Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
lundi 29 novembre 2010
De quelques propositions étonnantes
Que voici :
- une jeune femme néerlandaise écrit un texte de fiction en langue corse : et tout le monde peut le lire en se rendant sur le blog survitaminé bien connu des internautes amoureux de la littérature corse : Tarrori è Fantasia.
- une demande insistante se fait jour et qui dit ceci : il serait bon - extrêmement bon - de pouvoir lire toutes les semaines, dans un des deux quotidiens insulaires (Corse-Matin et 24 ore), une double page consacrée à la littérature corse sous toutes ses formes.
- je viens de lire intégralement le recueil "Vae Victis", de Marc Biancarelli, et à l'applaudimètre (personnel et portatif qui est le mien), le texte intitulé "Guerre civile" remporte la Palme d'or du texte de littérature corse le plus original publié cette année 2010 (certes le texte original écrit en corse fut publié en 2009 dans la revue A Pian d'Avretu). (Bravo.) (Evidemment, ne me demandez pas depuis quand existe ce prix littéraire, ni son objectif, ni ses critères, ni même si le jury a délibéré en toute indépendance après avoir lu la totalité de la production littéraire corse de l'année, par pitié ne me le demandez pas !). Ce texte : ou comment la sensibilité et la vision d'un écrivain parmi les plus talentueux dans l'île relit l'histoire de la Corse à la fois comme une affaire personnelle et collective, absolument catastrophique. Cela commence par : "Quand la guerre a-t-elle commencé ?" et cela se termine par "Et personne ne sait ce que sera l'avenir des orphelins." Tout cela est évidemment discutable.
Laquelle de ces propositions (en caractères gras italiques rouges) est la plus étonnante, le plus riche de promesses, la plus propre à titiller zygomatiques, récriminations ou enthousiasmes ?
Pour lire :
- le texte de Marilena Verheus, voir ici.
- la demande de double page, voir les derniers commentaires au billet "Bona notte" (la discussion peut se poursuivre là, ou bien ici, comme vous le souhaitez).
- le recueil "Vae Victis" : ici, chez Materia Scritta
Pour finir, je cite la page qui me bouleverse (évocation de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992, peut-être un des moments les plus vertigineux et horribles de notre histoire : tarrori è fantasia) et que je relis, dans "Guerre civile", que j'ai déjà citée en partie autrefois, que je reprends donc ici, car il me semble que ces années 1990 en Corse attendent encore d'être traitées à nouveau par les écrivains et les artistes (tiens, il faudrait que je fasse une recherche, qu'est-ce qui a été publié au cours de l'été 1995, alors que se multipliaient les tracés rouges autour des corps d'hommes jeunes et moins jeunes, embringués dans un des très malheureux épisodes de cette guerre civile ?) :
Mais nous étions un peu déboussolés, il faut le dire. Une tribune nous était tombée sur la tête.
J'étais là, ils s'apprêtaient à chanter le Dio vi Salvi Regina, les gens frappaient avec les pieds, et une femme m'a demandé "vous croyez que ça va tenir ?" J'ai répondu que oui, j'ai dit "quand même, ils savent ce qu'ils font..." et j'ai pas fini ma phrase, la vague de fer et de gens enchevêtrés est venue sur moi, elle m'a évité, elle m'est passée juste derrière, à un mètre, elle a dit que pour cette fois elle m'épargnait, et juste au-dessus de moi, où s'étaient trouvés des milliers de personnes, et des rangées de fer, il y avait le vide. Un homme qui tombait courait dans le vide. J'ai vu cette image, irréelle. La tribune venait de tomber. Un type s'est approché et a dit "mon dieu les gens morts en bas !" Moi je me suis pas approché, je suis descendu le plus que je pouvais, je ne voulais pas que mon morceau de tribune s'effondre lui aussi.
Sous la tribune c'était comme s'il y avait eu un bombardement. Je suis passé là au milieu comme un fantôme. J'ai pensé à la guerre. J'ai entendu les premiers cris de vengeance, après il a été dit que les gens étaient restés étrangement calmes. Ça n'est pas vrai, il y avait un père qui cherchait son fils et qui maudissait la moitié du monde, il criait et il disait "maintenant si mon fils est mort qu'est-ce qui va se passer ?" et c'était du désespoir et des menaces en même temps. Deux personnes portaient une gamine, elle avait la tête en sang, peut-être un oeil crevé, la gosse ne pleurait pas, elle devait être à moitié assommée. Ça courait dans tous les sens, dans un mélange abstrait de terre et de tubulaires, de planches cassées et de poussière. Il y avait des gens allongés et alignés, immobiles, dans une espèce de baraque qui me fit penser à une porcherie, ils ne bougeaient plus, ils ne semblaient plus respirer, j'ai pensé qu'ils étaient morts, j'ai erré sans but au milieu de la zone bombardée, j'ai mis les pieds sur une planche en acier et j'ai glissé, sur la planche il y avait un mélange de sang et de merde, j'ai senti l'odeur du sang et de la merde, j'ai pensé que quelqu'un avait dû se faire transpercer le ventre.
Au milieu des hurlements de souffrance, j'ai entendu les cris de guerre.
Ça n'était pas un accident, c'était ce qui devait arriver. Je me suis senti coupable, toute notre Histoire se résumait là, dans ce désastre, dans cette automutilation de notre corps collectif. Nous n'étions foutus que de ça, semer ce carnage, déjà nous cherchions nos ennemis, déjà nous voulions laver le sang, déjà nous pensions à choisir notre camp, et le sang, et la haine, et la peur de nous regarder dans ce miroir aveuglant. Et ce sentiment insupportable d'être bien l'engeance maudite qu'évoquait la marâtre. Ce besoin qui s'affirmait de nous détruire nous-mêmes, d'en finir avec notre destinée obscure, de nous achever dans un dernier tremblement, cette pulsion infernale à nous exterminer afin de ne plus exister, et exister insatisfait, toujours, et incompris, et incapables d'expliquer quoi que ce soit.
Alors il y a eu la guerre civile.
(la photo)
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Toutes ces propositions me semblent appétissantes. Mon seul problème est d'en choisir une seule. Je ne le ferais donc pas !
RépondreSupprimerOui à toutes les palmes de tous les métaux et alliages connus et inconnus pour Vae Victis, oui au talent de Marilena et encore oui aux ragotiers enjolivés de littérature corse !!! (un point d'exclamation par "oui").
JYA
Pour "la guerre" entre nationalistes et l'histoire "intérieure" du mouvement national voir : Corsica Clandestina, Nimu, L'exil en soi,
RépondreSupprimerFLNC, de l'ombre à la lumière, etc... Quasiment tous les bouquins de Santini.
Ton billet : trois points, trois « topoï »
RépondreSupprimer1° Une hollandaise écrit une fiction en langue corse. Fiction ou réalité ? Un changement de langage signale-t-il une conversion ou une manipulation ?
2° Se tourner vers les rédactions en demandant des pages : cela s'appelle une prière (spécifiquement, prière d'insérer). Retour à la position « quémandeur » plutôt que « commandeur » des croyants. Quid, alors du débat sur l'émergence possible d'une critique distribuée ?
3° « Vae victis » est la clef qui ouvre à la lecture du recueil : expulsion de la pitié. Pour ne plus en éprouver ou ne plus en attendre ? Dans la guerre ou dans la catastrophe ? Dans les guerres et catastrophes de basse intensité et leurs tirs collatéraux ? Résilience ou régression ? Affectation de l'émotion aux sursauts et aux actes, ou aux retraits, au mieux dans l'indifférence, au pire dans la dépression, ses jeux morbides avec la souffrance et la douleur, la peur et l'impuissance ?
Anonyme 10:19, merci de signaler les oeuvres de Jean-Pierre Santini comme un des lieux de mise en fiction ou en scène de cette époque.
RépondreSupprimerMais je me demandais si par exemple, il y avait des oeuvres de fiction qui reprenait les efforts de la société dite civile qui protesta contre la violence (je pense au Manifeste pour la vie) ?
Xavier,
RépondreSupprimer1 - J'ai rencontré Marilena Verheus à Portivechju : mais j'ai pu être abusé... elle parlait corse. Maintenant, certains ont rencontré Emile Ajar et cela n'empêche que cet écrivain n'existait pas. Cela ne devrait pas nous paraître aussi incroyable : cette possibilité pour quelqu'un d'apprendre une langue et d'écrire avec.
2 - La demande de double-page dans la presse quotidienne régionale recouvre le désir de toucher un très large public, je pense. Les publics des blogs et revues est assez confidentiel, dans l'ensemble, non ? Mais encore une fois, personnellement, je trouve que c'est l'articulation de tous ces espaces de critique et de discussion qui est intéressante.
3 - Mon sentiment à la lecture du recueil "Vae Victis" est que les sentiments, les tonalités, les postures de l'écrivain Marcu Biancarelli sont à la fois très cohérentes et très contrastées ; désespoir et espoir se succèdent très rapidement. Je ne trouve pas que les articles jouent trop la carte du désespoir. Il y a des phrases qui commencent par "Nous aspirons à..."
François,
RépondreSupprimer1. — Notons le poids du plurilinguisme dans la culture des Pays-Bas, la diversité des langues qui y ont circulé au cours des siècles, et l'éventail de celles dont la maîtrise est aujourd'hui considérée comme allant de soi. Rien à voir avec nos belles crispations, ou répétition des adresses au Roi aux fins d'obtenir correction de ses intransigeances linguistiques à travers le droit de créer nos exceptions à sa règle. C'est sur cette trame que se lit comme plausible l'acquisition d'une langue de plus par une hollandaise, qui très probablement n'en est pas à sa première.
2. — Le désir de toucher un très large public se travaille en s'y essayant. Le public accroît sa conscience d'en former un lorsque s'améliore l'articulation entre elles de toutes sortes d'initiatives culturelles. La presse a toujours reflété les choses comme elle les capte et continuera à la faire. Réclamer des pages spécifiques peut aussi relever d'un manque de curiosité pour des sujets connexes, alors que, d'un certain point de vue, tout est littérature. Que chacun développe ce qu'il a entre les mains.
3. — Nous sommes bien dans une littérature de transition, qui accompagne à l'évidence nos propres oscillations pendulaires entre répulsion et fascination, espoirs et désespoir, amours et déceptions, engagements et retraits… Fasse le ciel qu'il ne nous en sorte pas une figure de l'écrivain exemplaire stabilisant ces oscillations sur la position moyenne de l'intellectuel revenu de tout prenant ses quartiers parmi ceux qui ne sont jamais allé nulle part. Marcu Biancarelli, fort heureusement, ne m'en donne pas l'impression. Un de ceux qui assument encore les risques de plume en milieu visqueux, et son jeu du taire et dire d'un infinie lourdeur.
Ik vergiste me.
RépondreSupprimerIk geef het toe.
Ik zag de blog Marilena.
Zijn blog is echt prachtig en zeer verrassend.
Marilena spreekt heel goed de Corsicaanse taal.
De grootste boek van de literatuur van Corsica is de Assimil methode!
Nooit vergeten.
Merci, Xavier pour ce message en néerlandais. Mais je ne suis pas du tout d'accord avec toi sur la méthode Assimil ! (Si mes souvenirs de néerlandais sont toujours bons...)
RépondreSupprimerTe veel eer, meneer Casanova, te veel eer... Maar ik besta echt, quante volte ci vulerà à pruvalla?
RépondreSupprimerÀ ringraziavvi, aghju da nutrì u me bloggu chì l'aghju tralasciatu appena...
L'Assimil, o FXR ghjè un capu d'opera ch'e ùn aghju ancu trovu u so paru. Un hè a cima d'a literatura corsa (dimmi ghjà, a cima d'a literatura corsa per tè chì hè?), ma cum'è metudu ùn hà ancu persu un'oncia d'u so valore! Vergeet dat nooit!
A ringrazià ti, Marilena.
RépondreSupprimerPOssu dì lu avà : ùn aghju micca capitu tuttu ind'è l'ultimi cumenti in neerlandese. Ma ghjè un piacè tamantu di "leghje" li quì.
Ah... Assimil (hè statu scrittu da Rinatu Coti è Pasquale Marchetti, mi pare, no ?) : seria passiunante di leghje u to parè nant'à issu libru, cumu l'hai lettu, cumu u leghji oghje : ma quale hè a più bella pagina di l'Assimil corsu ?
A cima di a literatura corsa ? Ùn possu risponde chì ùn aghju micca lettu tutti i libri ! Ma possu sceglie trà e mo letture : A FUNTANA D'ALTEA, di Ghjacumu Thiers. Per l'eternità : l'incendiu di Bastia.
Dilla puru o FXR, u neerlandese ùn hè micca una lingua faciule cum'è u corsu;)!
RépondreSupprimerÙn sì pò micca parlà di Assimil cum'è d'un libru nurmale di fizzione. Hè un veru metudu di lingua. Un metudu assai bonu, a dicu è a ripetu. Ancu oghje ùn passa manc'un ghjornu ch'e ùn ne leghji qualchì pagina. Ghjè a me bibbia!
Hè statu scrittu da Pasquale Marchetti, è e lezzione 50 à 70 sò state scritte da Rinatu Coti. In cumpagnia d'una coppia corsa femu u giru di a Corsica, scuntrendu per strada a ghjente, i lochi, l'usi, e tradizione è i parlà di a Corsica sana (di l'anni sessanta... o nustalgia!). Ci hè dinù qualchì strattu di libri famosi, di puesia è di canzone corse (Michele Poli, Don Petru de Mari, Ghjuvan Teramu Rocchi ed altri). A pagina più bella? Ci n'hè parechje. Dui testi in particulare mi fermeranu impressi in core: u testu di GT Rocchi "si sëntia l'aschime" è quellu di Poli, "Hè ghjornu in piaghja". Forse perchè fù a prima volta ch'e scoprii a vera putenza, a magia è a ricchezza d'a lingua corsa, 'ssa magia chì face ch'una frasa semplice d'un colpu diventa puesia... (è ùn mi scurderaghju mai di quessa a frasa, bella quant'è inutile: "O mà, ne voli scaccia? Iè, s'ella hè bella umule chì sò sdinticata"...)
Ma ùn l'aghju lettu. L'aghju manghjatu, divuratu, mi sò tichjata di lingua corsa: ti possu mustrà u me veru tesoru: un librucciu induv'è aghju nutatu ogni parulla ch'è aghju circatu nant'à Infcor cù a definizione in corsu (aghju dunque amparatu u corsu "in corsu", è micca tantu appughjendumi nant'à u francese).
U libru di Thiers ùn si vende più... - ci hè da scimisce: bibliuteca corsa ùn ci n'hè quì in u nordu ;) è quasgi ogni libru chì vale appena a pena hè esauritu...