lundi 26 octobre 2009

Encore un effort ! A propos de "L'intégrale Corse" de Pétillon

Vous le savez (ou peut-être pas encore), le dessinateur humoristique René Pétillon vient de faire paraître "L'intégrale Corse". Le volume de 142 pages comprend tous ses dessins consacrés à la Corse depuis 30 ans.

C'est vraiment drôle, et à déguster par petites touches, car je trouve qu'une lecture continue peut amoindrir la force comique des dessins (on y voit alors se répéter systématiquement les procédés : l'insistance sur la mauvaise foi, les renversements de situation). Un sentiment assez globalement partagé par tous les "personnages" de ces dessins est finalement une calme résignation, mélange d'exaspération et d'adhésion face à une situation inextricable. Le regard de Pétillon conserve ainsi une certaine tendresse, une certaine humanité (on imagine la différence d'avec un dessinateur comme Cardon, dont on sent que c'est un rire de colère qui l'anime). (Vous n'êtes peut-être pas d'accord ?)

Mais je voudrais revenir plus précisément sur la préface de l'ouvrage, écrite par la journaliste Ariane Chemin. Une chose m'a fait sursauter, même si en relisant aujourd'hui son texte introductif, j'ai un peu révisé mon jugement.

Il se trouve que le passage qui m'a gêné est aussi en quatrième de couverture (ce qui peut commercialement se comprendre), dans une version légèrement différente.

Voici les deux passages :

"Sa chronique de la Corse contemporaine renoue avec les récits folkloriques de Mérimée (l'homme qui a mis l'île à la mode), de Maupassant et d'Alexandre Dumas - encore un pinzutu qui n'avait jamais même posé un pied en Corse." (Quatrième de couverture.)

"Les bulles de René, pour dire la vérité de la Corse ! Volens nolens, l'homme est devenu une référence insulaire. Comme L'Enquête corse, cette Intégrale servira de vade-mecum de la Corse contemporaine, après les récits de Maupassant, Mérimée, ou d'Alexandre Dumas - encore un pinzutu qui n'avait même jamais posé un pied sur l'île." (Préface, page 11.)

Pourquoi ces références anachroniques aux auteurs français du XIXème siècle ?

Il est vrai qu'elles sont contrebalancées par le rapprochement du travail de Pétillon avec des éléments corses, qui d'ailleurs sont intéressants pour mieux apprécier le travail du dessinateur :

- "Et si la sympathie des Corses pour Pétillon venait de là ? En troussant l'idiot intelligent (il s'agit de Jack Palmer), l'imbécile malin - le personnage si méditerranéen de Grossu Minutu -, le dessinateur se moque de tout, y compris de l'envoyé spécial." (page 8.)

- "Pétillon a su aussi saisir l'amour de ces îliens pour les clichés et leur goût pour le jeu de rôle. Les Corses jouent aux Corses et ne sont pas dupes des personnages qu'ils fabriquent." (page 9.)

- "Dans un dessin de l'ami Batti, on voit un Corse chercher son cousin pour "lui remettre deux figatelli et une BD". Vous reprendrez bien un peu de Pétillon avec vos saucisses de foie ?" (page 11.)

Mais tout de même, il est presque désespérément significatif de voir qu'en 2009, c'est encore une littérature du XIXème siècle que l'on convoque comme référence ! Ariane Chemin doit pourtant savoir combien de nombreux livres écrits depuis Mérimée et Maupassant, souvent par des Corses, ont oeuvré pour "dire la vérité de la Corse". Surtout concernant la "Corse contemporaine".

Pourquoi ne pas signaler - même en passant - que le travail de Pétillon vient s'ajouter à un ensemble beaucoup plus riche et original (inclure ici la liste des auteurs et des livres qui vous semblent consituer cet ensemble, par exemple, pour rester dans l'ordre des oeuvres critiques et comiques : "Le peuple du quad" de Marcu Biancarelli, "Cunniscenza di u corpu umanu" des Cantelli, ou "Captain Corsica" de Filippu Antonetti) ?

Tout de même, relisant les gags de Pétillon, vraiment très drôles, je me suis arrêté sur l'un d'eux. Il se trouve page 30 et est intitulé "Attentat contre le Secrétariat général aux Affaires corses". (Je me dis qu'il peut remplacer la vidéo maintenant introuvable de l'INA que je citais dans un précédent billet). Sur ce dessin, les deux cagoulés auteurs de l'attentat tournent nonchalamment le dos aux lieux du crime - des vitres brisées, des dizaines de papiers dans les airs et finissant par couvrir le sol - et l'un des deux dit à l'autre, en tenant un de ces papiers, quelque peu roussi : "TIENS... ÇA PARLE DE TOI..."

Il reste encore à savoir ce qu'il pouvait bien y avoir d'écrit sur ce papier du Secrétariat général aux Affaires corses... De la littérature corse contemporaine et bien vivante, certainement !

(AJOUT DU 8 NOVEMBRE 2009 : Je signale ici un billet du site Corsicapolar qui remarquait la parution de l'ouvrage de Pétillon et qui contient un lien vers un reportage télévisé donnant la parole à René Pétillon ("plaisantin sans complaisance") et Ariane Chemin ; cela peut alimenter la discussion).

5 commentaires:

  1. Je fais partie de ceux que la Corse vue par l'extérieur exaspère . Nous avons ici des auteurs de BD talentueux. A commencer par Bati qui ne disposent pas de la publicité faite a ce Monsieur qui touille a l'infini le brouet des topi. Quand a la référence a Dumas? Une honte. Dumas avait de l'imagination. Pour finir je n'aime même pas le dessin d'une affligeante banalité. Il y avait plus a dire que ces niaiseries. Je suis bien contente car je ne l'ai pas acheté mais emprunte. Pitoyable.

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  2. Strappapeta,
    merci pour le commentaire.

    Je vais me faire l'avocat du diable.

    1. Il me semble intéressant que Pétillon et Ariane Chemin énoncent l'hypothèse que les Corses jouent eux-mêmes avec leur propre rôle, avec les clichés qu'ils participent à fabriquer. N'y a-t-il pas un peu de vrai ? Est-ce de l'aliénation ? Ou une façon de tirer son épingle du jeu (mais quel jeu et en vaut-il la chandelle ?)

    2. La bande dessinée corse est variée et talentueuse : il faudrait savoir qui lit quoi, qui aime quoi. Je pense à Fred Federzoni et son personnage de petit vieux. A Serge Micheli. A Rücksthül (j'ai vérifié l'orthographe !). A Cyril Le Faou. Et tous ceux qui ont participé aux numéros du "Musconu d'Avretu".

    3. Par ailleurs, il y a des dessins de Battì qui me semblent participer du même esprit que ceux de Pétillon (voir par exemple celui sur son site internet, en page d'accueil avec les "deux policiers qui arrêtent deux gendarmes").

    4. "Niaiserie"..., cela me fait penser au vieux sens de "niais" : "qui est encore au nid, qui ne sait pas voler". Grâce à la discussion collective, les propos ici publiés s'envoleront vers les hautes sphères de l'intelligence !

    A bientôt pour discuter des auteurs corses de bande dessinée et d'Alexandre Dumas.

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  3. In u spiritu di Petillon, mi piace a BD cù i cagulati in "le diable au corse" (JDC mi pare, mi sò spanzata à spessu!)

    a 1a BD "l'inchiesta corsa" m'hà fattu ride, ma dipoi hè più per sfruttà u fondu di cumerciu di stu primu successu inaspittatu chè altri affari...

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  4. Hè vera, i Corsi ghjocanu à spessu u so rollu di "Corsu" adattendusi à ciò chì (elli pensanu chì) l'altri "aspettanu" d'elli!

    1/ Certi volenu fà "più Corsu chè Corsu", sicondu l'imaginariu merimescu and Co... (arme, tencia "patibulaire mais presque", è u più suvente : "retenez-moi ou je fais un malheur"...Ho! ùn ci hè nimu per ritenemi???)lol

    2/Altri "Riagiscenu" à u disprezzu, à tutti l'attacchi, veri o supposti, per "difende" i nostri "valori" (mì...mi ricunnoscu appena quì, LOL -))))

    3/ Certi sò Corsi "vergugnosi" in cerca di a ricunniscenza di u fora chì ci disprezza, è pruvendu di marcà a so "differenza" da stu populu ghjastimatu.
    Un gran'esempiu, Angelo Rinaldi :
    cf u so discorsu davanti à l'Academia Francesa, o u so articulu famosu (è scandalosu) nantu à a lingua corsa:

    Vous avez bien compris que moi, misérable petit Corse à l'origine, je suis bien plus intelligent que mes compatriotes que vous avez raison de vilipender, je sais moi tout ce que je dois à l'école de la République et à la Sainte Langue Française Universelle, qui m'a sauvé d'un pauvre destin. Je vous remercie donc à genoux de m'accueillir parmi vous, preuve qu'enfin je suis arrivé à m'extraire de la médiocrité d'un peuple d'arriérés. Je ne dois sûrement rien au bilinguisme de mon enfance pour le magnifique style que vous connaissez et avez reconnu.
    Et quel scandale, vraiment, que l'on veuille à présent "mutiler" les petits Corses en leur enseignant leur soi-disant langue "tout juste bonne à siffler les chèvres" (les mots entre guillemets sont les vraies paroles utilisées dans l'article infâme d'AR en 2001 ou 2002)

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  5. Francesca,
    les différentes façons de réagir face aux "attaques" sont souvent très complexes, fluctuantes. Ce sont des choses humaines.
    Quant à la figure d'Angelo Rinaldi, je crois que ses romans sont certainement plus riches, plus nuancés que ses propos polémiques ou pamphlétaires.

    A propos de Pétillon, je rajoute dans le billet un lien vers le site Corsicapolar qui contient lui-même un lien vers un reportage qui donne la parole à René Pétillon et Ariane Chemin (cela me semble intéressant : notamment le fait que Pétillon décrive son travail comme une satire non complaisant et le regard d'un "plaisantin", qui cherche une certaine "justice" dans la charge qu'il propose).

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