samedi 13 mars 2010

Ce n'est pas que je cherche les ennuis...

J'y reviens dans ce billet : en Corse (comme dans toute société que nous rêvons "démocratique" ; impliquant les gens dans un espace public, je veux dire), nous avons besoin de pouvoir nous dire tranquillement que nous ne sommes pas d'accord, même si cela peut blesser un temps nos égos.

Dire : je l'ai adoré, ce livre, pour telles raisons (qui ne sont peut-être pas celles d'un autre lecteur) ; je n'ai pas été touché par ce livre (indifférence, encore plus terrible peut-être que la critique négative) ; je n'ai pas aimé ce livre, pour telles raisons ; je l'ai trouvé mauvais, très mauvais, scandaleux. Dire cela publiquement - puisque l'auteur a voulu rendre publique son oeuvre - est d'une extrême importance.

Car, ainsi, dans cet espace public commun se dessine (et se recompose sans cesse) le dessin de notre imaginaire : nous voyons quelles fables, quelles formes, quelles figures circulent dans nos esprits, hantent nos rêves. L'appréhension et la connaissance de tel livre s'affine, se discute, se modifie : avec les regards des autres, nous modifions (ou au contraire confirmons) notre propre regard, le livre lui-même s'en trouve changé et charge à qui le voudra de "rétablir" le "vrai" visage de cet ouvrage en disant : "je ne suis pas d'accord avec votre point de vue" (pour telles raisons).

Le livre publié a tout à gagner à être critiqué : il sera relu, mieux compris (même si les critiques peuvent être ratées, inexactes, voire même sans fondement - la limite est évidemment la malveillance...).

Ainsi, j'apprends par mail qu'Emmanuelle Caminade a lu "Bleu Conrad" de Maddalena Rodriguez-Antoniotti : sa critique comporte des éléments très positifs et des éléments négatifs (qui peuvent être discutés les uns et les autres, Internet permet cela, profitons-en). C'est l'occasion de (re)lire cet ouvrage unique en son genre et de s'interroger sur les plaisirs que nous en tirons, peut-être aussi sur ses effets potentiels sur la littérature et l'imaginaire corses, non ?

Et pour faire les choses de manière contrastée, je mets ici les liens vers deux autres lectures de ce livre :
- la critique d'Emmanuelle Caminade (sur son blog "L'or des livres")
- la critique d'Angèle Paoli (sur son site "Terres de femmes")
- un petit billet que j'avais placé sur ce blog le 16 février 2009
- et enfin les paroles de l'auteur lui-même !

26 commentaires:

  1. J'ai survolé, mais tout cela fait rêver...Oui, tu as raison, FXR, notre imaginaire est marqué par les rêves d'aventures ou les aventures réelles, les Corses, pas si enfermés sur leur île que ce que l'on croit, ont toujours volontiers pris le large ou rêvé de le faire, ou rêvé sur ceux qui l'ont fait. F.Braudel ne dit-il pas que dans tous les grands événements en Méditerranée, il y a toujoujours eu des Corses parmi les principaux acteurs?

    L'autre leçon est que nul n'est totalement indemne des mythes et des représentations de son époque et/ou de son appartenance, même en voulant ou en croyant s'en défaire. Les visionnaires qui y parviennent, qui sont libres dans leur esprit, sont vraiment des "Grands" ..et parfois créent eux-mêmes d'autres mythes -)).

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  2. FXR, dont les habitués connaissent bien le désir de voir formuler des critiques , notamment négatives , m'envoie en première ligne.
    Je tiens à préciser que je n'ai exercé aucune pression sur lui en ce sens, le mail l'ayant averti de mon article sur "Bleu Conrad" étant un mail automatique envoyé à tous les abonnés à la newsletter de mon blog !
    Il sait que je n'ai pas l'habitude d'esquiver mes responsabilités , toute critique publique s'exposant naturellement à être publiquement remise en cause...

    Relisant le billet de FXR, donné en lien, j'en copie une phrase : 
    « Alors oui, il y a peut-être surabondance et les rapprochements ne m'ont pas toujours embarqué ou transporté . »
    Ne serait-il pas temps , François , de te « mouiller » un peu plus et de formuler plus précisément ces critiques ?

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  3. Emmanuelle,

    tu m'as démasqué, je suis obligé d'avouer que mes critiques négatives ne sont pas assez précises... Les critiques positives aussi d'ailleurs !

    Les causes sont multiples : j'aime bien le style léger, faire des hypothèses, des propositions, lancer une intuition, une question ; j'aime sur ce blog proposer un journal de lecteur qui multiplie les façons de parler des livres (depuis la simple citation, jusqu'à analyse un peu plus poussée) ; je n'ai pas tellement le temps de faire des études approfondies des livres que je lis - j'en ai bien envie pourtant ; je ne suis pas très sûr de moi ; je ne me sens pas l'âme d'un "censeur" (ce que tu n'es pas Emmanuelle, même si le ton que tu emploies peut le faire penser), je fais des efforts de diplomatie...

    Or, effectivement, j'estime important que l'on puisse se dire nos désaccords. Mais je ne me réfugie pas derrière le Poilu Caminade (tu accepteras cette image, j'en suis sûr).

    Alors, je confirme, je n'écris pas sur ce blog sous la pression de qui que ce soit ; je parle d'un livre ou je relaie un propos lorsque j'en éprouve l'envie.

    Et pour le coup, j'ai trouvé ta critique de "Bleu Conrad" très intéressante parce qu'elle disait quelque chose de la singularité de ce livre (que ce soit négativement ou positivement). Et si j'ai mis l'accent sur l'aspect négatif, c'est histoire de "pimenter" la chose, susciter l'intérêt d'autres lecteurs, relancer l'idée - qui n'est jamais facile à mettre en oeuvre, je ne jette la pierre à personne - qu'il importe de manifester un désaccord.

    Donc, en l'occurrence, je ne reprendrai pas (tout de suite) mes "critiques" de Bleu Conrad mais j'engage l'auteur du livre (s'il le souhaite, bien sûr) à proposer son écho et tous les lecteurs de ce livre à donner leur point de vue.

    Si j'ai fait un lien vers le billet d'Angèle Paoli, c'est aussi parce qu'on trouve ces propos : "À mi-chemin entre biographie et essai, entre littérature et Histoire, la passion de Maddalena Rodriguez-Antoniotti se lit dans le foisonnement débordant – presque trop ? – de l’écriture"

    Et bien sûr, encore une fois, il ne s'agit pas pour moi de survaloriser les critiques négatives a priori (elles peuvent être impertinentes), mais bien de renvoyer à des lectures singulières qui désignent la singularité d'une oeuvre.

    Merci pour cette relance, Emmanuelle !

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  4. Bleu Conrad ? La ficelle est un peu grosse, Monsieur Renucci ! Assez ! Assez de cette honteuse promotion grossièrement déguisée pour Murtoriu ! Ça frise le ridicule ! N'avez-vous donc aucune pudeur ? N'est-ce pas suffisant, à vos yeux, que l'imposteur Biancarelli se soit indûment enrichi et fasse étalage de sa fortune dans tous les bouges de l'extrême-sud depuis la sortie de ce best-seller qui fait de Guillaume Musso un petit bras de l'édition et de Marc Lévy un vendeur à la sauvette de poèmes ronéotypés ? Ah ! Il est temps de renouer avec les antiques valeurs morales de notre peuple opprimé ! Le pal pour Biancarelli ! Le pal pour vous, Monsieur Renucci ! Et le pal pour Conrad !

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  5. Anonyme 15:12, merci vraiment.
    Mais qui sont Guillaume Lévy et Marc Musso ?
    A part cela, je vous implore à genoux de nous faire part de vos enthousiasmes pour la littérature corse ! Vous voyez que je suis prêt - ainsi que mon maîtr et modèle J.-C. - à toutes les tortures pour le bien commun !

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  6. François-Michel Durazzo13 mars 2010 à 20:58

    Bonsoir,
    Dans ce débat sur la critique des livres, je préfère, pour ma part, celle qui consiste à parler de ce que l'on aime, sans niaiserie ni complaisance exagérément admirative, et à taire simplement ce que l'on ne juge pas digne de retenir l'attention.
    Il ne s'agit pas de ne pas froisser des compatriotes susceptibles, trop sans doute et peu enclins à supporter la critique.
    Pour ce qui est des oeuvres en langue française publiées dans l'île, il s'agit évidemment d'oeuvres qui, la plupart du temps, n'ont pas retenu l'attention de grands éditeurs. Est-ce à dire qu'elles ne valent rien, ce n'est pas sûr, mais il est clair que les petits éditeurs de province, de Corse ou d'ailleurs, ne voient pas arriver dans leur boîte à lettres le meilleur de la littérature française. Inutile donc de leur tirer dessus, laissons leur vivre le vie, et l'auteur jouir de la publication de son livre.
    S'agissant de la littérature de langue corse, la seule qui m'intéresse vraiment, nous en sommes encore aux prémisses. Une critique ravageuse et blessante pour l'amour propre peut décourager les vocations dont nous avons besoin.
    L'ensemble de la production en langue corse est à la fois encore insuffisante pour s'affirmer et d'une qualité chancelante, mais qui ira en s'améliorant.
    Là où la critique doit être sévère et constructive, c'est chez l'éditeur, dans cette phase de préparation de la copie finale, dans laquelle doit être conseillé, motivé, soutenu, encouragé à reprendre, à modifier, à se rénover… Il suffit pour ce faire une acceptation sincère de la critique de part et d’autre et que le directeur de collection soit compétent…
    Prudence donc, prudence...
    FMD

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  7. FMD, merci pour l'intervention.

    Quelques échos (personnels) :

    - le silence pour ce qui n'est pas digne de retenir l'attention, pourquoi pas ? Cependant nous ne sommes pas tous d'accord sur les livres qui sont dignes ou pas de retenir l'attention ; s'ensuit une discussion qui amène l'un ou l'autre à détailler les raisons qui font qu'il n'aime pas tel ou tel livre ; et cela me semble très intéressant pour mettre au jour les désirs de littérature qui circulent en Corse. C'est pourquoi j'apprécie beaucoup lorsque quelqu'un m'explique pourquoi et comment il n'aime pas tel livre, en cours de discussion généralement nous précisons nos vues, les opinions évoluent, la complexité de l'oeuvre émerge.

    - parler de ce qu'on aime sans niaiserie ni complaisance ; ainsi les propos seront forcément équilibrés par des nuances, des critiques (ex : "J'adore ton livre, malgré tous ces emportements lyriques convenus, cette intrigue cousue de fil blanc, ces personnages inconsistants, cette écriture plate, j'adore ton livre, j'en rêve la nuit !"

    - la production littéraire en langue française publiée en Corse : elle m'attire énormément, personnellement. D'ailleurs, un certain nombre d'auteurs ont volontairement décidé de ne proposer leurs manuscrits qu'à des éditeurs insulaires (par choix). D'autre part, tous les textes publiés par des Corses dans des maisons d'édition non insulaires alimentent, pour moi, la "littérature corse" (sans forcément le vouloir, d'ailleurs). Donc je lis aussi bien les nouvelles de Marie-Gracieuse Martin-Gistucci (La Marge édition) que les romans de Marie Ferranti (Gallimard) comme ayant la même dignitié a priori (ensuite la lecture produit un avis personnel qui accorde ou pas un intérêt au livre en question, quel que soit l'éditeur).

    - "tirer dessus, critique ravageuse et blessante" : pour le coup, ce n'est absolument pas ce que les participants à ce blog cherchent à faire. Il s'agit simplement de faire part de lectures "avisées, énergiques, personnelles et sincères" (selon les mots de Virginia Woolf, que je cite sans cesse ici). Que ces lectures puissent paraitre sévères et finalement blesser, il me semble que c'est une histoire de subjectivités, et c'est inévitable. Mais encore une fois, il est tout à fait possible et recommandé de critiquer ces critiques, et vogue la galère...

    - la relation éditeur/auteur au coeur de la vie et de l'évolution de la production littéraire : oui, c'est certainement là que se joue une grande part de la qualité ; mais je trouve qu'il est passionnant d'établir un va-et-vient entre les livres (c'est-à-dire ceux qui les produisent, les "professionnels") et leurs lectures (qui sont d'une variété infinie et qui ne sont pas forcément "professionnelles"). Il me semble que la mise à jour de ce va-et-vient livre/lecture peut avoir une influence positive sur l'évolution d'une littérature.

    - personnellement, je trouve toujours quelque chose d'intéressant dans un livre de littérature corse (ce qui est absurde, j'en conviens). Mais c'est une base de départ, c'est la suite qui est intéressante, et la discussion avec d'autres est un des éléments de cette suite.

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  8. Jérôme Ferrari14 mars 2010 à 10:53

    Je comprends les arguments de François-Michel Durazzo mais je crois que nous avons un besoin vital de critique. Je ne dis pas que c'est facile. Par exemple, je ne compte pas m'y coller ! Pas uniquement par lâcheté ou manque d'intérêt, mais parce qu'il est impossible, surtout dans un microcosme comme le nôtre, d'être à la fois auteur et critique sans ruiner la sérénité déjà problématique des débats. Mais peut-être cela vaudrait-il mieux que les articles systématiquement enthousiastes que la presse régionale consacre à tout ce qui s'imprime en Corse. Littérature, essais, souvenirs d'enfance, journaux intimes, recettes de cuisine, tout cela est aggloméré dans une espèce de magma informe au seul prétexte qu'il est à chaque fois question de la Corse. Nous avons vraiment la passion du cliché, inutile de le reprocher aux vilains Français. L'essentiel est que l'accueil dithyrambique des mauvais livres nuit aux bons - et qu'on me fasse l'honneur de croire que je ne parle pas du tout de moi.
    Je suis tout à fait près à laisser jouir les auteurs mais je refuse de considérer que leur jouissance est la finalité ultime d'une publication. L'absence de critique favorise la multiplication de ce qui est médiocre ou indigent, en littérature comme en musique - je crois que Jean-Claude Acquaviva avait fait le même constat.
    Une précision ; tous les textes en français publiés par des maisons d'édition corses ne le sont pas par défaut. Je peux témoigner que je n'ai pas soumis le manuscrit de Variétés de la mort à une maison d'édition nationale, pas plus que celui d'Aleph Zéro. A l'époque, il me semblait essentiel que la littérature écrite en Corse puisse être diffusée à partir de la Corse. Je crois aujourd'hui que c'est impossible et c'est la raison pour laquelle j'ai envoyé Dans le secret à des maisons d'édition nationale.

    Message privé : Comment allez-vous, Emmanuelle ? Vous êtes très mal traitée par François-Xavier qui vous envoie en première ligne et vous fait endosser le rôle de critique qu'il n'assume que bien mollement, le couard. Mais vous avez ma sympathie et mon soutien !

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  9. Les propos de F-M Durazzo me surprennent et je les trouve même - en tant que passionnée de littérature - plutôt choquants ...
    On ne pourrait critiquer une littérature fragile, une littérature en construction publiée par de petits éditeurs – dont le niveau moyen des publications n'est d'ailleurs pas forcément toujours inférieur à celui des grands éditeurs à mon sens ! -, cela pourrait décourager les jeunes talents ...
    La littérature corse se définirait alors avant tout comme une littérature d'exception !

    J'entends souvent le même discours,mais inversé, quand j'ose critiquer le livre d'un écrivain renommé dont certains sont des inconditionnels : la critique en serait alors déplacée...

    Personnellement, je n'ai pas plus de goût pour le paternalisme que pour la révérence et je pense qu'il faut réserver les régimes d'exception à d'autres urgences .

    Peu importe qui publie et chez quel éditeur il publie.
    Il y a des livres volontairement donnés en pâture au public par leurs auteurs ( et tout livre francophone publié, même chez un petit éditeur corse, est offert à tout lecteur francophone... ) Et le public se doit de les traiter respectueusement, en toute égalité.

    Critiquer, au sens large, c'est à dire formuler son opinion , son ressenti, à la lecture d'un texte, sans tabous, en toute sincérité et honnêteté , ne peut faire de mal ni à la littérature , ni aux écrivains et l'amour-propre n'a rien à voir avec la littérature .....

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  10. bonjour,
    je suis pour le moins surpris par le billet de Mr durazzo . il me semble qu'il est non seulement utile mais surtout vital que les oeuvres soient soumises à la critique.
    Etant entendu que l'on parle ici de critiques objectives , argumentées .
    je rejoins Jérome Ferrari quand il dit qu'il est important de ne pas etre juge et partie.
    je m'exprime ici , tres modestement, en tant que comedien , mais c'est valable pour tous domaines .
    il n'y a rien de plus affligeant , apres avoir assisté à un spectacle indigeant, que de lire le lendemain un article encensatoire . vous assaille le sentiment de ne pas avoir vu la meme chose.
    je ne veux pas parler là d'un spectacle que l'on n'aurait pas apprécié.
    il ne s'agit pas d'affaire de gouts, car on peut tres bien louer le travail , le texte, une mise en scene originale sans pour autant avoir aimé.
    autant dire que quand on lit les memes superlatifs concernant sa prestation , on la relativise bien vite.
    on en vient à souhaiter une critique negative.
    meme si on doit etre toujours tres exigeant avec soi meme , avoir du recul , le manque de vraies critiques se fait cruellement sentir.
    Les critiques doivent non seulement etre exprimées mais l'on se doit de les encourager.

    Pierre Laurent Santelli

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  11. «Une critique ravageuse et blessante pour l'amour propre peut décourager les vocations dont nous avons besoin.» Quelle mesure, quelle sagesse et quelle générosité dans les propos de François-Michel Durazzo. D'autant plus qu'il est bien difficile de déceler (pour le pauvre lecteur que je suis) quels sont les vrais enjeux qui se cachent derrière une critique négative, qui n'est trop souvent qu'une manière indirecte de régler des comptes. Je crois qu'il faut aussi tenir compte du support sur lequel cette critique est exprimée. Une critique mise en ligne sur un site ou un blog fortement "googelisé" laissera pendant de longues années des traces si indélébiles qu'un auteur novice pourrait en effet ne jamais s'en remettre. Que les éditeurs (et leurs comités de lecture) commencent par faire correctement leur métier et ne se contentent pas d'encaisser les subventions qui leur sont accordées. Et puis, par ailleurs, il y a tellement de bons livres dont on ne parle jamais…
    Yves

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  12. Yves, merci pour votre intervention.
    Je suis d'accord avec vous et FMDurazzo sur le fait que la nuance, la prudence, la courtoisie doivent être de mises. Mais énoncer des points de vue comme "l'intrigue de ton roman ne m'a pas surpris", "les évocations de la vie villageoise dans tes poèmes m'ont paru convenues" doit être possible, non ?
    Je pense que de telles critiques ont plusieurs intérêts :
    - elles renseignent les auteurs et les éditeurs sur la réception réelle des livres
    - elles permettent de défendre les livres face à des lectures qui ne leur rendraient pas justice et ainsi de préciser les qualités de ceux-ci
    - elles signalent les attentes diverses et variées des lecteurs de littérature (corse en l'occurrence)
    Et là pour le coup je trouve que des critiques négatives doivent être non seulement "avisées" (V. Woolf), donc argumentées, riches d'une réflexion mais aussi "stimulantes" : j'aime bien lorsqu'un lecteur signale positivement ce qu'il aime lire dans la littérature corse, ce qu'il en attend. Pour le coup, il me paraît important d'accompagner ses critiques négatives de ce que l'on aurait aimé lire.

    Yves, vous évoquez les "bons livres dont on ne parle jamais". Je vous implore donc de la façon la plus humble : évoquons ensemble les bons livres dont vous voudriez parler (ici ou ailleurs). Je ne demande que ça.

    Qui aime (re)lire quel(s) livre(s) de littérature corse ? Qui veut en parler ? (Attention, j'en profite pour ajouter que ces questions ne sont pas une attaque méchante contre les lecteurs qui ne désirent pas parler de leurs lectures !)

    Au plaisir d'échanger !

    (Je suis au trois quart de ma lecture de "Murtoriu" et malgré quelques passages qui me conviennent moins, je trouve ce livre admirable : par deux fois, je dirai à propos de quelles pages, j'ai ressenti une émotion très forte ; celui qui fera un vrai bon film à partir de ce livre décrochera mon estime et la palme de l'ours d'or de Venise !!)

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  13. "Une critique ravageuse et blessante pour l'amour propre peut décourager les vocations dont nous avons besoin".

    Mais toute critique - et je ne parle que des critiques honnêtes qui ne se veulent pas à priori malveillantes - peut être ravageuse et blessante pour l'amour-propre. Et alors ?
    Cessons de considérer les écrivains, certes vulnérables -mais qui ne l'est pas ? - comme des enfants !
    On se remet de ce genre de critiques, à mon sens salutaires. Il me semble qu'un véritable écrivain doit savoir dépasser son narcissisme sinon c'est que sa vocation n'a pas tant besoin d'être encouragée ...

    Yves ( Goulm ? ) soupçonne un peu facilement une critique négative d'être une manière indirecte de régler des comptes alors qu'une critique positive ne paraît guère l'embarrasser. Pourtant, la complaisance est aussi une manière de régler ses comptes !

    Par ailleurs, des livres peuvent prêter le flanc à la critique tout en restant de bons livres, ce qui est, pour moi, le cas de "Bleu Conrad", puisque c'était notre sujet ( la discussion - comme souvent sur ce site - a tendance à se centrer sur des problèmes d'ordre général plutôt que d'aborder concrètement et précisément la littérature... )

    Et s'il y a tellement de bons livres dont on ne parle pas, Yves, parlez-en donc. Ca donnera peut-être envie à des lecteurs critiques de les lire et d'en parler à leur tour .
    Mais le souhaitez-vous vraiment ?

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  14. O FXR, il y a une faille dans ce que tu dis, me semble-t-il. Un auteur écrit ce qu'il a à dire, non? Et pas ce que "le lecteur a envie de lire"...Cela me fait penser, cela, aux recettes de certaines éditions industrielles : on donne aux gens ce qu'ils ont envie de lire et on vend ...
    Sur la Corse, il peut y avoir une attente de passéisme, d'ethnographisme, de "glorification" dans le public insulaire, tandis que l'extérieur attend du mériméisme à la sauce moderne, de la violence, de la maffia ou du racisme (nouveau cliché sur les Corses)

    Par contre, je me demande si les écrivains, les vrais, n'écrivent pas ce qu'eux auraient envie de lire et qu'ils ne trouvent pas.

    Je sais bien que tu ne penses absolument pas qu'un auteur doive écrire selon l'attente des lecteurs. Mais alors pourquoi donner tant d'importance à ce que les gens disent ce qu'ils auraient "envie de lire"? Sans doute ne penses-tu qu'au lecteur qui "aurait du talent" pour que son "attente" et sa critique apportent un éclairage à l'auteur, voire aux éditeurs pour leurs choix futurs?

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  15. Jérôme Ferrari15 mars 2010 à 20:05

    C'est chiant ce glissement perpétuel vers la psychologie. L'égo des auteurs n'est pas un patrimoine à préserver et s'ils veulent jouir sans risque pour leur amour-propre, il existe d'autres moyens que la publication de textes - c'est-à-dire, il faut le préciser, leur apparition dans l'espace public. Et Emmanuelle a raison : toute critique est blessante, argumentée ou pas, c'est insupportable de s'entendre dire que ce qu'on écrit ne vaut pas un clou. Donc, le point de vue subjectif de l'auteur blessé est nul et non avenu car la blessure est inévitable, que la critique soit argumentée ou pas.
    Je suis peiné que des auteurs soient blessés. Je le suis bien davantage quand je lis un texte indigent. Dénoncer l'indigence, au risque de se tromper, c'est le travail de la critique et pas celui de l'éditeur qui a le droit d'aimer l'indigence ou d'être un visionnaire qui repère le génie avant tout le monde.
    Et en Corse, je le répète, notre besoin de critique est vital.
    Francesca, juste en passant : l'extérieur n'attend pas de mériméisme ; l'extérieur n'attend rien, rien du tout.

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  16. Ah les discussions d'ordre général ont encore de beaux jours devant elles ! Bon, en même temps, chère Emmanuelle, ce blog est aussi fait pour ça : des récits de lecture, parler de livres et aussi parler en général de la littérature corse, de la littérature, de la lecture, etc. (Oui - mais ne le dis à personne - moi aussi j'aimerais qu'il y ait plus de prises de parole à propos des livres et de pages citées, mais c'est difficile, je le comprends, pour moi comme pour la plupart des participants, je pense). En tout cas, l'espace est défini et chacun y voyage comme il l'entend (merci à tous).

    Quelque échos :

    - Francesca, je ne demande pas que les auteurs répondent aux attentes des lecteurs, tu l'as bien compris. J'imagine seulement qu'il peut être intéressant de connaître les attentes réelles (peut-être décevantes, convenues, voire même inexistantes !) des lecteurs réels de littérature corse ; j'aime cette question : qui a envie de lire quoi ? qui a envie de quelle littérature corse ? pourquoi ? comment ? En fait, j'adore ces questions. Non pas pour que les auteurs s'y conforment, non, mais afin de faire fonctionner la littérature dans une tension : les auteurs créent les objets littéraires qui leur conviennent, les lecteurs ouvrent ces objets avec leurs attentes, et la littérature est entre les deux.

    - A Jérome, oui toute critique est blessante, d'autant plus que l'activité littéraire implique le sujet écrivain d'une façon extraordinaire, mais c'est un mal nécessaire ; car l'objectif est la littérature, sa force, sa puissance d'imaginaire. Alors, un jour peut-être une vraie critique littéraire, hebdomadaire, argumentée, discutée permettra de participer à la vie de la littérature corse. (Je rappelle que ce blog n'est pas là pour ça, qu'il est ouvert à tous les lecteurs désireux de parler de leurs lectures, sans forcément en faire une critique dans les règles de l'art - ce qui est aussi possible...).

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  17. Juste un truc : c'est plutôt l'absence de critiques qui me semble le pire des retours dont un livre puisse bénéficier.

    Et là, en Corse, on est bien lotis. Alors arrêtons de chialer, prenons les critiques pour ce qu'elles sont, en se rappelant qu'un duel est toujours possible au bout de la plume... Voire un bon coup de boule dans les roubignoles pour le pisse-copie malveillant. Mais c'est ça le jeu !

    J'écris, tu me critiques, je te tue par la barbichette... L'histoire entière de la littérature est pleine de ces rapports douloureux, tortueux, passionnés, ambigus, entre auteurs et critiques.

    Dire qu'on ne veut pas de critiques c'est un peu comme proclamer qu'on ne veut pas de lecteurs. Alors faut pas publier. Il y a des tiroirs vides qui n'attendent que nos textes les plus insondables, nos oeuvres les plus incomprises.

    Mais pour finir : oui, c'est vrai, une critique peut être un règlement de compte. Mais un livre aussi, ne l'oublions pas.

    MB

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  18. Jérôme Ferrari15 mars 2010 à 20:52

    A François-Xavier : un mal nécessaire, bien sûr, c'est ce que je dis, encore n'est-ce un mal que du point de vue l'égo malmené de l'auteur.
    Sur les discussions d'ordre général : je sais mais qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ??? Je ne peux pas endosser le rôle de critique, c'est pour le coup que ça sentirait le règlement de compte ! Et comme je me refuse à critiquer anonymement… Ah ! Que c'est dur de vivre dans un tout petit pays !
    A Marco : un coup de boules dans les roubignoles ?! Au-delà de l'exploit technique que je salue (mais c'est vrai que nous sommes des nabots), c'est sûr que tu vas faire naître des vocations ! On se demande pourquoi on manque de critiques !

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  19. L'extérieur n'"attend" rien? Pas si sûr...
    Il s'attend le plus souvent à renforcer ses clichés. C'est vrai pour tout, ppourquoi pas pour la Corse?
    Bien sûr, cela ne paut pas concerner "tout le monde", Dieu merci il y a encore partout assez de gens de culture qui ne s'arrêtent pas aux idées toutes faites, mais on est également étonné de constater que des gens culitvés tombent aux aussi dans les clichés.

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  20. Jérôme : non, par "discussions générales", je ne faisais que faire écho avec amusement aux propos d'Emmanuelle qui réclame que nous parlions de livres précis (ceux que l'on aime, bien sûr). Je ne voulais pas pousser qui que ce soit à critiquer tous azimuts. C'est pourquoi je trouve qu'il est peut-être utile d'accueillir ici (ou ailleurs) de "simples" récits de lecture.

    Francesca : autant commencer avec les gens réels qui ont lu réellement des livres réels (le travail du cliché est la chose du monde la mieux partagée et le mieux c'est de discuter d'abord avec ceux qui sont prêts à s'en défaire facilement).

    MB : je trouve aussi que le silence est pire que tout et il concerne aussi bien des livres que nous aimons et dont nous ne parlons pas. Quant aux critiques déplacées, elles peuvent avoir un effet comique !

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  21. Concernant "les attentes", je suis d'accord avec Jérôme - que je salue au passage -, l'extérieur et plus généralement le lecteur , du moins l'amateur de littérature, n'attend rien .

    Pour rire, je vous cite un petit extrait de la critique d'une blogueuse qui me semble réunir tous les ingrédients pour passer à côté de la littérature :
    "Moi, j'aime les phrases courtes qui frappent,
    Moi, je me sens trop loin des héros qui choisissent de cogner pour pallier au mal être (sic)
    Moi, je n'aime pas lire du noir, du désespoir sans aucune lueur d'espoir"

    (Avez-vous deviné de quel livre il s'agit ? )

    @ Francesca
    Ah, les clichés ! Personne n'en est exempt et je ne vous jetterai pas la pierre, mais l'idée que l'extérieur attend quelque chose de précis des écrivains corses me semble un cliché...

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  22. Un salut amical à tous et un commentaire "hors-propos" puisque le billet concerne Bleu Conrad :
    Mlle Calinade, que je resalue, est, me semble-t-il la claviotueuse incontournable de ce blog puisque la quasiment seule à proposer une véritable critique, non contrainte par le microcosme, donc libre, ce qui à l'inverse et concernant les "commentaires" des uns et des autres les cantonnent dans une sorte de "no mans's land" où l'on se contente de faire la critique de La critique, ce qui se pratique très généralement dans tous les cafés du commerce incontournables chez nous, surtout en période électorale, on existe comme on peut.
    Quand même un mot sur Bleu Conrad : rien à ajouter à la critique de Manu si ce n'est que c'est effectivement un bon livre et que l'on attend avec un optimisme certain un véritable roman de M.R.A.


    Malko Nimu

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  23. Malko Nimu,
    vous avez tout à fait raison : ici on peut aussi faire la critique de la critique. Et même mieux : vous faites la critique de la critique de la critique. Vertige.
    D'où le fait que je reste sur ma faim avec votre point de vue sur "Bleu Conrad" : mais pourquoi donc est-ce un "bon livre" pour vous ?

    Et je rappelle encore une fois qu'il me paraît très intéressant que ce blog accueille des "véritables" critiques aussi bien que des "récits de lecture" (qui disent comment nous avons lu tel livre, sans forcément le replacer dans tel champ ou telle histoire littéraire) ou que des discussions sur la littérature, la critique, la lecture, l'édition, la diffusion, les associations, les librairies, la traduction, etc.

    A bientôt ?

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  24. "Claviotueuse", vous y allez fort Kalmo Minu !

    Je ne critique que les livres que j'ai vraiment lus et qui m'ont apporté quelque chose. Donc je ne "descends" jamais les livres que je trouve nuls - ou dans lesquels je n'ai pas réussi à entrer tout en leur reconnaissant des qualités - , je préfère les abandonner au bout de 50 pages ...
    Je sais que mon style est un peu trop direct pour certains mais je mets autant de vigueur à louer et les critiques positives sont très largement majoritaires sur mon blog !

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  25. Voilà, chère Mlle Calinade bonjour, une interprétation de mon patronyme pour le moins hasardeuse, en poussant plus loin l’extrapolation l’on pourrait dériver vers « Calme Minou » dont je vous laisse le soin de deviner ce qu’il pourrait devenir sur ce blog non exempt de lubricité. Mais puisque justement nous sommes sur un blog littéraire et de plus en période de Printemps des poètes dont le thème est cette année « Couleur femme » pourquoi ne pas glisser vers un peu de poésie et rendre hommage à une de nos poètes quelque peu oubliée.
    Delphine Marti née à Ajaccio en 1884 et décédée à paris le 14/10/72 dédia ce sonnet au fameux Carulu Giovoni :

    A rosa corsa

    Rose chinese, o turche, ed orgugliose
    Un aghju ma’sentitu i vostri odori,
    Ma in i versi tradutti - traditori –
    Sò le vostre virtù maravigliose.

    E puru un n’amu ch’e sanguigne rose
    Ch’in u menstratu sbuccianu i sò fiori ;
    Profumati ne sò rise e dulori,
    Ed ore biate pocu mumarose.

    Rosa di sangue, amara e dolce, corsa,
    Oh ! risùscita da magica forza
    Di zitellina u me più bell’amore.

    Farfalla bionda intornu a u me’ramentu,
    U to’rispiru intornu mi trapana u core,
    Svanitu fior, straziatu da lu ventu !

    Poète bilingue Delphine a reçu le prix Amélie Murat pour « Des bêtes ensorcelées » et son recueil « Le domaine du silence » a été primé par l’académie française.



    Malko Nimu ou Kalmo Minu (aux risques de Manu)

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  26. Voici venir un texte de littérature corse, je m'empresse donc de le placer dans un nouveau billet afin de lui donner la possibilité d'être accompagné, de façon cohérente et spécifique, par des commentaires tout aussi spécifiques. Merci.

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