mardi 31 mars 2009

G. G. Franchi, la poésie et la façon de la présenter

J'ai toujours été hésitant à propos de l'expression "faire ... de tout bois"... S'agit-il de "flèche" ou de "feu" ? Pour répondre je pourrais questionner autour de moi, taper l'expression dans "Google" ou feuilleter dans un dictionnaire d'expressions, mais je vais rester quelques instants dans l'incertitude, et profiter encore des deux possibilités, apparemment différentes voire contradictoires : mais que le bois devienne flèche ou feu, l'important est peut-être qu'il devienne...

Ainsi de la littérature corse et des chemins pour y arriver.

Ils sont encore peu nombreux, mais ils sont variés ; certains ne parlent qu'une langue, d'autres deux, voire trois, quatre, ou plus ? ; d'autres se découvrent sous un frontispice imposant et avancent des noms d'auteurs ; d'autres, plus rares, présentent d'abord des dates et des époques, ou bien des genres et des thèmes ; d'autres encore sont toujours en friche...

Je voudrais m'arrêter sur une des voies d'accès à cette littérature : la voie pédagogique.

C'est celle qu'a choisie le poète Ghjuvan Ghjaseppiu Franchi. Je ne dis pas le professeur de lettres ou documentaliste Franchi, ni le coordinateur de langue et culture corse ou l'auteur de manuels de littérature corse (ce qu'il a été comme je l'apprends dans la présentation qui est faite de lui dans l'anthologie "A Filetta / La Fougère. Onze poètes corses contemporains" (éditions Phi, 2005).

Non, je dis bien "le poète" Franchi.

Car c'est un choix étrange pour un poète de choisir une collection pédagogique pour offrir son oeuvre poétique, pour la première fois rassemblée en un seul petit volume. Ce livre - "Canzone di ciò chì passa" - a été édité en 1997 par le CRDP de Corse. Et les 34 poèmes, répartis en 5 chapitres thématiques, sont préfacés, présentés, expliqués et commentés à la manière d'un manuel scolaire. Même la traduction en français est faite dans un esprit pédagogique : "La traduction proposée vise uniquement à apporter une aide pour la compréhension aux lecteurs qui auraient rencontré des difficultés [c'est mon cas]. Le parti choisi a été celui du mot-à-mot ou de la périphrase, et lon n'y cherchera donc pas d'intention littéraire." Le responsable de tout cet appareil critique est un Inspecteur pédagogique régional (Ghjuvan Maria Arrighi).

C'est un peu comme si l'on avait accès à "Alcools" d'Apollinaire uniquement par l'intermédiaire d'un Lagarde et Michard.

J'imagine plus volontiers qu'un poète voudrait d'abord offrir son oeuvre "nue". Elle n'aurait besoin d'aucune présentation. Sa force et sa valeur seraient d'autant plus importantes qu'elle réclamerait du lecteur qu'il se perde dans un labyrinthe des sens, sans boussole, sans repères. La poésie, même la plus simple, n'est-elle pas toujours difficile ?

Mais non, Ghjuvan Ghjaseppiu Franchi a décidé de donner à la fois l'oeuvre poétique et tous les moyens de la comprendre. Ainsi, tel poème ("Partenza" par exemple) sera - comme les autres -

présenté :

Tema di sempri di a literatura corsa, l'esiliu hè vistu quì cù tutti i so formi cuncreti, è ùn si tratta solu di lagnà si ni ma forsa di fà altri scelti.


paré d'un lexique (où s'égare même une consigne de commentaire) :

- TAMBARUNÀ : cum'è stamburizà. Ghjustificheti a maghjina.
- SBAGIURNITU : abbambanatu.
- SCURRUZULÀ : furmatu nantu à u verbu corra. Chì significheghjanu i suffissi ?

et enfin proprement questionné en vue d'un commentaire scolaire :

- Aghjumpatu, si ne achjuculisce. Parchì ?
- Spiicheti "acillacciu carafunutu". Parchì issu suffissu acciu ?
- Ciambuttone : spiicheti issu nomi. Chì hè issu rughju ch'ellu cappia ?

Je n'ai absolument rien contre tout l'environnement explicatif pédagogique, bien au contraire, je pense même qu'il n'est pas forcément un ennemi de notre relation à la poésie, s'il n'est pas présenté comme la seule voie d'accès possible. Mais il me paraît étrange de ne donner vie à cette oeuvre dans son ensemble que dans ce cadre-là. J'imagine que la poésie devrait se montrer plus rétive...

Et bien sûr, final de compte (comme disent les Antillais), elle l'est toujours. Ainsi, on peut prendre M. Arrighi en flagrant délit de pudeur, réfrénant ses ardeurs explicatives à propos d'un poème de Franchi consacré à sa femme.

Le voici :

À la mio moglia

For di rimusciu cuttidianu
Voghi tranquilla
Cum'è le nave alte chì vanu
Voltu le ville

Tù soda quant'è mè diversu
U bastimentu assulanatu
Tù sè lu mare è l'universu
È lu portu duv'e' sò natu

J'allais écrire encore beaucoup de choses à propos de ce poème, mais je me surprends à ne plus vouloir rien en dire, après l'avoir copié - sinon que je le trouve vraiment très beau (mais ce n'est qu'un sentiment personnel, quel est le vôtre ?) - sur cet écran numérique, de peur de verser moi aussi dans un excès d'explications inutiles !

Alors, continuons cette approche du poème de Franchi dans les commentaires ! Pourquoi d'après vous, M. Arrighi se contente-t-il d'écrire : Issu puema d'ispirazioni parsunali assai sviluppa a metafura di u battellu chì si trova à spessu ind'è l'autori ?

Alors, pour la route, revoici ce poème, mais en langue française cette fois-ci :

À ma femme

Loin de l'agitation du quotidien
tu vogues tranquille
comme les hauts navires qui vont
vers les villes

Solide autant que je suis divers,
toi, le bâtiment de plein soleil,
tu es la mer et l'univers
et le port où je suis né.

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