samedi 24 avril 2010

Dernier club de lecture : premier compte rendu

Qui dit "premier compte rendu", dit qu'il y en aura d'autres...

Eh oui, car lors de ce premier Club de lecture consacré aux "Mazzeri" les deux membres de l'amicale qui devaient venir présenter des ouvrages (ceux de Dorothy Carrington et d'André-Jean Bonelli) ont eu chacun un empêchement...

...et le public, tout en étant de très grande qualité, fut maigre : nous étions trois ! (moi y compris).

Nous organiserons donc, en automne sûrement, un nouveau Club de lecture sur le thème des "Mazzeri" !

Malgré tout, la discussion fut très intéressante (au point que nous n'avons pas eu le temps d'écouter l'émission de Madeleine Rossi dont il a été question dans un billet précédent, j'en suis bien désolé) :

Pascal Génot :

- présenta la conférence de Jean-Louis Moracchini, publiée dans le numéro 13 de la revue "Strade", et avec laquelle il était globalement d'accord (la figure du Mazzeru apparaissant surtout comme une construction récente - années 1970 - de la part d'intellectuels ; figure assez souple dans ses aspects pour pouvoir être utilisée, voire formée, par différentes idéologies politiques, identitaires, religieuses ; figure finalement proposée comme symbole de l'identité originelle corse, au détriment d'autres éléments de l'imaginaire magico-religieux insulaire ; figure peut-être fabriquée dans le but de distinguer la Corse parmi tous les imaginaires des peuples méditerranéens ou européens).

- indiqua sa déception devant l'argumentation, publiée dans le même numéro de "Strade", proposée par Georges Ravis-Giordani qui, en réponse à l'analyse de Jean-Louis Moracchini, insistait sur les signes d'une évocation ancienne de la figure du mazzeru (notamment dans un texte de 1881) et sur son importance dans l'imaginaire corse (en complément et en opposition à la figure de la strega - la sorcière).

- en vint à demander qu'une étude ethnologique de grande ampleur soit lancée pour essayer de faire scientifiquement le point sur cet élément finalement extrêmement présent dans les discours, les essais et les fictions.

- signala qu'une telle perspective correspondait aux réflexions de Philippe Pesteil, maître de conférences en anthropologie et en ethnologie à l'Université de Corse ; cita un extrait de son article paru dans le numéro de la revue Ethnologie française (déjà citée sur ce blog), "L'ethnologie au risque de la tutelle. Une discipline sous le couvert de la société civile." :

"Le Mazzeru prend les trait d'un rebelle à la religion dominante : il est le véhicule des modes d'expression populaires et le guide privilégié vers une culture authentique.
Le Mazzerisme puis le chamanisme dont on qualifie hardiment la religion primitive corse et qui devient une doxa incontournable demeurent peu sensibles au débat disciplinaire que ces options impliquent.
Cett optique touche à l'ethnologie, à l'histoire des religions mais surtout à un positionnement ésotérique.
L'engagement des recherches vers le religieux et le traitement ... du monde ne sont pas le fruit du hasard. Ils sont la conséquence d'un choix où le rationnalisme et la coupure epistémologique sont clairement étiquetés comme extérieurs à un mode de pensée autochtone."

- il signala enfin l'existence d'un autre article de Philippe Pesteil, portant sur le sujet du Mazzeru : "Une reconstitution identitaire séductive : le mazzeru corse", in "La ricerca folklorica", n° 43, 2001).

Anne Carrols :

- évoqua son propre rapport aux légendes populaires dans le Rouergue et dans le Languedoc ; le Drac notamment et aussi le Diable ; ainsi que le rapport de sa famille (grands-parents, parents) avec la langue occitane (langue de l'intimité, du rire, uniquement orale, véhicule des légendes). Elle signala la rupture de transmission de la langue et de cet imaginaire légendaire entre la génération de ses parents et la sienne.

Moi-même, je :

- m'étonnai que personne sur le blog ne signale l'absence de deux textes importants dans la bibliographie proposée sur le sujet des Mazzeri : "Mal'Cunciliu" de Jean-Claude Rogliano et "Intornu à l'essezza" de Rinatu Coti. Je les présentai brièvement ainsi que "La fuite aux Agriates" de Marie Ferranti, "Cosu Nostru" de Jean-Pierre Arrio et "La confession du solstice" (in "L'île intérieure") de Marie-Gracieuse Martin-Gistucci afin d'insister sur la plasticité de la figure du Mazzeru : figure assez ambigüe (entre bien et mal, féminité et masculinité, culpabilité et irresponsabilité, liberté et destin, jour et nuit, vie et mort, individu et collectivité, puissance et impuissance, secret et révélation, ordre et désordre) pour donner lieu à de multiples variations. Je signalai ma préférence pour le traitement de Marie Ferranti et celui de Martin-Gistucci et renvoyai à ma critique assez négative du "Mal'Cunciliu" de Rogliano (livre que je trouve toutefois très intéressant pour comprendre l'évolution de l'imaginaire corse contemporain ; tout cela étant absolument discutable, bien sûr, et ne cherchant à faire aucun tort à quiconque ; je rappelle qu'il me semble important que ce que pensent et ressentent réellement les lecteurs de littérature corse puisse se dire et se discuter de la façon la plus fructueuse pour l'évolution de cette même littérature. Non ?).

- signalai une des métamorphoses, selon moi, du mazzeru, dans un de mes romans corses préférés : "A funtana d'Altea" de Ghjacumu Thiers. Le personnage du jardinier, ancienne terreur de Bastia du temps de son enfance, devenant un incendiaire, un monstre de feu, vengeur, esprit battant la campagne, sanglier, bête énorme.

- lus un passage de l'essai de Rinatu Coti utilisant le Mazzeru pour expliquer la fonction du Poète en Corse :

"Ma comu pudarà essa ditta oghji issa parola viva, purtata da a tradizioni nustrali, chì ci s'apparteni, è chì ci arriguarda ? Ùn sò micca uni pochi chì paralani, chì tandu saria propiu spatrunà u populu, innò mancu appena, parla eddu è tocca à stallu à senta. È issu populu parla in bocca à u pueta, in bocca à u mazzeri. È d'infatti, l'unu è l'altru, veni ad uguali. Nisciunu dici una parola parsunali, faci prisenti u cumunu chì li veni da i radichi di a mimoria. Ed hè par ciò, ch'eddi sò stati à senta, unu quant'è quidd'altru. A so parola ùn hè nè nova nè antica, hè, è basta. Ùn hè micca una parola falata calza è vistuta da un puteri supranu chì a imponi di praputenza, hè, è ùn hè altru cà una parola isciuta da u populu è chì volta ad eddu par figliassi dinò in a propia surgenti di a so nascita.

Eddu, u pueta dici di ghjornu ciò chì nimu dici, ciò chì si taci, ma chì tuttu ognunu brama di senta è di dì. (...)

Eddu, u mazzeri, vedi di notti ciò chì nimu vedi, ciò chì si piatta ma chì tuttu ognunu brama di veda è di fà."

(Traduction de Paul-Dalmas Alfonsi :

"Mais comment pourrait être dite aujourd'hui cette parole vive, portée par notre tradition, qui nous appartient et qui nous concerne ? Ce ne sont pas quelques-uns qui parlent car ce serait alors déposséder le peuple ; non, pas du tout, c'est lui qui parle et il convient de l'écouter. Et, de fait, l'un ou l'autre, cela revient au même. Nul ne formule une parole personnelle mais on actualise ce qui est commun et qui vient des racines de la mémoire. C'est pourquoi ils ont écouté, l'un tout autant que l'autre. Leur parole n'est ni nouvelle ni ancienne, elle existe, et cela suffit. Il ne s'agit poas d'une parole descendue dans tous ses atours d'un pouvoir supérieur qui l'impose d'autorité, elle existe. Et elle n'est rien d'autre que la parole issue du peuple et qui retourne à lui pour se réengendrer dans la propre source de sa naissance.

Le poète, lui, dit de jour ce que nul ne dit, ce qui se tait, mais que tout un chacun désire entendre et dire. (...)

Le mazzeri, lui, voit de nuit ce que nul ne voit, ce qui se cache mais que tout un chacun désire voir et faire."

(Je rappelle que ce texte de Rinatu Coti a fait l'objet d'un débat stimulant sur ce blog).

Puis cette discussion prit fin et, après la fermeture de la librairie All Books and Co qui accueillait ce troisième club de lecture corse de la saison 2009-2010 - encore merci ! -, nous poursuivîmes nos échanges aux Deux garçons, sur le Cours Mirabeau ; l'air du soir était encore agréable (enfin !)...

2 commentaires:

  1. Pesciu anguilla ? The string is a bit obvious, Mr. Renucci ! Murtoriu, again ? WE SHALL NOT BUY THIS BOOK, I SWEAR BY BOSWELL ! Why don't you just talk to us about ancient poetry from castagniccia or northern Taravo ? Don't waste your talents with Biancarelli and focus on real corsican literature : Dalzeto, for instance, whose wonderful novel has just been translated. Why don't you write a post about it ? Or the great Rogliano ! Her, in Brighton, we love mazzeri, both straight or gay ! But it's better if they are gay : don't you know Santu Casta wrote an oncredible story about two lesbian mazzere ? Tell us about it and just forget about Murtoriu, it's enough now, we cant' stand anymore.

    RépondreSupprimer
  2. Monsieur Katz,
    je prends note, je prends note. Oui, je crois avec vous qu'une littérature est la somme des prescriptions qui la prennent pour objet. Les émotions qui agitent votre syntaxe font plaisir, vraiment. Je me dois de vous signaler tout de même que vous êtes peut-être motivé par le désir inconscient de faire lire "Murtoriu" (que j'ai lu - et je réserve mon avis jusqu'à la saison des prix littéraires insulaires, bien sûr). Loin de moi l'idée de vous prêter une intention hypocrite, vous le voyez. Finalement la littérature corse est la somme des prescriptions inconscientes qui la prennent pour objet.

    Je le savais que le dialogue était la voie royale vers le vrai !

    Monsieur Katz, merci.

    RépondreSupprimer