dimanche 2 mai 2010

Anne Carrols lit Marie Ferranti...

Voici une des conséquences du Club de lecture du 23 avril dernier : un récit de lecture de "La chasse de nuit" de Marie Ferranti par Anne Carrols, qui participa à cette rencontre, acheta le livre en question, le lut et m'envoya fort gentiment le message suivant... Bonne lecture ! Peut-être ne serez-vous pas d'accord avec elle ?

Salut François,
je viens de lire le livre de Marie Ferranti, La Chasse de nuit, et je me suis régalée : j'ai tout lu d'un trait avant-hier soir et, depuis, cette histoire me trotte dans la tête. Bon, c'est sans doute mon côté amatrice de sagas romanesques qui m'a tenue ainsi en haleine, avec la rivalité des familles, la passion dévastatrice qui se greffe par-dessus, et l'attente de savoir quand et comment la prédiction va se réaliser. J'ai attendu impatiemment les trois dernières pages dont tu disais qu'elles donnaient rétrospectivement tout son relief et sa valeur au roman. Je ne sais pas ce que tu y as lu, mais c'est vrai que toutes les attentes du lecteur de base dans mon genre, avide de suspense et de révélations, y sont détournées ; et j'ai été confortée, avec ce dénouement, dans l'impression que j'avais eue tout au long de la lecture, à savoir que cette histoire de mazzeru, de chasse et de prédiction n'est qu'un moyen de nous parler d'autre chose, une évolution et une rupture, dont je n'arrive pas à comprendre en fin de compte si elle est positive ou négative.
J'ai l'impression que ça dépend de l'échelle à laquelle on se place : à l'échelle individuelle du personnage, ça ressemble à une ouverture au monde, à la mer et à la joie de vivre aux côtés d'une femme solaire qui l'a finalement extirpé de ses rêves nocturnes, de sa mélancolie, de son attrait obscur pour Lisa, de son obsession de la mort ; il redécouvre son île sous un jour différent, qui n'est plus celui de l'intérieur des terres, du village et du bois, mais de la ville et de la mer, c'est-à-dire l'île insérée dans le monde et raccordée à la modernité, où les croyances n'ont plus cours et la pensée de la mort est complètement évacuée.
Mais à l'échelle de l'île, ça ressemble à la fin d'un monde, une société qui se dépeuple et disparaît, un attachement à la nature et au passé qui se perd, des liens humains qui se défont : c'est le constat que font à plusieurs reprises Agnès ou Mattéo d'une dénaturation, d'une perte de substance au profit d'une modernité qui rime plutôt avec superficialité et même cupidité (le destin de Petru Zanetti est, à cet égard, emblématique : pourfendeur de ce qu'il regarde avec hauteur comme supersitition et ignorance, représentant autoproclamé du progrès, il finit par quitter l'île pour se jeter dans la corruption du monde dans ce qu'elle a de plus dégoûtant, les trafics menés pendant la guerre).
Bon, sinon, cette figure du mazzeru reste encore mystérieuse pour moi : par exemple, je n'ai pas réussi à comprendre pourquoi la confession publique transformait Mattéo en paria au lieu de le réintégrer dans la communauté alors qu'il renonçait à ses pouvoirs inquiétants. Mais c'est vrai que c'est une figure intéressante, au croisement d'une foule d'interrogations sur le rêve et la réalité, la culpabilité et l'innocence, la vie et la mort. J'ai bien aimé la tonalité qu'utilise le mazzeru pour faire son récit, tout en mélancolie discrète, avec cette préoccupation constante de la mort, du souvenir des morts, du lien qu'on continue à entretenir avec eux, que ce soit par les affaires qu'ils ont laissées, les habitudes qu'on garde après leur mort, les carnets paternels, les échanges que Memmu continue à avoir avec sa femme, les anciens dont les noms et la vie ont marqué durablement la communauté ; et puis, en même temps, cette conscience que ce qui reste d'eux est dérisoire. Tellement dérisoire qu'à la fin, c'est la conscience de l'absence irrémédiable qui l'emporte sur la sensation d'une présence qui se perpétuait sous la forme surnaturelle des esprits ; et cette absence totale et définitive dont Mattéo prend conscience remet en cause la réalité même de son existence. C'est à la fin, lors de la chasse de printemps qui n'a finalement pas lieu parce qu'il n'est plus mazzeru : il attend en vain les âmes errantes, il se souvient des paroles d'Agnès, "ils sont tous morts", et il a alors l'impression que toute sa vie n'est qu'un songe. Ca c'est un passage fort, qui aide à comprendre que, dans cette histoire, le fait d'être mazzeru est avant tout une certaine façon d'exister en lien étroit avec le souvenir des morts, avec la menace constante de la mort, et aussi avec les rythmes de la terre et la compagnie des animaux, que ce soit les chevaux ou le gibier. C'est un mode de vie à la fois apaisant et austère, sain et angoissant. C'est avec tout ça que rompt Mattéo, et comme ça se fait finalement sous l'égide de Caterina, (et non plus sous le prétexte trouble de reconquérir Lisa) ça s'apparente à un retour à la vie. Mais pour la communauté qui, elle aussi, a voulu rompre avec son mazzeru et ce qu'il incarnait, ça n'est pas si simple.
Bref, voilà, tu voulais un "avis extérieur" et voici une avalanche d'impressions. Désolée pour la longueur ! Merci beaucoup de m'avoir fait découvrir cette figure passionnante et aussi cet auteur. Du coup j'ai commandé un autre ouvrage d'elle, qui n'a plus rien à voir avec la Corse cette fois et qui me ramène plutôt à la Renaissance ("La Princesse de Mantoue").


Voici les références du passage que je retiendrais, vers la fin du roman, après la mort de la vieille Agnès, une fois que Mattéo a renoncé publiquement à ses fonctions de mazzeru : p. 178 "Je ne garderai pas cette maison" jusqu'à la p. 180 "Je la haïssais" :


- Je ne garderai pas cette maison ; je la donne à Dorothéa, ce qui la mettra à l'abri du besoin s'il m'arrivait malheur.
- Tu n'as que ce mot à la bouche, dit Petru. J'en ai assez de ce pays de sauvages. Ici, les gens sont tous comme toi, fatalistes, résignés, superstitieux. Je m'en vais. Nous partons cet été pour le continent. J'ai acheté un cabinet à Marseille. J'ai été stupide de revenir. À propos, je vends Goloso, si ça peut t'intéresser.
- Que veux-tu que j'en fasse ?
- Je n'en sais rien. Je te le dis à tout hasard."

La mort d'Agnès m'avait lavé de la honte. Je ne songeais plus à me cacher. J'errais dans le village pendant des heures. je connaissais chaque maison, me disais à voix basse le nom ou le surnom de ceux qui les avaient habitées : "Jean, fils de Jules, fils lui-même de Jean le sourd ; Marcu le beau, époux d'Ignazia la folle..." En ressassant cette litanie de noms perdus, tout un monde me revenait à la mémoire et les volets cassés, les portes branlantes, les façades décrépies s'effaçaient. La rue s'animait. Je me rappelais les femmes, au printemps, armées d'un gros pinceau, qui badigeonnait à la chaux l'encadrement des portes, et les jours de grand vent, les draps qui claquaient, étendus sur une corde à linge le long du mur, sous les fenêtres du premier étage, les meubles noirs polis qui embaumaient la cire, les petits pains fourrés d'anchois que les femmes partageaient, à midi, sur le pas de la porte. Je rentrais à Torra nera la tête pleine de bruits et de fantômes.
Dorothéa me servait le dîner et s'éclipsait. Je ne supportais pas de rester seul, j'allais voir Memmu.
"Je ne fais rien de bon, disait-il.
- Il y a les chevaux et la chasse.
- Oui, les chevaux, il faudrait les monter, et la chasse, je n'ai plus envie d'y aller, mais vous-même ne faites plus rien et n'y allez plus.
- Il n'y a plus de chasse, Memmu. Je ne vois plus rien."
Nous disions toujours la même chose. Un soir, Memmu me dit qu'il n'était pas utile de voir quelque chose pour aimer chasser. Nous cessâmes d'en parler.
Memmu me demanda la permission de vendre les chevaux : "Je ne suis plus capable de m'occuper de rien, ni d'eux ni de moi-même", dit-il.
Je ne voulus pas de l'argent qu'il en tira : "Donne-le à Dorothéa. Donne-lui aussi les clés de la maison d'Agnès. Qu'elle s'en aille. Cette fois, je suis résolu à ne plus la voir."
Dorothéa demanda à Memmu de lui laisser un peu de temps. Je le lui accordai. Je ne retournai pas dans la maison d'Agnès et, plus tard, quand Dorothéa l'habita, j'évitais de passer devant.

La grande chasse de nuit du printemps approchait. Comme chaque année, je me préparai et, à la nuit tombée, allai sous le grand chêne blanc, près de la rivière. Il n'y eut pas de chasse cette nuit-là. J'attendis pendant des heures aux aguets, surveillant le ciel, guettant les signes, à l'affût du moindre bruit. En vain. À l'aube, j'entrai dans la rivière jusqu'à la ceinture. Je tapai l'eau de toutes mes forces avec la mazza pour en éloigner les âmes errantes. J'étais trempé. Je m'assis sur la berge, transi de froid. Je regardai l'eau grise ; la rivière semblait se refermer sur elle-même. Je me rappelai les paroles d'Agnès : ils sont tous morts, Mattéo. Ma vie entière m'apparut alors comme un songe. Je fus pris de vertige et perdis connaissance. Ce fut l'eau glacée qui me fit revenir à moi. Je n'étais plus mazzeru. Autour de moi, il y avait le silence de l'aube et ce silence me bouleversa plus que des cris des sorcières de Foscolo. Je n'étais plus moi-même. Je n'existais plus. J'enrageais contre Lisa. Tout était sa faute. Je la haïssais.

8 commentaires:

  1. Mister Frogucci,
    i'm so disgusted ! another scuse to laude the immoral and ininterresting Murtoriu .
    i prefer the metalicca's song:

    For Whom The Bell Tolls

    Make his fight on the hill in the early day
    Constant chill deep inside
    Shouting gun, on they run through the endless grey
    On the fight, for they are right, yes, by who's to say?
    For a hill men would kill, why? They do not know
    Suffered wounds test there their pride
    Men of five, still alive through the raging glow
    Gone insane from the pain that they surely know

    For whom the bell tolls
    Time marches on
    For whom the bell tolls

    Take a look to the sky just before you die
    It is the last time you will
    Blackened roar massive roar fills the crumbling sky
    Shattered goal fills his soul with a ruthless cry
    Stranger now, are his eyes, to this mystery
    He hears the silence so loud
    Crack of dawn, all is gone except the will to be
    Now the will see what will be, blinded eyes to see

    For whom the bell tolls
    Time marches on
    For whom the bell tolls


    SIR ALEX MOLOKO DROOGIES

    RépondreSupprimer
  2. Sir Alex Moloko Droogies, encore une fois vous êtes hors sujet !
    Et, tant qu'à faire, à votre chanson je préfère l'épigraphe empruntée à John Donne :

    "No man is an Iland, intire of it selfe, every man is a peece of the Continent, a part of the maine (...), any mans death diminishes me because I am involved in Mankinde; And therefore never send to know for whom the bell tolls; It tolls for thee."

    RépondreSupprimer
  3. once again??

    SIR ALEX MOLOKO DROOGIES

    RépondreSupprimer
  4. Avec le mazzeru, pas besoin de glas : on sait à l'avance pour qui il sonnerait. Donc Sir Alex est dans le sujet, d'une certaine façon.

    La figure du mazzeru est intéressante surtout au niveau du symbole, de la mémoire humaine, car elle nous relie à des temps très anciens. Certes, notre rationnalisme moderne nous fait dire : "foutaises"... Mais le symbole est riche de trouvailles à faire sur l'esprit humain, sur la vision du monde, de la vie et de la mort, sur les rapports du rêve à la réalité (le rêve peut être prémonitoire tout simplement parce que nous avons enregistré des signes, des données, des faits, inconsciemment, et que le rêve les restitue), il n'est pas étonnant qu'on en trouve une exploitation littéraire. Mais j'aurais eu envie de voir un autre traitement, avec plus de distance, ce qui n'interdit pas de laisser sa part au mystère et à l'enchantement, à l'imaginaire associé à cette figure.
    Peut-être que d'avoir choisi le "je" empêchait un peu cette distance....?

    RépondreSupprimer
  5. Sorry, sir Alex, mais tous les British semblent tenir le même discours sur ce site !
    L'air de Brighton, sans doute ?

    RépondreSupprimer
  6. Hello Mr Frogucci ,
    Can you tell me where Alex have drink Moloko??
    I know that you like question the guests.
    Let us invert roles

    RépondreSupprimer
  7. Anonyme 17:45,
    j'avoue ne pas trop savoir pourquoi je publie votre commentaire... où est le rapport avec la littérature corse ?
    Peut-être est parce que les films de Stanley Kubrick sont une référence importante pour notre seul cinéaste de fiction en activité régulière, Gérard Guerrieri ?
    Car cela me revient maintenant : ces histoires de Moloko, ce n'est pas dans "Orange mécanique" ? (Et donc dans le roman de Burgess aussi peut-être, que je ne connais pas). Allez je vais sur Internet (j'ouvre un nouvel onglet) et je vérifie, solution dans la prochaine phrase. Ça y est ! Eh oui, c'est bien cela...

    Alors ? Je vous retourne la question, bien sûr !

    RépondreSupprimer
  8. Burgess yes!

    Ha indeed on you see only fucking Murtoriu

    RépondreSupprimer