dimanche 3 mai 2009

A venir

Je l'ai écrit dans le billet du 26 avril dernier : ce blog est entré dans une deuxième phase.

Il s'agit d'essayer de le réaliser pleinement comme une oeuvre collective : vos récits de lecture seront une part majeure des billets futurs.

Comme je le disais aussi auparavant, des "récits de lecture" sont déjà en préparation. Voici la liste des sujets :
- "Septième ciel" de Ghjacumu Thiers
- "Vir Nemoris" de Nobili-Savelli
- "L'Enfant" de Marie-Hélène Ferrari
- "Don Petru" de Maris-Jean Vinciguerra
- un roman d'Angelo Rinaldi

Je rappelle ici que la forme de vos récits de lecture est absolument libre. Cependant, personnellement, j'aime lorsqu'on désigne (voire cite) un passage précis du livre. J'aime savoir la page qu'un lecteur a aimée ; commence alors la possibilité de se rencontrer et de dialoguer sur ce terrain commun qu'est la page de littérature.

Depuis le début (je me souviens d'une lettre que j'avais écrite à Jean-Marie Arrighi pour lui expliquer ma "pente"), je considère avec une bienveillance excessive les ouvrages littéraires corses. Mais leur existence même me paraît tellement incroyable, que je ne peux voir leur apparition, leur persistance - aussi laids et médiocres soient-ils (encore que ma générosité a connu des limites) - sans gratitude et affection.

Les livres corses sont des monstres que je chéris. C'est le terme que j'utilisais dans cette lettre : des "monstres".

Alors voici une page - car "littérature" pour moi, avec d'autres, cela veut dire "ferment d'imaginaire", et les études, les essais non fictionnels, en font bien sûr partie - une page, donc, d'un article "scientifique", intitulé "De quelques monstres anthropologiques insulaires" (écrit par Christine Bonardi et Bernard Biancarelli, publié dans le numéro d'Ethnologie française de juillet 2008, consacré à la "Corse tous terrains" - vous y retrouverez notre ami Max Caisson, et bien d'autres, je vous laisse les découvrir, il faudrait que je les cite tous !).

L'article est consacré aux livres délirants. Ceux qui certifient, preuves mystiques, linguistiques, historiques, astrologiques, etc. à l'appui que la Corse est :
- une base d'ovni
- le centre du monde
- l'Atlantide
- l'origine du monde
- etc.

J'ai chez moi (à Campile) un de ces ouvrages - "La géographie secrète de la Corse", de François Marchiani, 1996, éditions Dervy. Ce type de livre me fait rêver mais me laisse totalement incrédule : tant d'énergie pour chercher à prouver de si parfaits délires ! (Mais, bien sûr, qui suis-je pour porter un tel jugement ?).

Le livre qui me paraît l'un des plus extraordinaires est sans doute le "Kur-Sig" de José Stromboni (2006, éditions Dumane). Comment tenter une seule seconde de croire que la Corse ait été le berceau de la civilisation sumérienne ? Comment comprendre qu'un tel ouvrage ait reçu un accueil si peu critique, si bienveillant ?

Bien sûr je ne dois pas passer sous silence le fait que je n'ai fait que feuilleter cet ouvrage. Le problème est que sous la forme d'un essai sérieux, il m'empêche de prendre à bras le corps la part d'imaginaire brassée dans ses pages.

Alors voici un extrait de l'article dont je parlais plus haut (article qui, lui, fait preuve d'humour) :

Au terme de ce rapide tour d'horizon, le lecteur reste libre de s'attacher aux Lestrygons ou aux Sumériens, de voir les Corses comme Celtes ou Atlantes et l'île comme un temple ou un ombilic. A moins que, fatigué des monstres antédiluviens, las des intuitions, des coq-à-l'âne, des rencontres "qui transforment votre vie", excédé des élucubrations d'érudits, des "peut-être" et des "sans doute", il ne se tourne finalement plus directement vers la littérature, la poésie ou le roman, qui, en fait de monstres, en valent bien d'autres.

Il faudrait vraiment que ces ouvrages délirants soient intégrés à notre littérature, dans des textes fictionnels. La folie ou les idées folles font vraiment partie intégrante de notre imaginaire. Je ne suis donc pas pour passer outre ces livres ou les renvoyer uniquement à leur fragilité ; ils doivent bien "dire" quelque chose...

Qu'en pensez-vous ? Quel est le texte de ce type le plus délirant qu'il vous ait été donné de lire ? (A moins bien sûr que vous n'accordiez du crédit à ces ouvrages ? alors il m'intéresse de savoir comment vous y parvenez !)

4 commentaires:

  1. Il faudrait vraiment que je lise le bouquin de Stromboni pour en dire quelque chose (mais quoi ?). Le survol que j'en ai fait m'a surtout fait pleurer de rire, notamment les élucubrations concernant la linguistique. Mais comme je ne l'ai pas sous la main je ne peux donner d'exemple précis et là je sais que je déroge aux envies de FXR.

    Bon, je vais acheter ce bouquin rien que pour avoir à en dire quelque chose de concret.

    Sinon dans le genre des textes littéraires qui ont mis en avant de belles aberrations scientifiques ou géographiques, il y a le génial "Aventures d'Arthur Gordon Pimm", d'Edgar Poe, où les personnages se retrouvent à la fin dans un pôle sud verdoyant et tropical. La critique américaine anéantit ce seul roman de Poe. On sait quel élan naturaliste et exaustif a longtemps porté la littérature américaine(Moby Dick par exemple).

    Bon, aujourd'hui tout le monde s'accorde à dire que ce roman était un chef d'oeuvre. Donc on peut espérer que Kur-Sig, passé au rang d'oeuvre littéraire, éveillera un jour la même bienveillance...

    MB

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  2. Il faut que je regarde le "Gordon Pym" de Poe. Et qu'un jour j'aille plus loin que les premiers chapitres de "Moby Dick" !

    Dans le même ordre d'idées (fiction se basant sur des propositions scientifiques erronées), je pense au "Voyage au centre de la terre" de Jules Verne (que j'ai lu pour le coup) et qui raconte comment les voyageurs, sur les traces d'Arne Saknüssem (orthographe à vérifier) vont jusqu'au centre de la terre où la température est censée refroidir, et sortent par le Stromboli après être entrés par un volcan islandais (le Sneffels je crois)...

    Mais l'important est donc bien la charge d'imaginaire qui va avec ces "erreurs" scientifiques. Je n'ai rien contre les convictions scientifiques les plus farfelues, si tant est qu'elles révèlent une puissance d'imaginaire.

    Et puisque ce sont, pour l'instant, deux non-lecteurs du "Kur-Sig" qui en parlent, je lance un appel à tous les vrais lecteurs de ce livre pour qu'ils nous donnent leur vision, peut-être tout autre (je le répète encore, vision absolument légitime, si tant est qu'elle soit explicitée sincèrement !)

    Avis aux amateurs !

    Pour ma part, j'ai souvent vécu avec un imaginaire corse reposant inconsciemment sur deux tendances (qui ne sont pas des croyances ou des certitudes) :
    - la Corse est centrale, de l'ordre de l'extrême, de l'extraordinaire (ce qui s'y fait est fantastique, on ne voit ça nulle part ailleurs, pas comme ça, pas à ce point) : exemple ressassé sans cesse : la première démocratie au monde...
    - la Corse ira de mal en pis, comme disait l'autre, c'est un immense gâchis, on pourrait faire des choses extraordinaires avec un tel potentiel si seulement... (sa nature inviolée que l'on détruit, ses valeurs qui disparaissent)

    Ces deux tendances irriguent peut-être les ouvrages "délirants" : l'extraordinaire est caché (dans le passé, dans les signes que l'on ne comprend plus, dans des codes encore plus incroyables que celui du Da Vinci (pas lu non plus...).

    Alors que la réalité est tout autre : il n'y a pas de code, sinon celui des choses très humaines, aussi ordinaires (communes) et extraordinaires (singulières) que partout ailleurs (si l'on regarde bien). Et c'est déjà un bien vaste programme que de regarder de la façon la plus précise, la plus lucide et la plus pertinente toute l'humanité commune des gens qui vivent en Corse (ou qui vivent la Corse de loin), non ?

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  3. Comment transmettre à l'ère numérique les liens si terriens qui caractérisent notre insularité ?

    Parfois certains s'y risquent en s'efforçant d'ouvrir notre inconscient collectif en des expressions alors désancrées d'origines trop stables sur des supports immatériels.

    Ce voyage devient alors un voyage mental. Et il arrive alors que l'on se surprend à découvrir en notre île une singulière "caisse de résonances" : une consistance inattendue et purement virtuelle qui ne relève pas directement des outils numériques.

    Ceci est énigmatique. Par exemple, j'ai découvert il y a peu sur internet un poème de Lucia Santucci
    intitulé "Marcher" que je ne connaissais pas en écrivant dans les années 70 "Granitula païenne". Les proximités thématiques y sont étonnantes.

    Voilà donc ces poèmes qui peuvent aussi évoquer les si proches Benandante et notre granitula.

    "Marcher, poème de Lucie Santucci

    Traduction française de F.M.Durazzo.

    Un seul souci... marcher...

    Dans le noir... marcher...
    Dans la nuit
    épaisse de la voûte fraîche l'enclume son
    métallique approche. Marcher...
    La procession s'enroule en pelote, et doucement
    l'air se raréfie, la voix de fer s'alourdit: le marteau
    frappe et résonne et gémit.

    Un seul souci...marcher...
    On débouche : aire faite d'yeux.
    Yeux aveugles, yeux sillus, yeux clos, yeux diaphanes
    Yeux éteints, yeux écarquillés, yeux sources trompés par les miracles de l'humain.

    Un seul souci...marcher...
    Aire faite de bouches.
    Bouche qui rit, bouche qui crie, bouche qui aboie
    Bouche muette
    Bouche ouverte, puits profond où se noie la parole.

    La route des aires court : aire faite de mains.
    Mains tendues, mains ouvertes, mains feuilles,
    mains désirs, mains nées du toucher
    de la terre-mère.

    Un seul souci...marcher...

    La route des aires se répand : soudain
    s'exhalent des milliers de parfum.
    L'aire des sens : ultime plaine.
    Parfums du vent vivant du vouloir, vertes passerelles
    pour enivrer le souffle des légendes ballerines

    Marcher...
    Le martèlement de la voûte
    renaît...
    La procession tourne et revient...
    Sortir... Sortir...

    Dans le cerveau de l'homme s'achève le songe étrange du voyage."

    ______________________________________________________
    Granitula païenne

    Jadis les colonnes, le dôme,
    Très haut dans la clarté de l’heure.
    Mais cela vint bientôt
    On promulgua l’inceste sur la place publique.

    Un matin excessif, j’entendis l’inaudible aux lèvres de la
    foule.
    Une terreur sans monde
    Comme la mélopée antique des moniales.
    Et les prières leurs murmures se déroulaient
    En lente reptation sonore.
    Enserrant un crieur
    Véhémence
    Qu’elles clouèrent au mur blanc de l’enceinte,
    Tel un sanglot qu’on aurait isolé dans l’horreur.

    Oh ! l’enclume de nos intempérances !
    Du coeur solaire qui ravine le coeur noir de la terre
    Le coeur noir du désir comme un règne animal.

    Ils marchèrent, plus nocturnes sous la poussière du jour
    Que des bannières d’enfants sur les châteaux de sable
    aux rives de l’été.
    Renouant les confins à la morsure de leurs pas
    Ployant l’espace où se prennent les corps.
    Tandis que leurs empreintes éclaboussent la roche de
    cette nuit, qui vient, ne vient pas…
    Les rassemble et les disperse.

    Il leur fallu descendre dans la caverne d’ombres
    Ils renversèrent la table du ciel tel un miroir sans tain.

    Nadine Manzagol

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  4. Madame Manzagol,
    merci pour ce message si riche: réflexions et textes.
    Je ne connaissais pas ces deux poèmes.
    J'ai toujours en mémoire le "fameux" poème de Lucia Santucci, "Sò tissuta di rossu" (mais il faut que je le relise).

    Je vais relire tout cela, ne pas me contenter d'une lecture diagonale !

    En tout cas, ce vers quoi je reviens spontanément (mais il faut équilibrer la spontanéité, Ghjacumu Fusina me le rappelait judicieusement - voir le billet "Ce que peut/doit être un blog"), sont les deux derniers vers, leur façon d'associer le haut et le bas, des renversements vertigineux, cela me plaît beaucoup :

    "Il leur fallut descendre dans la caverne d'ombres
    Ils renversèrent la table du ciel tel un miroir sans tain."

    C'est étrange, avec le début de votre commentaire, je pensais que vous l'accrocheriez au billet "Ce que peut/doit être un blog" et non à celui-ci. Y a-t-il une raison particulière ?

    Est-ce la présence de la "granitula" comme élément du "folklore magico-religieux" corse ?

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