, que la littérature corse ait ces ambitions, en conscience. La production littéraire contemporaine me confirme régulièrement qu’elle en est parfaitement capable. Nos auteurs doivent se persuader que leurs lecteurs ont de grandes attentes.
La communauté corse a besoin d’un imaginaire renouvelé. N’oublions pas les lecteurs des œuvres littéraires parmi les rouages essentiels de ce renouvellement.
François-Xavier Renucci
Aix-en-Provence, le 30 octobre 2007
A peine revue, le 4 février 2009
Le 19 septembre 2007, j'avais pris la parole, en compagnie de Jean-Marie Arrighi, à l'invitation du Centre culturel universitaire de l'Université de Corse. Donc à Corti, ce jour-là, j'évoquais oralement, rapidement, quelques pensées sur cet improbable objet qu'est la "littérature corse". Le mois suivant, je réécrivis mon propos, le mis en forme. Puis ce texte fut publié dans la revue ouessantine - que je vous conseille bien évidemment très chaleureusement - "L'archipel des lettres" (numéro 2 ; voir ici les sommaires de tous les numéros, la Corse est souvent présente, et toutes les îles du monde aussi...). Je l'ai relu aujourd'hui (ressassement, ressassement), et je me suis laissé aller à penser qu'il pouvait être utile de proposer ici cet essai - légèrement remanié - de formulation d'une pensée (oui, certainement encore maladroite ou contradictoire). Cela veut être une des contributions à la réflexion générale qui s'étoffe de plus en plus ces derniers temps (je pense par exemple au "Manifeste des Agriates" de Xavier Casanova : voir ici).
Evidemment, la question est de nouveau celle de la place des "lecteurs" dans la fabrication d'une littérature (corse).
Bonne lecture.
(Et passez votre chemin si vous avez soupé de mes redites, nous nous retrouverons peut-être avec la "bouche amère" de Don Petru ?).
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UNE LITTERATURE CORSE, POUR QUOI FAIRE ?
Pour que le matériel de la culture soit un capital, il exige, lui aussi,
l’existence d’hommes qui aient besoin de lui, et qui puissent s’en servir –
c’est-à-dire d’hommes qui aient soif de connaissance et de puissance
de transformations intérieures, soif de développements
de leur sensibilité ; et qui sachent, d’autre part, acquérir ou exercer
ce qu’il faut d’habitudes, de discipline intellectuelle,
de conventions et de pratiques pour utiliser l’arsenal de documents
et d’instruments que les siècles ont accumulé.
Paul Valéry, « La liberté de l’esprit », 1939.
Une littérature singulière comme une autre
Aujourd’hui, je me réjouirai avec vous tous d’un fait que je considérerai comme avéré et certainement définitif : il existe une littérature corse, au même titre qu’une littérature française.
Comme toute autre littérature, nous la définirons comme un ensemble de textes, donc d’auteurs (conscients et désireux de créer une œuvre), d’éditeurs, de libraires, de bibliothèques, de manuels, d’enseignants face à des élèves, de chercheurs universitaires, de prix… Tous les éléments d’une véritable institution littéraire sont présents, même s’ils peuvent paraître encore balbutiants.
Cette littérature existe si bien qu’il est possible d’en décrire l’histoire, les courants, les époques, les évolutions (à l’instar de Jean-Marie Arrighi) et d’en offrir des introductions ou des anthologies.
Un tel travail est absolument légitime et nécessaire. Légitime, car il s’agit de décrire une réalité : comment des œuvres littéraires corses sont nées, pourquoi, pour qui. Nécessaire, car si l’on veut lire de la littérature corse, il faut bien en dresser la cartographie la plus précise, l’histoire la plus fine, la bibliothèque la plus complète.
Cette littérature a cependant un certain nombre de caractéristiques qu’il ne faudrait pas laisser de côté car elles lui donnent en effet un sel tout particulier.
Premièrement, la littérature corse est multilingue. Ecrite en latin, en italien, en français ou en corse. C’est un fait. Il suffit de feuilleter l’Anthologie des écrivains corses de Hyacinthe Yvia-Croce pour le constater. Cette idée peut paraître étonnante, tant nous sommes habitués à concevoir qu’une langue donne lieu à une littérature, et donc qu’une littérature ne peut être que monolingue. Mais la longue histoire de notre peuple veut que plusieurs langues aient investi son gosier – bien sûr selon des modalités très différentes (linguistique et sociolinguistique nous permettent d’y voir plus clair dans les multiples situations de diglossie, de conflit et d’affirmation de ces langues). Aujourd’hui, il est possible d’envisager ces quatre idiomes comme les variations linguistiques passées (latin, italien) ou présentes (français, corse) de la littérature corse. Le Vir Nemoris de Nobili-Savelli (XVIIIème siècle, en latin), la Dionomachia de Viale (XIXème siècle, en italien), U Salutu di a morte de Ghjuvan Maria Comiti (XXème siècle, en corse), Les Roses de Pline de Rinaldi (XXème siècle, en français) : toutes œuvres qui concourent à développer l’expression littéraire corse.
Deuxièmement, notre littérature est le fruit de points de vue d’auteurs très différents : issus de l’île ou venant d’ailleurs, s’ignorant, s’opposant ou bien se mélangeant. De fait, un certain nombre de textes qui nous paraissent légitimement donner une image stéréotypée et négative de la Corse ont joué et jouent encore un rôle dans notre imaginaire. Par exemple, la canonique Colomba de Prosper Mérimée. Comment ne pas prendre nos distances avec un tel ouvrage ? Pourquoi conserver encore le miroir tyrannique du romantisme français qui avait sa propre histoire, sa propre logique exotisante ? Deux faits cependant doivent frapper nos esprits : Eugène Gherardi nous a expliqué (dans Esprit corse et romantisme, en 2004) que Mérimée s’était notamment inspiré des plaidoiries des avocats corses qui eux-mêmes utilisaient dans des buts particuliers des « images », des « histoires », dont les types pouvaient être de quelque utilité pour gagner un procès. Ce fait concerne la production de ce roman, mais sa réception est tout aussi éclairante : un tel texte est non seulement régulièrement adapté au cinéma (signalons la version en langue corse d’Ange Casta), mais encore nos écrivains, en langue corse ou en langue française, récupèrent l’intrigue et les personnages du roman, les déforment, les revivifient ou s’en moquent… mais ne les passent pas sous silence. Ainsi, nous ferons l’effort d’accepter une extension maximale des œuvres littéraires corses, lorsque leurs propos nous regardent particulièrement, quelles que soient les origines et les intentions de leurs auteurs. La Colomba de Mérimée, le Pasquale Paoli de Guerrazzi (existe-t-il d’ailleurs une traduction française de ce roman italien du XIXème siècle ?), le Tout-Monde d’Edouard Glissant, dont un des personnages martiniquais fait une étape à Cargèse dans les années 50, sont certaines des facettes de notre littérature.
Multilingue et venant d’horizons variés, la littérature corse est aussi d’une qualité très inégale et en cela, elle ne se différencie pas des autres. Les difficultés dans lesquelles elle est née (historiques, linguistiques), l’exiguïté et la fragilité de notre institution littéraire (combien de publications qui disparaissent au bout de quelques jours ?) impliquent une édition et une critique parfois trop bienveillantes. Les œuvres médiocres ou banales côtoient sans vergogne les textes plus originaux ou puissants. Mais comment faire le tri ? Notre littérature est très jeune, dans sa réalité factuelle et encore plus dans la prise de conscience d’elle-même. Hors c’est le temps long des relectures et des partages collectifs qui parvient à faire un tri (je ne dis pas forcément le « bon tri »). Bien sûr, nos intuitions nous font nous endormir sur certains ouvrages et désirer la relecture de quelques autres, mais encore une fois, il me semble que la littérature corse est trop jeune pour se passer du moindre de ses éléments. Chacun des moindres textes devrait être réellement interrogé, lu comme susceptible de nourrir notre imaginaire. C’est une règle semblable aux préceptes de la morale provisoire de Descartes qui dans le Discours de la méthode décide d’accepter les erreurs les plus évidentes dans la vie réelle afin de s’assurer une tranquillité d’esprit et de corps qui lui permettra de chercher de plus solides vérités. On comprendra donc que je ne puisse citer en illustration de ce paragraphe que des œuvres que j’aime mais qui auront, ou n’auront peut-être pas, le bonheur de convenir à la Postérité (incertitude qui n’enlève rien à mon affection pour celles-ci) : le roman noir Caveau de famille d’Elisabeth Milleliri, le récit symbolique A Stanza di u spichju de Rinatu Coti, l’étrange texte poétique « Je rêvais aux pierres de mes enfances » de Dominique Memmi…
Maintenant que le champ est délimité, que nous lui avons accordé l’étendue la plus généreuse et la plus mouvante, l’institution littéraire (comme précédemment définie) doit faire son travail, essentiel, c’est-à-dire construire la bibliothèque littéraire corse : éditer, rééditer, traduire, référencer, archiver, indexer, préfacer, postfacer, critiquer, discuter, analyser, enseigner, primer, fêter, célébrer. Ce travail est primordial, mais il n’est pas suffisant. Car une littérature n’est pas que l’affaire des professionnels de la profession (comme dit Godard en parlant du cinéma) ; une littérature est au bout du compte l’affaire des lecteurs.
Ce que veut un lecteur
Une œuvre littéraire ne m’intéresse que pour autant qu’elle a un effet sur un lecteur, qu’elle construit ou modifie son imaginaire. Par imaginaire je n’entends pas un monde irréel et uniquement personnel ; j’entends plutôt cet espace collectivement fabriqué et partagé et qui superpose à la cartographie du quotidien une cartographie des possibles, des invisibles, des métaphores et des fantasmes. Sans le monde porté par les œuvres de Ghjacumu Thiers, de Marie Ferranti, de Jérôme Ferrari, de Marcu Biancarelli, de Rinatu Coti ou de Petru Gambini (j’arrête là une liste impossible à finir), je serais différent et je respirerais moins bien. Parce que leurs textes et leurs paroles m’enchantent, me secouent, me choquent, me rappellent des évidences oubliées, me révèlent des points de vue et des mondes inouïs.
La lecture n’est pas un acte anodin et parmi tous les auteurs qui se sont essayés à en décrire la spécificité, je trouve que l’écrivain israélien Amos Oz est particulièrement éclairant. Il explique dans une conférence intitulée « Pourquoi lire ? » (reprise dans un volume nommé Les deux morts de ma grand-mère) que la littérature est avant tout une « affaire privée », « une affaire intime entre deux personnes, l’écrivain et le lecteur » dans laquelle l’attention du lecteur, son implication sont immenses, engagent tout son esprit et tout son corps : « la participation que la lecture exige du lecteur est inestimablement plus intense que la participation requise par tout autre forme d’art. » Notez qu’il ne dit pas que les autres arts ont des effets moins puissants, mais que la lecture d’une œuvre littéraire engage le lecteur à « co-produire » le livre. Le lecteur est toujours actif, au point que le texte lu par une personne est toujours différent du même texte lu par quelqu’un d’autre, voire par la même personne dans d’autres circonstances. Ceci pour dire que la littérature (corse, en l’occurrence) est la somme de ses lectures, tout comme un mythe est la somme de ses variations ou de ses interprétations. Ce que veut un lecteur est proprement impossible à décrire a priori, car c’est sa lecture qui lui accordera une lumière sur « des choses que nous avions peut-être refoulées dans le passé », comme l’écrit encore Amos Oz.
Des fables, des formes et des figures
En ce qui concerne le cas particulier de la lecture réelle des œuvres littéraires corses, plusieurs éléments sont à prendre en compte : les désirs des lecteurs, leurs compétences et les hasards qui leur font rencontrer, ou non, tel ou tel livre.
Le lecteur pourra lire pour s’évader (et profiter pour cela du temps passé dans les avions par exemple), prendre du plaisir, méditer, prendre une revanche, préparer un cours en collège, une thèse ou même se donner un genre.
Le lecteur de littérature corse aura des compétences linguistiques très variables lui interdisant ou lui permettant des lectures de textes écrits en italien ou en corse – textes qui seront donc plus ou moins bien compris dans toutes leurs finesses.
Le lecteur de littérature corse enfin, pourra chercher longtemps certains ouvrages épuisés, en découvrira d’autres qui lui étaient inconnus.
Ces trois paramètres nous indiquent que l’imaginaire issu des lectures des œuvres littéraires corses est forcément divers, non homogène, lacunaire ; et c’est bien ainsi car l’important est la vivacité réelle de cet imaginaire et non son idéalisation illusoire.
J’emprunte la triade « fables, formes, figures » à André Chastel, l’historien d’art, qui s’en est servi pour intituler un grand recueil d’articles variés. J’utilise ces trois mots comme des doubles, symboliquement plus riches, des trois termes suivants : histoires (ou intrigues), genres (et sous-genres), personnages (du Grand Héros au petit personnel). La fable implique que les histoires ont un fond mythique, qui dit beaucoup et plus, obscurément. La forme signale que les œuvres ont une grande plasticité et sont des états transitoires en perpétuelle métamorphose. La figure est plus et moins qu’un personnage simplement défini par une fiche d’identité ; la figure peut être une association d’éléments, un geste sur un paysage, des objets entre des êtres. J’aime voir la lecture comme ce qui transforme les livres bien rangés d’une belle bibliothèque en un conglomérat d’imaginaire où s’ébattent des fables, des formes, des figures. Toutes les lectures réelles d’une littérature constituent cet ensemble à la fois intime et collectif d’éléments symboliques.
Je crois que la littérature corse gagnerait à être regardée ainsi dans son activité créatrice de fables, de formes et de figures dans l’imaginaire des lecteurs et pas uniquement comme un ensemble fixe de textes illustrant des genres canoniques ou traditionnels et dont on attendrait sempiternellement les « chefs d’œuvre ». Je pense par exemple à la tentative de poème épique en langue corse qu’est Viaghju in Vivaldia de Marcu Biancarelli. Je pense aux figures mi-humaines mi-animales que l’on trouve chez Thiers, Biancarelli ou Comiti. Je pense à la fable du Musconu d’Avretu qui court de texte en texte depuis le chroniqueur du quinzième siècle, Giovanni della Grossa jusqu’au www.mazzeri.com de Ghjuvan Luigi Moracchini en passant par les analyses anthropologiques de Max Caisson (dans La griffe des légendes) et le Viaghju de Biancarelli.
Je crois que la constitution la plus scientifique possible de la bibliothèque de littérature corse doit se doubler du travail des lectures qui défont sans cesse le bel ordonnancement de celle-ci, qui mélangent sans vergogne des œuvres que tout séparait, qui oublient les incontournables et exhaussent les trouvailles les plus improbables.
Lire les lectures
« Recensement des lectures » : mais comment faire pour que cette « affaire privée » qu’est la lecture selon Amos Oz soit partagée par tous ? L’institution littéraire doit venir ici à notre secours. Nous avons besoin d’outils, de lieux, d’activités communes qui nous permettent de mettre en scène l’invisible.
Parmi ces outils indispensables, nous désirons ceux-ci :
- un salon du livre corse vivant où l’on ne contentera pas de stands muets dont les principaux objectifs sont des autographes qui ne rajoutent presque rien aux livres, un vrai salon avec conférences, débats, dialogues, lectures, concerts littéraires, rencontres, mises en scènes, en voix, créations qui proposent d’autres métamorphoses des textes lus. Il faudrait que ce salon soit régulier, dense, ouvert aux autres arts et aux autres littératures (méditerranéennes ou d’ailleurs). Des expériences prometteuses ont lieu dans diverses circonstances et vont dans ce sens.
- un prix des lecteurs mieux mis en valeur, s’assurant que les votes seront nombreux, issus de lectures argumentées, racontées. Le prix des lecteurs de Corse existe, mais on pourrait imaginer qu’il intègre les Corses vivant hors de Corse :des bibliothèques de littérature corse existent dans certaines villes du continent, et je ne citerai que celle que je connais pour l’avoir constituée à l’amicale corse d’Aix-en-Provence (voir la liste des ouvrages sur le site).
- un site Internet collaboratif permettant de collecter des récits de lecture, les avis, les questions, les critiques, les rêveries des lecteurs de littérature corse.
Car le but est de donner à voir et à lire – autant que faire se peut – ce que fait réellement la littérature corse, ce qu’elle fait en nous, et peut-être comment elle participe à nous fabriquer individuellement et collectivement. Et pour cela une attention extrême doit être portée à la singularité de chaque lecteur et de chaque lecture.
Comment je lis
Lecteur parmi d’autres, je présente ici ma façon singulière de lire, qui n’est ni un modèle ni une exception.
Ma lecture est associative et allégorisante.
Lorsque je lis un texte, je vois en lui un chemin offert à d’autres, un propos général caché dans une forme particulière. J’évoquais précédemment la figure de la mouche monstrueuse d’Avretu : un seigneur abominable dans le sud de la Corse est finalement assassiné et enterré, mais la tombe est ouverte et au lieu d’un cadavre immobile, c’est une mouche bien vivante qui sort, grossit et répand une odeur mortelle sur la région entière. C’est cette figure qui m’a fait voir dans cette page de chronique historique de langue italienne (que j’ai lue dans sa traduction française) une image de ce que pourrait être et faire la littérature corse. Je l’ai écrit, il y a quelque temps, de cette façon :
« Mais la figure noire et diabolique d’Orsolamano n’est pas solitaire. La beauté fascinante de sa métamorphose et de sa résurrection en mouche est d’autant plus saisissante que les causes de son apparition sont décrites avec une simplicité elliptique digne des contes de notre enfance ou de l’écriture des Évangiles : « Un an après la mort d’Orsolamano, retournant sur ce lieu où il avait été tué et enseveli au hasard, quelques hommes allèrent d’un commun accord ouvrir la sépulture parce qu’on disait qu’il y avait vraiment le démon. » Qui étaient ces hommes, quand se mirent-ils d’accord, quelle fut la nature précise de leur curiosité ? Pourquoi n’entend-on plus parler de ces hommes une fois que la mouche est libérée ? Si leur présence ne devait être que fonctionnelle (ouvrir une tombe), pourquoi s’inquiéter de leur mobile ? Giovanni della Grossa en dit trop ou trop peu. Et c’est notre très grande chance. Car apparaît ainsi, sous les traits de ces quelques hommes, une figure de la création collective, anonyme, rouvrant les blessures de la communauté. Le corps monstrueux d’Orsolamano succède à ses actes ignobles parce que la représentation de soi (en l’occurrence, du démon en soi) est une nécessité. C’est ainsi que, par la magie de l’écriture, une scène originelle terrifiante surgit devant nos yeux : une mouche, aussi grosse qu’un bœuf, s’élève jusqu’au col de Pruno, et déverse son odeur sur nous. »
« Sur nous », c’est-à-dire sur les lecteurs, à chaque moment de leurs lectures, et dans leur imaginaire.
A côté de cette littérature allégorisante, je pratique une lecture associative : les fables, les formes, les figures se répondent en moi, un élément déniché dans tel texte se retrouve sous d’autres aspects dans un autre. J’associe sans cesse une page avec une autre, créant des liens plus ou moins imprévisibles, et donc des textes hybrides.
La fable du texte brûlé dans la « Confession du solstice » de Marie-Gracieuse Martin-Gistucci et dans la deuxième partie de A Funtana d’Altea de Jacques Thiers ; la figure du porte-parole dérisoire de la communauté corse (Maria Laura dans A Barca di a Madonna et Brancaziu dans A Funtana d’Altea) ; la forme de la chronique bastiaise depuis Sebastianu Dalzeto (Pesciu Anguilla) jusqu’à Thiers en passant par le magnifique manifeste de Max Caisson (dans « Brumes, réseaux, miroirs ») et les romans d’Angelo Rinaldi… Autant d’exemples que je ne détaillerai pas ici. Mais je citerai la dernière association qu’il m’est arrivé de faire – c’était durant ce mois de septembre 2007 en lisant cette nouvelle historique et sentimentale de 1768, Dominique et Séraphine, rééditée par Albiana au mois de juin précédent ; c’était peu de temps après avoir lu la nouvelle « Sirata d’inguernu » incluse dans le recueil Stremu miridianu de Marcu Biancarelli, publié en août 2007. Le premier texte peut sembler largement anecdotique (une histoire d’amour impossible entre une jeune Corse dont la famille est paoliste et un officier français aussi amoureux que loyal) et avoir comme principale valeur les faits d’être l’œuvre d’un officier français anonyme et la première œuvre de fiction de langue française prenant la Corse pour objet. Cependant une association me frappa lorsque je lus qu’au moment de leur première rencontre (marqué par un coup de foudre réciproque), Séraphine dut empêcher son propre frère de tuer le Français Dominique et qu’elle le fit de cette façon : « « Ah ! s’écria le Corse, un François ! » et il le couche en joue. Dans l’instant Dominique s’éveille, se relève et tire son épée. Mais en même tems il voit la Corse, d’une main, détourner le fusil de son frère, et de l’autre l’embrasser en le caressant… ». Dans « Sirata d’inguernu », nous découvrons une jeune femme revenir en Corse et tomber amoureuse du « Corse par excellence » pour elle, le type même d’homme à la virilité violente dont le canon du pistolet et le sexe sont l’objet de toutes ses attentions admiratives. On voit bien que les deux figures ne sont pas identiques et interchangeables mais il me plaît de voir qu’un regard extérieur en langue française du dix-huitième siècle n’est pas totalement étranger à un regard intérieur en langue corse au vingt-et-unième siècle : la main d’une jeune femme amoureuse sur le canon d’une arme prête de servir les a superposés dans mon imaginaire ; je vous en fais part.
Valeur de la littérature, et de la littérature corse en particulier
Tous les jours de notre vie, nous nous berçons d’anecdotes stéréotypées transmises par des médias de toutes sortes. Au contraire des récits littéraires, ces anecdotes ne nous parlent pas, n’appellent pas notre participation intense et exigeante, ne nous donnent pas à saisir des parcours humains à la fois singuliers et familiers. Pour un développement de la distinction entre « récit » et « anecdote », je renvoie aux articles de Christian Salmon inclus dans le recueil Verbicide, du bon usage des cerveaux humains disponibles.
Or je crois, avec Pierre Bergounioux et son Bréviaire de littérature à l’usage des vivants, que la littérature offre des textes qui « expliquent le monde qui les a engendrés et éclairent notre profondeur présente ». Ou bien encore que la littérature a une « puissance réfléchissante, inventive, contestataire ».
Je désire donc, avec d’autres, que la littérature corse ait ces ambitions, en conscience. La production littéraire contemporaine me confirme régulièrement qu’elle en est parfaitement capable. Nos auteurs doivent se persuader que leurs lecteurs ont de grandes attentes.
La communauté corse a besoin d’un imaginaire renouvelé. N’oublions pas les lecteurs des œuvres littéraires parmi les rouages essentiels de ce renouvellement.
François-Xavier Renucci
Aix-en-Provence, le 30 octobre 2007
A peine revue, le 4 février 2009
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