mercredi 16 juin 2010

En vrac, tel un fantôme...

La littérature corse (n')existe (pas), la preuve :
- elle brûle (voir ici)
- elle est encore à venir
- elle est un fantôme (un fandoniu, cumu si dice ind'è u u Cavaglieri di Mirvella ; ou encore un "fantôme incertain", comme dit Pierre Bayard)

Alors, en vrac, dans ce maëlstrom illusoire qu'est la littérature corse, je pioche aujourd'hui ceci :

1. À Avignon, Monsieur Piazzola était là et proposait des livres corses à la vente : ce samedi 5 juin, j'ai acquis...

- "Ragguagli dell'Isola di Corsica (1760-1768)" (chez Piazzola ; édition critique de la Gazette de la Corse indépendante de Paoli, avec traduction en français, puisque c'est écrit en italien ; l'édition est établie par Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, ceux qui sont en train de publier la correspondance du Grand Homme Corse)... Mais quand est-ce que je vais avoir le temps de lire ces 700 pages ? (Et d'ailleurs, qui lira jamais ces 700 pages in extenso ? Qu'il se manifeste et qu'il raconte son périple !) Folie, folie, folie ! Il le faudrait pourtant, car j'ai envie de savoir si, au milieu des propos politiques, militaires, sociaux, l'abbé Rostini a pu glisser quelques "fables, formes, figures" propres à réveiller notre imaginaire contemporain !
Mais au coeur de la folie, tout de même, une notation qui me soulève d'aise - mi cantanu l'anghjuli, toujours adoré cette expression, rencontrée chez Coti (qui est aussi un écrivain de la Joie Profonde, non ?) -, oui, une notation qui me transporte chez les anges :

"Sur 64 numéros parvenus jusqu'à nous, vingt-sept ne sont connus que par un seul et vingt-trois par deux exemplaires, le numéro le plus connu a été répertorié six fois. Plusieurs facteurs ont concouru à la disparition des "Ragguagli". Les tirages furent relativement limités. En se basant sur la livraison du papier réclamé pour la publication de janvier 1764, François Flori a évalué le tirage à 250 exemplaires ; notre calcul atteindrait un tirage limité de 316 exemplaires.
Plus ou moins rapidement, selon les conditions de conservation, l'encre acide a altéré et pénétré le papier de médiocre qualité. Nous avons travaillé sur des pages très complexes à décrypter où le texte d'un recto ressortait au verso, l'encre ayant traversé l'épaisseur du papier."

SUBLIME ! Lire le recto et le verso en même temps ! Et le décryptage des historiens qui est peut-être totalement erronné ! Et pourquoi pas ? Ce livre est donc la "lecture" des Ragguagli - ancien discours de propagande, donc déjà sujet à caution, devenu illisible et rarissime - par Graziani et Bitossi au XXIème siècle. SUBLIME ! Mais cette littérature est vraiment faite pour moi ! Comment pourrais-je m'arrêter de nourrir ce blog ?

- autre ouvrage acquis à Avignon : les "Chroniques littéraires - La Corse à la croisée des XIXème et XXème siècles" (toujours chez Piazzola). Il s'agit de la réédition en recueil de 69 articles précédemment publiés entre 1975 et 2010 dans les magazines "Kyrn" et "Corsica". (Qui n'a pas chez soi quelques dizaines de "Kyrn" ?) Bon, évidemment, voilà l'ouvrage qu'il fallait pour s'éviter de remuer de la poussière et d'avoir à feuilleter des centaines de pages pour dénicher l'article de Marie-Jean Vinciguerra - car c'est lui l'auteur - qui proposait à chaque fois un point de vue original sur un auteur, un artiste, un livre concernant la Corse. C'est foisonnant, érudit, tendre ; les jugements sont acérés ; l'obsession est celle d'aller derrière les apparences pour mettre au jour les mythes et croyances qui fondent l'imaginaire corse (les Héros, par l'épée ou l'esprit ; la Femme ; le Pouvoir clanique ; la Vengeance ; l'Exil, etc.). L'ensemble constitue donc une anthologie nourrie de livres tout autant que de vies d'auteurs extrêmement divers (Rinatu Coti, Gian Paolo Borghetti, Agatha Christie, Apollinaire, Joseph Chiari (voir ici), etc...).
Evidemment, je relis avec joie l'article consacrée à l'amitié qui a uni Guillaume Apollinaire et Ange-Toussaint Luca (qui est de mon village ! Campile !). Ce dernier a écrit un livre de souvenirs à ce propos (il faut que je le trouve sur Internet et l'achète : voir ici ; histoire de...). Même si je trouve que le poème mentionné par Marie-Jean Vinciguerra, ne jouera pas un rôle immense pour nous aujourd'hui...

Enfin, c'est tout de même émouvant de savoir d'où viennent les châtaignes évoquées par Apollinaire dans "Rhénane d'automne" :

Des enfants morts parlent parfois avec leur mère
Et des mortes parfois voudraient bien revenir

Oh ! je ne veux pas que tu sortes
L'automne est plein de mains coupées
Non non ce sont des feuilles mortes
Ce sont les mains des chères mortes
Ce sont tes mains coupées

Nous avons tant pleuré aujourd'hui
Avec ces morts leurs enfants et les vieilles femmes
Sous le ciel sans soleil
Au cimetière plein de flammes

Puis dans le vent nous nous en retournâmes

À nos pieds roulaient des châtaignes
Dont les bogues étaient
Comme le cœur blessé de la madone
Dont on doute si elle eut la peau
Couleur des châtaignes d'automne

2. Je vois que l'association Musa Nostra a décidé de lancer l'idée de la construction d'une "Fontaine des Ecrivains", sur la place du marché à Bastia. Personnellement, je trouve que tout ce qui permet de parler des écrivains et livres corses est une bonne chose ! Et puis marquer le lieu au moyen d'un monument est une façon d'inscrire de façon solennelle la littérature corse dans le quotidien. Et puis une telle fontaine rappellera le superbe roman de Ghjacumu Thiers (vous n'êtes pas d'accord ?) qu'est "A Funtana d'Altea" (Albiana, 1990), qui est épuisé...
Eh oui, c'est assez incroyable mais nombre des textes et livres corses sont épuisés !... Alors, peut-être qu'avant de fabriquer la fontaine, il faudrait fabriquer la bibliothèque corse, non ? Mais bon, peut-être qu'une prise de conscience sera plus facile une fois que nous serons assis sur la fraîche margelle de cette Fontaine des Ecrivains ?
(Occasion aussi de rappeler que le numéro 25 de la revue "Bonanova" (à paraître en 2011 ?), sera consacré à "Bastia, ville littéraire").
En attendant, je rappelle que le site de cette association propose de nombreux comptes rendus et notes de lecture, notamment concernant les livres corses. Grâces leurs soient rendues. Rien que lors du dernier café littéraire à Macinaghju :
- "Genitori" (éditions Presses Littéraires) de Stefanu Cesari, par Marie-France (Je suis en train de le lire)
- "Teuf 2 Slam" (éditions A Fior di Carta) de V. Fondacci, par elle-même
- "Pépé l'anguille" (éditions Fédérop) de Sebastianu Dalzeto (traduit par François-Michel Durazzo), par Sébastien (je reconnais Sébastien Quenot sur la photo !) (Je suis en train de le lire : quelle puissance émotionnelle, même en français !)
- "Ô Corse, île d'humour" (éditions Le Cherche Midi) d'André Santini et Pierre Dottelonde, par Silke
- "Chronique des dômes" (éditions Clémentine) de Marie-Hélène Ferrari, par Pierre-Louis (Je l'ai, il faudrait que je m'y plonge !)

3. Et voilà...

1 commentaire:

  1. Pour vous parler des Ragguagli... Je suis entrain de lire in extenso...je n'en reviens pas d'ailleurs de la facilité avec lesquelles je les lis. Il en est de même de la correspondance de Paoli... Folie que tout cela! Folie...certes..mais douce! Le but étant de démêler propagande et réalité (réalité...quelle réalité 250 ans plus tard pouvons nous dégager?) de déterminer ce qui est de la main de L'Abbé Rostini et de la main de Paoli...de lire au détour d'une dépêche la mort accidentelle d'un ami du Général et la peine ressentie par celui ci (par exemple la mort de Titto Buttafoco..) Enfin, ces lectures sont passionnantes. Nous passons d'un sujet à l’autre, nous effleurons l'histoire et il est donné à chacunde nous de toucher du doigt la matière brute (du moins la plus "brute" possible...compte tenu des interprétations dues aux manques et à la traduction)

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