Ecrire, écrire, investir ce blog tous les jours, cela devient pour moi une obsession. Vous excuserez donc parfois l'intérêt moindre de certains billets qui ne doivent leur existence qu'à ce prurit d'écriture, cette démangeaison qui court sur le "grand corps primitif" littéraire corse, cette irritation des terminaisons nerveuses, signe d'un désir qui s'emballe, s'empêtre, s'étale et finit par se recroqueviller en un petit billet numérique de rien du tout.
J'aurais voulu parler de :
- Charlie Galibert, ses travaux ethnologiques et ses romans westerns
- la comparaison de trois anthologies actuelles ("Corsica Calling", "Corse noire" et "Nouvelles de Corse")
- et puis quoi encore ? j'ai oublié !
Mais je n'ai pas le temps pour l'instant. (Ce sera pour bientôt ou pour plus tard, à moins que vous ne me devanciez ? et ne racontiez ici pourquoi vous adorez "Nouvelles de Corse" alors que je suis assez déçu dans l'ensemble, par la qualité des textes réunis et par leur présentation, ou pourquoi vous êtes indifférent à "Corsica Calling" alors que c'est selon mon sentiment personnel un ouvrage enthousiasmant, presque inimaginable, qui manifeste de façon pertinente et touchante la vitalité littéraire corse).
Alors que faire ? Sinon donner la parole à la littérature corse elle-même. Et advienne que pourra...
Par exemple, ceci :
2033
La scène du crime était si vaste qu'il ne paraissait pas possible d'en déterminer le périmètre. Aussi loin que portait le regard, ce n'étaient que ruines et désolation. On eût dit que l'île tout entière avait subi les effets du cataclysme. La mer elle-même s'était transformée. Elle avait l'apparence d'un grand lac sombre qu'aucun souffle de vent ne froissait.
L'air était étrangement immobile. Il régnait un silence de mort.
Toutes les communications avaient été interrompues. Il n'y avait plus aucune nouvelle du monde.
Ce sont les toutes premières lignes d'un "polar" qui est bien plus qu'un polar, intitulé "Nimu", écrit par Jean-Pierre Santini (voyez le site de sa maison d'édition, Fior di Carta et ici un article intéressant sur l'auteur), publié chez Albiana en 2006.
Un polar corse de 400 pages, voilà qui est déjà surprenant et propre à attirer le regard et la main de l'acheteur futur lecteur.
Mais la première fois que j'ai lu la première ligne, j'ai souri, parce que je venais de trouver là un de ces objets paradoxaux que sont les phrases littéraires : simples mots associés les uns aux autres et en même temps abîmes imaginaires et réels vertigineux dans lesquels "mon esprit, tu te meus avec agilité".
Une telle première phrase semble me dire : voici le territoire sur lequel je vais t'emmener, lecteur, à la fois fascinant et désespérant, précis ("scène du crime") et flou ("paraissait"), où rien n'évoluera sinon de façon logique vers le pire et où pourtant de nombreux chemins, personnages, points de vue, intrigues et histoires auront le loisir de se déployer, de se croiser et de se contredire.
Je suis toujours "en train" de lire "Nimu", je n'ai pas encore fini, je suis toujours dans le labyrinthe, pages cornées, de retour sur certaines, ruminant.
Alors pour ne pas finir, en voici un morceau (ce que j'aime ici, c'est la différence de ton entre les deux paragraphes, les métaphores un peu exagérées de l'un, la description plus clinique de l'autre et cette notation sur le bavardage avec soi-même qui vous décompose... dans une phrase elle-même un peu boiteuse, non ?) :
Polo cultivait à plaisir une certaine absence au monde. Il n'entendait plus le vent qui chuchote en douceur sous les persiennes et fait crépiter aux carreaux l'embrun de ses syllabes. Il ne voyait plus l'amoncellement des ombres hérissées dans la nuit de novembre où des pluies innombrables martèlent le schiste sonore des toitures lassées. Il espérait une mort lumineuse, un bel éclat dans la tête, une balle logée en douceur dans ses pensées gélatines, tremblotantes sous le choc et rosissant sous l'effet magique d'un crépuscule pourpre, rideau lourd tiré sur ses paupières. Alors, il s'en irait dans la dérive lente d'un regard égaré aux coulisses obscures, l'oreille éteinte à jamais aux crépitements du monde. Naïf malgré tout, car il faut l'être pour imaginer sa mort, Polo s'offrait ainsi un dernier détour au labyrinthe de la vie.
Il faut dire que le travail du trépas n'était plus ce qu'il était. Il avait perdu de son imaginaire, de ses pompes et de ses rites. D'autres coutumes s'étaient imposées au fil du temps. On s'était mis à mourir comme on vivait, en égoïste, presque pour soi, sans considération aucune pour l'entourage. Chacun dans son coin d'agonie, en catimini, en grand secret, s'appliquait à la discrétion qui sied aux oeuvres diplomatiques. Commençait alors ce long bavardage avec soi dont on ne sort jamais intact et, précisément même, tout à fait décomposé.
Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
Ecrire et investir un blog tous les jours… voilà qui fait rêver un brin le Kiron qui sommeille en moi et se prélasse à l'obscurité de sa g/r/lotte.
RépondreSupprimerJe salue ton prurit… Que ça te gratte enc(o)re longtemps, cher ami.
B
Merci du salut et pour l'encouragement, mais la lumière d'un blog est loin d'être éclatante ; vaut-elle mieux que l'obscurité des bouches muettes ? Et puis j'espère ne pas trop bavarder avec moi-même (voir la fin du billet) !
RépondreSupprimerC'est pourquoi je reçois avec une très grande gratitude tous les commentaires reçus.
A bientôt, Benoît.
François
Drogue dure? Plutôt douce, mais l'engagement est à saluer, tutti cusì!! EMu bisognu di tonti, di drugati cum'è voi...Ch'ella sia ancu cuntagiosa sta "malatia", seria un bè!
RépondreSupprimerDrogue douce de l'analogie : je me souviens
RépondreSupprimerdu vers de Dante (Purgatoire, I, 13) tant aimé de Borges :
"Dolce color d'orïental zaffiro"
et de sa reprise par Lisandru Marcellesi ("L'infanfata ou l'Exaltée", éd. Mediterranea) :
"Dulci culori di sputicu zaffiru"
avec sa magnifique continuation extatique :
"ghjornu magnificu commè un ghjornu di luna."
A tandu.
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