mercredi 16 juin 2010

Comment ça fonctionne ici (4)

Comme promis dans un précédent billet (je ne sais plus lequel), voici quelques lignes publiées par l'auteur de "Lettre à un otage", dans la revue "Harper's Bazaar", en avril 1941. Il y évoque les livres qui lui ont laissé un souvenir particulier... L'article est intitulé, "Quelques livres dans ma mémoire". C'est l'occasion pour moi de rappeler que sur ce blog chacun peut parler de "souvenirs de lecture"... Nous ne sommes pas obligés, ici, de proposer une vision claire et distincte du livre évoqué, car il s'agit aussi de voir comment la littérature corse laisse des traces.

(...)
En pensant à ces livres, qui, sans conteste, ont profondément influencé ma vie, je me souviens tout à coup de mon "Histoire magique". Celle-ci n'est pas tirée d'un livre, mais du souvenir d'une lecture, au sens le plus machinal du terme : un souvenir d'enfance éveillé au cours de circonstances bizarres, dans une contrée reculée de la planète.
Il y a quelques années, mon avion s'est écrasé au Guatemala. Je suis resté longtemps dans le coma ; un état des plus désagréables, car on ne revient pas à la vie d'un seul coup ; on se réveille lentement, avec la sensation de remonter en flottant vers le monde extérieur, à travers une atmosphère épaisse et gluante. Malgré d'épuisants efforts, tant physiques que mentaux, j'étais incapable de m'extraire du monde du rêve. Je me souviens de m'être réveillé une nuit, ayant laissé glisser draps et couvertures. Au Guatemala, à cause de la haute altitude, les nuits sont très froides. Souffrant de huit fractures, je ne pouvais atteindre les couvertures. J'appelais donc mon infirmière, la suppliant de vite m'envelopper dans "la toile souveraine", persuadé que si elle n'agissait pas immédiatement, j'allais mourir.
- Mais nous n'avons pas, dit l'infirmière. Nous n'avons pas de "toile souveraine".
Mes pensées étaient confuses. J'essayais d'évoquer la façon dont on fait un lit. Je me disais : Voyons, à l'armée, je faisais mon propre lit, comment m'y prenais-je... ? Un drap allait en dessous, un autre au-dessus... Non, il n'y en avait pas un troisième. L'infirmière avait raison. C'est avec peine et regret que j'abandonnais l'idée de la "toile souveraine".
Avec le temps, j'oubliai complètement l'incident. Puis un beau jour, je me suis retrouvé à Lyon, où j'avais passé une année de mon enfance. Ma famille m'emmenait tous les dimanches à la messe à Fourvière, une basilique construite sur une colline dominant la ville, et que l'on atteint par funiculaire. Je décidai d'y faire une promenade sentimentale. À l'arrivée, je m'aperçus que l'on prenait toujours son billet à la sortie du tunnel, avant de passer par un portillon automatique. Je pris ma place dans la queue derrière une vingtaine de personnes. Nous avançions lentement, et mes regards se portèrent à ma gauche, vers un mur tapissé d'affiches. C'étaient les mêmes affiches publicitaires que quarante ans auparavant, mais à présent noircies par la fumée et à demi effacées. Je les déchiffrais distraitement quand mon coeur fit un bond. C'était donc ça ! "La toile du Bon Secours, souveraine pour les plaies et les brûlures." Ils étaient là, les draps qui pouvaient calmer, guérir les blessures, et dont je m'étais souvenu sur mon lit d'hôpital au Guatemala ! À l'âge de cinq ans, j'avais sans doute été profondément impressionné par cette "toile souveraine pour les plaies et les blessures". Cette même affiche, pensais-je, devait aussi être à l'origine d'une phrase utilisée par moi dans "Terre des Hommes", quand je dis à Guillaumet : "Le soir même, en avion, je te ramenais à Mendoza où des draps balncs coulaient sur toi comme un baume." Souvenir des draps magiques qui pouvaient guérir les blessures... Souvenir de cette vieille affiche du petit tunnel de Fourvière, niché dans un coin sombre de ma mémoire pendant près de trente ans.

Littérature corse, littérature corse... bien qu'illusoire et toute mitée... ma toile souveraine...

(Concernant le précédent billet, je ne sais pas qui a pu s'infiltrer dans l'administration de ce blog et publier un billet qui n'est pas de moi... Mais je me rends compte que les commentaires sont très instructifs !! Merci à tous !!)

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