Ceci est la version "allégée" d'un billet que j'avais intégralement écrit, et que j'ai intégralement perdu je ne sais comment ! Je fais donc une nouvelle version, à partir du souvenir du billet perdu... la mort dans l'âme..., je sais que tout utilisateur d'outil informatique doit me comprendre ! j'en connais qui ont perdu des listings entiers de bibliothèque ! alors haut les coeurs ! comme disait l'autre : "ricomminciamo la lettura !" (Aby Warburg).
On peut tout imaginer, dans la littérature corse comme dans n'importe quelle autre.
Par exemple, la "littérature d'érudition". Celle qui utilise le personnage du chercheur, du rat de bibliothèque, qui trouve un manuscrit, le décode et/ou le traduit, manuscrit mystérieux bien sûr, qui fait naître une quête (souvent vaine), une enquête, une intrigue, des obstacles, des dangers, parce que ce dont il est question en fait c'est la survie de l'humanité, ou plus simplement du personnage principal, ou d'un amour, etc.
Dans notre littérature, je pense à ces deux références :
- "Le géomètre de Paline", d'Anne Meistersheim. J'ai un très bon souvenir de ce livre (publié par Alain Piazzola, à Ajaccio, en 1994, préfacé par Patrice Antona). Je me souviens particulièrement d'un incendie (que je rapprocherais de celui de "A funtana d'Altea", bien qu'ils me paraissent très différents). Le roman tourne autour d'une édition, vendue aux enchères, du fameux ouvrage de Francesco Colonna, "Hypnerotomachia Poliphili".
- "L'ingannu", nouvelle écrite par Paulu Desanti et publiée dans son recueil "L'ultimi mumenta d'Alzheimer" (ce titre est vraiment génial, non ? cela me fait penser à du Desproges). Cette nouvelle est l'occasion de retrouver notre vieil ami Dante Alighieri, d'évoquer les obsessions identitaires, les langues, la littérature, avec beaucoup d'humour.
Toujours été attiré par ce genre d'écrits qui multiplie l'invention de fausses références bibliographiques, évoquent la circulation et les cachettes de manuscrits interdits ou incompréhensibles (tout comme le fameux ouvrage introuvable d'Aristote, celui qui serait consacré à la comédie, et qui est au centre du "Nom de la Rose" d'Umberto Eco).
Mais l'ouvrage que je vais citer là est celui de Paulu Michele Filippi, "Un Persu in Alisgiani. Mozzafar Esfarzari - A storia è i misteri di un manuscrittu" (2005). J'avais déjà évoqué cet auteur dans un précédent billet. Quand je reprends son livre, je picore généralement dans les poèmes qu'il contient (109 quatrains soit-disant écrits par un certain Mozzafar Esfarzari (qui pourrait trouver quels jeux de mots corses se cachent là ? j'en suis incapable pour ma part), poète persan méconnu, contemporain et ami du grand Omar Khayyam, traduits en corse à partir d'une traduction française du XIXème siècle...). Mais je l'apprécie aussi parce qu'il propose au moins trois livres en un :
1. une allégorie humoristique de la situation linguistique de la Corse (prenant à revers des réalités ou des idées reçues)
2. des poèmes, donc, souvent très beaux (un peu comme si Filippi n'avait pas pu se contenter de publier un recueil de sa poésie seule, et voulu, par humilité, l'entourer d'une fiction persane, à la fois réjouissante et utile)
3. toute une réflexion en acte du rôle du lecteur dans la constitution d'une oeuvre et donc d'une littérature (ce qui me plaît particulièrement, bien sûr ; voir aussi une critique de Paulu Desanti dans un numéro de A Pian'd'Avretu, comme quoi tout se recoupe)
Donc, pour finir, voici quelques extraits qui me plaisent, parce qu'ils me semblent ouvrir des chemins intéressants pour notre littérature (qu'en pensez-vous ?) :
Page 3 :
MOZZAFAR ESFARZARI, pueta persanu, hè assai menu cunnisciutu chè u so cuntemporaneu Omar Khayyam (versu 1048 - versu 1123), è sò scarse e literature, puru persane, chì ne parlanu. E so puesie (tutte o une poche, quessa ùn si sà) fubbenu tradutte in francese per a prima è l'unica volta in lu 1863, da un certu Nicéphore Dacqueville. Si penserà chì u libru appia avutu un certu successu, postu ch'ellu fubbe ristampatu in lu 1898. Dopu, si perse, in Francia s'intende, a traccia di Esfarzari, è ghjè oghje assai difficile di ritruvà la.
Qualchì tempu dopu a seconda edizione di u libru di Dacqueville, principiò u stranu legame di Mozzafar Esfarzari incù a Corsica. Unu di i fratelli di u mio antibabbone maternu, ispettore di l'insegnamentu publicu, ebbe trà le mani un esemplariu di u 1898. Si mise in capu di traduce e poesie di Esfarzari in corsu. Isse traduzzione fubbenu raccolte in un quaternu, chì, zitellu, aghju intesu chjamà "u cahier". Issu "cachier" avia una riputazione scandalosa, chì ùn pudia chè accende a nostra curiosità, à mè è à i mio fratelli. Scopretimu dunque quellu quaternu chì annunziava à a so prima pagina E puesie di Mozzafar Esfarzari, secondu a traduzzione in francese di Nicéphore Dacqueville (1863) - edizione di 1898. Seguitava, sottu à un titulu chì ci parse tandu, Revue des Deux Mondes. 1898 I rubbayat di Mozzafar Esfarzari, l'annunziu di un articulu, senza nome d'autore. E pagine di u "cahier" ci tuccava à leghje le. È principionu i capatoghji.
Page 12 :
Per fini, lascemu corre un sognu. Vogliu sperà chì qualchì sia, frà i lettori di issu libru, mi puderà da più ampie nutizie di Nicéphore Dacqueville è chì (perchè nò ?) unu o l'altru, amatore di a literatura persana, parterà o riparterà sulle tracce di Mozzafar Esfarzari pè purtà ci dumane a grande nutizia : hè scioltu u misteru, ritrovu u pueta ! È i Persani, incù i Corsi, si rallegreranu. Ciò chì face quantunque abbastanza mondu.
Page 45 :
Feritu, tù ami
È soffri
Guaritu, ùn ami più
È soffri
Page 53 :
Sù l'onde di u fiume voca u battellu
Hà alzatu le vele pè andà più veloce
Andate nave è barcelle, pescatori è marinari
Ma di scalà sù l'altra ripa, quale di voi n'hè in brama ?
Page 66 (le dernier poème suivi d'une note de l'auteur) :
Rusignolu s'innamurò di damicella sumera. Serenata li purtò.
Per una notte sana, o le ricuccate, i trilli, i fremiti, l'armunie.
À l'alba si tacque, da u so cantu imbriacatu, è aspettò !
Han Hi ! Cusì longu issu fischiu ! runcò Farchetta.
È si misse à beie.
(Note) : Averanu fischiatu ancu i Persi pè fà beie i so animali ? Hè sicura ch'ùn si chjamavanu Falchetta e fere persiane ! Sarà statu Ziu à interpretà Esfarzari ? Ma sinu à chì puntu ? Peccatu d'ùn avè u testu originale ! (PMF)
Page 24 :
I lettori di Esfarzari, ne simu cunvinti, scopreranu altri percorsi. Ghjè cum'è un splendidu miraculu chì issi testi scritti ci hè tantu tempu, è cusì luntanu da noi, ci parlinu sempre. Assaghjemu li incù piacè, è sì quelli chì cunnoscenu u grande Omar Khayyam avessinu l'impressione chì Ezfarzari ùn riesce mai à ugualà u più famosu di i pueti persani, ch'elli lachinu pè una stonda i paragoni è e classifiche, è ch'elli accettinu, tale è quale, issu cantu in lu stessu tempu tristu è impertinente di u nostru scunnisciutu pueta.
Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
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tout ceci est fort élogieux! Mozzafar Esfarzari s'en réjouirait-il?
RépondreSupprimerMerci pour le commentaire.
RépondreSupprimerMais vous semblez supposer que l'écrivain persan puisse ne pas apprécier un billet "fort élogieux"...
Donnez-moi (nous) de ses nouvelles ; peut-être Mozzafar Esfarzari pourrait-il nous répondre, réagir (ce serait bien sûr une réponse écrite au XIIème siècle et anticipant l'arrivée d'un billet du 22 avril 2009 sur ce blog) !
Ou alors peut-être pourriez-vous répondre à la remarque un peu critique du billet :
"2. des poèmes, donc, souvent très beaux (un peu comme si Filippi n'avait pas pu se contenter de publier un recueil de sa poésie seule, et voulu, par humilité, l'entourer d'une fiction persane, à la fois réjouissante et utile)"...
Pour répondre à la question posé plus haut, à savoir "qui pourrait trouver quels jeux de mots corses se cachent là ?" relatifs au titre, j'ai une hypothèse, qui vaut ce qu'elle vaut : on a "mozzu" dans Mozzafar, autrement dit quelque chose de tronqué, on a "fà" et "sfà", autrement dit faire et défaire, et l'on a surtout "farzi", équivalent ailleurs en Corse de "falzu" : autrement dit "faux" -toutes choses qui me semblent assez bien répondre au livre en question.
RépondreSupprimerAnonyme 23:00,
RépondreSupprimermerci infiniment pour ces propositions d'interprétation. Le nom fantaisiste de ce poète persan traduit en corse contiendrait donc du "faux tronqué fait et défait".
Je suis d'accord, le livre semble travailler cela.
Il faudra le relire avec cette perspective.
Lors du festival Cuntorni à Portivechju, Paulu Desanti me disait combien cet ouvrage de P.M. Filippi était beau et important (ce qu'il a énoncé plus précisément dans un des numéros de la revue "A Pian'd'Avretu").
Je suis donc très heureux de voir arriver un commentaire bien après la publication de ce billet, cela dit l'intérêt que ce livre suscite !
A bientôt, pour d'autres interprétations peut-être.
Petite allégorie minérale sur l'interprétation proposée du nom "Mozzafar Esfarzari". On trouve parfois sur le chemin des bouts de quartz dont les facettes captent la lumière du jour. Sans cette lumière, les pierres sont des formes mortes.L'auteur, plein d'intentions majestueuses ou modestes, taille sa pierre et la pose sur notre route. Le miracle parfois se produit, et nous nous approchons. Chaque lecture alors sera porteuse de lumière, et chaque lecteur porteur de sens. Et les intentions de l'auteur, dans ce jeu d'éclats et de reflets, n'ont plus qu'une importance tout à fait mineure. C'est au lecteur qu'est dévolu le rôle essentiel... et merveilleux.
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