Quelle souplesse d'utilisation que celle d'un blog !
Voici comment le texte que je vais citer dans cet article est arrivé sur ce blog : j'écris le 2 février dernier un billet intitulé "Littérature corse sur Internet (2)" ; Angèle Paoli ajoute le 2 mars un commentaire me recommandant d'aller voir du côté du site de Marie-Ange Sebasti ; j'y vais, j'apprécie, j'écris un mail à ce nouvel auteur pour moi ; le courant passe et je finis par trouver des livres dans ma boîte aux lettres ! ; notamment une photocopie du recueil "Presque une île" (La Marge édition, 1997) ; je lis ce texte ce soir, très - trop - rapidement, avec l'idée d'y revenir ; et là un, puis deux, et plusieurs poèmes m'accrochent, me font sourire, décoller, rêvasser, approuver silencieusement, m'interroger : ça fonctionne, ça marche (sur moi en tout cas, ce soir-là, mais peut-être pas pour vous ?)
(Et d'ailleurs j'adore tous les modes d'accès à l'imaginaire littéraire : les beaux livres comme les jeux de photocopie, les récits faits au comptoir et les pavés qu'on lit sur la plage, l'écriture sur l'écran d'Internet et les manuscrits, les piles de livres bientôt promis au pilon et la feuille unique quatre fois pliée portée en poche, etc. etc.).
Alors, voici ce que je vois en ce moment-même et que je reporte ici en lettres numériques :
La citadelle n'avait d'yeux
que pour nos abordages
et négligeait les grands oiseaux
qui la cousaient au ciel
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Soudain s'impose
une aire à circonvenir
un terrain à bâtir
et le fil du voyage se noue
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Qui a jeté le feu
aux orties ?
Depuis, elles l'ont gardé au chaud
pour le rendre
en temps inutile
---
Que reste-t-il après
une colère de longs couteaux
lacérant la lumière d'un espace paisible
planté
au bord des mondes ?
Presque
une île
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Tel un vieux mégalithe débusqué
dans les ronces éternelles
tu fronces les sourcils
et te tiens coi
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Un colporteur innocent
traverse sans fatigue la contrée
la besace pleine
d'almanachs anachroniques
tandis que vrombit l'horizon
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Je n'ai pas eu à détacher
l'enchaîné
Il a quitté la foule
et mis sa main
dans la mienne
à Sartène
au coeur du monde
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Les camelots
ont installé leurs mots
là où s'agrandissait
le périmètre des légendes
---
Moi j'aime ici comment de petits poèmes insèrent des mots simples, à la limite des stéréotypes (l'enchaîné, légendes, mégalithe, ronces, île, feu, voyage, citadelle) dans un rythme à deux temps, des diptyques toujours dynamiques, dont les tournures font mouche. Des poèmes comme des formules, à lire par grappes. J'éprouve le même plaisir qu'à la lecture de Guillevic et notamment d'un ensemble de poèmes que je travaillais avec mes élèves : "Bergeries" (1969-1975, publié dans le recueil "Autres").
En voici deux :
Suppose
Que le bois de la table
Réclame ses racines
Et que je te demande
De nous y prendre ainsi
Qu'il ait surtout besoin
Du toucher de nos mains.
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Suppose
Que la fleur soit si drue
Que c'est trop de défi
Et que je te demande
De m'apprendre à la voir
Sans penser que c'est nous
Que sa mort atteindra.
Et voilà.
Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
Heureuse que le courant soit passé. Je vous fais un lien vers un petit portrait que j'ai fait de Marie-Ange.
RépondreSupprimerAnghjula
Merci pour le lien ! Il faut bien un réseau pour que le courant passe...
RépondreSupprimerVous parlez d'une "poésie de la traque", c'est intéressant ; je vais relire avec cette idée en tête. J'avais plus le sentiment d'une poésie qui parvient à saisir, assez facilement ; je vais relire, je vais relire.
Ci-après, trois poèmes de Marie-Ange, suivis de traductions inédites de Nurbertu Paganelli :
RépondreSupprimerTerre étroite, éclatante
obstinée
jusqu’à ses bords extrêmes
d’où je déloge sans crier gare
tous les navires
Marie-Ange Sebasti, Bastia à fleur d’eau, photos de Monique Pietri, JA éditeur, Collection La marque d'eau, 2008, page 9. Préface de Marie-Jean Vinciguerra.
Tarra stretta, rilucenta
muvrogna
sinu à li so limiti stremi
Da duva diloghju senza mancu briunà
tutti li navi
Traduction inédite de Nurbertu Paganelli
Achemine la nasse des mots
vers l’autre versant du silence
sans te retourner sur la veille
sans craindre la rumeur hâtive
du port d’attache
id., p. 11.
Incamina la nassula di li parolli
versu l’altru pughjali di u silenziu
senza vultati versu l’arimani
senza tema u scarafaghju affuriatu
di lu to portu
Traduction inédite de Nurbertu Paganelli
PS Avez-vous pensé à demander un prière d'insérer aux éditions A fior di carta qui viennent de publier le dernier recueil de Nurbertu Paganelli : Canta à i sarri, poésie ? Notre cher Norbert fait actuellement une signature sur le stand corse du Salon du Livre, et nulle trace de ce recueil sur la Toile. Pas même sur le site de son éditeur. Encore un beau sujet de note pour votre blog...
Chère Angèle,
RépondreSupprimermerci de donner ici voix au chapitre à d'autres poèmes de Madame Sebasti et à la version corse de Nurbertu Paganelli !
Oui, effectivement, le site des éditions A fior di carta ne signalent pas l'ouvrage de Paganelli ; mais je pense que cela n'est dû qu'aux difficultés de tout mener de front. Jean-Pierre Santini n'a certainement pas encore eu le temps. Ce n'est pas une méchanceté de sa part, je pense, puisqu'à Furiani la semaine dernière, Santini était à côté de moi et j'ai vu l'ouvrage de Paganellli dans ses mains !
Dans le même ordre de choses, les éditions Albiana n'ont pas encore signalé la parution de "Septième ciel", le dernier roman de Ghjacumu Thiers, alors que j'ai pu l'acheter à Bastia, la semaine dernière et que je suis en train de le lire (avec beaucoup de plaisir !) L'édition corse montre là les limites de ses moyens, je pense. Notre institution littéraire est donc bien balbutiante puisque des ouvrages tardent à apparaître, puis apparaissent flous et enfin disparaissent très vite !
Alors que des sites et des blogs régulièrement nourris, actualisés, réactifs sont un plaisir immense et une nécessité vitale !
Il y a effectivement une étude à faire sur les sites corses (culturels, artistiques et littéraires) : leurs qualités, leurs défauts.
Et puis c'est aussi à nous de signaler ce que nous en attendons.
Par exemple, j'aimerais lire plus d'entretiens sur le site des éditions Albiana, je les trouve très bien faits, pas formatés comme pour un magazine papier, longs, entrant dans les détails. Voilà une forme qui me paraît intéressante.
Des entretiens de ce genre seraient intéressants avec d'autres "acteurs" du monde littéraire : les éditeurs, les libraires, les bibliothécaires, mais aussi les lecteurs ; il y a là des formes à imaginer.
Je pense au site des éditions Léo Scheer, que j'ai trouvé très beau, riche, il y a des vidéos (j'ai vu celle avec Raymond Federman, passionnant).
Que Norbert Paganelli fasse une signature, c'est très bien ; mais avec des lectures ce serait encore mieux, des lectures en plusieurs langues ; des débats autour de la traduction poétique entre langues (petites et grandes).
Par contre je ne sais pas ce que vous appelez "demander un prière d'insérer" : pouvez-vous m'éclairer ?
Le prière d'insérer, c'est une petite note d'information qu'expédie l'éditeur en même temps que le service de presse de l'ouvrage. Les journalistes l'utilisent le plus souvent pour annoncer la sortie d'un ouvrage. C'est par exemple ce que pratique Florence Trocmé dans Poezibao pour son actualité des livres de poésie.
RépondreSupprimer=> " Des lectures en plusieurs langues ; des débats autour de la traduction poétique entre langues (petites et grandes)", c'est ce que j'entreprends dès demain soir à Boulogne-sur-Mer, puis Dunkerque, et dans plusieurs établissements scolaires du Nord de la France, dans le cadre d'une mini-résidence d'écrivains subventionnée notamment par l'Académie de Lille et la Ville de Boulogne, et organisée par la revue semestrielle d'art et de littérature REHAUTS (que dirige Hélène Durdilly). Une autre expérience de ce type aura lieu le mois prochain à Pistoia. Nous pouvons en reparler...
17 mars 2009 20:22
Merci pour les précisions concernant le "prière d'insérer". Mais je pense que je ne vais pas en demander aux éditions A fior di carta.
RépondreSupprimerEn fait, votre remarque me fait comprendre à quel point j'imagine ce blog comme un objet collectif, lacunaire, partial.
J'apprécie que votre site soit si riche, varié, pertinent : c'est un site-ressources et un site qui provoque des étincelles ; on y sent une maîtrise, un projet global, une cohérence.
Je voudrais que "Pour une littérature corse" soit le réceptacle de "récits de lecture", et pas celui des paroles officielles des éditeurs ; ni celui de "présentations critiques objectives" (qu'on peut trouver sur "Poezibao").
Toutes ces formes me paraissent viables mais ce qui me plaît vraiment, c'est le continent inconnu des lectures réelles (en l'occurrence de livres de littérature corse).
Bonne poésie dans toutes les langues à Boulogne-sur-Mer, à Dunkerque et à Pistoia !
(Tiens cela me fait penser que Pistoia est une ville italienne évoquée dans deux romans de Thiers : "A funtana d'Altea" et "Septième ciel"...)
Bonjour à vous,
RépondreSupprimerJ'ai effectivement eu grand plaisir à traduire quelques textes de Marie Ange Sebasti en langue corse et un petit billet lui est consacré sur mon site (rubrique news). Il y a dans les textes de Marie Ange une sorte de matérialité qui se rend assez bien en langue corse et qui ne pose aucune difficulté majeure de traduction. Assez curieusement, les textes de Marie Paule Lavezzi semblent relever de la même logique (je mettrai prochainement sur mon site la traduction de quelques textes de son dernier recueil)
Pour ce qui est de la promotion de Canta à i Sarri, il faut laisser un peu de temps à Jean Pierre Santini qui est un éditeur ne disposant que de peu de moyens matériels mais d'une immense énergie...
Et puis...il faut laisser aux lecteurs le soin de découvrir sans les violenter, sans les brusquer.Il faut savoir donner du temps au temps, surtout lorsqu'on dispose d'un peu de temps...
Au plaisir d'échanger à nouveau avec vous...
Norbert Paganelli
Norbert,
RépondreSupprimermerci pour ces infos.
Nous irons voir les poèmes de Mesdames Sebasti et Lavezzi sur ton site. Je connaissais déjà votre article sur la poésie de Marie-Ange Sebasti.
Oui, du temps au temps, surtout quand on sait que les livres publiés chez A fior di carta sont fabriqués manuellement par Jean-Pierre Santini ! Je trouve superbe que cela soit possible : cette vivacité éditoriale artisanale dans le Cap Corse.
Serate unu di i pariticipanti di e scontre puetiche in Luri, à a fine di aostu ?
A tandu.
François Renucci