Retour aux textes... Car entre chaque manifestation littéraire - occasions pour échanger - il y a ce mouvement continu des textes en nous.
Je repense souvent au texte qui suit (lu dans l'anthologie "Corsica calling"). Je l'écris pour y revenir, avec vous, m'en détacher peut-être aussi (le relisant, de nombreux passages me semblent faibles, ne correspondant pas à mon souvenir enthousiaste, et ce sont les "je me trompais" qui me plaisent le plus, et peut-être les espaces blancs entre chaque morceau de phrase). Je ressens maintenant un attachement diffus, une tendresse estompée, comme pour une forme ancienne de soi-même, une mue. Non ?
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Je rêvais aux pierres de mes enfances.
Marquées de lichen comme de vieilles tâches de peinture verte.
Je leur donnais des noms fantastiques, puisées dans mon imagination.
La vallée de la Restonica creusait ma tête à coup d'interrogations,
Je savais qu'elle ne contenait pas le monde.
Ailleurs j'étais attendue. Je croyais ça.
Les paysages me semblaient irréels,
C'était ailleurs qu'il fallait vivre.
La carte de grands continents se déroulait dans ma tête
Et j'imaginais qu'il fallait faire vite avant que les frontières ne disparaissent.
À 7 ans j'avais choisi une ardoise, une règle et deux petites culottes pour fuir la maison.
Au bout d'un kilomètre j'avais rebroussé chemin, il fallait davantage de préparation.
Ailleurs j'étais attendue, c'était certain.
J'étais attendue, mais jusqu'à quand ?
J'inscrivais sur des feuilles à carreaux les noms de cités étrangères :
Islamabad, Tokyo, Londres ou Paris
Parce qu'à mes yeux Paris était aussi étrangère qu'Islamabad.
Je me trompais.
Ce qui était étranger était bien plus proche de moi.
Ce qui était étrange c'était cette foule haineuse lynchant un légionnaire sur la place Paoli.
Je plongeais alors ma tête dans un oreiller pour ne pas entendre les cris de la foule enragée.
Terrorisée, je gardais, longtemps après, ma tête enfouie dans le coussin.
Ce qui était étrange c'était ces hommes de la nuit jouant à la guerre dans le maquis.
Ce qui était étrange et imprévisible c'était la soudaine montée des eaux du Tavignanu qui emportait chaque année de jeunes campeurs apprivoisés par la beauté du fleuve.
J'étais attendue. Je rêvais de toi.
Je rêvais aux hommes découverts, prêts au meilleur et déroulant leurs noms étranges comme de précieux parchemins.
Je tendais les carreaux de mon coeur pour leurs mains expertes, porteuses de malles et de troublantes amours.
J'étais familière des orages d'été, forçant les troncs d'arbres et donnant aux pavés de la vieille ville des allures de miroirs étincelants.
J'étais familière des contes, dans la chambre que je partageais avec mes soeurs.
Je rêvais de tous.
Des héros de papier, des gens du quartier, des pique-niques l'été à la "Glacière", du prisuttu que ma mère cachait pour ne pas que je sois malade à force de trop en manger.
Je rêvais de tous.
Des longues avenues peuplées de visages étrangers, des tours gigantesques et des terres rouges traversées par de mystérieux personnages en longues tuniques.
J'étais étrangère.
L'hiver nous abandonnions la vallée, froide et humide, aux souvenirs.
Et j'imaginais qu'il s'y passait d'étranges choses.
Je me trompais.
Souvent mon père rentrait tard, je l'attendais.
Ce qui était étrange était si proche de moi.
La carte des lieux de ses nuits m'était incompréhensible et je rêvais aux pays d'aubes perpétuelles, perdue dans l'insularité de mon coeur.
Je plongeais ma tête dans l'oreiller, entêtée à retrouver le sommeil.
Mon père se taisait.
J'essayais de cacher ma colère.
Les hommes d'ici étaient secrets, durs à la tâche et tristes.
Rêvaient-ils d'un ailleurs ?
Le soir ils abandonnaient leurs femmes et leurs enfants pour vivre d'étranges nuits où ils claquaient des paquets de cartes.
Leurs mains expertes frôlaient les tapis verts,
Ils fendaient les carreaux de mon coeur.
Je vivais parmi ces gens ignorant Paris, Londres ou Islamabad, qui ne contenaient en rien leur monde.
Mais ils m'attendaient chaque jour après l'école,
Ils me veillaient chaque nuit alors que j'étais malade.
Je rêvais de la mer, de toute chose inconnue que je croyais parfaite.
Les montagnes m'encerclaient, chaotiques et accidentées,
J'imaginais qu'il fallait fuir pour vivre enfin.
Je me trompais.
Ce qui m'était étranger était en moi.
J'ai cru connaître Londres, Paris ou Islamabad,
Je me trompais.
Je ne suis même pas sûre d'avoir rencontré ceux qui étaient si proches de moi.
La vallée de la Restonica est toujours là,
Je sais désormais qu'elle est ma cité.
Les frontières ont déserté mon imagination
Et l'étrangeté m'est devenue familière.
Je vis parmi des gens qui se déplacent à Paris, Londres ou Islamabad.
Ils croisent à l'infini des lignes imaginaires qui comblent l'espace de leur vie,
Ils croisent aussi leurs rêves d'ailleurs.
Ce ne sont pas des voyageurs, seulement des mélancoliques.
Ils s'éloignent.
Ils se trompent.
Mais il est si difficile d'être proche.
Il fait très chaud dans la vallée et les petites marques de lichen pâlissent sous le soleil.
Je trempe mes pieds dans l'eau verte et glacée et la mer disparaît de mes rêves.
Bientôt c'est l'orage.
À la façon dont le lac s'obscurcit,
On ne peut s'y tromper.
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Nom de dieu, je feuillette à nouveau cette anthologie sublime et je tombe sur un long poème dont le souffle bouscule, un poème de Jacques Biancarelli (allez ce sera pour le prochain billet !)
Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
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C'est juste mauvais. Images faibles. Langue... Beuh!
RépondreSupprimerIl y a des passages faibles, c'est vrai, mais aussi de beaux passages. C'est une méditation sur l'"ailleurs" mythifié et le retour sur soi, le proche et le lointain, qui me touche.
RépondreSupprimer"je me trompais" est aussi ce que je préfère : il me semble que sans cesse nous nous trompons, car la vérité est insaisissable, elle n'a rien d'"exact" et nous sommes trop limités pour la définir ou la saisir dans sa totalité, nous n'en avonsn qu'une "vison" partielle et relative . Il est sain de toujours remettre en question ce que nous croyons être la vérité, l'expérience de la vie nous apprend d'ailleurs à le faire...