J'avais lu cette nouvelle (que l'on trouve dans le recueil "Cheese", chez Albiana), et je me souvenais de ce dialogue entre un jeune Africain, futur footballeur (eh oui, je cède à la facilité de surfer sur l'actualité de la prochaine Coupe du Monde de Football en Afrique du Sud...), et un Corse.
Vous aurez certainement d'autres avis...
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D’une
rive à l’autre
Ghjuvan Maria Comiti a récemment donné un recueil de nouvelles, D’una sponda à l’altra, et continue à publier de courts récits dans la revue littéraire en langue corse, Bonanova. C’est dans le numéro 2 de cette revue que l’on peut trouver la nouvelle intitulée « Pedimoru » et dont nous donnons ici les premiers paragraphes...
« U stridulimu acutu di i freni l’insignò chì si cuminciaia à rallintà è chì u terminus ùn era tantu luntanu. Passati cinqui minuti u trenu s’inficcò ind’a piccula gara infumaccicata è grisgia è piantò cù una spatansciata d’affannu. L’omu agguantò u saccu è falò da quiddu vitturonu ch’iddi chjamaiani « micalina » da chì lucumutiva è vagonu ùn faciani cà unu. Cù u so passu pocu sicuru paria ch’iddu fussi mezu briacu, chì qualchì scuzzulata a s’avia presa in quiddi vultati in falata sicca, è parichji volti - mai ch’idda fussi stata - s’era sintutu sbiancà. Deti un’uchjata in ghjiru, cacciò un pezzu di carta ch’iddu cunsultò cù attinzioni è presi à viaghjà quant’è ch’iddu sapissi esattamenti induva ci vulia andà. I pochi parsoni ch’iddu scuntraia u si fighjulaiani siguitendu lu un beddu pezzu cù quidda sprissioni chì ùn si sapia s’iddi erani maravigliati o intimuriti. Senza dà capu à quidda ghjenti parpena scrianzata, stinzò l’infurcatura chì ci vulia à spiccià si.
Ghjuntu ch’iddu fù di punta à l’usina s’avvicinò à a lughjetta di u guardianu chì, sbrulendu l’ochji da a surpresa, lintò una scaccanata di l’altru mondu. Scuprendu dui sfilarati di denti bianchi cavaddini missi à rida ancu iddu, comu pà fà attu d’educazioni.
- Parini foli, o amicu ; avarani trovu propiu à tè pà stu travaddu ?
- Ankassà, rispundì quidd’altru pichjendu si u pettu.
- Ancu assà a po dì, chì ci mancani i bracci in st’usina di merda.
- Umbulè.
- Vulè o ùn vulè, beddu meiu, ùn avemu tantu a scelta chì u carbonu ci imponi di scavà, di martiddà è d’insaccà pà mezu patacconu.
- Ankassà Umbulè, insistì l’omu cù unipochi di gesti da fà capì chì si chjamaia cusì... Ankassà Umbulè.
Ci nascì un’altra sbiddicata di quiddi chì si tenini da cantu pà i ghjorni di festa. Sicura chì ci era da rida : tamant’omu neru neru, di quiddi di l’Africa luntana, bughja è prufonda, ghjunghjia à travaddà indì l’usina di u carbonu. Ma quali a si pudia aspittà, propiu in quidda piccula cità chì l’africani ùn l’aviani visti chè in televisiò !
Da l’altura di u so metru è uttanta Ankassà si grattò u capu cù a sprissioni niscintrona di quiddu chì ùn ci capisci un’acca. »
Commentaire
Les nouvelles de Ghjuvan Maria Comiti gagnent à être relues. Le plaisir de découvrir des situations souvent cocasses, originales ou terrifiantes se mêle à celui de retrouver la société corse actuelle, dans toutes ses composantes sociales, à la ville ou au village, décrite au fil d’intrigues haletantes. La prose rapide de ces récits, nourrie par un rire acide, ajoute encore à l’intérêt que l’on peut prendre à leur lecture.
Mais venons-en au point qui nous intéresse. Le gardien de la logette rit par deux fois à s’en faire mal aux côtes, Ankassà Umbulè s’oblige à l’accompagner et le lecteur lui aussi rit de leur incompréhension respective. Quelle est l’origine d’une telle cascade de rires ? Un jeu de mots par langue interposée. Le nom africain est compris par la gardien comme du corse, et la déclinaison du nom et du prénom comme une réponse à ses adresses. Mais c’est un dialogue de sourds.
De manière paradoxale toutefois, pendant un court instant, malgré les apparences qui semblaient devoir les séparer pour toujours (un gardien d’usine, corse, coincé dans son cagibi face à un grand Noir tout juste débarqué du train), malgré leur incapacité à entendre la langue de l’autre, pendant un instant donc, Ankassà et le gardien se parlent et échangent des mots. On a pu dire que la langue corse permettait de discuter facilement avec tous les italophones, hispanophones et lusophones réunis, on apprend avec Ghjuvan Maria Comiti qu’elle est aussi suffisante pour parler aux habitants de l’Afrique noire !
Le malentendu linguistique, un des ressorts traditionnels du comique de langage, est particulièrement bien utilisé ici parce qu’il provoque des émotions contradictoires : le rire et la pitié. La suite du récit (un homme d’affaires sans scrupules n’a fait venir Ankassà du Kénya que pour l’exploiter dans son équipe de football et satisfaire ainsi ses ambitions politiques) fera s’évanouir l’illusion initiale d’une compréhension immédiate et profonde entre deux personnages étrangers l’un à l’autre. Vue d’un peu plus près, la situation d’Ankassà est effectivement profondément angoissante : un mur d’incompréhension se dresse devant lui (regards silencieux et incertains, langue inconnue et inexpliquée, rires sincères mais féroces).
Ce que l’auteur signale ici c’est que le jeu des langues n’est pas abstrait et qu’il n’est constitué que de pratiques quotidiennes, plus ou moins sophistiquées, mais qui ont toujours à faire avec la reprise, la correction, le malentendu, le rire et l’angoisse. On sait que la Corse, comme tout pays, est un pays multilingue. Historiquement et géographiquement, le corse, le français et l’italien (d’autres langues encore) composent, traversent ou structurent nos consciences et nos pratiques. Comme souvent, Comiti enrichit par le décalage et ajoute une langue africaine (laquelle ?) afin de surenchérir sur la difficulté d’un tel jeu. Et puisque les personnages de « Pedimoru » ne font pas ce constat et n’en tirent pas les conclusions utiles à un possible dialogue, il reste au lecteur à faire un tel travail. Que cela puisse se dérouler dans une atmosphère à la fois comique et lucide est un signe de bonne santé de la littérature corse.
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