jeudi 27 mai 2010

Table ronde de bloggers corses (22 mai 2010, Bastia)

Eccu issu resucontu (una prova di resucontu, pudete mandà mi cumenti, serà ghjuvevule !)

Eranu invitati :
- Angèle Paoli, pè a so rivista elettronica "Terres de femmes"
- Marcu Biancarelli, pè u so situ persunale "Biancarelli in Barsaglia" è u situ cullettivu "Gazetta di Mirvella"
- Xavier Casanova, pè u so blog "Isularama"
- ed eiu ("Pour une littérature corse" : ghjè quì !)

1ère question : quel(s) désir(s) fut (furent) à l'origine de la création de votre site internet ? Quelle était la part de la Corse dans cette création ?

Angèle Paoli :
- La création de ma revue littéraire a pour origine le désir de prendre la parole pour la donner à mes aïeules qui ne l'avaient pas eue durant leur vie et dont on ne parlait pas. Donc la Corse est au centre de ce désir, dans la Corse, le Cap Corse, dans le Cap, mon village.
- puis il y a eu une évolution de ce premier site "familial" du fait d'une situation de blocage : il y avait peu de documents écrits ou oraux sur ces aïeules. J'ai décidé de me décentrer, ou plutôt de jouer sans cesse entre le dedans et le dehors, d'être en même temps dehors et dedans, sur la frontière.
- quand j'étais sur le Continent, cette revue était un moyen de me guérir de ma nostalgie de la Corse ; maintenant que je vis en Corse, depuis 4 ans, c'est une façon d'aller ailleurs.
- nous sommes trois - Yves Thomas, pour l'édition et le webmastering ; Guidu Antonietti di Cinarca pour la direction artistique et moi-même comme responsable de la rédaction - qui travaillons 6 heures par jour depuis décembre 2004 ; c'est une passion têtue, tenace, pour la Corse, la littérature et l'écriture.
- c'est aussi une façon d'éviter de quémander les éditeurs ; le site est un tremplin mais aussi un lieu de liberté où l'on n'a de compte à rendre à personne ; et puis il faut trouver quelque chose à faire au village quand on ne sait pas garder les bêtes et faire le fromage ; la première question fut donc : est-ce que le village est connecté à Internet ?

Marcu Biancarelli :
- le blog personnel est une vitrine promotionnelle, pour suppléer l'éditeur qui n'était pas en capacité de faire cette promotion. Ainsi l'auteur se prend en main.
- le recours à Internet s'est fait aussi sur fond d'ennui ; mais ce ne fut pas un vrai plaisir de fabriquer ce site-là.
- le site "Gazetta di Mirvella", par contre, me procure beaucoup de plaisir. Il est beaucoup plus collectif. Il s'agit d'un lieu alternatif, où les valeurs sont inversées, l'éloge passe par l'insulte : c'est une franche déconnade. Il s'agit d'éviter l'esprit bien pensant, rigide, trop sérieux. Ce lieu se présente comme une pieve en guerre contre le royaume de Corse dirigé par Pascal Paoli ; cela a commencé en 1759 (nous sommes maintenant en 1760, depuis le 1er janvier 2010) ; dans cette pieve se réunissent des amoureux de l'écriture - en langue corse ou en langue française - qui participent notamment à des concours d'écriture (dernièrement, le concours du "bâton merdeux").
- la Corse est au départ de ces sites, il s'agit d'accueillir une certaine créativité présente sur l'île et que l'on ne voit pas forcément en librairie mais aussi de regarder ailleurs, vers d'autres littératures. On peut citer certaines écritures virtuoses et étonnantes : Mincchjudargenttu ou Stéphane Malachamé. L'outrance est souvent présente, la violence, le pornographique aussi, tous les sentiments humains sauf les sentiments fleur bleue.

Xavier Casanova :
- il y a deux origines à ce blog "Isularama", qui se veut un poste de guet pour regarder la vitalité culturelle en Corse et pour promouvoir les publications de la maison d'édition La Gare :
- tout d'abord, une expérience d'écriture (avec "Codex Corsicae" chez Albiana) qui se solde par une déception devant le manque de valorisation. Le constat cynique et cruel est le suivant : le texte est secondaire, il est prétexte à audience. Il s'agissait donc soit d'assumer cela soit de le détourner. Le détournement est le seul moyen de revenir au contenu du livre. D'où l'aspect décalé des billets du blog, des microvidéos, etc.
- la deuxième source est une expérience dans la presse avec la revue culturelle "Ci simu" (durant 7 numéros). Ce magazine bimensuel avait pour sous-titres : "Isularama" et "Corsicazine". Il s'agissait pour moi que ce magazine soit un support moins d'encensement que de recensement et surtout de critique. Afin de participer au développement de la culture. Or le Web permet une plus grande réactivité et de suivre au jour le jour la créativité culturelle en Corse sans imaginer une usine à gaz pour s'en faire l'écho. Le modèle est "Terres de femmes".
- le blog est un support extraordinaire. Il s'agit de créer un courant d'intérêt suffisant sinon on risque l'épuisement dans le répétitif.

François Renucci :
- j'évoque le fait que le blog "Pour une littérature corse" a été créé pour rendre visible les livres corses par l'intermédiaire des différentes façons dont ils sont lus, par des lecteurs réels, au moyen de billets contenant des "récits de lecture" (au minimum constitués par une citation du livre lu, au maximum par une étude poussée de celui-ci), billets qui idéalement sont ensuite commentés. Depuis janvier 2009, 37 billets (sur les 261) émanent de lecteurs autres que moi-même ; plus de la moitié des 1 900 commentaires aussi. Les discussions sont parfois vives, emportées ; bien des sujets ont suscité des réactions enthousiastes ou outrées.
- la Corse est centrale : le désir porte sur la promotion de la littérature corse, entendue comme l'ensemble des livres qui nourrissent l'imaginaire corse, quelle que soit la langue d'écriture. La conviction est qu'une littérature existe grâce aux lectures réelles et fait ainsi son office dans l'évolution des écritures et des mentalités.

2ème question : êtes-vous satisfaits de l'évolution de votre site internet ? Quelles conséquences en attendez-vous ?

Angèle Paoli :
- Oui, une grande satisfaction, car le site Internet permet d'innover en permanence : par exemple avec l'Anthologie poétique féminine (70 femmes écrivains sélectionnées à ce jour), avec des poèmes inédits, pas forcément par des auteures connues, c'est un lieu d'ouverture qui continuera jusqu'en décembre. Tout cela se fait à moindre coût alors qu'un tirage papier se heurte aux contraintes financières et potentiellement au refus des éditeurs.
- le succès du site "Terres de femmes" (beaucoup de monde le visite, le temps moyen de la visite est de 7 minutes) fait que je reçois beaucoup de livres en service de presse : les auteurs demandent à être présentés car cela assure une audience considérable.
- ce site me permet d'avoir accès aux auteurs vivants.
- à partir de ce site, je mène des ateliers de traductions (notamment avec le Scriptorium de Marseille), des interventions dans divers festivals littéraires (à Montpellier, à Lyon aussi pour présenter Antonella Anedda).
- c'est comme reprendre un travail universitaire mais dégagé du poids des contraintes spécifiques à ce milieu.
- c'est un lieu de reconnaissance et de visibilité.
- c'est un lieu de partage et de proposition : par ewemple, je ne connaissais pas Sylvie Saliceti, il y a quelques mois, et pourtant nous nous sommes trouvés une communauté d'esprit très rapidement ; ce qui fait qu'elle est venue très volontiers, à ma demande, à la soirée de présentation de "Pépé l'Anguille", à Aix-en-Provence, dans les locaux de l'amicale corse. C'est donc une chaîne qui se construit ; un work in progress qui ressemble au bonheur. La revue évolue grâce à une réflexion quotidienne. Les billets sont relus trois fois avant d'être publiés, nous tenons à ce qu'ils soient parfaits pour éviter les erreurs qui se répandent très vite sur le Web.
- C'est une oasis de paix, au contraire d'autres lieux où se déploient des discussions très animées.

Marcu Biancarelli :
- Sur la "Gazetta di Mirvella", c'est bien plutôt la guerre qui est la règle ! Le site est réactif, interactif. Les participants se répondent. C'est un cadavre exquis permanent, jubilatoire, qui détourne les codes. Il n'y a pas d'autre objectif : vient qui veut.
- Il s'agit d'ouvrir un espace de culture alternative, un peu subversive ; cela permet notamment de réveiller la vraie création. À Mirvella, les fautes sont la règle, les grammaires sont réinventées. Je pense au langage créé par Mincchjudargenttu.
- Mais ce n'est pas du militantisme, il n'y a que de la jubilation et on attend qu'il en sorte quelque chose de bon ; c'est vrai qu'un des effets réels du site Internet a été de provoquer des rencontres avec des personnes que je n'aurais normalement jamais croisées. Des talents ont ainsi été découverts, des amitiés sont nées.

Xavier Casanova :
- Satisfaction ? Mais le blog est né de l'insatisfaction ! (c'est ma réponse paradoxale).
- Le blog est pour moi est un lieu qui accueille tous mes excès de créativité, quoi qu'il arrive: c'est une satisfaction autiste, car elle ne dépend pas du fait d'être lu ou pas lu. Cette satisfaction ne se détruira jamais.
- Mais il y a d'autres objectifs : c'est le deuxième niveau de satisfaction. Il s'agit des retours, des réponses, des échanges, des discussions. Cela permet d'aller plus loin et de montrer ce qui est vivant en Corse en matière de culture.
- Or du point de vue de la qualité de ces échanges, le blog "Isularama" n'est pas encore parvenu au niveau de ce qui se passe sur "Terres de femmes" (produit très travaillé, avec un public stable, fidèle, de qualité), sur la "Gazetta di Mirvella" (où des étincelles créent des liens), ou sur "Pour une littérature corse" (où existe un réseau de participants occasionnels ou réguliers).
- Donc, la satisfaction est aussi de voir que nous sommes nombreux à utiliser les outils numériques qui sont des facteurs de changement, d'évolution. Ce sont les satisfactions du devenir.

François Renucci :
- Non, pas de satisfaction totale : je trouve qu'il est encore difficile d'avoir accès au réel des lectures. Cela est plus ou moins empêché par des scrupules, des complexes, des difficultés, des injonctions collectives sur ce qu'il est bon de penser de ceci ou de cela. J'espère donc qu'au fur et à mesure nous atteindrons cet espace de mise en mots des expériences réelles des lecteurs face à tel ou tel livre.
(Je rajoute ceci, que je n'avais pas dit ce jour-là) : Cependant, je suis très satisfait de voir que le blog devient de plus en plus collectif, avec des dizaines de participants. L'idéal pour moi serait que ma part personnelle ne représente pas plus d'un quart des écrits publiés sur le blog (billets et commentaires).

Deux questions dans le public, par un monsieur :

- Question 1 : Je suis un gros lecteur, mais pas un lecteur de blogs. Pour plusieurs raisons : je trouve très difficile de parler des livres qu'on aime, c'est très intime, il faut se livrer ; lorsque quelqu'un parle d'un livre, il y a toujours le risque d'une sorte de terrorisme intellectuel. Qu'en pensez-vous ?

François Renucci :
- Effectivement, parler des livres sur un blog est difficile ou sujet à dérive. C'est justement pour cela qu'il est bon de s'y essayer. La question est aussi : à quelles conditions peut-on se dire tranquillement qu'on n'est pas d'accord ? Certaines des discussions sur le blog "Pour une littérature corse" sont très animées, et cela ne convient pas à tout le monde, cela fait même fuir certains. D'autres m'écrivent ensuite sur mon mail personnel, pour continuer à développer leur point de vue et ensuite je me permets de leur demander si je peux prendre des passages de leur réponse pour les replacer sur le blog ; généralement la réponse est oui, une fois que nous sommes d'accord sur la bienveillance de chacun. La question pour moi est celle de la poursuite du dialogue ; et cela ne peut jamais se faire sans heurts, frictions, malentendus, coups de griffes conscients ou inconscients. (Je ne suis plus très sûr d'avoir répondu cela, je n'ai pas pris de notes pendant que je parlais !)

- Question 2 : Personnellement, je préfère le contact direct, vivant avec les gens et les auteurs. Comment faites-vous pour passer des heures entières de votre journée devant un écran ?

Xavier Casanova :
- Autant poser cette question à un peintre : comment faites-vous pour passer autant de temps devant votre toile ? Il se trouve que l'outil numérique est extraordinaire : il est à la fois téléphone portable, musée, toile et cimaise. Il y a du texte, de la musique, de la vidéo. J'éprouve une fascination certaine pour ces objets.
- Il faut consacrer du temps aussi pour utiliser ces outils d'une façon originale. Il s'agit d'expression visuelle du texte, généralement négligée sur le Web. Ce travail a plusieurs dimensions et le temps passé est aussi celui nécessaire à la résolution de problèmes.

Angèle Paoli et Yves Thomas :
- Les textes choisis s'intègrent dans un autre environnement. Il y a tout un travail informatique, technique, sur des bases de données, parfois détournées. Cela demande des heures de réflexion, comme par exemple pour l'Anthologie poétique féminine qui est en fait un deuxième blog à part entière.

Xavier Casanova :
- Dans tous les cas, il s'agit d'accélérer l'accès aux textes, aux sens, à la poésie, à l'émotion.

Angèle Paoli :
- C'est aussi un travail subversif, qui s'oppose au lavage de cerveau qui prédomine dans les médias, où tout se vaut. Il s'agit de faire des choix, de proposer un autre regard, d'être en attente aussi.

Marcu Biancarelli :
- Oui, il y a de la folie à passer autant de temps devant un écran. Mais c'est inévitable parce que notre travail moderne d'écrivain s'inscrit dans ce champ, qui représente une ouverture infinie.


Et je conclus en remerciant les organisateurs d'Arte Mare, notamment Michèle Corrotti, pour avoir organisé une telle table ronde consacrée pour la première fois au monde littéraire corse sur le Web. J'insiste sur le fait que les quatre invités ne représentent pas à eux seuls tout ce qui se fait dans ce domaine, loin de là ; je cite donc, avec l'aide des autres invités :
- l'association Musa Nostra
- le travail de Stefanu Cesari
- le blog de Norbert Paganelli
- le Foru Corsu
- Corsicapolar
tout en indiquant que cette liste est loin d'être exhaustive et qu'il sera nécessaire de recommencer de tels débats pour réfléchir aux enjeux du monde numérique pour la littérature corse.

(J'ajoute ici et maintenant qu'avant de venir au lycée Jean Nicoli, je suis passé dans la librairie Album et La Librairie des Deux Mondes, et que j'ai acheté le dernier numéro de Bonanova (n° 23) dans lequel vous pouvez trouver deux pages sur la "blogosfera corsa" ou le "web corsofonu", issues d'un travail de Sébastien Quenot : son tableau recense une cinquantaine de sites ! Eccu unu strattu :

"Pari chì oghji ch'hè oghji u finominu di a prisenza di un dì literariu in corsu nantu à Internet fussi propiu di primura."

c'est vrai n'est-ce pas ?).

1 commentaire:

  1. Faute d'avoir pu participer à ce débat, je réagis ici à une question du public, celle de la personne qui trouve très difficile de parler des livres qu'on aime : "c'est très intime, il faut se livrer".

    Certes une rencontre littéraire, c'est toujours très intime, mais on peut parler d'un livre qu'on aime sans livrer son intimité, sans se montrer impudique !
    D'abord , le terme "se livrer" est ambigu, il évoque la soumission alors qu'oser parler d'un livre c'est au contraire "se délivrer" de son amour-propre, de sa peur d'être jugé, critiqué, moqué...
    On peut dire beaucoup d'un livre qu'on aime - tout ce qui est partageable - tout en préservant le noyau essentiel de la rencontre, celui qui, à mon sens, doit rester secret ( un principe d'ailleurs valable pour toutes les rencontres...)

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