vendredi 7 janvier 2011

Des nouvelles de "Murtoriu" (la traduction en français)


Deux nouvelles :
- la traduction est bien en cours (elle sera due à plusieurs plumes, dont celles de Jérôme Ferrari et de Jean-François Rosecchi)
- un nombre important de billets de ce blog évoque ce roman (et notamment la question de sa traduction, ici avec le travail de Jérôme Ferrari), en voici un autre qui accueille avec un très grand plaisir un nouvel extrait de la traduction en français, ici par Jean-François Rosecchi. (Voir ici, à propos de "Murtoriu", une interview très intéressante de l'auteur par Brandon Andreani.)
Merci, évidemment, à l'auteur qui nous offre ce plaisir. Bonne lecture ! :

Je me trouvais cette fois-ci plus seul que jamais, et puis je me rendais bien compte que tous ces numéros enregistrés sur mon portable ne me serviraient plus à rien. Quelques-uns avaient déjà été virés après une première sélection, durant une soirée du même tonneau que celle-ci, surtout les numéros de ces filles qui ne m’appelaient jamais mais que je faisais néanmoins chier avec mes textos stupides. A présent je me demandais qui j’aurais pu encore appeler pour communier dans le désespoir. « Les filles te lâchent d’abord, les amis ensuite, c’est de la logique » me trouvais-je en train de baragouiner m’adressant à un bouddha de bronze posé sur le comptoir me faisant face. Et là, tout en descendant une autre bière – accompagné d’un Whiskey pour jouer à l’Irlandais – j’ai commencé à bavarder avec le bouddha. Je lui disais : mais comment se fait-il que les abrutis de ce bar, rustres et incultes au-delà du concevable, t’aient choisi toi pour décorer leur comptoir, toi, symbole suprême d’une civilisation des plus raffinées et sophistiquées ? Sans doute t’ont-ils pris au piège pour ne plus jamais te lâcher, tout comme moi. Te voilà forcé de jouer au larbin ici, de rincer les verres et de servir tous les dégénérés de ce pays, toi qui fut ce prince devenu ermite des forêts, toi qui répandis ta sagesse vers tous les horizons, des rives du Gange jusqu’aux plateaux élevés du Tibet, toi qui domptas le tigre et le serpent naja. L’espace d’une seconde, il m’a semblé que le bouddha me répondait, me disant : « Mon chaton, le Nirvana est un état d’éveil absolu, une liberté intérieure faite d’une sagesse infinie et d’une compassion sans limite. Mais pour en jouir il te faudra procéder tout d’abord au plus grand des sacrifices : fais taire en toi tout désir. » Faire taire tout désir ? Mais espèce d’abruti, explique-moi d’abord, puisque tu es tellement malin : comment pourrais-je faire taire tout désir quand je repense à la langue que Lena m’a fourrée dans l’oreille ? Ou lorsque je repense à la douceur de ses cuisses et à ses bottes de cuir qui te mettent en nage rien qu’à les regarder. Lorsque je revois sa chevelure à l’espagnol, sa lèvre inférieure très légèrement rebondie, comme un appel provocant, un appel à la morsure violente lorsque sa bouche s’approche pour un simple baiser d’affection. Lorsque je m’imagine ses seins bien fermes qu’elle frottait contre moi cet après-midi même, alors qu’elle était assise sur mes genoux et que les souvenirs de notre enfance venaient envahir mon esprit et que je me remémorais nos amusements coupables, à jouer au docteur dans les replis rocheux des Sarcona. Explique-moi donc comment tu ferais, toi, saloperie de demi-portion indienne sadique ! Tu veux que je cogne, hein, tu veux te battre avec moi ? « Reste zen mon petit Marc-Antoine » me répond le bouddha de bronze, « c’est vrai que cette Lena est une foutue bombasse, mais ce que je te raconte moi, c’est juste pour bavarder. Joue-la toi peinard mon petit…Nam myho renge kyo ». Ah… mais quelles saletés ces chinois ! Faire taire le désir. Même ça. Je ne connais qu’un seul moyen d’éteindre le désir : une autre bière, et une lampée de Whiskey derrière. Fort, hein ? Zen ? Atteindre la maîtrise de soi ? N’y pensez même pas mes agneaux ! Une phrase de Greg Corso me revient à l’esprit, phrase qu’un chanteur français avait immortalisée jadis : « La puissance ? Se tenir droit au coin d’une rue et n’attendre personne… ». Me voilà assis dans ce bar, et j’attends le tumulte, je suis dans l’attente la plus illusoire, je rêve d’une félicité des plus improbables, faite de désir, de reconnaissance, de décharges de foutre ininterrompues sur ces filles blacks que je vois danser dans un clip sur MCM, maintenant, sur l’écran de télé du bar. Ces blacks aux fesses extraordinaires, la cordelette de leurs strings allant s’engouffrer à l’intérieur de leurs culs solides. Et celui-là, c’est même pas un bouddha, c’est Schopenhauer, mais voilà ! Il veut m’émasculer, il veut me transformer en eunuque, il bande pas et il veut nous pondre des théories sur un univers privé de désir, d’envie, de bonheur. Un monde où, lorsque tu commences à être heureux, lorsque tu commences à entrevoir pourquoi Lena a rapproché son souffle du tien, tout doit retomber d’un bloc. Débander avant même d’avoir joui. Comme dans les mauvais rêves, et comme dans la vie réelle aussi parfois, et tout ça parce que cet enculé de Schopenhauer était impuissant, tout le monde est au courant, même un gosse de sept ans le sait ! A présent, tout s’embrouille dans mon esprit : les bières que bientôt je ne parviendrai plus à engloutir ; Angkor, les temples indiens et leurs fresques érotiques, les orgies des Maharadjas et toutes ces servantes couvertes de dentelles ; le Whiskey et le souvenir du cul d’une irlandaise dans un pub de Dublin, le bouddha de bronze avec la tête hallucinée de Schopenhauer ; la chaleur des baisers de Lena, le triste regard de Diana avant notre séparation ; les conneries de Jean-Baptiste et les folles prédications de Maroselli « cher maître, je ne peux vous laisser en liberté… » ; les vaticinations de Gregory Corso et le son des guitares manouches qui joue avec mon âme ; les deux serveurs faisant mine de comprendre quelque chose à la politique, et ce film dingue de Jodorowski où ces deux ploucs auraient été suppliciés sur le champ par un prêtre haineux ; nam myoho renge kyo ; un maharadja de la fresque qui maintenant sodomise un âne ; Bastien qui veut trucider sa femme tandis que ma mère explique en détail la recette des Petti Morti ; mes textos stupides et la route vers la montagne qui m’attend maintenant, longue, tellement longue. Allez ! Prenons-là cette foutue route, peut-être aurons-nous la chance de nous échouer dans un ravin et de disparaitre dévoré par les renards. Voilà qui ne sera pas une grande perte. En avant vers cette montagne, et demain il fera jour ! Ça y est, il est 5 heures et je suis à moitié cuit. Je repars vers la montagne, seul, et là-haut il y a une maison qui m’appartient, il y a un toit au-dessus de ma tête. Mais je ne vais pas attendre qu’il fasse jour, le jeu de l’infamie doit se jouer jusqu’à son terme. Et je pense à cette fille qui m’a laissé son numéro, c’était quand ? Il y a un mois peut-être ? Elle me plaît bien celle-là quand même, un peu spéciale certes mais bon…Elle doit aimer la poésie, si je m’en souviens bien, ou sans doute l’ai-je fantasmée ainsi. Je lui envoie donc un poème. Quelque chose de bien lâche de la part d’un mec très ivre, à cette pauvre fille endormie. Et puis qu’est-ce que j’en ai à branler, j’ai bien le droit d’être poète, lâche et ivre à la fois non ?! De toute façon, on verra bien ce qu’elle en pense, et puis ça ne me coûtera pas de grands efforts intellectuels, c’est toujours le même poème que j’envoie. Sì tù se u diàvuli voddu sapè sì tù mi scanti in un chjirchju infirnali. Sì tù se a saietta spieca sì u colpu in cori mi sarà colpu murtali. Sì tù se un ànghjulu dì sì tù mi voddi in tondu cù l’abbracciu di i to ali. [Serais-tu le diable ? Je veux savoir si tu m’envoies dans un des cercles de l’Enfer. Serais-tu l’éclair ? Parle et dis-moi si ce qui a heurté mon coeur sera pour moi un coup funeste. Serais-tu un ange ? Parle et dis-moi si tu m’emporteras en m’enlaçant de tes grandes ailes.] Voilà, je peux aller me coucher avec le sentiment d’avoir fait quelque chose de ma nuit. Le résultat de l’envoi du texto ? Que dire ? Je m’en fiche tout autant, ne vous ai-je pas déjà dit que je baignais dans la désillusion? La troisième phase ? C’est un examen auquel on a tous droit, l’examen du texto poétique de cinq heures du matin. Je l’ai passé je ne sais combien de fois dans ma vie, presque toujours avec succès. C’est l’examen de mon existence, la tête dans le mur, chaque jour que Dieu – ou son cher ami Satan – accorde. “Peut mieux faire” me disent-ils ensemble, “avec un peu de volonté”. Appréciation ambigüe, en toute franchise, qui me tire autant vers le haut que vers le bas. Fort heureusement, il y a bien longtemps que j’ai envoyé ces deux profaillons se faire foutre.

(la photo)

7 commentaires:

  1. u dialogu cù u buddà di bronzu hè dinù unu di i mo passagi preferiti, mi sò campa di risa.

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  2. È perchè micca traduce à Ferrari in corsu ?

    Oh, i socu i vostri sogni piatti, o capità, i socu cusì bè chì qualchì volta à e mio notte, ci site à sunnià in mè, o sò eiu chì m’inframettu in u sognu chì ci fù viaghju di landi è più à a tarra ingrata di a mio zitellina, ‘ssa tarra c’ùn hè più meia, è chì mai ùn hè stata vostra, è i nostri passi vanu longu ‘ssa strada diserta, trà Taghit è Bechar, sottu à a luce d’un spechju di luna giallu, giallu tale un lampione appesu n’un celu senza stelle, vanu mezu à ‘ss’ogetti allacciati da a rena, chì ghjacenu in pianu tucchendu ogni cunfina ingiru à noi, scarpini tacchirotti, robbe stracciate, sculurite è spugliate di i so fili d’oru da u ventu di u disertu, una darbuccà svintrata, un oud senza corde, caspe di ghjuvelli affuscati, scatulelle di ennè è di khôl, biancaria di rasu è piatti andati in pezzi, sfranguglii portadiccia, un pannamentu sanu pianamente impetritu in u silenziu di a mio mente dapoi chì quella chì l’hà assistatu hè turnata fulena, una eternità fà, o capità, è mancu u ventu, puru à suffià suffioni ùn ne face più trizinà e vistiche dissanguinate.

    JYA

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  3. Bella prova o JY !

    Ghje' sunniighju di fallu scriva in corsu, una nuvella pà Tarrori è Fantasia.

    Un ghjornu l'aghju da liallu (pà i peda) à Ferrari, è l'aghju da tena in carciara senza manghjà, fintantu ch'ùn hà resu u so duveru !

    Ma a so ch'e ci aghju da sbuccà.

    MB

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  4. Iè perchè micca ? Perchè ùn offre à a lingua corsa u tamantu piacè d’intriccià si à e fiure d’un Ferrari, à e storie d’un Hemingway o à e rime d’un Brassens cum’ellu hà fattu Ferrali qualchì tempu fà ? Perchè avè ‘ssu bisognu, leghjittimu s’ellu n’hè hè, di dà à capisce à d’astri ciò chì i nostri ingegni parturiscenu in lingua corsa è quasi mai u cuntrariu ? Ogni volta c’o sentu un discorsu cum’è quellu di Tatti (a socu a riferenza literaria hè più c'à dupitosa), ogni volta ch’elle mi stuzzicanu l’arechje ‘sse parolle chì amentanu « u dirittu à capisce », « u duvere d’esse capitu da tutti », aghju una pinsata per Zia Lolla. Era a surella di babbone, hè morta à novant’anni passati in u 1993 senza avè avvicinatu, in qualchì manera, l’amparera di u francese. In u 1993 ! Quale chì s’hè imprimuratu di u soiu « u dirittu à capisce » ? È po quale hè chì s’hè impisiritu d’un « duvere d’esse capitu da tutti » per dì à ‘ss’omi, cascati in u 1916 per e piaghje di a Somme, ch’elli s’avianu da fà stinzà cum’è cignali per cuntintà à Nivelle è i so pari ? ‘Ss’omi chì ammaestravanu u francese quant’è u porcu ci capisce indu a musica. Ma chì pò fà, u piombu caldu ellu, si face capisce da tutte e razze.
    Ùn vogliu mancu à pena dì c’o sò contru à e traduzzione di l’opare corse in d’altre lingue, à cumincià per quella di Moliére. Sicura c’o capiscu a brama di Marcu Biancarelli d’allargà u chjerchju è d’offre i so filari à quelli, sdicciati, c’ùn lu ponu leghje in corsu. Avaraghju, senza nisunu dupitu, a listessa voglia s’è un ghjornu sò publicatu. È soprattuttu vogliu ludà u fattu di pussede ancu eiu a lingua francese, ùn sia c’à per ringrazià à Bernard Lortholary chì un ghjornu hà dicisu di traduce à Suskind. Dicu soladimente c’ùn capiscu micca ‘ssi ragiunamenti chì accettanu senza lotta u fiascu di a nostra lingua (parlu di Tatti). Jérome Ferrari ùn vinciaria tanti lettori lascendu u corsu impatrunisce si di e so magnifiche impennate, ma saria un bellissimu attu di risistenza è si sà chì senza risistenza, ogni cumbattu hè digià persu.
    Eiu vogliu firmà un cumbattante di ciò chì pare inutile à tanti spiriti imbugnati da i nuli di l’unifurmisazione, chì per mè a lingua corsa vale tutte l’altre. Iè, vogliu tene a mio spiranza chì ciò chì pare vanu oghje sarà impurtante dumane.

    JYA

    PS : eiu sò prontu à pruvà à traduce in corsu tuttu ciò ch’ellu vularà scrive Jérome per Tarrori è Fantasia.

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  5. Francescu-Micheli Durazzo16 janvier 2011 à 21:46

    E difficiuli à dì ciò chì si vurria fà o nun fà. In certa misura, traducia hè com’è scriva. À chì metti ad impinnà scrivi prima pà se stessu, parchì li pari un bisognu veru è prafondu, dopu po’ comincia o micca a sparghjera, l’avvintura adituriali. À chì traducia ùn faci micca opara di criazioni com’è u scrivanu. Rispondi à una cumanda di aditori, rispondi à un bisognu di a suciità, à unu studiu di marcatu, si faci pacà prima di metta à travaddà. L’aditori cerca di sapè s’idda rispondi à un bisognu, s’è ci sò i littori, è sì dopu u pacamentu di a traduzioni, a fabbricazioni, ci sarà l’arti di vadagnà calchì soldi o almenu di nun perda ni.
    Dunca a questioni di sapè s’idda vali a pena di traducia in corsu à calchiadunu, sia Ferrari, sia un antru, vali à chera sì ci sò i littori chì poni essa intarassati da a traduzzioni piuttostu chì da l’urighjinali.
    Ditta quessa, è fora di a lighjoni di u marcatu, sempri più sacrata di i nosci tempa, asisti u piaceri di traducia par se stessu, par stà à senta a boci di l’altru in a so canedda, di metta à prova a lingua. Po’ essa ancu intarassentu ancu senza mira adituriali. Par indittu, aghju traduttu un lungu puema di Guillevic nantu à so mari brittoni in corsu (veda in u situ di Anghjula Paoli), parcì com’è sapeti, Guillevic era maritatu incù Lucia Albertini, incù iddu, era andatu à passà calchì tempu in Aiacciu, dundi scrissi su puema. Dicia à a moglia, u vosciu ùn hè un mari, hè un lavu. Hè propriu a cuntimplazioni di u mari n’golfu di Aiacciu chì li feci ammintà l’ucianu. A me primura quandu messi à traducia sta puisia in corsu era di veda sì a traversu u passu in corsu, pudiu rintraccià calcosa di u nosciu mari. Traducia à Ferrari in corsu pudaria essa ancu intarissantu, ma degnu di essa publicatu in libru ? capaci di tuccà à i littori ?
    Ùn ci crergu micca. Po’ andà calchì passi in un blog…
    Inveci, socu cunvintu chì ci voli à traducia litaratura straniera in corsu (subratuttu quida micca tradutta in Francesu), par dà sempri più ropa da leghja à la ghjenti. Fù a pulitica di i Catalani sempri, pà sviluppà u litturatu catalanu. Iddu ani a festa naziunali di a San Gjorghju, l’usu hè di ricalà un libru tandu. Eccu un asempiu da imità.
    Bona sera à tutti,

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  6. Hè per quessa c'aghju parlatu di resistenza, di cumbattu di l'"inutile". Ùn possu pratende chì l'addattazione in corsu di a scrittura francese o americana, o spagnola avaria u successu, ma senza pruvà la quale a saparà ? S'o vi capiscu bè, ci ferma à buscà qualchì autore inuit, assai cunnisciutu in u so carrughju di cotru è prupone lu à u letturatu corsu digià cusì strettu è dilicatu. Pensu chì s'è no truvemu un editore per fà quessa, pudemu sunnià ch'ellu ci n'hè unu chì vularà bè publicà à "Ghjuvanni" Steinbeck o "Stefanu" King. Bastanu tempu è soldi per quessa, credu eiu chì in Corsica frasemu i dui à a scimesca à bastanza à spessu per pudè spirà truvà ne per quessa. A disfatta l'avemu in core, ùn ci hè nulla à fà...Ancu noi chì scrivimu è lighjimu a lingua corsa c'invintemu e scuse per lascià la andà di male.

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  7. Mi sò scurdatu di signà.

    JYA

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