dimanche 26 avril 2009

Une nouvelle saison avec Malcolm Lowry et Léon Tolstoï

Tout va trop vite sur le Web, les lieux numériques sont des accélérateurs... déjà la saison 2 de ce blog ! Mais un imaginaire vivant devrait être vif et vivace... (ma chì và pianu và sanu, a sò !)

Un peu d'anglais (1947) pour recommencer nos pérégrinations :

"Then it was poor little defenceless Montenegro. Poor little defenceless Serbia. Or back a little further still, Hugh, to your Shelley's, when it was poor little defenceless Greece - Cervantes ! - As it will be again, of course. Or to Boswell's - poor little defenceless Corsica ! Shades of Paoli and Monboddo. Applesquires and fairies strong for freedom. As always. And Rousseau - not douanier - knew he was talking nonsense -"
"I should like to know what the bloody hell it is you imagine you're talking !"

avec sa traduction (plus la suite) en français par Jacques Darras (1987) :

"Et puis ça été le tour du pauvre petit Monténégro sans défense. De la pauvre petite Serbie sans défense. Ou bien, si l'on remonte un peu en arrière, au temps de ton cher Shelley, de la pauvre petite Grèce sans défense - Cervantès ! - Et cela recommencera, bien entendu. Remonte à Boswell - pauvre petite Corse sans défense ! Mânes de Paoli et de Monbodo. Hobereaux miteux et bonnes fées, on est plutôt fort côté liberté ! C'est toujours la même musique. Et Rousseau - pas le douanier - savait parfaitement qu'il disait des conneries -"
"Et moi je serais curieux de savoir si tu es conscient des tiennes de conneries !"
"Est-ce qu'on ne pourrait pas enfin foutre la paix aux gens ?"
"Et commencer par s'expliquer clairement soi-même !"
"D'accord, ce n'est pas ce que je voulais dire. La rationalisation collective des motifs, voilà la malhonnêteté ! La justification du petit désir pathologique banal, de la volonté de se mêler de tout, qui une fois sur deux n'est qu'une passion de la fatalité. La curiosité. L'expérience - rien de plus naturel !... Mais au fond rien de constructif non plus ! Une résignation, une soumission grotesque à la mesquinerie des choses, qui permet à chacun de se sentir flatteusement anobli ou justifié !"
"Mais comprendras-tu enfin que c'est précisément contre cet état de choses que des gens comme les loyalistes -"
"Oui, mais pour aboutir à quelle catastrophe ! D'ailleurs il ne peut pas ne pas y avoir de catastrophes sinon les mêle-tout en question seraient obligés de rentrer chez eux s'occuper de leurs propres responsabilités. Quel changement ! -"
"Attends un peu qu'éclate une vraie guerre et tu verras les sanguinaires que vous êtes, les types dans ton genre !"
"On serait bien avancés ! Non, vous autres qui parlez d'aller vous battre en Espagne pour la liberté - Cervantès ! - vous feriez bien d'apprendre par coeur ce que Tolstoï dit sur le sujet dans Guerre et Paix, le passage de la conversation avec les volontaires dans le train -"
"Oui mais ça c'était en -"
"Tu vois ce que je veux dire, quand le premier volontaire a la conviction de s'être conduit en héros alors qu'il se trouve que c'est tout simplement un pauvre type que l'alcool fait se vanter - pourquoi ris-tu, Hugh ?"
"Je trouve ça drôle."
"Le second est un type qui a tout essayé et tout raté. Quant au troisième -" Yvonne rentra à l'improviste et le Consul qui n'avait cessé de crier baissa d'un ton, "l'artilleur, il est au premier abord le seul à faire bonne impression. Or à la fin qu'apprend-on ? Qu'il a raté tous ses examens à l'école militaire ! Un ramassis de bons à rien, de lâches, de ratés, de gugusses, de loups inoffensifs, de parasites, tous autant qu'ils sont, de gens paralysés par leurs propres responsabilités, l'enjeu des combats, prêts à filer n'importe où comme l'a bien décrit Tolstoï -"

J'ai lu avec passion, je relis par petits bouts (certaines attaques de chapitre sont fabuleuses ; chapitre 7 : "Au bord de l'univers ivre tournoyant sur lui-même et fonçant comme un fou dans la direction du Vautour-Lyre d'Hercule à 1 h 20 de l'après-midi cette maison n'étais pas à sa place, se disait le Consul -" et dans l'anglais de Malcolm Lowry : "On the side of the drunken madly revolving world hurtling at 1:20 P.M. toward Hercules' Butterfly the house seemed a bad idea, the Consul thought"), je relis donc régulièrement le très fameux "Under the Volcano" ("Au-dessous du volcan" pour la première traduction en Folio et "Sous le volcan" pour celle de Jacques Darras, par ailleurs poète et traducteur de Ezra Pound, William Shakespeare et Walt Whitman).

La première fois que j'ai lu ces mots sur la Corse et Paoli dans la bouche du Consul (qui, le 1er novembre 1938, discute et se dispute dans l'extrait ci-dessus avec Hugh, tout en appelant le tenancier - Cervantès - régulièrement pour avoir à boire (tandis qu'Yvonne, sortie quelques instants auparavant, revient à leur table), j'ai ressenti un certain trouble : nous aimerions tellement que les livres que nous aimons disent du bien des personnages historiques que nous chérissons ! Et ici l'attaque est assez dure, même si je ne suis pas sûr (et vous ?) que "applesquire" signifie "hobereau miteux". En tout cas ce billet peut faire utilement contrepoids aux précédents billets évoquant Boswell (ici et ici). Et il me semble que les réflexions conjuguées du Consul et de Hugh trouvent des échos très pertinents dans le regard (les regards) que nous portons sur ce grand moment historique du XVIIIème siècle en Corse et plus précisément sur le rôle de James Boswell (Lord Monboddo - avec deux "d" - était un Ecossais lui aussi, ami de Boswell et visiblement de Paoli ; les historiens nous en diraient plus).

Et il me plaît de voir le Consul lecteur de Tolstoï (que je n'ai pas lu, je sais, il faut que je lise "Guerre et Paix" - je m'étais essayé aux premières pages que j'avais trouvées très fortes, et qui m'avaient emballé - et "Anna Karénine" !), utilisant sa lecture comme argument, coupant la parole (et les bonnes intentions) de Hugh, exprimant sa colère, montrant que les aventures collectives les plus avouables se fondent souvent sur de très simples et très mesquines raisons individuelles... Je vois le même travail de lucidité à l'oeuvre chez Marcu Biancarelli, Jérôme Ferrari, Ghjacumu Thiers, etc... non ?

Alors, bien sûr, je n'annexerai pas "Sous le volcan" à la littérature corse... Mais personnellement je replonge avec délices dans cette oeuvre et au fond de la "barranca" qui guette le Consul et que le Consul cherche inconsciemment, je vois distinctement, entre autres, une source personnelle pour une littérature corse...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire