samedi 19 septembre 2009

Un récit de lecture : Emmanuelle Caminade et Marcu Biancarelli

Avec grand plaisir, voici un double propos d'Emmanuelle Caminade, grande lectrice de Jérôme Ferrari qui vient de commencer à lire les ouvrages de Marcu Biancarelli.

1. Premiers propos, assez critiques et nuancés, sur "Prighjuneri/Prisonnier" :

J'ai publié sur mon blog une critique de "51 Pegasi".
C'est un livre qui m'a beaucoup plu, contrairement à "Prisonnier".
Car, mise à part la nouvelle éponyme, de loin la meilleure, la qualité littéraire de ce recueil ne me semble pas manifeste.
Et, si j'ai ri - d'un rire «potache» un peu facilement obtenu - aux premières nouvelles, j'ai commencé à m'ennuyer à la huitième ("Noirs et rouges" : un texte plutôt laborieux ) et ai eu beaucoup de mal à terminer le recueil.
Les dernières nouvelles, répétitives à mon sens, me semblent manquer d'imagination et de rythme, même "Un camp là-bas", celle qui traite des nationalistes comme des Pieds nickelés, à la manière des frères Coen.
Peut-être est-ce dû à un effet de saturation, compréhensible pour qui n'a pas été impliqué dans le contexte local de l'époque (que J. Ferrari m'a un peu expliqué).
C'est pourquoi je ne comprends pas bien votre idée de présenter cet ouvrage lors du Club de lecture pour faire connaître Marcu Biancarelli (heureusement qu'il est épuisé !).
Faire connaître "51 Pegasi" m'aurait semblé plus judicieux.
J'ai commandé "Extrême Méridien".
Par ailleurs, je serais curieuse de connaître la poésie de Marcu Biancarelli.
Existe-t-il des éditions bilingues ? (La comparaison de "Le conteur", la troisième nouvelle de "Prisonnier", d'un style très différent, au texte en langue originale, m'a bien convaincue qu'une traduction ne pouvait pas rendre toute la musicalité d'une langue...)


2. Seconds propos, très élogieux, accompagnés de deux longs extraits, à propos de "51 Pegasi", donc : voir sur le blog d'Emmanuelle Caminade, "L'or des livres".

Personnellement, je tiens, vous le savez, à ce que tous les avis se fassent jour, se disent courtoisement et ne heurtent pas inutilement les sensibilités des auteurs ou des lecteurs. Je trouve que les avis d'Emmanuelle Caminade sont très intéressants et nuancés, parce que sincères et précisément "situés" (ancrés dans une subjectivité assumée). Et vous n'êtes peut-être pas d'accord avec ceux-ci : parlons-en !

Un point d'explication : il est fait allusion à un Club de lecture, c'est celui que l'Amicale corse d'Aix organise le jeudi 22 octobre 2009. Le premier numéro est consacré (ne dites pas, "encore !", les prochains porteront sur d'autres auteurs, vous pouvez faire des suggestions d'ailleurs) à deux livres de Jérôme Ferrari et Marcu Biancarelli... en partenariat avec la librairie internationale "All books and co" : voir ici pour la preuve ! L'idée est d'engager le plus de lecteurs ayant lu (préférentiellement) ou non les ouvrages en question à prendre la parole pour donner leur point de vue, amicalement, et lire des extraits des oeuvres ! (Nous avons pris modèle sur les clubs de lecture suédois, espagnol et italien qui existent déjà à "All books and co" ; un grand merci à l'équipe dynamique et curieuse de tout de cette librairie !)

10 commentaires:

  1. Bravo Emmanuelle pour votre sincérité complète et la pénétration de votre regard : magistrale, votre lecture de "Pegasi", j'y adhère totalement!

    Celui qui ne lirait que le recueil "Prighjuneri" n'aurait pas une idée juste du talent bouillonnant, de l'énergie vitale présente dans l'oeuvre de Marcu Biancarelli. C'était son premier recueil de nouvelles et il est vrai qu'il était inégal. Moi aussi ma nouvelle préférée est précisément "Prighjuneri". Deux ou trois autres m'avaient vraiment plu aussi. Ce recueil vaut plus pour ce qu'il a apporté de fondamentalement nouveau dans le style et les thèmes de la littérature corse, ou de provocant dans un contexte sociétal et politique lourd , que par la qualité intrinsèque de l'ensemble des nouvelles. De là à s'ennuyer, non, j'ai pu être agacée, mal à l'aise, mais je ne me suis jamais ennuyée; il est vrai que je ne le lis qu'en langue corse et je me demande s'il n'y a pas là finalement une différence de taille...

    Pour la poésie, c'est un Maître : à lire "Parechji dimonia" absolument (mais le trouve-t-on encore?), aller sur son Blog et sur son forum ...

    De toute façon cet auteur de livre en livre ne cesse de filer vers les hauteurs, il faut lire aussi "Saint-Jean à Patmos" , "Extrême méridien" et à mon avis "Murtoriu" (pour l'instant disponible seulement en langue corse), peut-être moins provocant que "Pegasi", tout aussi désespéré mais plein d'humanité, au style très varié également, chargé de sens et de profondeur historique, est son chef d'oeuvre (provisoirement, en attendant le suivant...-)).

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  2. Il faut absolument que je relise la première nouvelle de ce recueil, je me souviens encore de l'enthousiasme qui m'avait saisi lors de la scène du "bonjour" dans la rue, le narrateur, ayant à croiser une connaissance, se demande intérieurement s'il doit lui dire "bonjour" ou pas, qui sera le ridicule de l'affaire, qui en veut à qui, qui cherche à dominer l'autre, c'était hilarant.

    N'ayant pas encore lu "Murtoriu", c'est "51 Pegasi", pour moi, qui est son meilleur livre, celui dont la diversité et la richesse me semblent fructueuses à chaque lecture pour l'imaginaire corse contemporain. C'est confirmé par la mise en scène de quelques passages de ce roman au théâtre (par Jean-Pierre Lanfranchi et avec l'acteur Christian Ruspini). Il faudrait avoir les prochaines dates de représentation de cette pièce (en Corse et sur le continent).

    Quant à "Parichji dimonia", rien n'indique sur le site d'Albiana qu'il est épuisé, on peut donc le commander sur Internet. Signalons aussi qu'il contient des photos d'Anna de Tavera.
    Mais je ne sais pas s'il est question d'une version française prochainement.

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  3. Je peux lire un poème en corse en en comprenant l'essentiel : j'ai pu le tester avec "Anniversariu" de Petru Santu Leca.
    Mais je prononce à l'italienne !
    Je ne sais s'il faut prononcer ou non toutes les voyelles finales,et puis il y a les "trinaires" que je n'ai pas encore assimilées...

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  4. oui, il faut prononcer toutes les voyelles, finales ou pas. Mais l'accent tonique n'est pas le même qu'en italien: en corse, la voix "tombe" plus après l'accent et donc la finale est moins "entendue" qu'en italien... CAMÌNOOO, CAMINÀTAAA(ital) CAMÌnu, CAMINÀta (cor)

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  5. Pour éclairer Emmanuelle, je dirais que les écrits de Marc Biancarelli, m'ont fait l'effet d'une gifle ! Nous étions quelques uns à attendre un nouveau souffle et celui-ci nous est apparu avec "U Prighjuneri". Pourquoi ? Parce qu'il a osé un langage original, il a osé traiter de thèmes considérés comme tabous , et quelque part il nous a jeté sur la table la Corse telle qu'elle était et non telle que nous la rêvions.
    Marc Biancarelli est un démolisseur et pour le reprendre le titre d'un ouvrage de François Châtelet, nous avons besoin de passer par "les Années de démolition" afin de pouvoir partir sur des bases renouvelées. Mais, me direz-vous, l'innovation n'est pas le critère d'excellence de l'(oeuvre littéraire ou artistique. Vous avez raison, elle n'est pas le critère d'excellence car ce critère est, à ce jour, insaisissable mais il se pourrait qu'elle puisse constituer l'un des critères.Et ce n'est déjà pas si mal...
    Dans l'un de ses textes poétiques, Marc Biancarelli écrit (je traduis directement):

    "Donnez moi un Etat comme comme drogue
    Que je sois sous sa dépendance
    Jusqu'à le détester
    Jusqu'à vomir de moi-même"

    Parichji dimonia, p 112

    Dans ce court extrait, il expose sans ambiguïté, une thèse originale dans le contexte insulaire (qui peut être rapprochée de celle de Richard Marienstras dans "Etre un peuple en Diaspora") et qui peut se résumer en la méfiance des appareils étatiques pour assurer la sauvegarde et l'illustration des cultures originelles. Il faudrait chercher longtemps dans le corpus de la production insulaire une thèse approchante...

    Voici, très rapidemnt ce que je souhaitait vous dire. Vous l'avez compris, cet auteur a tote ma sympathie car il fait partie de ceux qui sont du "bond" et non du "festin". J'ai spontanément de l' admiration our les premiers et plutôt de l'indifférence pour les seconds.

    Norbert Paganelli

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  6. pour la prononciation du corse, si vous laissez votre adresse à FXR, Emmanuelle,je vous enverrai un CD de poésies retenues pour le "printemps des poètes" 2007 : vous aurez ainsi l'écrit et l'oral en même temps. Les textes sont lus par des acteurs et en prime vous entendrez plusieurs variantes: Corse du Sud et Haute Corse.

    O FXR, mi trasmetterai l'indirizzu?

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  7. Francesca,
    eccu u mo indirizzu : 7 rue Paul Muselli - 13090 Aix-en-Provence.

    M'interessa ancu eiu issu dischettu : manda mi lu avà è cusì l'asculteraghju nanzu di dà lu à Emmanuelle.

    Je me souviens que j'ai le disque enregistré en Allemagne : "Canzone di prighjuneri corsi" (è torna u "prighjuneru" !) édité par Cismonte è Pumonti je ne saurais dire en quelle année (années 80 ? années 90), à partir "d'archivii sunori di u lautarchiv di Berlin-Est (R.D.A.) chì avia un esemplariu di rotuli di cera di l'archivii di l'autorità militari alemani di l'epuca di a Guerra 14-18". Mais c'est vrai que ce n'est pas aussi mélodieux qu'aujourd'hui et puis je ne comprends pas tout !

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  8. ok ci ne serà unu ancu per tè o FXR 'spergu chì mi ne fermi abbastanza)

    Dammi quantunque l'indirizzu di Emmanuelle

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  9. Scusa mi, ma ùn l'aghju micca u so indirizzu. Ma possu dà lu u so esemplariu quandu a scuntreraghju u 22 di ottobre in Ecchisi.
    O allora ci vole à dumandà lu nant'à u so blog : L'or des livres.
    Grazie !

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  10. En écho au commentaire de Norbert Paganelli,

    je fais moi aussi partie de ceux qui espéraient "un nouveau souffle" dans la littérature corse.

    La lucidité, la cruauté, la crudité des propos tenus par les personnages de Biancarelli dans "Prighjuneri", disant ouvertement le ras-le-bol, étaient libérateurs. Je peux trouver cependant qu'il y a quelques facilités (le "rire potache" dont parle Emmanuelle Camindae) mais je trouve qu'elles font partie d'un tout, d'un style, qui a sa cohérence, qui est "hirsute".

    C'est la même chose avec "Variétés de la mort" de Jérôme Ferrari, j'ai beaucoup ri et pourtant ce n'est peut-être pas son meilleur livre (encore que je connaisse un lecteur qui le pense !).

    Mais je voulais dire deux choses à ce sujet, non pas pour clore le débat, loin de là, mais pour expliquer une façon singulière de lire (qui n'est pas forcément unique) :

    - j'attends avec force des livres corses qui soient des réussites littéraires, de vrais bons livres de littérature ; mais tous les défauts littéraire d'un livre corse me semblent véniels s'il a une puissance d'imaginaire, une force d'intrusion dans nos schémas mentaux

    - il me semble que les "souffles nouveaux" sont plus nombreux qu'on le pense dans la littérature corse. Ils ont chacun leur singularité, certainement. Mais je me demande s'il n'y a pas toute une lignée de livres qui comme ceux de M.Biancarelli et J.Ferrari "travaillent" à la fois la littérature en général et la matière corse en particulier. Par exemple (et cette liste est partielle et subjective) : les livres de Ghjacumu Thiers, d'Angelo Rinaldi, de Sebastianu Dalzeto, de Salvatore Viale, de Giuseppe Ottaviano Nobili-Savelli, etc. (mais il faudrait remonter aux chroniqueurs historiques du Moyen-Âge).

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