dimanche 1 novembre 2009

Une littérature corse, pour quoi faire ?

Plusieurs billets sur ce blog renvoient à des propos tenus par des auteurs, chercheurs, artistes qui - tout en ne s'étant jamais soucié de "littérature corse" - peuvent nous être utiles, me semble-t-il, pour dessiner des horizons, susciter des ambitions propres à animer la littérature corse.

Nous avons envie d'une littérature corse ambitieuse, de grande qualité, qui propose aux lecteurs une nourriture exquise, qui anime l'imaginaire corse contemporain et participe des évolutions artistiques mondiales.

Je pense à cela, après la lecture d'un entretien paru dans le magazine "Books" (n°10/novembre-décembre 2009). Suzi Vieira a interrogé Wolfgang Kubin ainsi présenté : "directeur du Centre d'études orientales de l'université de Bonn et traducteur allemand de Lu Xun, Zhai Yongming ou encore Bei Dao, il est l'un des sinologues les plus controversés - et les plus appréciés - de Chine continentale."

Ses propos me semblent intéressants par leur radicalité, leur franchise et par les critères qu'il estime les bons pour évaluer les productions littéraires (en l'occurrence chinoises). Il estime que ce que l'Occident connaît et apprécie de la littérature chinoise contemporaine est essentiellement la production romanesque la plus médiocre et conventionnelle qui soit, écrite par des auteurs faussement critiques, très politiquement corrects, qui recherchent avant tout à vendre des produits romanesques préparés pour un marché international de "bestsellers" du divertissement. Parmi ces auteurs critiqués : Jin Yong, Mo Yan (malgré des "débuts prometteurs"), Jiang Rong, Han Han, Gui Jing-ming, Yu Hua). Au contraire de ces auteurs, Wolfgang Kubin estime que la Chine compte "une douzaine de poètes qui sont sans aucun doute parmi les meilleurs au monde" (par exemple, Bei Dao) et quelques romanciers "sérieux" : Chen Ran, Liu Zhenyun, Tie Ning. La journaliste essaie tout de même de défendre un point de vue différent de celui de Kubin, et c'est pourquoi l'entretien est intéressant, vivant.

Voici quelques extraits :

"Au yeux de la plupart de (mes homologues chinois), le romancier contemporain chinois type est totalement inculte : il n'a aucune culture littéraire, ne maîtrise pas sa langue, ne parle pas un mot d'anglais et n'a pas la moindre connaissance de la littérature étrangère."

"Aussi éphémère fût-elle, la période républicaine, entre 1912 et 1949, s'est enorgueillie d'écrivains de stature internationale, comme Lu Xun. Cette littérature, qui mettait plus l'accent sur l'individu que sur l'Etat, encourageait la critique sociale et affirmait son indépendance par rapport au régime, était moderne au sens le plus pur du terme."

"Les écrivains de l'ére républicaine maîtrisaient les langues étrangères. Ce qui leur a permis de forger une nouvelle langue, d'une extrême élégance, qu'on appelle aujourd'hui le chinois "moderne".

"A partir de 1949, et jusqu'à la fin des années 1970, le régime communiste a contraint les écrivains à abandonner cette écriture : la langue chinoise a été détruite, exactement comme la langue allemande l'avait été entre 1933 et 1945. Mais la plupart des écrivains étaient consentants ! De nombreux intellectuels de l'époque voulaient abolir cette modernité et renouer avec la société communautaire et traditionnelle."

"Les critiques que je formule reposent évidemment sur les critères de qualité littéraire qui sont les miens. J'ai, comme mes collègues spécialistes, une conception élitiste de la littérature, que le grand public ne partage pas. La lecture est pour lui un divertissement. Il veut du crime, du sexe et de grandes histoires, denses et pleines d'action : des "sagas", comme celles élaborées par Jin Yong, un Hong-kongais, qui reprend les vieilles histoires de cape et d'épée. Lorsque des écrivains français ou allemands publient ce genre de livre, on les range dans la catégorie du divertissement pour un lectorat qui ne veut pas trop réfléchir. Pourquoi avoir un jugement différent sur un écrivain chinois contemporain ?"

"(Le roman chinois contemporain) renoue avec les techniques de narration traditionnelles, celles du XVIIIème ou du XIXème siècle, dont la maîtrise n'exige pas une grande habileté parce que le narrateur se confond avec l'auteur dans son omniscience. Les écrivains contemporains n'ont ni les outils ni la culture nécessaires à la conception réellement contemporains, c'est-à-dire postmodernes."

"Les auteurs chinois contemporains n'apportent strictement rien de nouveau : ils sont dépassés. Personnellement, je suis fatigué de ces mauvaises resucées de chefs-d'oeuvre anciens."

"Les auteurs actuels ne maîtrisent pas ce qu'ils écrivent. Pour répondre aux demandes du marché, ils produisent beaucoup et vite. Au détriment de la qualité et de la recherche du "mot juste". C'est le coeur du problème : le langage n'est pas leur préoccupation première. Ils ne se bagarrent pas avec les mots, ils les utilisent purement et simplement. La littérature n'a pas pour eux de valeur intrinsèque : c'est pourquoi ils se contentent d'adopter le premier style venu, au goût du jour, celui de la rue et des médias ; un chinois simplifié, répétitif, mauvais. Or la seule et unique préoccupation d'un véritable écrivain doit être, non pas l'argent, mais la langue qu'il utilise. Si lui ne s'en préoccupe pas, qui le fera ?"

"J'ai l'impression que rares sont les lecteurs occidentaux qui s'intéressent à la littérature chinoise par amour des textes : ces livres sont pour eux un matériau sociologique. Mais il n'est jamais bon de réduite la littérature à un simple miroir du présent. Un grand écrivain doit s'abstraire de l'air du temps s'il veut consrtuire une oeuvre atemporelle."

"Je suis las de cette idée selon laquelle le pouvoir serait l'unique responsable du déclin de la littérature depuis 1949. C'est vrai en partie, mais, pour l'essentiel, la médiocrité de la littérature chinoise vient de l'irresponsabilité des auteurs eux-mêmes. La littérature chinoise ne se relèvera que le jour où les auteurs oseront affronter cette question : quelle doit être la position de l'écrivain chinois face au monde ? Actuellement, aucun n'a le courage de se poser en conscience critique de la Chine."

(Pour lire l'intégralité de l'interview, voir ici ; et ici un autre entretien beaucoup plus limité, en anglais).

Et voilà. Je m'empresse d'ajouter que je n'ai lu aucun auteur chinois contemporain et que je ne peux et ne veux discuter les prises de position de Wolfgang Kubin. (J'ai une anthologie de poésie chinoise classique, collection Poésie Gallimard, je me souviens que j'appréciais un poème en particulier, mais lequel ? il faut que je refeuillette le livre, qui se trouve à Campile).

Ce qui m'intéresse ici c'est plutôt la position du critique face à une littérature qu'il voudrait de meilleure qualité, soucieuse de proposer des langages subtils, nouveaux, riches, porteuse de regards critiques sur la réalité sociale d'un pays, désireuse de se positionner face à l'ensemble du monde.

Est-ce rêver une ambition démesurée pour la littérature corse ? Peut-on se passer d'un tel désir et de la nécessité de faire des choix, de proposer des jugements qui finissent pas dessiner des chemins ? (Sachant bien sûr que chacun peut se tromper, ignorer ou dénigrer un livre de toute beauté et encenser un éphémère "chef-d'oeuvre".)

Je pense à Italo Calvino faisant l'éloge de "La Vie, mode d'emploi" de Georges Perec, et disant ceci, dans le chapitre "Multiplicité" de ses "Lezioni americane. Sei proposte per il prossimo millennio / Six Memos for the next millenium / Aide-mémoire pour le prochain millénaire" (1985) :

"En de nombreux domaines l'excès d'ambition est critiquable, mais non pas en littérature. La littérature ne peut vivre que si on lui assigne des objectifs démesurés, voire impossibles à atteindre. Il faut que poètes et écrivains se lancent dans des entreprises que nul autre ne saurait imaginer, si l'on veut que la littérature continue de remplir une fonction. Depuis que la science se défie des explications générales, comme des solutions autres que sectorielles et spécialisées, la littérature doit relever un grand défi et apprendre à nouer ensemble les divers savoirs, les divers codes, pour élaborer une vision du monde plurielle et complexe."

Il doit bien y avoir dans le passé, le présent et le futur de la littérature corse des oeuvres qui font écho à de tels propos ? (Par exemple, celle-ci).

J'arrête là les questions.

13 commentaires:

  1. La question de l'élitisme et du choix des oeuvres à promouvoir, ou, à rebours, d'une absence de choix (ce qui revient à en établir un par défaut) déplace le problème réel.

    Bien sûr qu'il faut être ambitieux et vouloir transmettre certaines oeuvres plus que d'autres au public, en terme de diffusion, ce qui ne signifie pas qu'il faille exclure les autres.

    Je vais faire un petit parallèle avec l'éductation.

    Quand Koltès a été mis au programme de la Khâgne, cela a fait "jaser" le microcosme. Et pourtant c'était un choix audacieux et puissant. Mais il est difficile de se prononcer sur la contemporanéité.

    Je voudrais aussi revenir au sens premier de "divertir". Divertir, ça peut être distraire, mais c'est aussi, "divertere" tourner, détourner.

    En l'occurence, dans le cas du choix d'oeuvres à transmettre, d'oeuvres dites ou supposées élitistes, il s'agit aussi d'une forme de divertissement (au sens étymologique).

    J'illustre mon propos. Quand j'ai commencé le Cours Florent, il y avait un jeune homme qui avait arrêté l'école en troisième. Il lisait très mal, déchiffrait le texte et avait donc, logiquement complètement planté l'épreuve de lecture.

    En fin d'année, quand il a compris, par la pratique théâtrale,ce que voulait dire Victor Hugo dans Ruy Blas, il le jouait avec une telle justesse, que le Verbe avait transcendé son exclusion scolaire.

    Ce que je veux dire, par ce détour, c'est que le choix d'oeuvres ambitieuses, loin d'exclure ceux qui n'appartiennent pas à l'élite, peut leur permettre de se divertir, c'est à dire de se détourner de leur handicap et d'atteindre un au-delà du Verbe, pour "apprendre à nouer ensemble les divers savoirs, les divers codes, pour élaborer une vision du monde plurielle et complexe".

    Une littérature ambitieuse pour la Corse? Certes, mais là encore, c'est en terme de stratégie communicationnelle et médiatique qu'il faudra porter ces choix.

    Reste la question de la légitimité. Qui a légitimité pour définir le canons de l'esthétisme insulaire?

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  2. MSM, merci pour ce développement.
    Quand je parlais de jugement et de choix, je ne disais pas qu'on doive exclure les livres qu'on a pas jugé ou jugé négativement. Il s'agit plutôt de proposer un paysage particulier, comprenant tous les livres qui nous sont tombés entre les mains. Et ce paysage place dans la lumière certains ouvrages, tandis que d'autres, qui sont bien là, restent dans une certaine ombre, une masse peut-être un peu indistincte.

    Par contre je pense qu'à côté de la "stratégie communicationnelle et médiatique" et des "canons légitimes de l'esthétisme insulaire", il y a de la place pour faire se rencontrer les jugements et les choix de chaque lecteur. Chaque lecture est légitime lorsqu'elle se présente avec sincérité, humilité, précision, argumentation. Ou encore pour reprendre les adjectifs choisis par Virginia Woolf, "avisé, énergique, personnel et sincère". Je ne crois pas qu'il faille réserver la parole légitime à un groupe particulier ou à des professionnels de la communication. Mais je suis d'accord sur le fait qu'il il y a un gros effort "professionnel" et "académique" à faire à propos des oeuvres corses : recension exhaustive, visibilité, diffusion, critique systématique, mise en débat, analyses variées, études particulières et générales, des histories littéraires générales, des dictionnaires d'oeuvres et d'auteurs, des monographies, etc.

    En fait il me semble que nous avons besoin de faire se rencontrer plusieurs légitimités : les lecteurs, les lecteurs professionnels, les acteurs économiques, les institutionnels, les auteurs, les éditeurs, etc. Le but serait plutôt de faire vivre un "champ littéraire" de façon légitime : c'est-à-dire avec tous ceux que la littérature intéresse, quels que soient leurs avis et le fait que ces avis puissent être contradictoires.

    Votre analyse du "divertissement" m'a beaucoup intéressé. Je suis moi-même enclin à privilégier des modalités très variées de lecture ; ce qui m'intéresse en fait c'est la dialectique qu'on peut créer entre différentes façons de lire et le bien que cela peut faire à une littérature et à un imaginaire.

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  3. Les propos de Kubin sont très controversés. Ils ne m'inspirent guère pour la situation Corse.

    Ses critères sont contestables (notamment faire la séparation entre le traditionnel et le contemporain n'a guère de sens...)
    En passant, je vous recommande
    Yu Hua ("un monde évanoui", j'en avais parlé sur le Blog de Marcu) il est très moderne,
    Mo Yan ("le maître a de plus en plus d'humour", Le Seuil), plein d'humour mais sans concession pour la société chinoise , le fameux "sorgho rouge" c'est lui,
    Ma Jian, exilé ("Red dust" en anglais ou "les chemins de la poussière rouge")
    Gao Xinjiang "la montagne de l'âme" (Prix Nobel) à la croisée du roman taditionnel chinois et du moderne. Ils sont tous limpides, justes, décoiffants, se positionnent parfaitement par rapport à leur société et au monde moderne

    La qualité de la langue? On sait à quel point c'est là un terrain mouvant. Certes, je ne peux pas en juger pour le chinois mais ce type de jugement "élitiste" m'est d'emblée suspect!

    De même quand il prétend que le régime n'a pas d'impact sur la production littéraire, alors que la liberté est une des conditions essentielles de la création et encore plus de la publication: le régime censure, menace ceux qui osent parler de ce qu'il ne faut pas...Des chefs d'oeuvre sont peut-être cachés ou brûlés...

    Je me méfie aussi du "il n'y a plus d'écrivains valables depuis..X ou Y" . En France, qui citerait-on? Victor Hugo?
    Et en Corse, brrr... qui?

    On ne peut rien faire pour la littérature que de la respecter, la faire connaître aux jeunes et leur "donner envie" de la lire et éventuellement de créer eux mêmes, lui laisser de l'espace pour créer, la diffuser autant que possible, développer l'économie pour que plus de créateurs puissent émerger (mais "le Marché" a ses effets pervers sur la culture), favoriser les échanges ... En ce sens, d'accord avec vous sur le travail "professionnel" à faire.

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  4. Entièrement d'accord avec vous sur la liberté qui doit être associée à la création et sur la difficulté de se prononcer sur la "valeur" intrinsèque d'une oeuvre.

    Pour le cas spécifique du chinois...il y a une spécificité sur laquelle on ne peut faire l'impasse...c'est tout simplement les idéogrammes.

    Une traduction évapore toujours un peu le sens d'un texte.
    C'est sans doute encore plus vrai du chinois, puisque les idéogrammes sont plus qu'un alphabet.

    J'ai fait trop peu de mandarin pour lire directement des romans dans la langue, mais quel plaisir de comprendre la logique des idéogrammes, si différente de notre alphabet.

    J'ai transmis votre texte à une étudiante chinoise qui a fait son mémoire de maîtrise, en littérature, sur "La sphère de l'idée dans la peinture du lettré chinois", très intéressant pour en apprécier la portée.

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  5. bonsoir,
    tout d'abord une remarque sur la republique de chine qui n'était rien moins qu'une période des plus instables , alternant dictature, luttes intestines entre chefs de guerre , guerre contre l'imperialisme japonais et son désir d'annexion de plusieurs provinces ( qu'il réalise d'ailleurs) , pouvoir nationaliste .....etc...
    en substance, il faut se mefier de cette vision manichéene: avant 1949 blanc , après noir.
    pour revenir à ce qui nous préoccupe et en résumant à la serpe, la litterature corse doit elle ou pas etre elitiste?
    je crois qu'avant tout il faut mettre un cadre à ce que l'on entend par litterature corse.
    parle t on des oeuvres écrites en langue corse?
    d'oeuvres écrites en corse? sur la corse? par des corses ,en anglais par exemple ?
    le tout à la fois??
    je veux m'en tenir quant à moi aux seules oeuvres écrites en langue corse.
    au vu de la situation de la langue , par essence, toute oeuvre est élitiste.
    ne s'adresse t elle pas uniquement à des initiés capables d'en appréhender la lecture.
    il n'est que de voir les chiffres, froids ,implaclables , des ventes.
    500? 600? telle est je crois la moyenne pour un livre .
    de surcroit combien sont capables d'écrire une oeuvre en langue corse?
    le reservoir d'ecrivains n'est pas vaste .
    fatalement le débat est dès lors faussé.
    sans etre pessimiste et défaitiste peut etre qu'un jour on entendra ce dialogue:
    - tu sais petit il y a 15 ans existaient des blogs ou l'on critiquait des textes, poesies, écrits en langue corse.
    - en quoi papi?
    - en langue corse . et les commentaires se faisaient, parfois, en corse aussi.
    - tu délire papi; tu as encore oublié de prendre tes cachets.

    je crois que c'est déja une gageure que de pouvoir lire un texte en langue corse.
    doit on en passer le contenu au tamis tres fin ?refuter le divertissement ? le futile?
    dilemne cruel.
    peut on s'en payer le luxe?
    doit on se comporter comme ces castrateurs qui , se gargarisant à longueur de journée de" ci vole a salva a lingua " , sont si prompts à railler au lieu d'encourager celui qui fait l'effort de parler ?
    on serait tenter de dire non.
    mais cela serait réducteur.
    j'abandonne le seul domaine de la langue corse qui restreint le champ de par sa triste condition.
    pour la litterature corse dans son ensemble , il y un devoir d'exigence à avoir.
    on doit essayer, de toujours tirer vers le haut . ne pas se resigner , ne pas niveller par le bas.

    les ecrivains , mais cela est valable pour tous les arts, ont une responsabilité en tant qu'intellectuels.
    ils ont le devoir d'etre des traceurs de sillons . des semaphores. ils ne peuvent etre détachés du contexte politique , social, sociétal , du pays dans lequel ils vivent , et ainsi se positionner sur l'universel .
    ils ne peuvent etre spectateurs frileux par commodité , avachis sur le canapé ingurgitant ,passifs , le spectacle d'un monde qui se dilue dans l'indifference.
    ils ont le devoir d'etre acteurs.
    Car tout est maillon.

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  6. "Tout est maillon", belle clausule.
    Au-delà je rejoins vos nuances.

    Cependant, si on peut bien parler, d'un point de vue philosophique, de "survivance culturelle" pour autant, il nous appartient d'assurer la transmission et le rayonnement de cette culture afin d'éviter la projection que vous faites du papy avec ses cachets.

    Je note que la majorité des français a beaucoup évolué sur la question des langues minoritaires, elle est moins frileuse, et aujourd'hui majoritairement favorable à la ratification de la charte européenne des langues minoritaires.

    Je constate surtout que l'on se trompe peut-être de terrain en focalisant sur la France, comme le suggérait d'ailleurs un intervenant de ce blog.

    Outre-Atlantique, des philosophes travaillent depuis des années sur ces questions, et l'on peut penser ce que l'on veut des Etats-Unis, mais au-delà des préjugés primaires, il en ressort que les minorités ont un système d'autosoutien qui leur permet de faire rayonner leurs créations.

    http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2009-3-p-11.htm

    Je vous rejoins entièrement sur la responsabilité des écrivains et/ou artistes qui ne peuvent se contenter de SUBIR le monde.

    Il y a des gestes simples. Par exemple, pourquoi n'avons nous pas une WEBTV regroupant tous les programmes en langues corse? On veut bien écouter du corse, mais quoi, à part des chants ou le journal?

    Pourquoi ne structurons-nous pas mieux, tel que l'avait suggéré Edmond Simeoni, les réseaux de la "diaspora"? C'est pourtant là que la notion de peuple prend toute sa force, dans la notion de réseau et d'entraide.

    Pourquoi n'avons-nous pas une bibliothèque numérique regroupant tous les textes corses?

    Je ne crois pas au fatalisme. Des entrepreneurs ont innové et réussi en Corse, ils sont un exemple pour tous. Je pense bien sûr à wmaker à Ajaccio qui est l'un des leader au plan national et s'exporte même au Japon.

    Pour la littérature, il en va de même. Pourquoi raisonnons-nous comme si la France était la seule possibilité de diffusion hors de l'Ile, alors même que c'est ce qui nous fait entrer dans une hiérarchisation à notre désavantage (régionalisme, folklore)?

    Qu'est-ce qui nous dit qu'il n'y a pas un marché plus réceptif ailleurs?

    En outre, pourquoi n'avons-nous pas des revendications et une forme structurée de "lobbying" pour des actes forts?

    Aujourd'hui en France, on peut tenter n'importe quelle Grande Ecole avec l'Hébreu, le Latin ou le Grec...des langues dites rares ou mortes...et la nôtre?
    Et pourquoi pas?

    J'aime le latin et le grec, j'en ai fait. Je ne peux néanmoins pas dire que ce sont les langues dont je me sers le plus pour exporter mes films (rire)

    Donc si on les propose pour les Grandes Ecoles de Commerce, c'est qu'on ne se fonde pas que sur leur apport en terme d'échelle (le nombre de personnes qui la parlent) mais sur leur apport "en-soi"
    En ce cas, pourquoi les autres langues ne sont pas proposées?


    Bref il nous appartient d'être structurés, déterminés, et RESPONSABLES,

    Comme le disait Sartre "l'homme est condamné à être libre, et porte le poids du monde sur ses épaules".

    Donc je vous rejoins entièrement Zirlafiara...et je parle même de mobilisation citoyenne au-delà des artistes et/ou intellectuels quitte à aller jusqu'à ce que Dworkin nomme la "désobéissance civile" lorsque nous sommes manacés de disparition.

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  7. Responsabilité...Oui, mais ne faisons pas porter trop de poids sur les épaules des artistes. Ils le prennent déjà d'eux-mêmes, je crois, c'est peut-être même ce qui les fait créer (faire ce qu'ils ne trouvent pas dans l'art de leur époque, réagir au conformisme collectif, provoquer leur société,se dépasser ou dépasser leurs modèles, et tant d'autres choses encore).

    Chacun est responsable, d'ailleurs : le lecteur en particulier, qui "trie" à sa façon, peut-être mal...parce qu'il n'accepte pas facilement la nouveauté, le singulier qu'il ne comprend pas...Ne parlons pas des institutions, des cercles d'"élites", vraies et surtout fausses, des vieilles statues de commandeurs et j'en passe. Ainsi des génies attendent toute leur vie, ou la mort, pour être reconnus à leur juste valeur.

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  8. Exactement, la responsabilité est individuelle et collective et chacun est responsable.

    Les fausses élites, sans doute le problème majeur est-il dans l'absence de renouvellement et dans la reproduction qui est le corrélat de la cooptation.

    C'est pour cela que je ne trouve pas mauvais le système de mécénat Etats-Uniens qui concerne non pas seulement les grandes fortunes, mais également chaque citoyen, qui encourage, de manière régulière, l'émergence et la diffusion d'autres formes de créations (cf de la culture en Amérique, Frédéric Martel, notamment sur le spectacle vivant)

    Un génie vit-il dans l'attente de sa reconnaissance? Sans doute des génies ne sont pas détectés ou diffusés à hauteur de leur talent, mais je pense que le propre du génie c'est aussi une certaine distanciation par rapport aux reconnaissances formelles.

    Sortir de la norme, être précurseur, c'est par définition, accepter une traversée du désert. Un temps.

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  9. En un mot, je suis plutôt d’accord avec ta dialectique. Ses critères « qu'il estime les bons pour évaluer les productions littéraires» se reposent plutôt sur la qualité esthétique et la profondeur et la diversité de la pensée philosophique, cela me semble plutôt un problème au niveau du goût personnel.

    Est-ce qu’il est propre d’utiliser son élitisme de la beauté absolu comme critère de choisir l’œuvre littéraire?

    "Qu’est ce qu’on enseigne dans la littérature contemporaine chinoise? " Tout …sauf les auteurs trop controversables au niveau moral… (En ce qui concerne le « politique incorrect », par exemple les oeuvres des auteurs « exilés » n’apparaîtront pas sur un manuel lycéen.)

    Pour un adulte, la littérature n’est pas un vrai enseignant. La littérature propose, et les lecteurs font leur choix. D’après moi le résultat de choix est en effet un résultat mutuel. C’est vrai qu’il faut peut-être " guider " les lecteurs – mais le résultat final consiste à " proposer ".

    Sachez qu’en chine, on classifie précisément la littérature avant 1949 (lettre moderne) et celle d’après (lettre contemporain).– et comme dit Kubin, leur contexte et l’environnement politique sont très différents.

    Donc quand il critique la littérature contemporaine en faisant l’éloge de celle moderne, il révèle en fait un critique plutôt vers le régime du pouvoir…La liberté de choisir ses lectures existe toujours, surtout chez les intellectuels. Donc ce que montre finalement comme l’image de la littérature chinoise contemporaine, c’est un résultat de choix individuel.

    Bei Dao a eu un vrai talent et une sensibilité pertinente sur la beauté de la langue et la profondeur de pensée. Il y avait, par exemple, Gu Cheng est aussi pas mal. Les trois noms qu’il a cités ont fait des créations sérieuses et intéressantes au cours des années précédents.

    Mais en revanche, comment peut-on juger les autres auteurs « pas sérieux » ?.. Moi aussi j’ai enclin à la qualité de la langue et la pensée. Mais cela ne peut pas être le critère unique/suffisant pour juger les choix des publications. La vulgarisation de l’élitisme me semble impossible.

    Semblablement, sa préférence pour la langue de la lettre moderne : la chine de la fin de 19e siècle et le premier demie 20e siècle fut en face d’une situation politique, culturel, économique…très complexe.

    A cette époque beaucoup d’élis s’épanouirait, par exemple, Gu Hongming, Qian zhong shu, Qian mu, etc, dont la plupart ont perçu une éducation étrangère. Ils construisaient leur langue à la base de la langue ancienne et la langue moderne, en mélange une couleur littéraire sous influence de la traduction de la langue occidentale.

    Moi aussi j’aime bien, mais cela n’est pas suffit pour construire un critère convaincant, surtout pour juger les autres auteurs des autres époques.

    La beauté de la langue n'est jamais un critère suffisant permet de juger tout les oeuvres. ..Cela me rappelle le cas que l’acro de wilde et rilke estime que tout les autres auteurs sont médiocres, ce qu’il veut signifier c’est d’un "talent naturel".

    Les anglais d’aujourd’hui ne parlent plus comme dans le poème de Yeats, mais personne ne néglige sa beauté…pourquoi exige-il aux chinois d’aujourd’hui de parler et écrire la langue ancienne ?

    Y-a-il une logique entre le réussit commercial et le médiocrité ? par exemple, on ne peut absolument pas parler de Guo Jing ming et Han Han ensemble même si tout les deux sont les bestselles et ont des fonds semblables.

    En un mot, il faut absolument être vigilant et avisé si vous voulez faire un jugement sur la littérature contemporaine chinoise, c’est vraiment un objet ambitieux…

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  10. voici mon avis sur les auteurs qu’il a cités ;

    ●Lu xun : un des écrivains les plus important dans l’histoire moderne, a eu le plus d'influence non pas seulement sur la littérature, mais aussi sur l’évolution révolutionnaire chinoise, langue « demi-ancienne demi-moderne »…
    ●Zhai yongming : poétesse née en 1950s, avait participé à l’écriture du scénario du film « 24 city » de JIA Zhangke
    ●Beidao : poète, commença sa création littéraire après la révolution culturelle, le représentant de sa génération. Une vie de bohème et désinvolte, controversable sur sa vie privée, poème solide de la beauté de la langue et de la principe abstrus de la philosophie
    ●Jin yong : écrivain important et très populaire, dont beaucoup d’œuvres ont été adapté aux grands et petits d’écrans, fameux « roman de cape et d'épée » , (un peu comme des romans fantastique)
    ●Jiang Rong : . …je lis pas, et je sais pas... il a un livre populaire.
    ●Guo Jing-ming: le vrai bestseller,tout jeune, commercialement très réussi par les teenagers, j’ai lu son roman fantastique quand j’avais 16ans
    ●Han Han: il se fait son nom de même façon que Guo Jing ming : ils ont gagnés en compétition littéraire populaire parmi les jeunes. Mais œuvres plus profondes et diversifiés que Guo, « politiquement correct » ? – pas tout à fait, style très satirique et radicale.
    ●Yu Hua: eh auteur du scenario de « Vivre » du zhang yimou Mais Par rapport au Gao xing jian,Yu hua et Ma jian, je ne fais pas de critique à cause de raison personne…..

    Ps : je trouve les phrases suivantes de kubin :
    "Au yeux de la plupart de (mes homologues chinois), le romancier contemporain chinois type est totalement inculte : il n'a aucune culture littéraire, ne maîtrise pas sa langue, ne parle pas un mot d'anglais et n'a pas la moindre connaissance de la littérature étrangère."
    -ce jugement est-il sérieux en lui-même ?....

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  11. MENGQIU TAN,
    merci beaucoup pour ces deux messages, si riches et mesurés. D'accord avec vous sur le fait que les propos de Kubin sont trop radicaux pour ne pas prêter le flanc à la critique. Et qu'on a toujours intérêt à multiplier les critères et les analyses singulières pour rendre justice aux qualités des oeuvres produites.
    Si je me suis permis de transférer sur un blog consacré à la littérature corse, de tels propos sur la littérature chinoise, c'était pour signifier qu'une littérature vivante ne peut pâtir outre mesure d'un débat, même parfois caricatural. Le but est de mettre en mouvement nos goûts et jugements, qu'ils soient remis en question, éprouvés dans la discussion et la confrontation de points de vue. Il s'agirait ainsi d'éviter deux risques : dénigrer la grande majorité de la production corse comme médiocre et peu ambitieuse ; tout valoriser de façon égale. Car dans l'un et l'autre cas, on ne fait pas attention aux réalités singulières que sont les oeuvres et à leurs lectures multiples.

    Encore merci.

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  12. Un grand merci à Mengqiu d'avoir jeté un pont, par sa curiosité et sa participation, entre deux cultures.

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  13. Je reviens de l'île de la Réunion et j'ai rencontré là bas des intellectuels magnifiques qui se battent contre un mépris inimaginable contre leur langue considérée comme du "français corrompu", une sous-langue, et depuis fort longtemps.
    Axel Gauvin, est de ceux-là : écrivain en français (six ouvrages) comme en créole (poèmes, chansons, théâtre, romans), militant d'abord politique puis culturel, il explique dans cette interview à l'Humanité l'importance pour lui d'écrire en créole (même si ce n'est pas exclusif, il lui arrive d'ailleurs de traduire son oeuvre du français au créole ou le contraire) :

    Son mot d'ordre c'est "libérer la langue pour ouvrir les coeurs"


    Pourquoi est-il si important d’écrire en kréole, une langue a priori plutôt faite pour l’oral ?

    Axel Gauvin : On entend ça depuis un siècle !… J’y tiens comme à la prunelle de mes yeux. C’est primordial. Le kréole, en général, est bien moins pauvre que on l’imagine. Écrire en kréole, c’est aller au fond même de mon être. J’ai grandi dans cette langue-là. Dire qu’il faut l’abandonner est une hérésie ! Avec des amis professeurs, nous avons lancé deux mouvements, l’un pour l’aménagement du kréole au niveau sémantique, l’autre en ce qui concerne l’orthographe. Nous réfléchissons à une orthographe consensuelle. Il nous faut arriver à une véritable écriture qui donne en même temps la prosodie, la musique de la langue dans le texte. La promotion de la langue kréole, notre langue première, est un travail de linguiste. Tout en sachant que nous avons besoin du français évidement. Mais nous devons écrire, parler et créer en kréole tout simplement pour une question de dignité. Écrire dans sa langue, c’est se libérer, s’accepter comme on est, et dire aux autres qui veulent nous imposer leur culture : " Nous aussi nous existons et nous avons notre propre culture. " Si je n’écrivais qu’en kréole… vous ne seriez pas là. Si je n’écrivais pas aussi en kréole, ce serait accepter l’idée que nous sommes inférieurs, et ça je ne peux pas l’admettre.

    Votre roman, Aimé (Seuil, 1990), a connu un large succès, et pourtant vous êtes resté discret, presque sauvage, retiré dans les " hauts ", comme on dit chez vous…

    Axel Gauvin : Je suis très narcissique… comme beaucoup de créateurs. Mais j’aime vivre retiré sur mon île. J’ai davantage de relations avec des écrivains mauriciens qu’avec des français, voilà tout. La matière est riche, ici

    Lumineux.

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