vendredi 15 mai 2009

"U Crucivia", Rinatu Coti

Je transcris donc ici le "récit de lecture" de Madame Kessler, à propos de "U Crucivia" (1989) de Rinatu Coti.

Les trois premières pages ont failli me décourager ! Mais à la 4ème page, le dialogue sur Dieu et la chaîne de montagne a attiré mon attention ! Ce dialogue entre un jeune voyageur et une vieille femme qui n'a jamais quitté "u so locu" est surprenant : questions après questions, réponses après réponses, toute la philosophie depuis la nuit des temps est évoquée : l'être humain, sa nature, la vie, la mort, l'univers, la nuit, le jour, le soleil, le pourquoi de l'existence, Dieu,... Ces questions, sans réponses précises, évidemment, en entraînent d'autres, qui cherchent au fin fond de "la mémoire" des "appuis" pour tenir debout, continuer et guider sa vie dans cette incertitude ; et là, quelle n'est pas ma surprise de découvrir deux proverbes que ma grand-mère me citait souvent et qu'elle tenait de son père, mon arrière-grand-père Ziu Petru !! Ces deux proverbes guidaient sa vie pauvre et difficile et guident la mienne :
- "A regula stà bè ancu n'a casa di u Rè"
- "Circà sempri d'accuncià a somma par strada"
Je les ai transmis à mes petits-enfants qui les ont trouvés pleins de bon sens.

Ce recueil de 8 nouvelles
- U crucivia (le carrefour)
- Unu di i Salvatichi (Un des Salvatichi)
- A Marucchina (La Marocaine)
- A cuverta (La couverture)
- À l'incerta (Au hasard)
- I dui sureddi (Les deux soeurs)
- Notti serena (Nuit sereine)
- Anghjulina
écrites entre 1984 et 1986, édité par Cismonte è Pumonti edizione, est préfacé par Marie-Jean Vinciguerra. Il y dit notamment ceci :
"Il y a trois mondes dans l'univers de Rinatu Coti : un monde païen dont l'esprit fait de rusticité et souvent de cruauté s'est perpétué jusqu'à nos jours, il est le socle antique de la Corse. Une tradition chrétienne le recouvre. Elle fait souvent penser au Moyen-Âge, à ses lueurs d'Enfer, mais aussi à sa puissance d'amour.
Enfin, l'esprit des Lumières, référence fondamentale pour l'écrivain, inspire, à travers certains de ses personnages, sa démarche vers le progrès et la beauté morale."

Et voici un extrait (j'aime bien l'humour qui transparait dans les réponses toujours légèrement décalées de C. aux questions de R.) :

R.-- Mi n'invinaraghju d'issu crucivia. Criditila puri. Mi n'invinaraghju.
C.-- Ùn sarà l'unicu vostru crucivia.
R.-- Innò. Sicuramenti.
C.-- Comu voglia fussi, veni un'epica chì ùn ci hè più nisciun crucivia. Chì ogni strada viaghja in drizzura.
R.-- A morti...
C.-- A morti, isiè, a morti. Sempri cù noscu. Da chè no nascimu, principiemu à mora. A vita hè un avviamentu à a morti. Eppuri, a cirtezza di a morti impressa in a so vita, a parsona trova cumpiitudina è amori in i pochi stondi cuncessuli.
R.-- Ci hè da dumandassi tanti è tanti cosi. È ogni dumanda empii u mondu.
C.-- Ùn cissesimi no mai di dumandacci. Avemu una brama maiò chì vulemu sapè. Ma l'incertezza ferma a nostra cirtezza. À ogni dumanda nostra, ci rispondi un silenziu eternu. Un silenziu fondu, beddu. Ma un silenziu chì ùn ci arreca nienti. L'umanità soca sarà un nienti innabissatu in u silenziu.
R.-- Trimenti è sulenni paroli quiddi di vostru. Vi possu assicurà ch'eddi mi firmarani impressi parfinch'e campu.
C.-- Vi firmarani impressi, forsa sì. Ma ùn vi ghjuvarani da nudda.

Je vous laisse découvrir pourquoi les paroles de celle qui sait ne serviront à rien à celui qui voudrait savoir... Peut-être avez-vous lu ce texte, ou un autre du même auteur, dans la même veine ?

2 commentaires:

  1. A bellezza di e risposte di C sò digià una luce, ancu s'elle "ùn ghjuvaranu da nudda", piglianu una dimensione universale : i filusofi giappunesi o chinesi antichi anu fattu di a cosa "inutile" un munumentu di filusufia...

    U "silenziu" chì risponde à e nostre dumande mi face pensà dinù à u "Silenziu Nobile" chì u Buddà uppunia à certe dumande ch'ùn ponu avè risposta...

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  2. Francesca,
    tu évoques les philosophies japonaises, chinoises, bouddhistes à propos de cet extrait de Coti.
    C'est vrai qu'il y a une veine spirituelle chez cet auteur.

    D'ailleurs, en en discutant avec Marie-Jean Vinciguerra, j'ai pris conscience qu'à côté des importantes veines historiques, satiriques, lyriques ou politiques de la littérature corse, il ne faut pas oublier la veine religieuse (catholique) ou spirituelle.

    Chez Coti, il y a aussi un aspect maçonnique (j'aime beaucoup "A stanza di u spichju" : devant cette "chambre au miroir", trois femmes, la nuit du vendredi saint, font la pâte pour le pain, et parlent, j'en ferai un billet un jour, après en avoir fait un petit article pour la revue Bonanova).

    Ne pas donner de réponse, proposer l'inutile et le "noble silence", c'est peut-être important dans un imaginaire corse où les discours plein de certitudes se poussent du coude ?

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