Sur ce blog, je répète ma conviction - discutable, au combien - que la littérature est la somme des lectures (voire non-lectures, voire des souvenirs de lectures et non-lectures) des livres (et autres objets utilisant le langage verbal, oral et écrit).
J'ai déjà, pour soutenir ce propos, convoqué ici Stevenson, Virginia Woolf, Pierre Bayard, Yves Citton... (voir leurs noms dans la rubrique de gauche).
Trouvé ceci dans le dernier recueil d'articles de Milan Kundera, "Une rencontre" :
Je garde bien dans ma mémoire "Les dieux ont soif" ou "La Rôtisserie de la reine Pédauque" (ces romans faisaient partie de ma vie), mais d'autres romans de France n'ont laissé en moi que des souvenirs vagues et il y en a que je n'ai pas lus du tout. C'est d'ailleurs ainsi que nous connaissons les romanciers, même ceux que nous aimons beaucoup. Je dis "J'aime Joseph Conrad." Et mon ami : "Moi, pas tellement." Mais parlons-nous du même auteur ? J'ai lu de Conrad deux romans, mon ami un seul que moi je ne connais pas. Et pourtant, chacun de nous, en toute innocence (en toute impertinence innocente), est sûr d'avoir une idée juste sur Conrad.
Est-ce la situation de tous les arts ? Pas tout à fait. Si je vous disais que Matisse est un peintre de second ordre, il vous suffirait de passer un quart d'heure dans un musée pour comprendre que je suis sot. Mais comment relire tout Conrad ? Cela vous prendrait des semaines ! Les différents arts accèdent avec une autre facilité, une autre vitesse, un autre degré d'inévitable simplification ; et avec une autre permanence. Nous parlons tous de l'histoire de la littérature, nous nous en réclamons, sûrs de la connaître, mais qu'est-ce in concreto que l'histoire de la littérature dans la mémoire commune ? Un patchwork cousu d'images fragmentaires que, par pur hasard, chacun des milliers de lecteurs s'est fait pour lui-même."
La question est donc double :
- comment partager les "patchworks" que chaque lecteur s'est fait "pour lui-même" ?
- pourquoi ne pas raconter, en quelques mots même (c'est toujours un début), comment vous avez rencontré le livre (corse) qui vous a bouleversé, que vous gardez dans votre mémoire vivante, vers quoi vous revenez ?
Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
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Bella magina di Kundera, autore chì m'hà marcatu ("la plaisanterie", "l'insoutenable légèreté de l'être)
RépondreSupprimerOgnunu face a so sintesi persunale, ai a ragiò di parlà di "l'imaginariu" abitatu ancu da opare mai lette o micca lette in tuttu...
Ma hè tardi, diceraghju solu chì hè a puesia in lingua corsa chì m'hà toccu prima, aprendumi à tutte e puesie in l'altre lingue...una lingua ch'ùn ammaestrava mancu bè, chì mi vergugnava à parlà, m'hà apertu e porte di e literature di u mondu, perchè mi "parlava" à u più prufondu è stu ribombu m'hà spalancatu a mente, m'hà datu a "sete" .
"Nous parlons tous de l'histoire de la littérature". Tous ? Certes non ? Dit ainsi la littérature est une catégorie de l'histoire, comme les guerres, les crimes passionnels, les nominations d'ambassadeurs, les typhons... Evidemment que pour oser dire "J'aime bien Conrad" en en ayant lu qu'un seul livre... A tout le moins dire : "J'aime bien ce livre de Conrad." (Et puis, qu'est-ce qu'ils ont tous avec Conrad ???)La littérature est une catégorie esthétique pour laquelle on peut toujours convenir d'une parcellisation, d'une kaléidoscopisation... comme toutes choses humaines aux échelles du temps et de l'espace. Comptons-nous dans la fameuse HISTOIRE DE LA LITTERATURE les hymnes aztèques et les dits lapons des origines ? Elle est plus simplement (mais pas moins mystèrieusement), la sacralisation d'une parole vivifiée. Elle est la tenace sublimation, l'odeur du scandale, grimace à la camarde, archéologie oniromancienne, discours de la raison impure et exhumation d'un "je t'aime" trahis. Elle est de l'humanité la solution face aux silences divins. Nous ne nous réclamons de rien... nous réclamons plus qu'un rien ! La littérature c'est retenir l'exil de la parole dans une geôle poésie. Après vient d'un texte et d'un être, une possible rencontre dans laquelle le hasard n'est pas convocable, si ce n'est en alibi des pleutres. Est-ce le hasard qui met une hache dans les mains de Raskolnikov ? La littérature c'est une présence. Le hasard un vide sans fond. Mais bon, j'aime Kundera, même quand il se détaxe. Raconterai-je comment le livre de ma vie m'est venu ? Maîs parce que j'ai provoqué la rencontre, tout simplement. Et lui, évidemment, orphelin, m'attendait...
RépondreSupprimerFrancesca,
RépondreSupprimera puesia corsa, benissimu : ma chì puema ?
Yves,
d'accord avec toi sur le fait que la relation humaine avec un livre n'a que peu à voir (encore que) avec "l'histoire de la littérature".
Ta rencontre avec Raskolnikov était certainement nécessaire ! Comme la mienne avec le texte incendie dans "A funtana d'Altea" de Thiers.
On lit ce qu'on cherche...
Par littérature, j'entends personnellement les textes et paroles qui nourrissent l'imaginaire humain.
En voici un exemple, qui me reste en tête, lu dans une anthologie de poèmes amérindiens ("Partition rouge") :
Les nuages
changent
...
Et cette rencontre avec les textes corses ?
On lit ce qu'on cherche...d'ailleurs on ne sait pas soi-même ce qu'on cherchait ...jusqu'à ce qu'on l'ait trouvé? lol
RépondreSupprimerLes maîtres Zen disent : "Quand le disciple est prêt..Le maître arrive"
NB / Il faut toujours se méfier des souvenirs..Ne reconstruisons-nous pas le passé sans le vouloir, en toute sincérité? J'adore la notion d'"excès de mémoire" de Jérôme Ferrari dans "Balco Atlantico" (le personnage de Moracchini a du mal à faire le tri entre les vrais et les faux souvenirs qui s'invitent dans sa mémoire, effets hilarants...lol)
Alors, autant qu'il m'en souvienne :
Je suis tombée en arrêt sur Maistrale (je sais, c'est peu original...) :
Je me souviens de "M'innamoru" et "Neve"... Ils me résumaient d'une certaine façon une sensibilité que j'éprouvais à travers les chansons (Charles Rocchi qu'écoutait mon père à Paris, les vieux qui chantaient ou qui improvisaient dans les fêtes) avec quelque chose en plus : l'harmonie, la beauté "parfaite" d'un texte auquel il n'y a rien à ajouter, rien à retrancher...J'avais envie d'en lire d'autres (souvent, je fus déçue, notamment par les poèmes "scherzosi" que je n'appréciais pas encore) et surtout j'avais envie d'écrire comme ça (là, ce fut beaucoup de papier froissé et jeté; je manquais un peu de vocabulaire, alors j'ai essayé en français, mais cela ne donnait pas du tout ce que je voulais, cela me paraissait mièvre et niais...snif, la vie est dure!)Et puis il m'a fallu partir à la recherche de toujours plus de poésies, de toutes langues, pour retrouver cette "perfection" (mais qu'est-ce que c'est exactement?...)
Ce n'est pas la peine que je mette les deux poèmes de Maistrale, je pense? Sinon, dites- le moi.
Aussi : Petru Rocca, un poème, "Scalanu", qui me faisait trembler d'émotion patriotique : la Corse attaquée, envahie, hum...Qu'est-ce que cela a pu donner dans mon imaginaire? LOL
RépondreSupprimerVoyez et après, ne dites rien, ne dites pas que vous avez tout compris de ma psychologie...-)))
Ghjunghjenu trenta vascelli
À quatru file d'archere
Da li poghji à le custere
S'accoglienu li zitelli
E donne è li vechjaconi
Cù le misge è li piloni.
Ghjunghjenu trenta vascelli.
Pianu sugilla lu marinu,
Lindu è dolce cum'è mele,
E ne sò piene le vele.
Da li pasciali avvicinu
Ne fala tamantu frombu:
Sona à più pudè culombu
Pianu sguilla lu marinu.
Avà rughjanu i cannoni
Annant'à li bastimenti;
Si sentenu ghjuramenti,
Cummandi, urli è brioni.
Culansù, da sarra à foce
Ci sò chì facenu voce.
Avà rughjanu i cannoni.
A bander'à fior di gigliu
Trimuleghja à l'artimone;
Da la punta à lu timone
Nasce un veru bisbigliu;
C'è suldati quant'è pula.
U vinticellu scuzzula
A bandera à fior'di gigliu.
Collanu long'à lu fiume
Fantacini infilarati,
Luccichenti è frisgiulati
Cù cappelli pien' di piume.
Innanu sò l'ufficiali,
Calzoni bianchi è cusciali
Collanu long'à lu fiume.
In li vechji campanili
Tintinneghja u battifocu;
Omi n'affacca 'gna locu
Cù carchere è cù fucili
Lampati nant'à l'armone.
Piignuleghjanu e ciccone
In li vechji campanili.
Cela me brisait le coeur à chaque fois que je le relisais : le vent marin léger et doux (et traître)contrastait avec la puissance de l'armée qui avançait, son assurance, le bruit et la fureur (canons, hurlements)
En face, la panique et la faiblesse (les pauvres fusils à l'épaule, les gens qui s'époumonnent à souffler dans le culombu) la défaite annoncée : "piignuleghjanu e ciccone"
j'ai fait aussi quelques tentatives de lyrisme patriotique, ohimè! la poésie épique n'était pas mon fort.
Et puis pour couronner le tout ,
Santu Casanova, une strophe m'est restée pour toujours, comme le message le plus impératif :
Vurria chì la me voce
Trapanessi ogni muntagna
Ch'ella ghjugnissi in Niolu,
Risunà pà la Balagna,
Ch'ella francassi lu mare
È la fruntiera di Spagna
pour moi le message était clair :
La Corse a quelque chose à dire au monde (comme tout autre peuple et en interaction avec eux), quelque chose d'unique, qui passe d'abord par sa langue, qui exprime son âme.
Alors je me suis mise à chercher cet objet "Littérature corse" qui devait parler au monde et en même temps j'ai cherché les autres voix des autres littératures parce que je voulais savoir ce qu'elles avaient à me dire de différent, j'ai vu que ce n'était pas si fondamentalement différent et un jour enfin je suis arrivée sur un Blog intitulé "Pour une littérature corse"...
Een fait, les choses sont beaucoup plus longues et beaucoup plus compliquées, mais merci FXR d'avoir créé ce lieu de réflexion et d'échanges.
coquilles du soir, pardon :
RépondreSupprimer"sguilla" lu marinu bien sûr / et non sugilla, même si la défaite alllit être scellée -))
Innanzu et non innanu...
Francesca,
RépondreSupprimermerci beaucoup pour ces "récits de lecture" ; ce blog est d'abord fait pour cela : recueillir de tels récits qui nous permettent de voir comment les livres, les textes, les phrases et les mots voyagent en nous, et entre nous.
Je reviendrai dans un prochain commentaire sur les textes que vous avez bien voulu mentionner et citer ici.
A bientôt.
Si je peux me permettre Francesca, "Neve" et "M'innamoru" c'est de Ghjacumu Santu Versini de Marignana, et non de Maistrale (qui s'appelait certes Dumenicatone Versini, lui aussi de Marignana). Je te rassure tu n'et pas la première à faire la confusion ;)...
RépondreSupprimerEiustessu,
RépondreSupprimermerci pour la correction ! Cela me fait penser qu'un autre billet ici évoquait G.S. Versini et ses "Neve" et "M'innamoru" (que j'ai découvert par la version chantée par les Muvrini).
Voici le billet (consacré à la revue au numéro unique : Cispra, 1914) : http://pourunelitteraturecorse.blogspot.com/2009/03/cispra-le-vieux-fusil-fonctionne-t-il.html
Encore merci et à bientôt.
Grazie o Eiustessu; avia un picculu dubbitu ma ùn aghju micca verificatu...m'amparerà! lol
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