mardi 24 mars 2009

Orhan Pamuk, deux extraits de discours suédois

Il est turc, Prix Nobel de Littérature 2006.

Je n'ai rien lu de lui ; et pourtant le résumé de "La vie nouvelle" m'attire beaucoup, il faut que je trouve le temps. (Peut-être est-ce aussi à cause du titre qui m'évoque Dante et sa "Vita Nova"...)

Je n'ai lu que des passages de son discours de réception du Prix Nobel. Et je rends au blog de Pierre Assouline ce que je lui dois : c'est l'article suivant qui m'a conduit à cette rencontre !

Je cite ici deux passages qui me semblent de nature à nourrir une réflexion sur la littérature corse (ou en Corse, ou de Corse, comme vous voudrez).

Les voici :

Pour moi, être écrivain, c'est découvrir patiemment, au fil des années, la seconde personne, cachée, qui vit en nous, et un monde qui secrète notre seconde vie : l'écriture m'évoque en premier lieu, non pas les romans, la poésie, la tradition littéraire, mais l'homme qui, enfermé dans une chambre, se replie sur lui-même, seul avec les mots, et jette, ce faisant, les fondations d'un nouveau monde. Cet homme, ou cette femme, peut utiliser une machine à écrire, s'aider d'un ordinateur, ou bien, comme moi, peut passer trente ans à écrire au stylo et sur du papier. En écrivant, il peut fumer, boire du café ou du thé. De temps en temps il peut jeter un coup d'œil dehors, par la fenêtre, sur les enfants qui s'amusent dans la rue – s'il a cette chance, sur des arbres, un paysage – ou bien sur un mur aveugle. Il peut écrire de la poésie, du théâtre ou comme moi des romans. Toutes ces variations sont secondaires par rapport à l'acte essentiel de s'asseoir à une table, et de se plonger en soi-même. Ecrire, c'est traduire en mots ce regard intérieur, passer à l'intérieur de soi, et jouir du bonheur d'explorer patiemment, et obstinément, un monde nouveau. Au fur et à mesure qu'assis à ma table, j'ajoutais mot après mot sur des feuilles blanches, et que passaient les jours, les mois, les années, je me sentais bâtir ce nouveau monde, comme on bâtit un pont, ou une voûte, et découvrir en moi comme une autre personne. Les mots pour nous, écrivains, sont les pierres dont nous nous bâtissons. C'est en les maniant, en les évaluant les uns par rapport aux autres, en jaugeant parfois de loin, parfois au contraire en les pesant et en les caressant du bout des doigts et du stylo que nous les mettons chacun à sa place, pour construire à longueur d'année, sans perdre espoir, obstinément, patiemment.

Et celui-ci :

Etre écrivain, c'est parler des choses que tout le monde sait sans en avoir conscience. La découverte de ce savoir et son partage donnent au lecteur le plaisir de parcourir en s'étonnant un monde familier. Nous prenons sans doute aussi ce plaisir au talent qui exprime par des mots ce que nous connaissons de la réalité. L 'écrivain qui s'enferme dans une chambre et développe son talent pendant des années, et qui essaie de construire un monde en commençant par ses propres blessures secrètes, consciemment ou inconsciemment, montre une confiance profonde en l'humanité. J'ai toujours eu cette confiance en ce que les autres aussi portent aussi ce genre de blessures, en ce que les êtres humains se ressemblent. Toute la littérature véritable repose sur une confiance – d'un optimisme enfantin – selon laquelle les hommes se ressemblent. Quelqu'un qui écrit pendant des années enfermé s'adresse à cette humanité et à un monde sans centre.

Et un troisième extrait, pour faire mentir le titre !

Changeons de sujet, et disons quelques mots « en guise de musique ». Comme vous le savez, la question la plus fréquemment posée aux écrivains est la suivante : « Pourquoi écrivez-vous ? » J'écris parce que j'en ai envie. J'écris parce que je ne peux pas faire comme les autres un travail normal. J'écris pour que des livres comme les miens soient écrits et que je les lise. J'écris parce que je suis très fâché contre vous tous, contre tout le monde. J'écris parce qu'il me plaît de rester enfermé dans une chambre, à longueur de journée. J'écris parce que je ne peux supporter la réalité qu'en la modifiant. J 'écris pour que le monde entier sache quel genre de vie nous avons vécu, nous vivons moi, les autres, nous tous, à Istanbul, en Turquie. J'écris parce que j'aime l'odeur du papier et de l'encre. J'écris parce que je crois par-dessus tout à la littérature, à l'art du roman. J'écris parce que c'est une habitude et une passion. J'écris parce que j'ai peur d'être oublié. J'écris parce que je me plaîs à la célébrité et à l'intérêt que cela m'apporte. J'écris pour être seul. J'écris dans l'espoir de comprendre pourquoi je suis à ce point fâché avec vous tous, avec tout le monde. J'écris parce qu'il me plaît d'être lu. J'écris en me disant qu'il faut que je finisse ce roman, cette page que j'ai commencée. J'écris en me disant que c'est ce à quoi tout le monde s'attend de ma part. J'écris parce que je crois comme un enfant à l'immortalité des bibliothèques et à la place qu'y tiendront mes livres. J'écris parce que la vie, le monde, tout est incroyablement beau et étonnant. J'écris parce qu'il est plaisant de traduire en mot toute cette beauté et la richesse de la vie. J 'écris non pas pour raconter des histoires, mais pour construire des histoires. J'écris pour échapper au sentiment de ne pouvoir atteindre un lieu où l'on aspire, comme dans les rêves. J'écris parce que je n'arrive pas à être heureux, quoi que je fasse. J'écris pour être heureux.

Voilà, je ne vois pas de plus belle défense et illustration de ce qu'est la littérature corse aujourd'hui ! Une littérature passionnée qui exprime - notamment mais aussi - "quel genre de vie nous avons vécu, nous vivons, moi, les autres, nous tous, à (Bastia, Porto-Vecchio, Ajaccio, Marseille), en (Corse, hors de Corse). N'est-ce pas ?

Quels livres corses participent selon vous du projet ainsi décrit par Orhan Pamuk ? Personnellement, au risque (et au plaisir) de me répéter, en voici deux : "Vir Nemoris" (1771-1772) de Giuseppe-Ottaviano Nobili-Savelli ; "A Funtana d'Altea" (1990) de Ghjacumu Thiers ; "La Chasse de nuit" (2004) de Marie Ferranti. Mais ce n'est qu'un avis personnel. Il est absolument nécessaire que d'autres avis s'expriment pour montrer le peu de qualité ou d'intérêt de ces mêmes livres.

Evidemment, chacun de vous trouvera aussi un certain nombre d'ouvrages qui ne visent pas un tel horizon ; lesquels ? Personnellement, mais j'y reviendrai plus en détail, "Mal'Concilio" (1975 et 2001) de Jean-Claude Rogliano. Mais ce n'est qu'un avis personnel et il est tout à fait indispensable que d'autres avis soutiennent mordicus le point de vue contraire !

A bientôt.

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