jeudi 11 août 2011

Passionnante et absolument discutable : serà pussibule !!

Oui, l'interview de Stefanu Pergola, jeune auteur de langue corse, par Norbert Paganelli, sur son site Invistita est à la fois (selon moi) passionnante et discutable.

Norbert Paganelli pose 6 questions à Stefanu Pergola. Je reporte ici les 3 questions/réponse qui suscitent en moi des réactions, et je vous laisse découvrir les 3 autres (qui pourraient susciter vos réactions... ainsi d'une définition de la poésie qui peut paraître très restrictive, mais pourquoi pas, si la créativité est à ce prix ? Parfois les contraintes (thématiques ou formelles) sont extrêmement productives.

Je précise aussi que je n'ai pas encore lu les livres de Stefanu Pergola, publié aux éditions Cismonte è Pumonti, un recueil de poèmes puis un recueil de nouvelles qui doit être publié en novembre prochain :
- Or Provu (2006)
- Strani amori (2011)

Donc voici d'abord les 3 questions/réponses (reprises ici avec l'accord de Norbert Paganelli) :

Lighjènduti, mi socu dumandu parchì quasgi tutti i to puisii èrani scritti in versi quand’è, à tempu d’oghji, mondi pueta prifiriscini u versu libaru… Sarà una vulintà di a to parti di « fà classicu » o sarà chè par tè a rima hè nicissaria à a puisia ?

Per mè, in corsu ùn si pò parlà di puesia senza parlà d’oralità. I vechji pueta cumpunianu senza scrive le puesie è puesie. Ciò chì aiutava à ritene a puesie era a rima di sicuru. Eo oramai provu à fà cusì. Oghje a moda seria u versu scioltu, si vedenu libri stampati à colpi d’haikù : u puema cortu cortu giappunese. Per mè, a puesia corsa ùn hè cusì. L’haikù hè un scrittu astrattu duve ellu ci vole à riflette, invece mi piace di più à cuntà qualcosa in versu, qualcosa chì possi tuccà à ognunu. Mi si pare chì per chì a lingua corsa sia ricunnisciuta ci vole à avvià si ver di altre forme : certe cunvenenu ma altre innò.


Mi faria piacè di sapè quali sὸ i pueta chi ti piàcini, quiddi chè tu leghji è rileghji cù passioni.

I mo pueta prefiriti per quelli andati sò Paoli di Tagliu è Marcu Casanova, per quelli d’oghje leghju Ghjuvan Petru Ristori è Ghjuvan Teramu Rocchi. Leghju dinù in prosa Ignaziu Colombani, Ghjaseppu Maria Bonavita (u mo preferitu in prosa), Natale Rochiccioli è Matteu Ceccaldi.


Parchì ùn avè micca missu dopu ogni puisia una traduzzioni in lingua francesa ? Mi pari peccatu chè ci hè tanti ghjenti chi pùgnani d’amparà u corsu è sὸ scuraghjati quand’ùn ci hè micca una traduzzioni par aiuttalli…

Per mè, mette u francese in traduzzione o adattazione d’un puema corsu hè facilità d’amparera o bisogni cummerciali d’una casa d’edizione chì cunsidereghja un libru cum’è un pruduttu da vende à u massimu. Quandu si pensa à certe suvvenzione date à certi libri duve nant’à ogni pagina sò scritti trè versi è micca di più… Ci hè da ch’è ride… Per capisce u corsu ci vole à leghje è circà à capisce aprendu un dizziunariu o fendu si spiegà a puesia da qualchissia ch’ammaestreghja u corsu puntu è basta. L’amparera vene cù a mutivazione è micca cù a facilità. Perchè allora ùn mette dinù l’inglese, u spagnolu o u chinese chì sò e trè lingue più aduprate nant’à a sta pianetta, u francese hè pocu à cant’à queste custì ! Certe opere sò publicate è editate s’è no parlemu di libri o ancu puru di dischetti ma di u corsu ùn ne anu chè u nome certe volte : u cuntenutu hè in lingua francese… Eppuru sò aiutati da soldi publichi chì favurizeghjanu a lingua corsa ! Certi sò Corsi quand’ella li cunvenenu… Per mè un libru di puesie corse hè un testimoniu d’un’ epica, d’una manera di vede e cose di quellu chì cumpone. Hè una lascita per a nostra terra vechja insucicata da u soldu è u putere di u fora.

Quelques réactions donc (avant les vôtres ?) :

1 - J'aimerais énormément savoir quels textes précis Stefanu Pergola aime dans les oeuvres de Paoli di Tagliu, Marcu Casanova, Ghjuvan Petru Ristori, Ghjuvan Teramu Rocchi, Ignaziu Colombani, Ghjaseppu Maria Bonavita, Natale Rochiccioli et Matteu Ceccaldi. Et aussi comment il les lit. Et pourquoi il les aime. (Puisqu'une littérature est la somme de ses lectures réelles...)

2 - D'accord avec l'idée que les littératures inventent et investissent des formes particulières qui correspondent à des "nécessités" liées à bien des facteurs (histoire et caractéristiques de la langue travaillée, réalités sociologiques et historiques ou politiques, inscription des auteurs dans dans des traditions littéraires des plus locales aux plus internationales). Mais lier de façon définitive et exclusive la poésie corse à l'oralité (qui imposerait vers réguliers et rimes) paraît très dur, et peut-être contreproductif, si l'on vise un développement et une évolution de la littérature corse (de langue corse en l'occurrence). Comment ne pas intégrer comme pleinement corse le travail poétique de Patrizia Gattaceca lorsqu'elle écrit des "haïkus" ? Si ces "haïkus" produisent une poésie pleine et entière, capable de traiter d'une façon singulière la matière personnelle de l'auteur, pourquoi les mettre de côté au prétexte qu'ils ne suivraient pas les formes dites "canoniques" ?

3 - Poésie de langue corse et traduction. Personnellement j'avoue que toutes les formules me paraissent se justifier : le texte seul sans traduction (mais sans interdiction formelle de pouvoir en proposer une traduction dans une autre langue si c'est possible) ; le texte publié d'abord en langue corse puis, quelques mois plus tard, en langue française ; le texte corse publié en même temps que le texte française dans deux ouvrages différents (cf "Tempi di rena" de la même Patrizia Gattaceca, adapté en français par Dominique Verdoni), voire même dans le même ouvrage (ainsi des premiers recueils de nouvelles de Marcu Biancarelli, par exemple, mais il y en a bien d'autres). Mais pourquoi faire comme si la langue française n'était pas celle des Corses ? Pourquoi opposer encore les deux langues ? Comment imaginer une société bilingue si la littérature ne peut pas être pensée ainsi ?

Ed avà tocc'à voi... s'ellu vi garba (vous pouvez discuter ici dans la langue de votre choix...).

7 commentaires:

  1. Merci d'avoir relayé ce petit entretien avec l'auteur que je ne connais pas personnellement mais dont j'ai apprécié le recueil Or provu.

    En fait la question qui est posée ici est la nature même de la notion de culture. Si je comprends bien les réponses de Stefanu, il est partisan d'un continuum afin de préserver une spécificité. En fait, moi aussi mais assez curieusement, je pense que ce continuum est mieux assuré lorsqu'il y a une "mixité". disons le tout net: il est dans la nature même des cultures que de chercher à voir ce qui se passe ailleurs afin de s'en nourrir...en cela l'exercice de traduction, qu'il soit régi par la volonté d'être fidèle au texte ou plutôt à l'esprit du texte, lorsqu'il ne s'agit pas des deux, me semble une invitation au dépassement, à la transcendance. Ceci étant, je respecte le point de vue de Stefanu, c'est aussi pour cela que je l'ai publié sur mon site sans chercher à le convaincre du contraire.

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  2. On ne peut figer une culture, si elle n'est pas en mouvement avec son temps elle meurt!les Haikus se sont répandus dans toutes les langues, leur esprit est d'une certaine façon universel : méditation sur l"éphémère de la vie, sur le lien de l'homme avec la nature...
    pourquoi ne serait-ce qu'en Corse qu'il serait inadaptable?

    Chacun ses choix, un artiste peut se sentir plus à l'aise dans sa création avec la rime traditionnelle, certes, mais de là à édicter un diktat sur ce que serait la "vraie" poésie corse: non.

    D'ailleurs soit dit en passant le diktat inverse qui serait de déclarer obsolète la poésie corse dans ses formes traditionnelles est tout aussi inacceptable, ce qui compte uniquement c'est le souffle que fait passer le poète!

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  3. Avis de simple lectrice. Je trouve très intéressantes les réponses de Stefanu Pergola. Il me semble que la poésie corse perd beaucoup de son intérêt dans la traduction, que la contrainte formelle est la nature même de la poésie. Le haiku est lui-même hyper formaliste. j'aime qu'on parle de G T Rocchi, dont l'oeuvre poétique considérable semble un peu oubliée.

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  4. Françoise,
    il est possible que tout texte et toute poésie "perde" beaucoup dans le passage à une autre langue. Mais il est tout aussi possible que les locuteurs de la langue de traduction gagnent beaucoup à découvrir une poésie nouvelle, qui les amènera peut-être à regarder la version originale (voir toutes les éditions bilingues qui existent dans l'édition française : je pense aux poèmes d'Emily Dickinson chez José Corti, à la "Divine Comédie" dans la traduction de J. Risset en GF, etc...). La traduction est un démultiplicateur. Je suis heureux, ne lisant pas le turc, de pouvoir profiter d'une traduction des "Paysages humains" de Nazim Hikmet (même si je sais bien que cette traduction aura laissé de côté bien des éléments du texte original).

    Par ailleurs, je suis très intéressé par votre propos sur GT Rocchi : pourquoi ne pas envoyer (sur ce blog ou sur un autre) quelques mots pour évoquer ce que vous aimez de son oeuvre ? Ce serait une belle occasion ? Personnellement, je ne la connais pas du tout ; je me souviens que certains poèmes sont devenus des chansons, mais je ne saurais dire immédiatement lesquels.

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  5. Cher François, il m'arrive une chose horrible! Je voulais te parler de la poésie de Rocchi. Je suis donc allée chercher le petit cahier dans lequel j'ai rassemblé ses poésies (du temps où j'étais instit, car je m'en servais beaucoup avec les élèves), et ... je ne le trouve plus. C'est terrible de perdre de ces petites choses auxquelles on tient tant! Mais je le retrouverai et le montrerai lors d'un prochain passage à Bastia.

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  6. Françoise (c'est donc toi Françoise !), et voilà les écrits volent, seuls les souvenirs de paroles demeurent. Tu pourrais évoquer tes souvenirs de ces poèmes, de leur usage...
    Au plaisir.

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  7. à Françoise: la contrainte formelle est souvent utilisée en poésie comme dans toute forme d'expression artistique pour canaliser et stimuler la créativité (voir les principes de l'oulipo). Personnellement je me suis amusé à écrire quelques textes en alexandrin avec coupure à l'hémistiche, c'est un exercice très amusant qui donne des résultats stupéfiants mais j'avoue que dans ce genre de pratique, j'ai l'impression que ce n'est plus tout à fait moi qui parle mais la "mécanique" elle-même. Inversement, il me semble que lorsqu'on écrit en vers libre on est tributaire d'une "mécanique" qu'on s'est soi-même imposée et qui varie de textes en textes...Naturellement ce n'est qu'un simple avis et au fond, l'essentiel n'est pas là...J'ai posé cette question à Stefanu précisément parce que quelques jeunes auteurs semblent revenir à la forme fixe, un peu comme si, le vers libre leur semblait "désuet". D'accord avec toi sur G.T. Rocchi mais je n'ai pas grand chose de lui sous la main...Ce ne serait pas toi qui.....

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