Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
mardi 30 novembre 2010
Fernando Ferreira évoque "Corse" de Raymond Depardon
C'est donc une histoire de photographes, qui regardent la Corse, la photographient, et en parlent.
Fernando Fereira, que je rencontrai à la Maison de la Corse à Marseille, rue Sylvabelle, présentait son ouvrage, "L'odyssée corse". Nous discutâmes de choses et d'autres (et notamment de la Corse, si si). Je fus frappé par certaines des photographies : leur vérité, leur beauté, leur sens de la composition (notamment, page 8, 13, 16, 17, la page 29, que je trouve vraiment magnifique - je ne cessai de revenir vers cette photo :
chemin pierreux au premier plan bordé par un muret haut qui conduit le regard vers la petite tache blanche du lac de Codole, paysage vert sombre que plombe un ciel de nuages gris, reliés par le gris clair vaporeux de quelques pluies
Bon, évidemment, il faut feuilleter l'ouvrage (publié chez Privat), car il y a bien d'autres photos (et aussi un texte de Jean Mattei - que je n'ai pas encore lu - évoquant la Corse, avec un regard personnel), il y a aussi un documentaire d'1h20 qui témoigne de la marche nord-sud (Cap Corse-Bonifacio) effectuée par le photographe-alpiniste-trekkeur.
Donc, merci à lui d'envoyer ses réflexions à propos de l'ouvrage de Raymond Depardon, "Corse" (publié au Seuil, en 2000), (qui associe les photographies de l'artiste à un texte autobiographique de Jean-Noël Pancrazi, récit faisant suite à son "Long séjour", et évoquant son père, Ajaccio et la Corse).
Bonne lecture, et bonne discussion, si vous avez eu l'ouvrage de Depardon/Pancrazi en main :
De l’Image(s) de la Corse.
Lors d’une séance de dédicace à la maison de la Corse à Marseille, j’ai rencontré François Renucci, avec qui j’ai entamé une intéressante discussion sur les photos de Corse. Nous en sommes venus à parler du livre de Raymond Depardon (texte de Jean-Noël Pancrazi) qui pour moi est l’un des meilleurs jamais édité sur le sujet et ce pour deux raisons. La première : vous ouvrez le livre, une photo, une phrase, et vous avez déjà un pied sur l’île... en tous cas j’ai personnellement déjà un pied sur l’île ! La deuxième : l’ouvrage tord le cou aux “clichés“ qui monopolisent l’image de la Corse. Je ne rencontre que très rarement des gens sensibles à cet ouvrage, qu’ils soient corses ou continentaux. Il reflète une réalité qui échappe complètement aux images habituelles véhiculées et qui ont donné naissance à une sorte de vision fantasmagorique de l’Île : féérique et surnaturelle.
Raymond Depardon réussit un très beau livre, beau de par la qualité de ses photos, mais surtout de son regard, simple, attentif, objectif, même et surtout à contre courant ! Trop peut-être ? Je ne pense pas ! C’est un regard à un instant précis entre deux parenthèses bien définies. Un portrait de l’île, sans portraits de Corses, mais de leur île au quotidien. Vide ! Et vivante ! Là est le tour de force. Les images déconcertent. La plupart des lecteurs ont du mal à reconnaître leur Corse ou celle qu’ils imaginaient. Et il faut le nom et le talent d’un grand artiste comme Depardon pour oser un livre en noir & blanc sur la Corse, et réussir à le faire éditer.
Il est vrai que les “clichés“ sur l’Île de Beauté sont coriaces à combattre, car comme tout cliché ils sont rassurants, souvent positifs (je ne parle que des photos !) et surtout stables pour l’imaginaire collectif. D’autant que l’image de la Corse est difficile à capter. Elle offre une telle palette de nuances, de tons, de situations, de lumières, d’états, de paradoxes qu’il est quasi impossible par exemple de résumer la Corse à une image symbole. Comment faire tenir une telle diversité dans une photo ? Imprimer sur la “pellicule“ à la fois la plage de Roccapina, les Calanche de Piana, l’Omu di Cagna, le sommet enneigé de la Paglia Orba, le lac de Nino, les chevaux sur la plateau du Coscione, les ruelles voûtées de Cannelle ? Impossible ! Alors qu’on arrive par exemple à “résumer“ l’Australie à un kangourou, le Kenya au Kilimanjaro, l’Espagne à un taureau, la Grèce aux colonnes d’un temple antique, l’Egypte à une pyramide etc… Quelle image pour “résumer“ la Corse et toute sa richesse culturelle et naturelle ? Aucune ! C’est un ensemble d’images qui fait le travail, et du fait justement de cet ensemble qui forme comme un mur, toute autre image devient difficile à exposer, voire illisible. Comme par exemple des photos de hautes montagnes enneigées, où de paysages de forêts aux couleurs automnales rougeoyantes ! C’est en Corse ça ? Non ? Les Alpes, le Canada ? Pas possible ! Et si c’est possible ! Le “gag“ est qu’on retrouve quasiment cette même attitude chez un rédacteur en chef parisien que chez des amis ajacciens… Les Corses eux mêmes ont souvent de par leur culture une connaissance parcellaire de leur île.
Le livre de Depardon reste pour moi un de ceux qui racontent le mieux la Corse, en tout cas ma Corse : hors saison, hors du temps, à la réalité épaisse et multiple. Chaque fois que je tourne la dernière page, j’ai une pointe de nostalgie qui vient me titiller l’âme (sûrement la “saùdade“ portugaise inscrite dans mon ADN) ; c’est un livre “sentimental“, affectif autant par les images que par les textes. A la fin on trouve d’ailleurs un court texte de Depardon expliquant pourquoi il est là en Corse, à traverser l’île de long en large avec une chambre photo : c’est un voyage loin de l’amour d’une femme. Un voyage dans l’espace mais surtout intérieur : il photographie le vide de l’île comme un instantané en miroir de son vide intérieur. Il est un Voyageur sur le continent Corse. Je partage ce sentiment à chaque fois que je pose le pied sur le “caillou“ (comme mon ami Pierre-Paul aime à surnommer affectueusement l’île), celui d’être un voyageur : toujours. Mais à chaque fois c’est un voyage différent. Dans la préface de “L’Odyssée Corse“, j’ai écrit : “…la Corse… Ce fut pour moi une révélation. Je me suis senti chez moi, et depuis je m’y sens à l’abri. Je me sens aussi étranger, et étranger je veux rester. Ainsi je resterai toujours un voyageur... “. J’ai beau connaître par cœur toutes les routes de Corse, ses refuges de montagnes, l’avoir traversée du Cap à Bonifacio, des plages de sables fins chères aux directeurs artistiques parisiens à ses sommets caillouteux ou enneigés, chaque premier pas sur la terre corse est pour moi la promesse d’un voyage : jamais gratuit ! Je reviens toujours plus riche, car plus fort d’expériences de toutes sortes, de rencontres, de découvertes extérieures et de soi, et toujours d’aventures. Je ne reviens jamais “indemne“. La Corse concentre tellement d’états différents, elle a un tel charisme, une telle photogénie, une telle puissance de caractère, une telle force animale mixée à une sensibilité introvertie, elle mélange tellement de paradoxes, de contradictions, de passions, de subtilités que faire des images de la Corse est à la fois un immense bonheur et un défi ; un sujet inépuisable. Merci à Raymond Depardon d’avoir fixé sur pellicule, avec un très grand talent, une des multiples facettes de Kalliste : il y en a beaucoup d’autres ! La Corse est une montagne d’images qui flotte sur la mer ! Y’a pas photo !
Fernando Ferreira photographe-reporter
Auteur de “L’Odyssée Corse Tra u pumonte e u cismonte“ Editions Privat
Blog : http://web.me.com/fernandoferreira/pancorsica/Bienvenue.html
Bibliographie :
“Corse“ Raymond Depardon et Jean-Noël Pancrazi, Editions du Seuil
Quelques autres livres à lire :
“ Corsica di una volta“ de Rigolu Grimaldi & Rinatu Coti, Editions d’Art/Somogy, un magnifique recueil d’images anciennes.
“L’Excursion en Corse de Roland Bonaparte, Album du pays natal, 1887 “ avec sa série de daguerréotypes, édité par la CTC à l’occasion de l’exposition au Musée de Corse en 2000.
Les cartes et posters publicitaires du siècle dernier : PLM, Service Automobiles d’Excursion…
Je rajoute ici :
- un lien vers un article d'Annick-Peigné Giuly à propos de l'ouvrage de Depardon/Pancrazi (qui évoque aussi un autre livre associant texte et image, "La renfermée, la Corse", de Marie Susini et Chris Marker)
- un lien vers un ouvrage de photographies que j'aurai bientôt entre les mains (mais peut-être voudrez-vous en parler avant moi ?) : "Eloge de la ruralité" de Maddalena Rodriguez-Antoniotti.
(la photo, qui n'est pas de moi, eh non)
lundi 29 novembre 2010
De quelques propositions étonnantes
Que voici :
- une jeune femme néerlandaise écrit un texte de fiction en langue corse : et tout le monde peut le lire en se rendant sur le blog survitaminé bien connu des internautes amoureux de la littérature corse : Tarrori è Fantasia.
- une demande insistante se fait jour et qui dit ceci : il serait bon - extrêmement bon - de pouvoir lire toutes les semaines, dans un des deux quotidiens insulaires (Corse-Matin et 24 ore), une double page consacrée à la littérature corse sous toutes ses formes.
- je viens de lire intégralement le recueil "Vae Victis", de Marc Biancarelli, et à l'applaudimètre (personnel et portatif qui est le mien), le texte intitulé "Guerre civile" remporte la Palme d'or du texte de littérature corse le plus original publié cette année 2010 (certes le texte original écrit en corse fut publié en 2009 dans la revue A Pian d'Avretu). (Bravo.) (Evidemment, ne me demandez pas depuis quand existe ce prix littéraire, ni son objectif, ni ses critères, ni même si le jury a délibéré en toute indépendance après avoir lu la totalité de la production littéraire corse de l'année, par pitié ne me le demandez pas !). Ce texte : ou comment la sensibilité et la vision d'un écrivain parmi les plus talentueux dans l'île relit l'histoire de la Corse à la fois comme une affaire personnelle et collective, absolument catastrophique. Cela commence par : "Quand la guerre a-t-elle commencé ?" et cela se termine par "Et personne ne sait ce que sera l'avenir des orphelins." Tout cela est évidemment discutable.
Laquelle de ces propositions (en caractères gras italiques rouges) est la plus étonnante, le plus riche de promesses, la plus propre à titiller zygomatiques, récriminations ou enthousiasmes ?
Pour lire :
- le texte de Marilena Verheus, voir ici.
- la demande de double page, voir les derniers commentaires au billet "Bona notte" (la discussion peut se poursuivre là, ou bien ici, comme vous le souhaitez).
- le recueil "Vae Victis" : ici, chez Materia Scritta
Pour finir, je cite la page qui me bouleverse (évocation de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992, peut-être un des moments les plus vertigineux et horribles de notre histoire : tarrori è fantasia) et que je relis, dans "Guerre civile", que j'ai déjà citée en partie autrefois, que je reprends donc ici, car il me semble que ces années 1990 en Corse attendent encore d'être traitées à nouveau par les écrivains et les artistes (tiens, il faudrait que je fasse une recherche, qu'est-ce qui a été publié au cours de l'été 1995, alors que se multipliaient les tracés rouges autour des corps d'hommes jeunes et moins jeunes, embringués dans un des très malheureux épisodes de cette guerre civile ?) :
Mais nous étions un peu déboussolés, il faut le dire. Une tribune nous était tombée sur la tête.
J'étais là, ils s'apprêtaient à chanter le Dio vi Salvi Regina, les gens frappaient avec les pieds, et une femme m'a demandé "vous croyez que ça va tenir ?" J'ai répondu que oui, j'ai dit "quand même, ils savent ce qu'ils font..." et j'ai pas fini ma phrase, la vague de fer et de gens enchevêtrés est venue sur moi, elle m'a évité, elle m'est passée juste derrière, à un mètre, elle a dit que pour cette fois elle m'épargnait, et juste au-dessus de moi, où s'étaient trouvés des milliers de personnes, et des rangées de fer, il y avait le vide. Un homme qui tombait courait dans le vide. J'ai vu cette image, irréelle. La tribune venait de tomber. Un type s'est approché et a dit "mon dieu les gens morts en bas !" Moi je me suis pas approché, je suis descendu le plus que je pouvais, je ne voulais pas que mon morceau de tribune s'effondre lui aussi.
Sous la tribune c'était comme s'il y avait eu un bombardement. Je suis passé là au milieu comme un fantôme. J'ai pensé à la guerre. J'ai entendu les premiers cris de vengeance, après il a été dit que les gens étaient restés étrangement calmes. Ça n'est pas vrai, il y avait un père qui cherchait son fils et qui maudissait la moitié du monde, il criait et il disait "maintenant si mon fils est mort qu'est-ce qui va se passer ?" et c'était du désespoir et des menaces en même temps. Deux personnes portaient une gamine, elle avait la tête en sang, peut-être un oeil crevé, la gosse ne pleurait pas, elle devait être à moitié assommée. Ça courait dans tous les sens, dans un mélange abstrait de terre et de tubulaires, de planches cassées et de poussière. Il y avait des gens allongés et alignés, immobiles, dans une espèce de baraque qui me fit penser à une porcherie, ils ne bougeaient plus, ils ne semblaient plus respirer, j'ai pensé qu'ils étaient morts, j'ai erré sans but au milieu de la zone bombardée, j'ai mis les pieds sur une planche en acier et j'ai glissé, sur la planche il y avait un mélange de sang et de merde, j'ai senti l'odeur du sang et de la merde, j'ai pensé que quelqu'un avait dû se faire transpercer le ventre.
Au milieu des hurlements de souffrance, j'ai entendu les cris de guerre.
Ça n'était pas un accident, c'était ce qui devait arriver. Je me suis senti coupable, toute notre Histoire se résumait là, dans ce désastre, dans cette automutilation de notre corps collectif. Nous n'étions foutus que de ça, semer ce carnage, déjà nous cherchions nos ennemis, déjà nous voulions laver le sang, déjà nous pensions à choisir notre camp, et le sang, et la haine, et la peur de nous regarder dans ce miroir aveuglant. Et ce sentiment insupportable d'être bien l'engeance maudite qu'évoquait la marâtre. Ce besoin qui s'affirmait de nous détruire nous-mêmes, d'en finir avec notre destinée obscure, de nous achever dans un dernier tremblement, cette pulsion infernale à nous exterminer afin de ne plus exister, et exister insatisfait, toujours, et incompris, et incapables d'expliquer quoi que ce soit.
Alors il y a eu la guerre civile.
(la photo)
samedi 27 novembre 2010
"La vie, parlons-en." (Jean Rouaud)
Tandis que la vie numérique de la littérature corse bat son plein (voir les sites de Corsicapolar, Musa Nostra, Gazetta di Mirvella, Tarrori è Fantasia, Invistita, Isularama et Terres de femmes - et j'en passe ; d'ailleurs, voici quelque chose d'intéressant à voir émerger : le couple Gazetta di Mirvella et Tarrori è Fantasia, le premier servant de creuset - forum sans attrait visuel - au second - blog soignant son apparence ; oui on peut lire comment Ghjuvan Filici conseille Ruclinonu pour améliorer l'écriture de "L'alchimistu" : passionnant : de la littérature corse en train se faire, devant nos yeux !)... donc, tandis que cette vie numérique bat son plein, disais-je, je me détourne à grand peine de ces lieux de perdition où se croisent le pire et le moins pire (attention, ironie), pour, comme il le faut,
ouvrir un livre en papier.
Ce que j'ai lu dans ce livre en papier me trotte dans la tête depuis plusieurs mois. (Est-ce un critère suffisant pour faire accéder ces pages au firmament de la littérature corse ? Chì ne sò eiu ? Poca quistione ! Uffa ! Et maintenant, à la question de savoir ce qu'est la littérature corse, je renverrai systématiquement à la merveilleuse réponse de Fernand Ettori - autorité que personne n'osera contester - et qui se trouve à la fin de cet article d'Angèle Paoli, qui le tient de la bouche même de Jacques Fusina (si avec de telles fées penchées sur le berceau d'une littérature encore à naître on y arrive pas, je rends mon tablier !)...
Oui, donc, ce livre en papier qui trotte...
... que raconte-t-il ?
Une histoire d'amour.
Comment ?
Par un dialogue entre ELLE et LUI (j'écris "ELLE" avant "LUI", parce que c'est "ELLE" qui ouvre le dialogue, avec un très engageant "Tu imagines ?" et c'est encore "ELLE" qui le conclut avec un superbe "J'imagine").
Et de quoi parlent-ils ?
De la Corse, de la Loire-Inférieure, de la vie, d'Ulysse et du Christ, d'Ajaccio, et des êtres qui tentent de s'aimer. Toujours pensé que le golfe d'Ajaccio était fait pour les êtres qui tentent de s'aimer. (Un grand roman d'amour - je veux dire un amour réel, concret, pas des clichés - dans la littérature corse, cela existe-t-il ?... Il y a bien ce poème de Ghjuvan Ghjaseppiu Franchi.)
Evidemment, parfois le dialogue ressemble à deux monologues (à moins que l'amour ait toujours un peu à voir avec le vin miraculeux et les incroyables météores qui nous survolent et nous traversent)... mais puisqu'ils sont entremêlés, ces monologues, c'est bien qu'il doit se passer quelque chose entre les deux ?
Voilà, dans ce livre en papier, il se passe quelque chose entre eux deux.
Allez savoir quoi.
En tout cas, c'est avec beaucoup d'humeurs, et d'humour.
Voici les dernières pages (achetez le livre et lisez-le avant de finir ce billet, si vous n'aimez pas connaître la fin des histoires d'amour !) du très court dialogue théâtral écrit par Jean Rouaud, nommé "Les très riches heures", publié aux Editions de Minuit, en 1997. J'achetai cet ouvrage, en présence de l'auteur, en septembre dernier, lors de la manifestation "Racines de ciel", organisée par Michèle Leca.
A Ajaccio.
Bien sûr.
LUI. - "Le fleuve marque la limite septentrionale de la vigne. Nous sommes les derniers Italiens. Au-delà, le sang dans les crânes, la bière et les Barbares, le cidre et les Pictes. Muscadet et Gros Plant constituent le limes de la civilisation".
ELLE. - Je me résignais doucement. Je me préparais à rentrer dans le rang, à jeter mon dévolu sur celui qui n'a pas inventé la poudre en me racontant que c'est pour ne pas faire de mal à une mouche. Je n'avais pour consolation que d'avoir lutté jusqu'à l'extrême bord de la désespérance, d'y être quelquefois même passée par-dessus, le bord, repêchée par une rémission de l'amour. Je m'abandonnais. Presque apaisée : ainsi, mon Dieu, c'est cela que vous attendiez de votre Ajaccienne élue, cet effacement, que je plie une nuque un peu raide devant votre toute-puissante volonté. Ce n'était pas la peine d'en faire toute une histoire, de mettre en jeu toutes les forces de la création pour un malheur si commun, en somme. Vous eussiez mieux fait de m'enlever tout de suite de la tête cette étrange idée que l'amour existe, qu'il peut s'incarner en dehors de votre fils chéri, d'ailleurs trop chaste à mon goût. Et autant vous prévenir. Si vous vouliez m'enrôler dans la légion de ses fiancées, je ferais la sourde oreille. Pour ce qui est de prendre le voile, inutile d'insister, c'est non.
Et ne me dites pas que l'amour n'est pas aimé. Mais si, nous l'aimons puisque nous aimons, mais à notre manière, plus terre à terre, et plutôt, que l'amour du lointain, l'amour du prochain, en cela nous sommes bien d'accord, mais proche, très proche, jusqu'à refermer nos bras sur son corps désiré.
LUI. Nous parlons du mien, n'est-ce pas ?
ELLE. - Le tien, le mien, ne soyons pas mesquins, mon adoré. C'est à nous, tout ça, à nous de jouer, à nous de faire du neuf avec cette vieille idée. Nous inventerons.
De chaque jour, nous nous efforcerons de faire un bon jour, de chaque nuit une bonne nuit, et, chaque matin en ouvrant les volets, nous n'en reviendrons pas.
LUI. - "Le vignoble nantais en arrière de l'estuaire produit un vin blanc sec, acide, qui doit être à l'origine de cette crispation du fleuve au moment de se jeter dans l'océan. Cette même crispation que l'on retrouve sur la mine des gens, cet air de couver un éternel ulcère."
ELLE. - Dis-moi, mon coeur.
LUI. - Quoi ?
ELLE. - Rien, juste pour m'entendre dire mon coeur.
LUI. - "La robe paille du vin a des reflets verdâtres, comme si le pâle soleil de Loire achevait de s'y diluer. Les rayons profitent du soir pour se glisser sous l'épaisse couche nuageuse accumulée au-dessus de l'estuaire et se réfugier dans les grappes comme on se met au vert."
ELLE (chanson).
Chaque matin en ouvrant mes
volets je n'en revenais
pas d'être née là
Le ciel par-dessus les tuiles
la mer bleue comme de l'huile
j'en f'sais tout un plat
Et mon père et ma mère
dansaient sur les eaux
d'Ajaccio
J'attendais quelque chose comme
comment dire, bien sûr, un homme
mais beaucoup plus qu'ça
J'attendais comme on attend
d'une hirondelle le printemps
de la vie de l'a-
mour, mais pendant ce temps
le temps passait qui
passe tout l'temps.
LUI. - "Les ceps, tors, noueux, poussent bas pour offrir moins de prise au vent d'ouest. Ce qui rend la vendange pénible. Mais les plus aptes par la taille n'ont pas forcément la vocation : les apprentis jockeys préfèrent le cheval, les lilliputiens le cirque, les enfants la mine, et Toulouse-Lautrec la peinture."
ELLE. -
-mour, mais pendant ce temps
le temps passait qui
passe tout le temps.
Dis-moi, coeur
LUI. - Oui ?
ELLE. - J'ai oublié.
Ah si : ça t'embête si je t'embête ?
Ça t'embête ?
Ça m'embête.
Ça ne t'embête pas de me savoir embêtée ?
Remarque, je peux très bien me taire. A la rigueur garder le silence, comme Francesca gardait les chèvres.
L'ennui avec le silence c'est que, passé la minute, il demande à être meublé : une armoire de paroles, une commode d'à-propos, un chiffonnier de mots tendres. Ce devrait être un métier : décorateur de silence. Et une fois meublé, décoré, le silence, qui voit-on passer ?
Un ange.
Qui fait l'ange ?
Et moi, devine, ta femme, qui c'est ?
LUI. - Une décoratrice.
ELLE. - Et encore ?
LUI. - Une Ajaccienne.
ELLE. - Toutes les Ajacciennes sont décoratrices.
Alors, range tes photos, ravale tes larmes, relève la tête, regarde-moi. Et maintenant, comment tu la trouves, ta femme ?
LUI. - Mars est un mois vert et boueux dans la vallée, il y en a qui aiment ça, les fermiers surtout.
ELLE. - J'imagine.
(La photo)
jeudi 25 novembre 2010
and a whole flood of sister memories !
Of asphodel, that greeny flower,
like a buttercup
upon its branching stem -
save that it's green and wooden -
I come, my sweet,
to sing to you.
We lived long together
a life filled,
if you will,
with flowers. So that
I was cheered
when I came first to know
that there were flowers also
in hell.
Today
I'm filled with the fading memory of those flowers
that we both loved,
even to this poor
colorless thing -
I saw it
when I was a child -
little prized among the living
but the dead see,
asking among themselves :
What do I remember
that was shaped
as this thing is shaped ?
while our eyes fill
with tears.
Of love, abiding love
it will be telling
though too weak a wash of crimson
colors it
to make it wholly credible.
There is something
something urgent
I have to say to you
and you alone
but it must wait
while I drink in
the joy of your approach,
perhaps for the last time.
And so
with fear in my heart
I drag it out
and keep on talking
for I dare not stop.
Listen while I talk on
against time.
It will not be
for long.
I have forgot
and yet I see clearly enough
something
central to the sky
which ranges round it.
An odor
springs from it !
A sweetest odor !
Honeysuckle ! And now
there comes the buzzing of a bee !
and a whole flood
of sister memories !
Ed avà a traduzzione francese (fatta da Alain Pailler) di issu puema straudinariu (1954) di William Carlos Williams :
De l'asphodèle, cette fleur plutôt verte,
comme un bouton d'or
sur sa tige qui fourche -
sauf que verte et ligneuse -
je viens, ma douce,
te dire le chant.
Longtemps nous avons vécu ensemble
une vie pleine
de fleurs,
conviens-en. Aussi
fus-je empli de joie
lorsque j'appris
qu'il s'en trouvait même
en enfer.
Aujourd'hui
je suis tout au souvenir déclinant de ces fleurs
que nous aimâmes tous deux,
jusqu'à cette pauvre
petite chose incolore -
je la vis
quand j'étais enfant -
peu prisée des vivants
mais que voient les morts,
se demandant à part eux :
De quoi ai-je souvenir
qui avait la forme
de cette forme ?
tandis que nos yeux s'emplissent
de larmes.
D'amour, d'amour durable
elle parlera
quoiqu'un voile de pourpre bien pâle
pour toute couleur
la rende peu crédible.
Il y a quelque chose
quelque chose d'urgent
que je dois te dire
et à toi seule
mais qui attendra
que j'aie bu dans
la joie de ton approche,
peut-être pour la dernière fois.
Et donc
le coeur tremblant
je la poursuis
continuant à parler
car je n'ose m'interrompre.
Ecoute tandis que je parle
contre le temps.
Ce ne sera
pas long.
J'ai oublié
et pourtant je vois nettement
quelque chose
au centre du ciel
qui le parcourt en son entier.
Un parfum
en jaillit !
Un parfum si doux !
Chèvrefeuille ! Et voici
le bourdonnement d'une abeille !
et un déluge
d'images soeurs !
Ce "déluge d'image soeurs"... "sister memories"... un flux énorme... la vie sans fin... et un langage pour la poursuivre... Combien d'images soeurs et de langages inouïs dans la littérature corse ?
(La photo)
lundi 22 novembre 2010
C'est tout frais, c'est passionnant
Un billet qui se résumera aujourd'hui à vous recommander très chaudement de lire, relire, annoter et commenter les comptes rendus de deux rencontres littéraires très intéressantes qui eurent lieu récemment à Bastia :
avec Jacques Fusina, à propos de son livre "Ecrire en corse" (éditions Klincksieck) :
- compte rendu d'Angèle Paoli sur son site "Terres de femmes"
avec Marie-Jean Vinciguerra à propos de son livre "Chroniques littéraires" :
- compte rendu de la Librairie du Point de Rencontre (où eut lieu... la rencontre)
- compte rendu d'Angèle Paoli sur son site "Terres de femmes"
Moi-même j'y reviendrai dans d'autres billets (peut-être...), ne serait-ce que pour évoquer l'anecdote - délicieuse - mettant en scène Fernand Ettori répondant à la question " Qu'est-ce, pour vous, que la littérature corse ?" (je vous laisse la chercher dans tous ces comptes rendus !)
On ne remerciera jamais assez les auteurs de ces comptes rendus, ils démultiplient les chances de faire connaître et discuter la littérature corse !
(La photo)
samedi 20 novembre 2010
Ne comptez pas sur moi... (A propos de la revue Bonanova)
Oui, ne comptez pas sur moi pour vous présenter ici (mais je serais ô combien heureux si quelqu'un désirait le faire, ici ou là) une recension exhaustive des articles et textes que nous pouvons découvrir dans les deux derniers numéros de la revue Bonanova (que je viens de recevoir par la poste, car je suis abonné).
Quand je vois (avec horreur) que nous attendons toujours le prochain numéro de A Pian'd'Avretu, je me dis qu'il faut chérir chaque publication de revue littéraire corse !
Il y a une autre raison qui me porte à lire (et relire) avec passion les numéros 24 et 25 de Bonanova : ils sont extrêmement riches. On y trouve - comme d'habitude - des textes littéraires (prose, poésie), des textes de réflexion (je vais y revenir), des comptes rendus critiques (ouvrages, spectacles) et la rubrique "Scunfini" avec des traductions en corse de nombreux textes écrits dans d'autres langues. Sans oublier les images de Dumenicu Ricci et de Ghjvan' Ghjacumu Torre, puisque, vous le savez, la revue fonctionne aussi comme une mini-galerie d'art.
J'ouvre le numéro 24... non, attendez, je le referme. Il faut que je dise ceci, avant tout :
Nous, Peuple des Lecteurs de Littérature Corse (à Visée Locale et Universelle et Totale-mondiale), réclamons solennellement, par la présente, la mise à disposition immédiate sur Internet de tous les sommaires de tous les numéros de la revue Bonanova. Car, comment développer le nombre des abonnements, si les futurs abonnés ne sont pas mis en appétit ? Et il y a vraiment de quoi nourrir son homme, à mon humble avis. Or que trouvons-nous, si l'on cherche quelque peu ? :
- sur le site du Centre Culturel Universitaire (à quand la nouvelle mouture tant attendue ?), les numéros 1 à 8, que l'on peut télécharger gratuitement (ça, c'est génial, mais à quand les autres numéros - 9, 10, 11, etc. jusqu'à 25 ?)
- sur le site des éditions Albiana (bravo pour la nouvelle mouture, et n'hésitez pas à faire part à l'éditeur de vos remarques pour l'améliorer encore, le compléter ou bien encore pour commenter les ouvrages - ça aussi, c'est génial), la rubrique "Revues" donne accès aux couvertures des numéros 6, 12 à 25, et uniquement aux couvertures (!) - sauf pour le numéro 19 (qui propose un sommaire trop sommaire) et le numéro 21 (qui, lui, propose un sommaire vraiment détaillé et informatif avec la possibilité de cliquer sur les noms des auteurs que l'on retrouve sur le site de l'éditeur : excellent !)
Que personne ne voie dans cette déclaration tout à fait officielle et démocratique aucun reproche, mais bien plutôt le signe d'un désir sans fin (comme dirait l'autre).
Donc, j'ouvre le numéro 24 et là je découvre dans la partie "Critica", 6 textes portant sur des thèmes de toute première importance pour nous aujourd'hui :
- les usages de la langue corse sur le Web ("A cyberguerra di a lingua corsa", par Sébastien Quenot)
- une chronique assez mélancolique sur le roman de Marie Casanova, "L'odeur des narcisses", et le Festival Cuntorni de Portivechju en octobre 2009, par Ghjacumu Fusina
- deux présentations du dernier roman de Ghjacumu Thiers, "Septième ciel", par Pasquale Ottavi (""Septième ciel" : duie riflessione in furia fatta") et Paulu Michele Filippi (""Septième ciel" di Ghj. Thiers - spassighjata critica")
- un article proposant une vue globale de l'oeuvre de Jérôme Ferrari (eh oui, un article en langue corse sur l'oeuvre en langue française d'un auteur d'importance pour tous les imaginaires contemporains - corse, universel et total-mondial), par Maria Anghjula Leca : "Jérôme Ferrari : issa vuluntà di trapassà u mare"
- un point de vue de Geniu Gherardi sur les critères pour définir la littérature corse, et qui nourrit sa réflexion notamment (car il y a aussi Octavio Paz, Jules Michelet, Paul Bénichou et François Paré) en réagissant (pour dire son désaccord) à la définition que je proposais dans le premier billet de ce blog.
Passionnant !
Faut-il aussi que je cite les opinions principales, propres à nourrir une discussion, de chacun de ces articles ? Du genre, chez Maria Anghjula Leca :
"Per finisce, ùn si pò nigà a singularità, u soffiu novu è particulare chì face nasce issu piacè di leghje à Jérôme Ferrari, ma à tempu ferme issu sintimu chì a so tramula si scrivissi ind'u listessu filu chì i so precursori : l'autore ùn cerca micca à mustrà ci un'altra Corsica sguassendu ne e maghjine assestate dighjà ind' aleteratura. Mintuleghje assà e tradizione, i modi di campà anziani è u pesu tremendu di a famiglia : ùn invente nulla ma ci dà un'altra perspettiva, un sguardu sfarente postu ch'ellu i caratteriseghje cum'è una catena chì impedsice d'affirmà si cum'è individuu ancu s'è, innanzu à ellu, d'altri anu scrittu incù una piuma assai virulente è critica annantu à a sucetà corsa (S. Dalzeto, Ghj. Thiers, ecc)... Accantu à què, i so scriti sò spassighjati da i fantasmi di a guerra, a partenza ver'di u fora è u viaghju, l'siliu, chì sò d'issi temi neri chì anu marcatu è cumossu dapoi tant'anni a leteratura corsa (Bonavita, ecc.)" ?
Je ne le ferai pas !
Vous devez vous abonner à la revue Bonanova : c'est obligatoire. Comment les visiteurs de ce blog pourraient-ils se passer de cette revue ? La seule revue littéraire en langue corse encore vivace ! (Bien sûr, il y aussi la revue Avali, voir le blog ici, mais je ne sais plus à quand remonte le dernier numéro.)
Dans ce numéro 24, vous trouverez aussi les recensions brèves (trop brèves, je trouve) mais contenant parfois des appréciations positives ou négatives, toujours nuancées, de :
- 10 livres ("L'ultima pagina", "Murtoriu", "Mimoria arghjintina", "Puesie indipendentiste", "Poésie corse et langue roumaine", "Antulugia di 25 anni - Cismonte è Pumonti", "Conti e Puesia - Lungoni 2008")
- 2 albums ("Meziornu", "Radiche suprane")
- trois spectacles ("Festival Scolinscena d'Aiacciu", "Ultima visita", "Pesciu Anguilla")
(Ah, c'est terrible, quand on ne donne pas le nom des auteurs et des éditeurs...)
Et vous voyez que je n'ai même pas évoqué les créations et les traductions !
Alors, pour s'abonner : il faut envoyer un chèque de 6 euros (pour deux numéros par an de 60 pages chacun) libellé à "l'Associu di Sustegnu di u CCU" à l'adresse suivante :
BONANOVA
Università di Corsica
S.P. 52
20 250 CORTI
Non ?
(La photo.)
jeudi 18 novembre 2010
"Stade critique", par Xavier Casanova
Oui, le titre est entre guillemets, je sais, c'est parce que ce ne sont pas mes mots, mais ceux de Xavier Casanova, que je cite donc (merci à lui pour cet envoi ! voir sur son blog Isularama pour mesurer l'intérêt de ses réflexions et de ses facéties). Ils constituent ainsi tout de même le titre de ce billet. Que je laisse parler, sans plus tarder. Bonne lecture, bonne discussion.
Sitôt après la clôture par FXR de la précédente avalanche de commentaires initiée par la simple citation d’un billet consacré à Jérôme Ferrari, sautant sur un autre blog je tombe sur un billet de Pierre Assouline (1), où il fait le point sur la situation de la critique culturelle face à la démultiplication des lieux où elle s’exprime, après avoir été longtemps cantonnée à l’espace que lui accordaient les médias traditionnels, et avoir été largement dominée par quelques phares concentrant l’essentiel de son influence. Son article commente un dossier de plusieurs pages présenté sur le site nonfiction (2). Il fait le point sur la transformation du paysage critique induit par le développement du web, et aussi sur la transformation de la critique elle-même avec l’irruption d’outils où le buzz entraîne le buzz plus sûrement que tout discours, fut-il appuyé sur les arguments du critique où sa simple autorité.
Pour ma part, il me semble que jeu littéraire n’en devient ainsi que plus complexe, mais en même temps plus ouvert et plus ludique, du fait même que le buzz peut renverser les tendances les plus attendues, ou en faire émerger d’autres totalement inattendues, très exactement comme l’équipe de foot d’un pays émergent peut mettre au tapis une très grande équipe, à la faveur de ces multiples aléas qui font qu’un match n’est jamais joué d’avance. Sauf les images de la compétition elle-même, les grands prix de la rentrée littéraires ne relèvent-ils pas déjà de ces combats héroïques qui n’auraient rien de bien spectaculaire sans la croyance au grain de sable ou au grain de génie qui injecte ce qu’il faut de hasard dans les courses au podium les moins imprévisibles ?
Quoi qu’il en soit, il me semble utile d’y réfléchir à partir d’un blog réunissant les supporters d’une écurie littéraire provinciale aux contours flous, à la dénomination incertaine, aux objectifs contradictoires, en mal de reconnaissance et de consécration, et aussi en mal d’analyse des mécaniques sociales de répartition et de confiscation des chances objectives de succès. Une situation qui, au demeurant, ne prive aucun des amateurs qui s’y fixent ou y passent des occasions de goûter aux plaisirs du jeu, y reniflant même la sublime fragrance des choses impossibles et de leurs résultats incroyables. Et d’une certaine façon à l’abri de l’insuccès…
• Xavier CASANOVA
(1) Sur le blog de Pierre Assouline
Mort de la prescription, naissance de la recommandation, agonie consécutive de la critique (17/11/10)
(2) Sur le site nonfiction.fr
Sur la mort du critique culturel
(10/11/10)
(La photo, choisie par l'administrateur).
mardi 16 novembre 2010
Bona notte...
... ma nanzu d'andà à dorme, pudete leghje (è participà à e raghjunate) monda testi passiunanti nant'à "Tarrori è Fantasia" è una discussione nant'à Facebook (à propositu di un articulu di Jean-Baptise Predali chì ci parla di i libri di Jérôme Ferrari).
Tarrori è Fantasia.
Facebook (a mo pagina, o quella di a libreria Point de rencontre).
Oui, la littérature corse vit sur le Web : il faut s'en rendre compte !
Tarrori è Fantasia.
Facebook (a mo pagina, o quella di a libreria Point de rencontre).
Oui, la littérature corse vit sur le Web : il faut s'en rendre compte !
dimanche 14 novembre 2010
Comment ça fonctionne ici (notamment)
Pas le temps d'un "vrai" billet.
Assis à table, aujourd'hui, je vois, en face de moi, coincé dans une pile parmi d'autres, sur une étagère, le livre d'Edouard Glissant, "Tout-monde" (1993). Je vois sa tranche. Je repense à de nombreux passages de ce "roman" (des Martiniquais traversent le monde, après la Seconde Guerre mondiale - tiens, là aussi, il est question, à un moment, d'Indochine et d'Algérie, et aussi de Corse ; mais aussi d'un certain Stepan Stepanovitch dont toutes les phrases finissent par un point d'exclamation, racontant sa guerre).
Alors, ce soir, ces quelques lignes :
Marie-Galante, une nappée de transparences. La Dominique au contraire, une seule roche de bois et de rivières mêlés. Au point que vous oubliez qu'il y a les habitants qui s'accrochent sur les bords des côtes, qui s'éparpillent dans les ravines et sur les rares plats. Les derniers Caraïbes aussi, réfugiés ou déportés là pour la dernière vie, comme un résumé tacite de ces histoires de défrichage et de massacre (celui-ci précédant celui-là par condition nécessaire) qui avaient balayé le continent, des Nevadas au Sertão, et les Îles. La Dominique, un noeud de branchages de troncs d'eau déversée.
Les deux lumières, l'une d'étalement fugace, l'autre de dense opacité, conjuguèrent leur obscur au coeur du poète. Que vit-il alors, dans le balancement de ces paysages, si proches et si lointains ? Il vit le pays de Corse, qu'il n'avait pas approché pendant qu'il parcourait autour de Cargèse, qu'il n'avait pas eu le loisir d'essayer de connaître vraiment, emporté qu'il avait été par cet irréel qui l'avait trituré à vif et ne lui avait laissé en mémoire que l'image, cette fois bien mélancolique, d'Atala.
Une agrégée d'italien à cette heure, c'était sûr, et si douce avec ses enfants, et qui se demandait parfois comment avaient viré ces poètes ? Et elle avait gardé, c'est sûr, le même équivoque pouvoir d'intuition, cette manière gentiment absente d'apprécier choses et gens, qui avait fait qu'il avait pu la rapprocher d'une autre image d'absence et de simplicité, celle de Geneviève la Clermontoise.
Il vit le pays de Corse, dont il avait sans doute aussi préservé en lui-même des sortes d'indications fugitives, une réserve secrète de connaissances, qui lui revenaient maintenant.
"Le Tout-monde", eût-il suggéré à Mathieur Béluse, s'ils s'étaient rencontrés à ce moment-là. Vous ramassez en vous suffisamment de terres et de roches pour continuer la dérive, mais parfois vous redistribuez une part, quelque part, tout au loin dans un autre lieu. C'est ce qui lui advint, quand il voulut concilier en lui Marie-Galante et la Dominique : il retrouva tout simplement la Corse.
Le mélange, non par agitation mais par superposition, des légèretés de broussailles, des halliers, que nous appelons rhasiés, et des épaisseurs de brousse, de forêt, où le vert devient bleu et parfois comme noir avec, partout autour, la mer qui s'adapte tout autant à la clarté des végétations des fonds ou des plateaux qu'aux profonds des grands bois d'en-haut.
Un tel rameutage d'énergies élémentaires eût sans doute semblé futile à Roger, qui entre-temps, s'était fait connaître comme le plus secret, et le plus secrètement méconnu, des grands poètes français. Une distance avait grandi entre eux. Le combat des fruitailles et des salaisons avait fini par s'apaiser, mais il avait laissé le champ vide et les voix éteintes. Roger eût murmuré que les mots ne valent que dans l'entour de leur silence, où ils consument sobrement.
L'amateur de contes, driveur d'espaces, qui n'estime la parole qu'à ce moment où elle chante et poursuit, peut-être se devrait-on de lui trouver un autre nom que celui de poète : peut-être chercheur, fouailleur, déparleur, tout ce qui ramène au bruissement dévergondé du conte. Déparleur, oui, cela convient tout à fait.
Il reconnaît qu'en différence du monde qu'on sillonne avec impertinence, le Tout-monde vous laisse à percevoir que ces pays que vous avez déchiffrés, continuent au-loin-de-vous (et ainsi n'êtes-vous pas le démarqueur d'identités que vous avez cru, qui définit les pays simplement par les nommer dans leurs saveurs,) et ne cessent d'amarrer leur souffrance, de balancer leur bonheur, de courir au-devant de la vitesse irrémédiable et du Chaos qu'on ne peut vraiment pas, celui-là, nommer.
Ils continuent, ces pays, de pousser chacun son soleil vers sa couche de chaque nuit, sachant bien - ô le plus ardent des lieux-communs - qu'il lui reviendra au jour d'après.
Assis à table, aujourd'hui, je vois, en face de moi, coincé dans une pile parmi d'autres, sur une étagère, le livre d'Edouard Glissant, "Tout-monde" (1993). Je vois sa tranche. Je repense à de nombreux passages de ce "roman" (des Martiniquais traversent le monde, après la Seconde Guerre mondiale - tiens, là aussi, il est question, à un moment, d'Indochine et d'Algérie, et aussi de Corse ; mais aussi d'un certain Stepan Stepanovitch dont toutes les phrases finissent par un point d'exclamation, racontant sa guerre).
Alors, ce soir, ces quelques lignes :
Marie-Galante, une nappée de transparences. La Dominique au contraire, une seule roche de bois et de rivières mêlés. Au point que vous oubliez qu'il y a les habitants qui s'accrochent sur les bords des côtes, qui s'éparpillent dans les ravines et sur les rares plats. Les derniers Caraïbes aussi, réfugiés ou déportés là pour la dernière vie, comme un résumé tacite de ces histoires de défrichage et de massacre (celui-ci précédant celui-là par condition nécessaire) qui avaient balayé le continent, des Nevadas au Sertão, et les Îles. La Dominique, un noeud de branchages de troncs d'eau déversée.
Les deux lumières, l'une d'étalement fugace, l'autre de dense opacité, conjuguèrent leur obscur au coeur du poète. Que vit-il alors, dans le balancement de ces paysages, si proches et si lointains ? Il vit le pays de Corse, qu'il n'avait pas approché pendant qu'il parcourait autour de Cargèse, qu'il n'avait pas eu le loisir d'essayer de connaître vraiment, emporté qu'il avait été par cet irréel qui l'avait trituré à vif et ne lui avait laissé en mémoire que l'image, cette fois bien mélancolique, d'Atala.
Une agrégée d'italien à cette heure, c'était sûr, et si douce avec ses enfants, et qui se demandait parfois comment avaient viré ces poètes ? Et elle avait gardé, c'est sûr, le même équivoque pouvoir d'intuition, cette manière gentiment absente d'apprécier choses et gens, qui avait fait qu'il avait pu la rapprocher d'une autre image d'absence et de simplicité, celle de Geneviève la Clermontoise.
Il vit le pays de Corse, dont il avait sans doute aussi préservé en lui-même des sortes d'indications fugitives, une réserve secrète de connaissances, qui lui revenaient maintenant.
"Le Tout-monde", eût-il suggéré à Mathieur Béluse, s'ils s'étaient rencontrés à ce moment-là. Vous ramassez en vous suffisamment de terres et de roches pour continuer la dérive, mais parfois vous redistribuez une part, quelque part, tout au loin dans un autre lieu. C'est ce qui lui advint, quand il voulut concilier en lui Marie-Galante et la Dominique : il retrouva tout simplement la Corse.
Le mélange, non par agitation mais par superposition, des légèretés de broussailles, des halliers, que nous appelons rhasiés, et des épaisseurs de brousse, de forêt, où le vert devient bleu et parfois comme noir avec, partout autour, la mer qui s'adapte tout autant à la clarté des végétations des fonds ou des plateaux qu'aux profonds des grands bois d'en-haut.
Un tel rameutage d'énergies élémentaires eût sans doute semblé futile à Roger, qui entre-temps, s'était fait connaître comme le plus secret, et le plus secrètement méconnu, des grands poètes français. Une distance avait grandi entre eux. Le combat des fruitailles et des salaisons avait fini par s'apaiser, mais il avait laissé le champ vide et les voix éteintes. Roger eût murmuré que les mots ne valent que dans l'entour de leur silence, où ils consument sobrement.
L'amateur de contes, driveur d'espaces, qui n'estime la parole qu'à ce moment où elle chante et poursuit, peut-être se devrait-on de lui trouver un autre nom que celui de poète : peut-être chercheur, fouailleur, déparleur, tout ce qui ramène au bruissement dévergondé du conte. Déparleur, oui, cela convient tout à fait.
Il reconnaît qu'en différence du monde qu'on sillonne avec impertinence, le Tout-monde vous laisse à percevoir que ces pays que vous avez déchiffrés, continuent au-loin-de-vous (et ainsi n'êtes-vous pas le démarqueur d'identités que vous avez cru, qui définit les pays simplement par les nommer dans leurs saveurs,) et ne cessent d'amarrer leur souffrance, de balancer leur bonheur, de courir au-devant de la vitesse irrémédiable et du Chaos qu'on ne peut vraiment pas, celui-là, nommer.
Ils continuent, ces pays, de pousser chacun son soleil vers sa couche de chaque nuit, sachant bien - ô le plus ardent des lieux-communs - qu'il lui reviendra au jour d'après.
mercredi 10 novembre 2010
Enfin de l'exceptionnel : poésie corse et Carla Bruni-Sarkozy
Il doit être très rare, dans la vie d'un blog, ce moment magique où le modérateur reçoit un poème si bien troussé, un poème qui fait l'éloge, qui plus est, de la première dame de France, un éloge aussi généreusement offert aux lecteurs, après avoir été, selon les dires mêmes de l'auteur - Monsieur Tancrède Paoletti, poète de Miramas - prononcé en face de la destinataire - Madame Carla Bruni-Sarkozy - lors de la dernière garden party élyséenne que la crise économique ait bien voulu accorder au peuple.
En cette douce nuit, si heureuse et belle de promesses, le modérateur de ce blog que je suis est donc ravi de placer dans ce billet, le poème de Monsieur Tancrède Paoletti.
Bonne lecture (bien sûr).
A Eurynomé
Rêve le ciel de ses nuées vagabondes et mélancoliques,
Et qu’il voie dans tes yeux, le temps qui s’écoule.
Rêve la terre de ses plaines fécondes et bucoliques
Et qu'elle voie dans ton feu, la vie qui déroule
Rêve le feu de ses flammes en embrasement utopique,
Et qu’il voie en ces lieux, l’ardeur qui déboule
Rêve la mer de ses vagues furieuses et fantastiques,
Et qu’elle voie de tes cheveux, la fougue de la houle
Rêve le Zeus à tes côtés, en facondes énergiques
Et qu’il soit Elisée éloignant Baal de la foule
Rêve à tes pieds le monde, Déesse fantasmagorique,
Et qu’il voie, envieux, de l’amour le moule
(La photo.)
samedi 6 novembre 2010
Alors, vous êtes au courant de la bonne nouvelle ?
Bravo ! Félicitations ! Magnifique !
Oui, vous êtes au courant ? C'est arrivé ! Enfin !
Comment ? Que dites-vous ? "Jérôme Ferrari a remporté le Prix du roman France Télévisions 2010 pour son roman "Où j'ai laissé mon âme ?" Ah bon ? Oui, c'est bien.
Mais, moi je voulais parler de Thierry de Peretti. C'est quand même une excellente nouvelle que nous apprend le dernier numéro du mensuel "Corsica" : il a tourné un moyen métrage, intitulé "Sleepwalkers" et s'apprête à en tourner un long ! Deux films qui traitent de la Corse. Quand on se rappelle combien ce comédien, metteur en scène et cinéaste est talentueux (voir ici sur son site, notamment, le court métrage "Le jour de ma mort", cliquer sur "works", il y aussi des vidéos), cela a de quoi suscité notre désir, créer une attente délicieuse, émoustiller nos sensibilités, non ?
Je cite deux passages de l'article de Jean-Simon Peretti, histoire de nourrir notre curiosité :
"L'île nourrit son art et Thierry le lui restitue à travers un regard généreux et novateur, au long d'un tracé qui oscille parfois entre douleur et dérision, renoncement et espoir, somnambule d'un rêve insulaire impossible. Cette force créatrice nous la retrouverons bientôt dans « Sleepwalkers » (Les somnambules), un moyen métrage qu'il a tourné entouré d'une équipe et de comédiens insulaires. Thierry a, suivant sa propre expression, « filmé la Corse de dos ». Une Corse qui claque la porte à tous les clichés, toutes les idées reçues et les préjugés, loin des décors « enchanteurs » utilisés dans tous les films, mais une Corse discrète qui révèle une certaine jeunesse désabusée, celle que l'on ne voit que rarement et dont on parle peu. Une jeunesse somnambule qui invente ses chemins de traverse entre lucidité et résignation."
et aussi, à propos du long métrage :
"La société Why not (qui a produit entre autres Ken Loach, Jacques Audiard, Greg Araki) produira le premier long métrage de Thierry de Peretti à partir d'un scénario dont il est l'auteur. Le film sera entièrement tourné en Corse, l'année prochaine. S'il est sans doute trop tôt pour en révéler le thème, on peut cependant dire que le film mettra en scène des adolescents et de jeunes adultes. L'histoire dont il s'agit prendra ses racines dans un des aspects les plus durs de la vie insulaire, un de ces drames qui font la une des quotidiens au titre des « faits divers » et dont on « oublie » souvent le contexte social qui les a vus naître. Le but du réalisateur n'est certes pas de faire « du produit culturel » ou du divertissement mais de nous entraîner sur le chemin inné et vital de l'art en ce qu'il possède de libérateur."
Vivement que l'on puisse ces oeuvres cinématographiques ! Les sujets semblent passionnants : la jeunesse en Corse, le contexte social. J'espère que ces films nous permettront de voir la complexité et la diversité des manières de vivre dans l'île. Le somnanbulisme comme métaphore... des rêves inouïs pour sortir des clichés réducteurs et simplificateurs.
Des rêves, tiens cela me fait penser à un rêve qui clôt un magnifique roman. Il s'agit de "Où j'ai laissé mon âme" de Jérôme Ferrari (vous l'avez lu ?)...
Au fait, je me réjouis bien sûr avec tout le monde du succès que rencontrent les livres de cet auteur - j'espère que cela sera d'une certaine façon utile pour l'ensemble de la "littérature corse" (encore que les éléments corses du roman ne sont guère évoqués dans la presse spécialisée)... N'oublions pas que son roman concourt aussi pour le Prix du style ; il n'est plus sur la liste du Prix Décembre, dommage. J'ai aussi appris, via un message sur Facebook de la Librairie du Point de Rencontre, que Jérôme Ferrari a aussi reçu le Grand Prix Poncetton de la SGDL (Société des Gens de Lettres) pour l'ensemble de son oeuvre ! Cela veut donc dire que les deux livres publiés chez Albiana sont aussi mis à l'honneur ! Vite un bandeau rouge sur "Variétés de la mort" (qu'il faudrait republier pour l'occasion) et "Aleph zéro", premier roman qui contient tous les autres ; ah oui, j'y pense, maintenant, je ne me souvenais pas (!) que les personnages de Degorce et Andreani, personnages principaux de "Où j'ai laissé mon âme", étaient esquissés dans une partie de "Dans le secret", il s'agit vers la fin du roman, d'un chapitre daté de 1959 et qui évoque les guerre d'Indochine et d'Algérie... ; ah, il faut vraiment relire tous les livres de Jérôme Ferrari, d'une traite, pour prendre la mesure de ce tourbillon romanesque où se métamorphosent et se développent sans cesse des personnages hantés par leur vide intérieur et se cherchant une justification !)
Allez, pour finir, je cite les dernières lignes de "Où j'ai laissé mon âme" ; j'espère que l'auteur ne m'en voudra pas, je m'autorise ce crime après l'avoir vu évoquer cette scène finale de châtiment avec Olivier Barrot (voir ici la vidéo). Et il me semble que c'est un livre qui se relit très très bien, autant connaître la fin, que je trouve vraiment sublime (certes, il faut apprécier une certaine éloquence lyrique).
(Je me souviens qu'au cours de ma lecture de cette scène finale, j'avais été frappé par l'aspect incongru - et qui n'aurait peut-être pas dû l'être - d'un petit dromadaire, qui surgit tout de go dans la narration, et de la main, pleine de compassion, qui se pose sur ses yeux.)
Oh, je connais vos rêves secrets, mon capitaine, je les connais si bien que j'ai l'impression, certaines nuits, de vous sentir rêver en moi, à moins que ce ne soit moi qui me glisse à vos côtés dans le rêve où nous avons été emportés très loin de la terre ingrate de mon enfance, cette terre qui n'est plus la mienne et n'a jamais été la vôtre, et nous marchons tous les deux le long d'une route désertique, entre Taghit et Béchar, sous la lumière d'un croissant de lune tout jaune suspendu comme un lampadaire dans un ciel sans étoiles, nous marchons au milieu d'objets à moitié recouverts par le sable, qui jonchent le sol à perte de vue autour de nous, des escarpins aux talons cassés, des robes déchirées dont le vent du désert a effacé les couleurs et arraché les broderies de fil d'or, une darbouka crevée, un oud sans cordes, des grappes de bijoux noircis, des coffrets de henné et de khôl, des culottes de satin et des morceaux de vaisselle, des breloques porte-bonheur, tout un trousseau qui s'est lentement pétrifié dans le silence de ma mémoire depuis que celle qui l'a assemblé est tombée en poussière, il y a une éternité, mon capitaine, et le vent qui souffle encore si fort n'en fait même plus frémir les reliques exsangues. Vous regardez autour dze vous mais aucun de ceux que vous cherchez n'est là, aucune petite fille ne joue dans le sable, aucun petit garçon, votre épouse ne vous attend plus nulle part, et l'homme que vous avez espéré revoir toute votre vie ne viendra pas vers vous et vous essayez de crier son nom dans la nuit mais vous n'avez pas de voix et personne ne peut vous entendre. Il n'y a que moi, mon capitaine, et tout près de nous, au pied d'une dune, un petit dromadaire qui appelle inlassablement sa mère en tendant le cou sous la lune mais qui ne peut pas nous voir car une main pleine de compassion l'a aveuglé afin que nos yeux de loups luisant dans les ténèbres n'effraient plus jamais personne. Vous essayez de me fuir, mon capitaine, mais la puissance impérissable de mon amour m'enchaîneà vous et vous n'y parvenez pas, vos courses vaines ne vous ont jamais mené nulle part, mon capitaine, et vous avez beau courir à perdre haleine, je suis toujours là, et chaque robe en haillons, le dromadaire et la darbouka, chaque brin d'herbe, chaque fragment de corail et d'argent est comme l'un des centres infinis du cercle inconcevable à la circonférence duquel vous vous obstinez à courir pour rien, mon capitaine, car si longtemps que vous couriez, vous n'arriverez pas à Taghit, vous ne saurez jamais si quelqu'un vous attend dans la fraîcheur de la palmeraie, au pied des murailles de terre, pour vous dire enfin, en plein soleil, les mots que je ne lui ai pas permis de prononcer dans l'obscurité d'une cave, au cours d'une nuit de printemps, il y a une éternité, et quand vous l'avez compris, vous vous laissez tomber à genoux dans la poussière de la longue route désertique et vous levez des yeux suppliants vers la lune. Dans ce rêve qui est aussi le vôtre, mon capitaine, c'est l'heure où je m'approche de vous pour vous serrer contre mon coeur comme un frère. Vous ne me repoussez plus, vous vous laissez aller contre moi, secoué de sanglots silencieux, et je suis si heureux, mon capitaine, parce que j'ai compris que notre rêve ne nous libérerait jamais. Nous ne nous quitterons pas. Et c'est l'heure où je me penche doucement vers vous pour murmurer à votre oreille que nous sommes arrivés en enfer, mon capitaine - et que vous êtes exaucé.
(La photo)
mardi 2 novembre 2010
La vérité sur Patrizia Gattaceca
Et encore un titre digne de la pire des presses ! Que ne ferait-on pas pour engager les lecteurs à regarder de près tel ou tel texte ?!
Maintenant que nous sommes ensemble, allons-y gaiement. Je cite ici l'une des chansons que je préfère de l'album "Meziornu", de Patrizia Gattaceca. Quand je parle de "vérité", je veux en fait évoquer ce que devient réellement un poème lorsqu'il rencontre la musique et le chant. Le texte original prend des couleurs différentes, un rythme nouveau, accélérations, ralentissements et ruptures de la voix en font un objet neuf ; la guitare électrique à la fin du morceau, ce petit solo conclusif, mais aussi la transformation d'un vers en refrain dans une tonalité étrangement joyeuse et agréable par rapport au sens assez sombre du texte, tout cela me semble accorder au poème original une forme de "vraie" vie, une sorte d'apothéose (enfin, je ne veux pas dire que le poème doive mourir pour devenir une divine chanson..., mais désormais je devrais faire un effort pour lire ce texte comme un poème, c'est certain).
En l'occurrence, le texte est de Ghjacumu Thiers, puisque l'album est constitué de 11 poèmes extraits du recueil "L'Arretta bianca", publié chez Albiana en 2006, voir ici le même recueil traduit par François-Michel Durazzo en français sous le titre "La halte blanche".
(Tè, una altra questione : seranu mumerosi quelli chì si ramentanu di i dischi - u grande (33 giri) è u chjucu (45 giri) di u so gruppu "Ottobre" ? ; quantu m'hè piaciutu a canzona "Memorie mondi" : "...l'odore di l'orte si pesa..." ; t'aghju da ritruvà lu in paese è u scriveraghju in un altru articulu di stu blog.)
Eccu a canzona :
TEMPURALI
Acqua
ventu
è nuli
è nebbia
Acqua
ventu
è nuli
Acqua
ventu
è nuli
è nebbia
Acqua
ventu
è nuli
sbatte a teghja
si ferma l'anima
seguita u sguardu a fronda
seguita u sguardu a fronda lebbia
chì corre è casca in l'annuttà.
Sdrughjerà ancu u celu, stasera, o Petrupà ?
Sdrughjerà ancu u celu, stasera, o Petrupà ?
Acqua
ventu
è nuli
è nebbia
Acqua
ventu
è nuli
Acqua
ventu
è nuli
è nebbia
Acqua
ventu
è nuli
sbatte a teghja scimignulita
si ferma l'anima acuttumita
seguita u sguardu a fronda
seguita u sguardu a fronda lebbia
chì corre è casca in l'annuttà.
Sdrughjerà ancu u celu, stasera, o Petrupà ?
Sdrughjerà ancu u celu, stasera, o Petrupà ?
Acqua
ventu
è nuli
è nebbia
Acqua
ventu
è nuli
Fochi chì sbottanu è si sfocanu
ceppi dumati in lu brusgià
vette incese è chì vocanu in core
in i cori inghjuliati
in l'aggranchi
di u cepu neru chì si sface.
Siccherà ancu u locu, stamane, o Petrupà ?
Siccherà ancu u locu, stamane, o Petrupà ?
Siccherà ancu u locu, stamane, o Petrupà ?
La traduction du poème par François-Michel Durazzo :
A PROPOS DES ORAGES
Eau,
vent,
nuages
et brouillard
La tuile affolée tremble
L'âme reste prostrée
La regard suit la feuille
vaporeuse
qui court et tombe dans le soir.
Ce soir, même le ciel va fondre, Pierre-Paul ?
Feux qui éclatent et se déchaînent,
troncs terrassés dans le brasier,
branches en feu qui ondoient
dans les coeurs ulcérés,
dans les paralysies de la souche calcinée qui se défait.
Ce matin, même la terre va se dessécher, Pierre-Paul.
(La photo)
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