vendredi 6 février 2009

Comment peindre une femme

L'oeuvre romanesque de Marie Ferranti semble répondre à un mouvement de balancier semblable à celui du coeur (systole-diastole) : les histoires corses alternent avec des histoires se déroulant ailleurs (Pays-Bas, Italie, Sicile).

Toutefois, cette alternance met aussi en évidence un certain nombre de points communs entre tous ces romans : la cruauté, la relation d'amour, la figure féminine (je sais bien que cela est très restrictif et si vous aimez comme moi les livres de Ferranti, vous ferez état de bien d'autres aspects de son oeuvre qui vous hantent, mais personnellement, je garde dans mes souvenirs des images de femme amoureuse).

Et de même que "La Chartreuse de Parme" est une histoire italienne et un chef d'oeuvre de la littérature française, il me semble que les oeuvres littéraires corses ne sont pas tenues de parler explicitement ou essentiellement de la Corse (je pense aux nouvelles de "San Ghjuvani in Patmos" de Marcu Biancarelli mais il y a aussi d'autres exemples) pour pouvoir nourrir l'imaginaire corse... (A discuter bien sûr).

Alors, pour ce billet, je relirai avec vous les premières lignes de l'un de ses romans, publié en 2002, "La Princesse de Mantoue" :

Barbara de Brandebourg était laide.
Elle a près de cinquante ans, quand Andrea Mantegna la peint, en 1470, au côté de son époux, Louis de Gonzague, entourée de ses nombreux enfants et de la cour de Mantoue.
"Dans la Camera depicta, écrit-elle à sa cousine, Maria de Hohenzollern, Mantegna m'a fait des yeux las et jaunes, étirés vers les tempes comme ceux des chats. Rien de délicat dans ma figure. Oserai-je avouer que je suis étonnée de me voir ainsi ? Mais dame Julia, la naine, qui se tient à mes côtés, est d'une ressemblance confondante et je ne puis donc douter de la mienne avec ce portrait.
Le regard des autres est sans indulgence pour nos défauts et celui de Mantegna est impitoyable. Je lui en sais gré. La dureté, dans le domaine des arts, est une vertu et il est bon parfois de se voir tel que l'on est. Ma stupeur vient cependant que l'on me reconnaisse là où moi-même je crois voir une étrangère. Cela donne lieu à des méditations plus profondes. S'arrête-t-on à mon apparence et non à ce que je suis ? Qui peut le dire ? Toi, peut-être, chère Maria..."

Barbara n'a pas tenu rigueur à Mantegna de l'avoir peinte ainsi. Jamais, sa volumineuse correspondance l'atteste, elle ne songea à faire détruire la fresque de la Camera depicta, comme Isabelle d'Este le fit d'un tableau de la main de Mantegna, parce que l'artiste avait négligé de l'embellir, ce que l'orgueilleuse Isabelle n'avait pu supporter.
Barbara de Brandebourg plaçait ailleurs ses ambitions.
Ainsi, elle disait aimer en Mantegna l'humilité qui lui fit écrire, dans la dédicace placée au-dessus de la porte, que la Camera depicta était une modeste composition.
Au XVème siècle, Galleazo Maria Sforza, duc de Milan, disait avec une admiration mêlée d'envie de "cette modeste composition" qu'elle était la plus belle chose du monde.
Au XVIIème siècle, on appela la Camera depicta, la Camera degli Sposi. Elle a depuis gardé ce nom. Les princes de Mantoue, Louis de Gonzague et Barbara de Brandebourg, étaient ainsi liés pour l'éternité.

Evidemment, maintenant que je relis ces lignes, je repense à la dernière page de ce roman et elles prennent toute leur saveur. Les oeuvres littéraires corses sont de plus en plus ambitieuses, affranchies des limites de la nostalgie et de l'obsession réaliste, amoureuses de l'art de la fiction ; voilà de quoi réjouir le "coeur des hommes" !

2 commentaires:

  1. Bravo pour votre initiative François Xavier Renucci, de plus en plus de personnes s'attachent à défendre et à illustrer la création littéraire et artistique insulaire et c'est tant mieux !
    Vous pouvez visiter mon site: www.invistita.fr et me laisser un message afin que nous échangions nos liens....
    En totale identité de vue avec votre démarche.

    Norbert Paganelli

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  2. Norbert, un écho à ce commentaire : tout à fait d'accord avec ce désir pour la création littéraire et artistique insulaire ; je suis plus sceptique sur le couple "défendre et illustrer", je sais que la vie est un combat (perdu d'avance) mais je préfère m'attacher à "soumettre aux lectures, aux échanges, aux sollicitations, aux critiques et aux désirs" cette production. Nous en reparlerons.

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