vendredi 3 avril 2009

Lire un entretien, le relire, et le donner à lire

Vous direz peut-être que les deux derniers billets ne concernent guère directement la littérature corse...

Certes, mais ce blog, vous l'avez compris, aime traverser les supposées frontières de cette littérature (ou de toute littérature d'ailleurs). Donc si Virginia Woolf s'adresse à des écolières anglaises en 1926 et si Edouard Glissant raconte les pérégrinations de personnages martiniquais dans le monde entier, eh bien, il doit bien y avoir une raison valable pour que cela concerne la littérature corse aussi ! Et faites-moi confiance pour trouver cette raison, même si c'est au prix de la "vérité la plus scientifique" !

Partons de cette idée assez rebattue mais juste selon moi : une littérature est l'ensemble de ce qui se relit, de ce qui est effectivement relu. Comme dit l'autre, "einmal ist keinmal" ("une fois, c'est jamais").

Il faut y revenir.

Je reviens donc ce soir vers un entretien avec un auteur corse que l'on trouve sur Internet.

Un petit jeu : je vais donner ici des phrases de cet entretien (ce sont des phrases qui me touchent, me plaisent, me font réfléchir) et si vous n'avez pas reconnu l'auteur en question, vous pourrez cliquer sur le lien internet qui vous conduira à l'intégralité de l'entretien (et vous relirez alors, forcément, les phrases que j'avais citées !) :

Enfin est-ce que je vois mon pays avec souffrance ? Oui, sans doute, mais bizarrement je ne crois pas écrire pour simplement exprimer ma souffrance. Mais plutôt pour m’interroger sur le monde et interpeller le lecteur, non pas sur ses tares ou ses déviances, mais sur la recherche d’une vérité que tous nous partageons, et une vérité qui n’est pas que Corse.

La littérature c’est tout sauf le refuge des bons sentiments, ou des discours moralisateurs. Si j’écris une nouvelle sur le racisme – c’est le cas ici – il ne sert à rien d’écrire que le racisme ça n’est pas bien. Mais il faut illustrer le propos, et montrer ce qu’est le racisme, sous différentes formes qui toucheront, blesseront, feront mal, interrogeront, et donc peut-être feront aussi réfléchir.

Je me suis toujours considéré comme étant de chez moi et appartenant aux miens. Mais il n’y a pas de complaisence dans ce que j’écris. Parce que justement je suis de chez moi et je m’adresse aux miens, de l’intérieur; et avec leur langue et leur sensiblilité.

Mais mon souci premier c’est la littérature corse, qui s’imbrique bien sûr dans des notions plus vastes. Je n’ai aucun problème avec cette notion de littérature corse, ni avec des notions identitaires qui font frémir ailleurs mais qui moi me conviennent tout à fait.

La violence nous est devenue insupportable parce que nous ne la comprenons ni ne la maîtrisons plus. Il faut être honnête : la violence de notre révolte des années 70 n’était pas un grand traumatisme pour nous, parce que son caractère politique et désintéressé ne faisait pas de doute. Trente ans plus tard cette même violence nous est insupportable, parce que les dérives et les mélanges des genres font que plus personne ne comprend rien à rien. Et puis elle se combine avec une violence sociale qui nous effrait, parce qu’elle nous renvoie l’image de notre délabrement sociétal, économique, culturel, et que dans le même temps nous ne sommes plus des paysans, nous nous embourgeoisons, nous nous individualisons, et nous ne sommes plus prêts à comprendre cette expression d’un suicide collectif.

Mon inquiétude était de voir comment aujourd’hui des classes de nantis, au nom de l’économie touristique, au nom du privilège accordé par l’argent, étaient en train d’éradiquer plus sûrement que ne l’aurait fait une armée napoléonienne, ou une horde de hussards noirs de l’école publique, tout accès à la propriété pour les plus pauvres, tout lien social entre des catégories de gens de plus en plus paupérisées, marginalisées, broyées.

Même si je crois qu’il est plus intelligent aujourd’hui de s’opposer par la culture et l’élévation sociale, en utilisant le système même qui nous oppresse, qu’avec des attentats suicidaires qui nous marginalisent et nous déservent plus qu’autre chose.

Je crois que mes histoires parlent de la Corse – et sans doute aussi d’autres sociétés en Europe ou ailleurs – à un moment où les peuples se retrouvent atomisés par le consummmérisme, la toute puissance du libéralisme, la télé-réalité, la dictature de nantis élus pourtant au suffrage universel, l’insécurité économique aussi, le chomage. Je suis héritier d’un monde plus ancien qui était abreuvé, certes de violences, mais également d’une perception de l’humain incomparable avec ce qui existe aujourd’hui dans un monde destructuré, perdu, sans espoir, écrasé par la toute puissance des minorités dominantes qui n’ont de légitime que leurs fortunes et leurs armées, fussent-elles civiles ou “républicaines”.

Le plus grand génie littéraire laissera toujours une part d’ombre, un mystère dans son approche ou son analyse des sociétés humaines. Tant mieux d’ailleurs, parce que la littérature ça n’est pas la politique, et ça doit rester plus halluciné et fascinant que la politique.

Je crois par exemple qu’il est difficile pour la “société civile” d’exister réellement au-delà des schémas dominateurs. Les gens qui aujourd’hui en Corse me semblent les plus libres, les plus porteurs d’espoir, sont souvent des artistes. Des écrivains ou des chanteurs, des poètes. Tous n’ont pas forcément la conscience aigüe d’exprimer la voix d’une société civile libre, mais c’est pourtant ce qu’ils font. Avec le peu d’impact réel qu’ont les artistes en général.

Je suis un peu mystique à mes heures, et je crois que quelque chose est enterré au fond de nous, une puissance insoupçonnée, une force immaîtrisable, un besoin de vie au dessus de tout. Tout peut s’éteindre, mais tout peut se déchaîner.

J’écris donc les livres des miens, les livres que j’aurais voulu lire plus jeune. Comme un Sioux alcoolique écrirait sur sa réserve. Et je sais qu’il y a des lecteurs qui s’y reconnaissent.

L'intégralité de l'entretien se trouve ici ; il est beaucoup plus long et c'est une bénédiction de pouvoir trouver d'aussi longs entretiens avec des auteurs corses (cela me paraît presque impossible ailleurs que sur Internet, non ?).

(De telles phrases sont d'une extrême importance pour moi, parce qu'elles enracinent la littérature corse que j'aime et désire dans un acte personnel d'une sincérité totale tout autant que dans le désir d'assumer pleinement tous les enjeux de la littérature ; je n'aime pas particulièrement les manifestes mais lorsque j'ai lu la première fois cet entretien, j'ai eu le sentiment de trouver là une mise au point dense et forte que j'attendais : et vous ?)

Avis aux lecteurs de ce billet : que vous ayez ou non trouvé le nom de l'auteur ; que vous l'appréciez ou non ; et si vous avez lu cet entretien ou un ouvrage de celui-ci, n'hésitez pas à raconter ici comment vous avez été enthousiasmé (ou pas !) par telle ou telle page...

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