samedi 23 mai 2009

Prix littéraires ou Récits de lecture ?

Non, ce blog n'est pas devenu une des antichambres de la promotion d'un livre ! Il est bien toujours consacré aux "récits de lecture" concernant la littérature corse.

Rien de plus simple qu'un "récit de lecture" : au minimum, la citation d'une page aimée dans un livre aimé ; au maximum, le commentaire ligne à ligne d'un livre adoré. Entre les deux toutes les nuances, toutes les variations, toutes les formes possibles de récit, de point de vue, d'opinion préférablement honnête et argumentée. N'hésitez pas à nous faire part de vos essais, vous trouverez un regard attentif et accueillant.

Or voici que - grâce à cette agitation qui nous prend en ce moment autour de la possibilité de voir primé "Un dieu un animal" de Jérôme Ferrari - je tombe sur un "récit de lecture" consacré à cette oeuvre.

Je dis "récit de lecture", parce que le commentaire de la blogueuse dont je vais parler contient deux extraits du livre de Ferrari, dont un assez long. Je lis avec gratitude un tel article, parce que justement il nous conduit à regarder avec attention un morceau du texte, à nous interroger sur le découpage effectué par la lectrice, à trouver ce que cet extrait propose comme "fable, forme, figure" propres - ou non - à remettre en mouvement nos imaginaires.

Voici, ici, un extrait de cet article avec la page citée :

Et pourtant en rentrant dans son village où tout lui semble désormais étranger, désincarné, le jeune homme tente de retrouver le seul souvenir qui lui semble rescapé de cette déshérence. Un souvenir doux, un souvenir enfantin, une enfant devenue jeune fille, une jeune femme très certainement à présent, elle s’appelle Magali. Il décide de lui écrire, ultime message comme lancé à la mer.
La lettre arrive ou n’arrive pas, mais il la suit désormais dans son parcours tandis qu’il replonge au cœur de ses souffrances, de ses visions cauchemardesques, lui le pâle fantôme de son passé.
Magali, la Magali rêvée ou réelle, sa sœur en souffrances, une autre mercenaire au service corps et âme de son entreprise. L’Entreprise, cet « être supérieur », dont elle n’est qu’un organe condamné à n’être plus qu’un déchet le jour où elle tenterait de lui échapper.
Mais il y a la lettre et ce qu’elle évoque, un instant peut-être d’éternité, une étreinte au bord d’une fontaine, un instant où la vérité de leurs êtres se tapit pour toujours. La rédemption ?
« Elle reprend la lettre. Le papier de mauvaise qualité commence à se déchirer là où il a été plié. Magali voudrait arrêter de la relire pour rien, sa patience s’épuise, elle voudrait pouvoir finalement décider de ce qu’est cette lettre, le signe d’une nostalgie puérile qui ne la concerne en rien ou une brèche miraculeusement ouverte dans les murs de sa vie. Elle la relit encore et ce soir, vois-tu, tes mots gonflent et se craquellent comme la terre féconde d’un jardin, ils débordent de toute la vérité que tu aurais voulu y mettre, qui t’a échappé et qui les fait maintenant éclater et elle lit, elle lit d’abord son prénom, Magali, Magali, et elle pourrait presque entendre ta voix qui l’appelle depuis les ruelles nocturnes du village de sa mère, il y fait si froid et tu n’as pour te réchauffer que l’amitié muette d’un chien et le souvenir d’une toute jeune fille dans laquelle elle se reconnaît avec émotion, car il existe maintenant une image d’elle-même dans laquelle elle peut se reconnaître avec émotion, une image bénie qui t’attendait pour apparaître, et elle lit que les mondes meurent aussi comme votre monde commun est en train de mourir, tu en es certain, car tu as senti les soubresauts obscènes de son agonie voluptueuse, et elle te croit, même si elle ne comprend pas comment vous pourriez avoir un monde en commun, et elle lit que votre village annonce cette mort depuis si longtemps que plus personne ne se rappelle à quel moment vos maisons sont devenues des tombeaux, dressés dans le silence de leur beauté austère et maléfique, et Magali revoit les maisons du village dans la transparence de l’été, pleines de rires éphémères, tous les hivers qu’elle n’a pas connus lui livrent leur secret humide et froid et elle sait que tu ne lui mens pas, elle mesure combien il est difficile de s’acquitter du prix exorbitant de la beauté et elle sent passer dans son cœur le frisson d’une aurore de brume glaciale. Mais au beau milieu des cimetières, lit-elle encore, certaines choses demeurent vivantes à jamais et continuent à exister quand meurent les hommes et les mondes qui les ont fait naître, elles continuent à exister, obscures et indestructibles, blotties dans les tremblements fragiles de l’air, comme des parcelles infimes de réalité dispersées dans l’immensité d’un songe. »

Qui a écrit que ce livre était intégralement noir, sombre, désespérant ? Lily indique ici un passage magnifique : nous avons besoin d'images dans lesquelles nous reconnaître, "Un dieu un animal" est donc émaillé de ces images qui sauvent nos âmes (à relire avec cela en tête, souligner toutes ces images, voir la chaîne qu'elles forment, l'évolution qu'elles dessinent) :

"le souvenir d'une toute jeune fille dans laquelle elle se reconnaît avec émotion"

"car il existe maintenant une image d'elle-même dans laquelle elle peut se reconnaître avec émotion"

"un image bénie qui t'attendait pour apparaître"

Et Lily citera à la fin de son article, un autre extrait du livre dans lequel le héros a recours à une image cinématographique afin de se regarder soi-même. Décidément, c'est bien ce qui a attiré cette lectrice. Et ainsi son billet apparie deux figures féminines : la toute jeune fille et Aurore Clément qui tend une pipe d'opium et dont les seins apparaissent "à travers les voiles transparents"...

Voilà comment un "récit de lecture" me semble en mesure de faire jouer notre imaginaire : le travail de la citation est gigantesque, explicite et souterrain, éclairant et mystérieux ; vivant.

Allons-y, le voici en entier : l'article de Lily sur "Un dieu un animal" sur son blog "Lily et ses livres".

Tout cela pour signaler en fin de billet que "Un dieu un animal" concourt aussi pour le Prix Landerneau ; pour des précisions voir ici (c'est le blog "Journal d'une lectrice", qui m'a conduit vers celui de Lily, etc. etc. grâces soient rendues aux écrivants numériques !).

2 commentaires:

  1. Le Prix Landerneau 2009 a été attribué hier soir à Jérôme Ferrari pour Un dieu un animal !

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  2. Merci de cette proclamation, Elodie G.

    C'est confirmé, personne n'est à l'abri du succès : puisse-t-il ne pas trop cacher l'ensemble de l'oeuvre de Ferrari (on a tendance à oublier ses deux premiers ouvrages chez Albiana) !

    Bravo à lui et à son roman ; bienvenue aux nouveaux lecteurs qui passeront par les espaces culturels des magasins Leclerc.

    Peut-être qu'il décrochera aussi le Prix Orange du Livre.

    En espérant que tous ces prix (et d'autres auteurs corses en ont récolté ces dernières années) permettront à une littérature corse de vivre et de se développer !

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