lundi 28 juin 2010

En cours de (re)lecture : les "Chroniques littéraires" de Marie-Jean Vinciguerra

Puis-je être "objectif" avec les textes de Marie-Jean Vinciguerra, puisque nous sommes quelque peu "liés" par une relation amicale, des conversations, des échanges d'idées, des échanges de "préfaces" (moi pour son "Don Petru", une tragédie publiée chez Sammarcelli ; lui pour une postface à "Eloge de la littérature corse") ?

Eh bien oui, c'est possible, puisque c'est à cause de mon enthousiasme pour son texte "D'une lecture de la "Tempête" ou La Corse comme métaphore baroque du mystère" (publié dans le recueil "Corse, défense d'une île", éditions Autres temps, 1992), que j'ai eu l'audacieuse idée de vouloir le rencontrer. L'appel final de son texte :

Que l'île invente son volcan ! Qu'elle s'enracine à ses vrais arbres !
Qu'elle lise les secrets inscrits dans sa pierre.
Que son roc soit l'os de sa parole. Voix d'Ariel rassemblant les éléments dans le pin au sang de sable. Lumière de la parole qui tient l'île debout.
Que le feu exprime l'obscurité irréductible de l'Île.
Que son cri brise la gangue minérale où s'emprisonne la matrice de son Peuple.
Que le Chant libéré délie les chaînes !
Que Caliban, nouvel Oedipe, déploie sur la scène d'un théâtre singulier l'énigme du Sphinx insulaire.
La Corse ou la métaphore d'un Sisyphe faisant éclater son rocher en buisson de paroles !


...cet appel a résonné en moi avec force (j'avais vingt ans, on me comprendra) et résonne encore ; je le relis régulièrement, ce texte, j'y puise une certaine folie que je veux retrouver dans ce que nous essayons de nommer littérature corse...

(Mais où trouver ce livre maintenant ? Où trouver ce texte ? Avec l'autorisation de l'auteur, je peux le réécrire dans un des billets de ce blog...)

Bref, tout cela pour revenir sur le dernier ouvrage de Marie-Jean Vinciguerra, que je suis en train de lire : "Chroniques littéraires", édition Piazzola, 2010. 69 chroniques littéraires qui cheminent autour et au coeur de quelques grands thèmes, mythes ou réalités, qui ont forgé l'image de la Corse et que de nombreux ouvrages (essais universitaires ou littéraires, sagas familiales, romans, mémoires, stalvatoghji, etc.), des oeuvres d'art (peintures, installations, sculptures) ou des vies même (Agatha Christie, Christian Boltanski, Gian Paolo Borghetti, etc.) , ont illustrés : l'Italie, le Clan, l'Exil, la Franc-maçonnerie, la Vengeance, l'Amitié, l'Identité originelle, la Femme et la Mère, la Langue corse, le Rire.

L'ouvrage est d'une richesse considérable, par la variété des oeuvres et des vies analysées mais aussi par la volonté commune de chaque chronique de s'élever au-dessus d'un cas particulier et poser un certain nombre de questions plus qu'intéressantes.

Par exemple, celle-ci, à la fin d'une chronique consacrée à Emmanuel Arène :

"Personnalité à facettes, faite de finesse et de roublardise, d'élégance et d'audace, de retenue et de panache, Arène fut l'un de ces rois de la Corse à la royauté éphémère, même si elle dura un quart de siècle, l'un de ces princes de l'esprit qui firent les délices du Paris de la Belle-Epoque. La Corse ne serait-elle qu'un décor et un tremplin pour des gens de qualité qui, et les exemples foisonnent, dispensent les trésors de leur imagination et de leur créativité ailleurs que dans cette île vouée à sa pauvreté et à la seule richesse des mythes qu'elle engendre ?..."

(Ce fut publié dans "Kyrn", en mai 1983).

La question qui court tout au long du recueil est celle de parvenir à dire la véritable singularité de la Corse tout en lui permettant de se libérer du carcan des vieilles structures et des vieilles images. Ce n'est donc pas innocent si le livre commence avec Angelo Rinaldi et se termine (presque) avec Jean-Noël Pancrazi. Deux romanciers (et non analystes ou pamphlétaires) qui par la magie de la fiction et de l'écriture font quelque chose avec les douleurs (ne se contentent pas de les constater) et ouvrent des horizons, promettent des métamorphoses.

Ainsi à propos de "L'Heure des adieux", de Pancrazi :

"L'Heure des adieux" est un livre magique, bréviaire du sacrifice, conque de ferveur et de pureté. Après avoir présenté une apocalypse de la Corse, il nous offre sa métamorphose : cette révolte contre la superstition et les peurs ancestrales dont les clans de faux maîtres ont nourri l'imaginaire des Corses. Toutes les mères, prêtresses sacrifiées veillant sur notre malheur se remettent à danser. Les chemins, les villages et les villes s'ouvrent à la lumière, aux travaux et au commerce. Les navires solaires entrent dans la baie..."
(Kyrn, mai 1985)

Je trouverais dommage qu'un tel livre soit réduit à une collection de regards sur des écrivains, intellectuels et hommes politiques qu'il serait agréable de visiter, en se répétant - secrètement flatté - "ah ! lui aussi est venu dans l'île ?"... Non ?

Mais vous n'êtes peut-être pas d'accord ?

Nous pouvons déjà signaler à nouveau dans ce billet (comme dans un précédent), qu'il y a une discussion lancée par Xavier Casanova à propos des mérites et défauts du travail de l'éditeur de cet ouvrage, Alain Piazzola. Il fait une critique assez virulente de ce travail sur son blog, Isularama ; j'ai envoyé un commentaire à son billet auquel il répond dans un nouveau billet. Discutons-en ! Non ? En argumentant et en citant. C'est la seule façon d'avancer dans une connaissance de plus en plus fine des livres qui comptent à nos yeux ?

Dans tous les cas, l'ouvrage de Marie-Jean Vinciguerra a plusieurs mérites (notamment de nous faire sentir le changement de climat mental et culturel lorsque la Corse passe de l'Italie vers la France), mais il en est un qui est précieux : il m'a donné une furieuse envie de lire "Les Jardins du Consulat" de Rinaldi et de relire "L'Heure des adieux" de Jean-Noël Pancrazi !

(Et puis cette histoire de "navires solaires entrant dans la baie..." (d'Ajaccio, bien sûr), cela me fait penser à ce poème de Ghjuvan Ghjaseppu Franchi que je citais dans un ancien billet, non ? : "u bastimentu assulanatu"...)

1 commentaire:

  1. Ce commentaire me fait plaisir. Je sais qu'à voir le livre comme un tout, à la recherche d'une harmonie entre le texte et sa mise en œuvre éditoriale, il y a toujours le risque d'entacher l‘œuvre à travers une critique acerbe de son exécution. Ce regard viendra compenser ma critique de la mise en scène. Pour les pièces de théâtre, on peut attendre une autre troupe. Pour les œuvres publiées, cette éventualité s'estompe, le droit d'exploitation ayant été cédé à un éditeur et à un seul. Il n'y a donc plus d'autre ressource que de faire vivre ce texte ailleurs et autrement, dans son démembrement en analyses et sa fragmentation en citations.
    Ainsi, un acte éditorial est-il toujours une manière d'ouvrir ou de fermer l'avenir. Un acte grave où la partition et l'exécution se confondent, jusqu'à ce que l'œuvre tombe dans le domaine public. Sauf si sa réédition est refondue sous une autre direction éditoriale et artistique. Encore faudrait-il que la première édition soit rapidement épuisée. Ce que, bien évidemment, je souhaite ardemment.

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