mercredi 30 juin 2010

Pierre Bacchelli et Salvatore Satta

Reçu ce message foisonnant et (je trouve) magnifique de la part de Pierre Bacchelli évoquant la figure et l'oeuvre de l'écrivain sarde Salvatore Satta.

Je me permets de le placer dans un billet. Qui a lu Satta ? (Je sais que Marie-Jean Vinciguerra y fait souvent référence.) Je n'ai pas lu "Le jour du jugement" (encore un incontournable contourné ! Il est disponible en Folio, il me semble).

Merci beaucoup à Monsieur Bacchelli !

Bonjour,
vous avez souvent dit que votre blog était un lieu d'échange, entre autre, pour des lecteurs de cultures proches d'une façon ou d'une autre avec la nôtre, capables de susciter une émotion, plus même une émotion enceinte d'une autre émotion, perpétuellement enceinte.
Je profite de votre billet sur nos amis Sardes pour me laisser aller.
Moi qui aurais voulu simplement que mon blog comme ma poésie, avec une sorte de naïveté hâtive, soit simplement un terminal d'où les gens arrivent et repartent comme des voyageurs qui perdent ou échangent volontairement ou non leurs bagages. Oui je vais me laisser aller à vous parler de ma rencontre avec Salvatore SATTA et de son unique livre : "Le jour du jugement" publié chez NRF dans les années 80.
Je me rappelle l'avoir découvert en 1985 au milieu d'un mois d'avril neigeux où la mer de la promenade des Anglais fumait. Je me souviens des la première lecture avoir voulu alors traduire en corse certains passages comme si je voulais abîmer mon émotion sarde en corse, tellement certains de ces passages attenant au café Tettamanzi m'avaient étranglé d'un plaisir cruel.
Mais Salvatore SATTA n'avait pas écrit en sarde, mais en italien de la plus pure académie. Oh ! combien j'aurais voulu alors le traduire de l'italien en sarde et du sarde en corse (j'ai essayé mais je ne suis arrivé qu'à un mélange de corse de Bonifacio et un italien Génois de chroniqueur du XIIIème siècle, grand moment de solitude) tant je voulais aller plus loin que l'écrivain lui-même dans ces propres pas, tant cette écriture en retrait, toute feutrée d'absence et de non-dit, d'absence féline et suave qui sait ô combien susciter le concis douloureux de cette terre aride, dessiner les contours d'une lucidité aigüe de Nuoro où une vigne de pierre jaillit comme une lanterne, où les pas, les gestes les rires, les colères et les deuils des morts en offrande aux vivants sont autant de blessures nettes et abruptes de nos villages corses. Autant de contours imprécis et ajustés, étrangers et familiers qui sont les contours de mes contours faisant de mon silence une ruine aménagée et de ma parole un moulin à sable.
Combien cette écriture me rapprochait et m'éloignait (comme la douleur d'une sciatique du mouvement) de mes propres sentiers, de mes propres poussières, cheminant vers ce culte de la parole de l'église au café, du café à la place, de la place à l'église et de l'église au cimetière entre la partie de cartes et le verre à moitié vide où le temps soigne vainement la lombalgie des jours.
A ce moment, que mes racines sont profondes jusque sous la souche primitive de la ronce, jusque dans la moelle de la pierre qui régénère les vieux assis !
Ah ! que je parle mal de mon Salvatore SATTA - Lisez le, si l'édition n'est pas épuisée - il méritait bien mieux que moi, cet écrivain juriste qui a essayé de faire correspondre entre elles les architectures de la tombe et de la maison, architectures de deux siècles déchirés entre le Piémont et la Toscane, architectures du silence et du mot entre le mime et le masque.
Et dire que je fais ce billet en écoutant sur FranceÔ l'échange musical entre VoceVentu et Mieko Myasaki. Corse et Japon. Echange conclu par la sortie d'un album commun. Il n'y a pas de mot pour célébrer cette "force collaborative".
J'ai été long, aussi long que le chemin de notre identité qui passe par la rencontre de l'identité de l'autre. Mais je suis content et cela fait du bien lorsque l'émotion vous garrotte. Je ne me fais cependant aucune illusion sur l'audience de mon oecuménisme îlien, et pourtant, si vous saviez, et pourtant.
Merci à bientôt.

9 commentaires:

  1. Pierre Bacchelli, c'est indigne de votre part de nous mettre l'eau à la bouche comme ça ! Et en plus un texte écrit en italien ( che piacere ! ).

    Je n'aime pas rester sur une frustration et il ne m'a pas fallu plus de quelques minutes pour trouver ce bel extrait sur Google ...
    (dans une longue analyse de J. Goudet , intitulée "Ethnies et destins. Spécificité de Il giorno del giudizio de Salvatore Satta" que vous pourrez lire ici : http://italies.revues.org/1679 )

    pp. 291-292.

    Riprendo, dopo molti mesi, questo racconto che forse non avrei dovuto mai cominciare. Invecchio rapidamente e sento che mi preparo una triste fine, poiché non ho voluto accettare la prima condizione di una buona morte, che è l’oblio. Forse non erano Don Sebastiano, Donna Vincenza, Gonaria, Pedduzza, Giggia, Baliodda, Dirripezza, tutti gli altri che mi hanno scongiurato di liberarli dalla loro vita : sono io che li ho evocati per liberarmi dalla mia senza misurare il rischio al quale mi esponevo, di rendermi eterno. Oggi, poi, di là dai vetri di questa stanza remota dove io mi sono rifugiato, nevica : una neve leggera che si posa sulle vie e sugli alberi come il tempo sopra di noi. Fra breve, tutto sarà uguale. Nel cimitero di Nuoro non si distinguerà il vecchio dal nuovo : “essi” avranno un’effimera pace sotto il manto bianco. Sono stato una volta piccolo anch’io, e il ricordo mi assale di quando seguivo il turbinare dei fiocchi col naso schiacciato contro la finestra. C’erano tutti allora, nella stanza ravvivata dal caminetto, ed eravam felici poiché non ci conoscevamo. Per conoscersi bisogna svolgere la propria vita fino in fondo, fino al momento in cui si cala nella fossa. E anche allora bisogna che ci sia uno che ti raccolga, ti risusciti, ti racconti a te stesso e agli altri come in un giudizio. È quello che ho fatto io in questi anni, che vorrei non aver fatto e continuerò a fare perché ormai non si tratta dell’altrui destino ma del mio.

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  2. Je ne m'attendais pas à l'ampleur que vous avez donné à ma communication sur Salvatore SATTA.
    Je vous remercie F.X.Renucci de ce vieux bonheur,simple et bon que vous me donnez en me permettant quelques fenêtres pour exprimer ces rares émotions qui vont jusquà la cassure tant elles sont insoutenables si elles ne sont pas partagées,divisées même,oui divisées dans l'autre avec tout ce que cela comprend de franc conflit.Encore une fois merci.
    Juste un mot pour Melle Caminade que je remercie pour son commentaire et surtout pour sa citation de J. Goudet.Citation très à propos.
    Ne soyez pas frustrée Melle Caminade por vous avoir mis l'eau à la bouche.Je suis moi même chaque fois noyé,noyé volontaire,et chaque fois je retourne me noyer la bouche avec toute l'eau de mer ou de rivière que je trouve,et chaque fois j'attends,fébrile,la prochaine asphyxie.
    J'ai été sur votre blog.J'apprécie vos coups de pelle et de pioche dans les mines des livres pour en extraire quelques ors de la poussière à la pépite.
    Je vous dis à bientôt,pour l'instant il y a quelques poètesses grecques qui me pourchassent,en tête Athina Papadaki.
    Merci

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  3. J'ai lu le roman de Satta il y a longtemps et pour moi, c'est un chef d'oeuvre, ni plus ni moins. Il faut absolument que je le retrouve dans la bibliothèque du village aux étagères surchargées...Promis (pour le mois d'août)

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  4. Et moi je profiterai d'un mois d'août en Italie pour partir à la recherche de la version italienne !

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  5. Pierre Bacchelli est effectivement un indigne notoire, multi récidiviste et fier de l'être...Cela je le savais et je trouvais que cela faisait aussi partie de son charme mais que vous Emmanuelle, que j'imaginais chimiquement pure,succombiez à ce personnage au point d'en avoir l'eau à la bouche me désespère complètement.

    Quand donc mon cher Pierrot finiras-tu d'affoler ces dames en utilisant la littérature comme prétexte ?

    Norbert

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  6. @Norbert

    Ainsi vous me réduisiez à une seule molécule tant la constance et la reproductibilité de mes interventions me rendent prévisible...
    Alors je vous laisse à votre désespoir - bien mérité !

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  7. Juste deux mots pour le commentaire de mon vieil ami:
    Cher Norbert,
    Je ne savais pas que parmi toutes les considérations que tu as pour moi figurait aussi celle de me considérer comme une sorte de satyre chimiste,sortant de sa besace un gros microscope à triple lentille littéraire pour chasser "la molécule".Sauf à jouer un Henri Pichette désabusé, je ne ferai aucun commentaire. Je trouve,ma foi,malgré notre vieille enfance littéraire que Melle Caminade a bien raison de te laisser désespérer.
    Amitiés,à bientôt.

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  8. Emmanuelle, même les molécules sont soumises au principe d'incertitude. C'est ce qui les rend proche de nous et si sympathiques: elles peuvent hésiter, se reprendre, se tromper, elles peuvent certainement aimer et détester alors vous voyez bien que je ne vous réduis en rien car, de toute manière je vous sais irréductible et c'est aussi pour cela que je vous apprécie. Quant à toi Pierrot, je pense que ce n'est pas un hasard si si tu as évoqué Sattanique Satta. j'ai appris de Hegel que le hasard est "la forme sous laquelle la nécessité se dissimule" et en plus satané Pierrot tu ne te dissimules même pas ! Emmanuelle, méfiez vous de cet énergumène c'est un véritable crétois!

    Norbert @

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  9. Propos d'un crétois éxilé après le pillage des temples:
    Alors mon vieux Norbert tu t'amuses en te réfugiant dans l'arrière-pays hégélien de ta culture.Brave Hégel qui essayait de désarçonner un protestantisme boîteux.Dissimuler!et pourquoi donc?
    "Le contenu du discours de l'esprit à partir de soi et sur soi-même est donc le renversement de tous les concepts et de toutes les réalités,la tromperie générale de soi-même et des autres ..... " disait aussi ce grand homme ,je te laisse continuer.
    Dans le jeu des contraires et si c'était la nécéssité qui était la forme sous laquelle se dissimule le hasard,tout le Hasard ?
    A bientôt mon ami ,mais j'espère sur d'autres sujets,celui-ci me paraît bien long.
    Merci amitiès.

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