dimanche 10 janvier 2010

Un récit de lecture : "La grande exclusion", de Xavier Emmanuelli par O.E.

Mille fois merci à O.E. : voici une brève présentation d'un ouvrage de Xavier Emmanuelli : "La grande exclusion". Il se trouve que le créateur de Médecins sans frontières (1971) et du Samu social (1993) avait un père médecin à Zalana et qu'il a écrit un ouvrage sur lui, après sa disparition : "Ballade pour un père".

Dans un prochain billet, O.E. parlera de ce dernier ouvrage. (Cela fait deux occasions de prendre la parole, si vous en avez envie.)

Pour l'heure nous accueillons avec plaisir ces premiers propos (qui trouveront certainement un écho dans une île dont la culture est souvent présentée à travers des valeurs très positives comme la solidarité et le partage ou bien qui niera l'existence d'extrêmes souffrances et notamment le sentiment d'abandon ou de "grande exclusion" ; cela me fait penser au sublime documentaire de Marie-Jeanne Tomasi, "On l'appelle Aurore" qui donnait la parole à plusieurs Bastiais totalement désorientés, perdus dans la drogue et le désespoir, vous l'avez peut-être vu ?) :

Cofondateur de Médecins sans frontières et fondateur du Samu social, Xavier Emmanuelli a été secrétaire d’Etat, chargé de l’Action humanitaire d’urgence. Son dernier livre, intitulé « La Grande Exclusion », a été écrit en collaboration avec Mme Catherine Malabou, philosophe, enseignante à l’Université de Paris Ouest-Nanterre.

Xavier Emmanuelli développe notamment dans son livre la conviction qu’il s’est forgée selon laquelle « l’urgence est une méthode pour sortir de l’urgence ». L’urgence est pour lui une méthode d’approche et d’intervention immédiate, structurée autour de quatre exigences : aborder, diagnostiquer, donner les premiers soins, orienter. Il a utilisé cette méthode au sein de Médecins sans frontières, lorsqu’il subdivisait le terrain en zones d’intervention jusqu’à la plus petite unité opérationnelle possible. La même méthodologie a été appliquée au profit des grands exclus lors de la création du Samu social et Paris a été quadrillé en zones, secteurs, quartiers et rues. Une main a pu alors se tendre vers les victimes de la Grande exclusion, qui se caractérise par la rupture de tout lien, y compris du lien fondamental qui nous rattache à nous-même, ce lien que Rousseau appelle « l’amour de soi ».
Le médecin qui n’écoute que son cœur peut alors examiner les corps, une fois que la confiance s’est instaurée. Il découvre des ulcères gigantesques, des plaies d’une profondeur inimaginable, envahies par des vers, des chaussettes incrustées dans la peau, les effets d’une malnutrition dont on ne pensait pas qu’elle pouvait sévir dans notre pays.
Et, parfois, le succès est au rendez-vous. Plus souvent, ce succès est en demi-teinte. Cédons la parole à l’auteur :

« Quelques personnes, parmi tant d’autres, sont inscrites à jamais dans ma mémoire.

Yves, tombé dans la grande exclusion. Seul l’alcool peut provoquer untel décrochage. Je l’ai rencontré à Nanterre dans un état de délabrement total. Il y avait chez cet homme quelque chose de différent, peut-être lié au fait que le syndrome ne remontait pas à l’enfance. Après des années d’accompagnement, le déclic a eu lieu. De rechute en victoire, il a peu à peu abandonné l’alcool. Il est devenu autonome, s’est mis à nous aider en tant qu’auxiliaire au Samu social. Il a rencontré une femme, s’est stabilisé. Il est mort emporté par un cancer du poumon peu de temps après. C’est un paradoxe de la survie. Quant cet étau se relâche, vous devenez plus vulnérable. Yves gardait toujours sur lui un poème de René Daumal qui se termine par ces mots : « vivre, c’est vouloir devenir ».

Dominique, abimé dans son corps, drogué, battu, mutilé. Pendant cinq ans, il allait et venait. Je suis parti le rechercher porte d’Orléans, où il avait son territoire, un nombre incalculable de fois pour le ramener, toutes fenêtres ouvertes tant il puait, au Samu. Au bout de cinq ans, il est sorti de la Grande exclusion ».


Trouvé sur le site "Esprits nomades" (ici), le poème de René Daumal (dont j'aime beaucoup le "Mont Analogue") :

Je suis mort parce que je n'ai pas le désir ;
Je n'ai pas le désir parce que je crois posséder ;
Je crois posséder parce que je n'essaie pas de donner ;
Essayant de donner, je vois que je n'ai rien ;
Voyant que je n'ai rien, j'essaie de me donner ;
Essayant de me donner, je vois que je ne suis rien ;
Voyant que je ne suis rien, j'essaie de devenir ;
Essayant de devenir, je vis.

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