mardi 7 avril 2009

Littérature (en) Corse

Dans la discussion passionnante et infinie sur ce qui peut être considéré comme de la "littérature corse", nous oscillons sans cesse entre un certain nombre de critères, plus ou moins nombreux, exclusifs, définitifs, etc. (l'identité de l'auteur, la langue utilisée, le sujet abordé, etc.)

Personnellement, je penche plutôt pour accueillir à bras ouverts (ou dans le secret de nos coeurs) des textes qui me semblent jouer un rôle dans la vie de l'imaginaire corse. Je me rends bien compte qu'une telle "définition" de la littérature corse n'en est pas une et ne règle pas le problème ; mais sa façon de ne pas le régler me semble fructueuse...

Pêle-mêle : Mérimée, Balzac, Carrington, Boswell, Dostoïevski (si, si : voir le commentaire numéro 3), Dante, Rinaldi (permettez-moi un peu d'humour très bienveillant), etc. sont de parfaits exemples d'auteurs qui, même à leur corps défendant, jouent leur rôle dans notre imaginaire (ou peuvent le jouer, un peu comme dans le sketche de Francis Blanche : "Il peut le faire !")

A cette liste, j'ajoute maintentant Antoine de Saint-Exupéry.

Le lien biographique avec la Corse est bien connu : voyez la stèle commémorative à l'entrée de l'aéroport de Bastia-Poretta rappelant aux oublieux que nous sommes tous (ou que nous deviendrons tous) que le fameux pilote et créateur du "Petit Prince" est mort au cours d'une mission de reconnaissance, après avoir décollé de Corse, le matin du 31 juillet 1944.

Un lien littéraire ? Eh bien, le site de "Musa Nostra" me rappelle un texte (que j'avais certainement déjà lu dans un vieux numéro de Corse-Matin, me semble-t-il, peut-être dans la rubrique de Dominique Mondoloni) texte que Saint-Exupéry avait écrit à propos de la Corse, une sorte d'ode, d'éloge, racontant la vision de l'île dans le regard du pilote revenant de mission et semblant s'abîmer dans une extase olfactive et érotique : voir ici le texte.

A part quelques expressions ("tes mille sentiers bleus comme des veines", "fruits éclatés au soleil", "elle n'en finissait pas de rendre son parfum"), ce texte ne me plaît pas beaucoup ; j'ai l'impression de lire un emportement lyrique débridé, quelque chose d'assez convenu, de pas très personnel ni de très écrit ; mais ce n'est qu'une impression personnelle, vous en avez certainement une autre et peut-être aussi un regard plus informé ?

En tout cas, dans cette "Ode à la Corse", l'avion de Saint-Exupéry s'approche de la Corse, la survole (moteur coupé quelques instants), avant de s'y poser. Donc, d'une manière ou d'une autre, nous pouvons discuter du rôle de ce texte dans notre imaginaire. Les thèmes de l'odeur et de la beauté (visuelle) sont prégnants chez nous. D'ailleurs, il serait intéressant de voir comment cette thématique a pu évoluer dans les oeuvres littéraires corses (il faudrait bien sûr faire un crochet par l'odorat de Napoléon - et d'Ocatarinetabellatchitchi - qui dit-on...).

Mais depuis le premier instant que j'écris ce billet, il est un autre texte de Saint-Exupéry qu'il me brûle d'écrire ici. Car c'est celui-ci qui pour moi joue un rôle important dans notre imaginaire. (Encore qu'il pourrait être intéressant de faire jouer les deux textes entre eux, de voir ce qui se passe dans l'entre deux).

Il s'agit d'une des dernières lettres (sinon la dernière, je ne saurais vous dire, car le volume que j'ai dans les mains offre deux lettres écrites le même jour) de notre pilote écrivain. Elle est datée du 30 juillet 1944. Elle est adressée à Pierre Dalloz, un de ses amis (qui la lira le 8 août suivant, à Alger). Elle est donc écrite en Corse, la veille de sa mort, par un écrivain qui va, une nouvelle et dernière fois, monter dans un avion armé seulement d'un appareil photographique, se diriger vers le lieu de son enfance (dans la région de Lyon) et certainement survoler le Vercors (dont à ce moment très précis le Maquis est massacré et notamment Jean Prévost, exécuté, grand ami de Saint-Exupéry et de Pierre Dalloz), avant d'être abattu par un chasseur allemand et de s'écraser en mer non loin de Marseille.

(Vous pouvez trouver ce texte dans l'ouvrage intitulé "Ecrits de guerre 1939-1944" ; vous pourrez y lire aussi les sublimes et longs extraits d'une lettre de décembre 1943, "nommée" dans ce volume "Nuit dans la tête et froid dans le coeur..." ou bien encore ceux d'une "Lettre à X..." de mi-novembre 1943).

Je ressens profondément ces mots comme un élément déterminant. Comment le dire ? Je sais pertinemment qu'ils auraient pu être écrits ailleurs qu'en Corse ; mais, voyez-vous, c'est en Corse qu'ils ont été écrits et c'est moi qui les ai lus, alors je ne peux m'empêcher de les associer à un complexe d'images et d'histoires nouées par des liens aussi vivants que secrets. La Corse vue d'avion (à l'arrivée, au départ) ; le monde et les "temps présents" vu de Corse ou au départ de la Corse ; la Corse et le Vercors (Maquis, Résistance, Montagne) ; la solitude ; l'étrangeté du monde et de la condition humaine ; l'amitié ; le retour à l'enfance, à l'origine ; les images invisibles et pourtant prégnantes (noyées avec leur photographe) ; le regard d'une mère sur un jardin...

Voici l'un des plus beaux textes de Saint-Exupéry et l'une des pages les plus réussies de la littérature corse (vous voyez que je ne recule devant aucune des outrances de la propagande publicitaire pour me donner raison !) :

[30 juillet 1944]
Secteur postal 99027.

Cher cher Dalloz, que je regrette vos quatre lignes ! Vous êtes sans doute le seul homme que je reconnaisse comme tel sur ce continent. J'aurais aimé savoir ce que vos pensiez des temps présents. Moi, je désespère.

J'imagine que vous pensez que j'avais raison sous tous les angles, sur tous les plans. Quelle odeur ! Fasse le ciel que vous me donniez tort. Que je serais heureux de votre témoignage !

Moi, je fais la guerre le plus profondément possible. Je suis certes le doyen des pilotes de guerre du monde. La limite d'âge est de trente ans sur le type d'avion monoplace de chasse que je pilote. Et l'autre jour, j'ai eu la panne d'un moteur, à dix mille mètres d'altitude, au-dessus d'Annecy, à l'heure même où j'avais... quarante-quatre ans ! Tandis que je ramais sur les Alpes à vitesse de tortue, à la merci de toute la chasse allemande, je rigolais doucement en songeant aux super-patriotes qui interdisent mes livres en Afrique du Nord. C'est drôle.

J'ai tout connu depuis mon retour à l'escadrille (ce retour est un miracle). J'ai connu la panne, l'évanouissement par accident d'oxygène, la poursuite par les chasseurs, et aussi l'incendie en vol. Je ne me crois pas trop avare et je me sens charpentier sain. C'est ma seule satisfaction ! Et aussi de me promener, seul avion et seul à bord, des heures durant, sur la France, à prendre des photographies. Ça, c'est étrange.

Ici on est loin du bain de haine mais, malgré la gentillesse de l'escadrille, c'est tout de même un peu la misère humaine. Je n'ai personne, jamais, avec qui parler. C'est déjà quelque chose d'avoir avec qui vivre. Mais quelle solitude spirituelle.

Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m'épouvante. Et je hais leur vertu de robots. Moi, j'étais fait pour être jardinier.

Je vous embrasse.

Saint-Ex.

6 commentaires:

  1. Chì testu prufondu,lucidu,adddispiratu ma pienu di serenità, di curagiu tranquillu.

    Stranu, pare ch'ellu appia avutu tanti avvertimenti di a fine capunanzu...

    Hè partutu u core serenu, "je ne regretterai rien" : sè tutt'ognunu pudessi dì listessa à l'ultima ora!

    Stranu destinu : quellu chì l'hà tombu era un ammiratore appasssiunatu di i so libri : ùn s'hè mai rimessu, quand'ellu à sapiutu ch'ellu avia tombu u so idulu!!

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  2. Grazie per u cummentu !

    Hè veru chì l'aviatore alemanu chì l'hà tombu era un ammiratore... Si vede cusì a forza di "u lettore". (Scusate issu scherzu, mà pensu ch'ellu hè bonu di tumbà l'idoli !)

    Ancu eiu mi pare bellissimu issu testu.

    Rivecu aspessu issa imaghjina di u so aviò ("u solu aviò, solu à bordu") spassighjendu si è rittratendu a Francia, i lochi, a guerra, i so amichi, e strade, incù a morte à cantu à ellu...

    Bellu destinu.

    Francescu Renucci

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  3. Và bè, avà chì m'ai datu u permessu, pensu ch'aghju da tumbà à Marcu Biancarelli! Ci trica di vede a surtita di u so prossimu libru "Murtoriu" (torna un innu à a speranza, nè, o Marcu? loool)

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  4. L'addisperu hè piuttostu d'ùn sapè nudda di a so surtita.

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  5. Face prò di vede tanti desiderii di lettori ! Anu eiu l'aspettu issu rumanzu...
    Ma, aspettendu issu testu, chì legjhite ?
    A prestu.

    FR

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  6. L'ultimu ch'aghju lettu hè u rumanzu di una Messicana, Carmen BOULLOSA, buscu à u Salone di u Libru in Parigi "la novela perfecta", diretta in spagnolu.
    Face un pocu pensà à Pegasi pè u tema : un scrivanu tranchju chì si face intrattene da a so moglie avucata in New York scontra un persunaghju stranu chì li prupone di creà u "rumanzu perfettu" per via di una mascina chì trasforma diretta tutu ciò chì ci hè in l'imaginazione di l'autore in una "rialità virtuale": ùn passa più pè e parolle, chì, sicondu à Carmen, sò fatte per e bucie, ma micca per cuntà storie...Una scritttura allegra, piena di spiritu è di u suchju di a vita.
    Di sicuru e cose ùn giranu cum'elli pensanu i dui cumplici...
    Rumanzi in francese di st'autore si trovanu ind'è l'editore "le serpent à plumes".

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