dimanche 15 mars 2009

Après le retour, retour sur le café littéraire de Furiani

Entre 18 h 30 et 20 h 30, derrière la table, trois auteurs (Ghjuvan Maria Comiti, Ghjacumu Thiers, Jean-Pierre Santini) et un lecteur (moi-même). Nous regretterons l'absence de Carole Baldini. Nous saluons l'animation enjouée de Jean-Michel Fraticelli (qui "fait" la Matinale et le Forum sur RCFM). Pour plus de précisions, voir un précédent article ici.

Le public : une vingtaine de personnes, c'est maigre, je sais bien, et encore une fois dans ce genre de rencontres, la parole a été peu donnée aux personnes du public ; à améliorer la prochaine fois !

Soirée fort intéressante cependant : nous avons réussi à éviter plus ou moins deux écueils classiques, à savoir, la question linguistique (ne parler que des langues, voire que de la langue corse) et la question de la définition de la littérature corse (ne parler que des "critères" qui spécifieraient telle oeuvre ou tel auteur comme "corses"). Ces deux écueils empêchent généralement de parler des textes réels, de leur écriture, de leur thématique, de leur point de vue, de leurs effets sur notre imaginaire aujourd'hui.

Donc, nous avons pu, je pense, évoquer des points importants (ceci n'est que mon regard personnel sur cette soirée, les autres participants ne seront peut-être pas d'accord ; y étiez-vous, avez-vous entendu la même chose, avez-vous quelque chose à rajouter ?) :

Généralités :

1. Selon G. Thiers, l n'y a pas encore (et nous avons absolument besoin) d'insitution littéraire. Pas de littérature sans institution littéraire qui assure une existence pérenne des livres (édition, diffusion, disponibilité) et des lectures (recherche, enseignement, festivals, prix, critique). A ce titre, G. Thiers a rappelé combien l'absence d'une critique littéraire qui prenne en charge l'ensemble des publications annuelles est préjudiciable. Il n'y a donc aujourd'hui que des balbutiements d'institution littéraire.

2. La production littéraire corse depuis le XVème siècle ne se distingue pas des productions de l'Europe méditerranénne. On peut signaler cependant au début du XIXème siècle le genre, issu de l'Histoire (déjà illustrée par les chroniqueurs), de la "nouvelle historique", écrite en italien par des Corses. Mais cette naissance arrive au moment où la langue italienne va commencer à disparaître en Corse. (Remarques de G. Thiers)

3. Jean-Pierre Santini a défini la littérature comme une réalité à la fois inutile, inessentielle et absolument essentielle. Elle est le lieu d'une quête, une psychanalyse globale pour les adultes. Et la littérature corse endosse elle aussi ce rôle au moment même où un peuple disparaît. M. Santini évoque alors l'ouvrage de Nicolas Giudici, "Le crépuscule des Corses" mais c'est aussitôt pour en appeler à une nouvelle naissance.

4. J'insiste pour ma part sur le fait que l'institution littéraire fabrique une "bibliothèque" mais que la "littérature" naît de l'ensemble des lectures réelles, de la part de tous les types de lecteurs (pas seulement des lecteurs "professionnels"). Il faut donc en appeler au désir des lecteurs : avons-nous envie d'une "littérature corse", c'est-à-dire d'ouvrages littéraires à même de nourrir l'imaginaire corse ?

Sur la question de la "nouvelle" littérature corse :

5. J'indique qu'il me semble que la littérature corse, depuis les années 90, a acquis une liberté absolue dans le choix des sujets (autrefois cachés : violence, politique, réalités sociales, secrets de famille), dans le ton utilisé (acerbe, ironique), dans les formes adoptées ou inventées (polar, tragédie, épopée, roman, nouvelles, etc.). J'indique aussi que la littérature corse se pense de plus en plus dans sa globalité : où l'on voit l'intérêt des rééditions de textes écrits dans les siècles précédents, traduits en français ou en corse (le "Vir Nemoris", la "Dionomachia", "Pesciu Anguilla", "A Cispra", et bien d'autres).

6. Jean-Marie Comiti signale que la décision d'écrire un polar en langue corse ("U salutu di a morte") était né de constat de cette lacune dans la littérature corse et a représenté un défi : utiliser cette langue pour la première fois pour écrire une narration avec meurtre, enquête, intrigue, fausse piste, etc.

7. Jean-Pierre Santini indique qu'une littérature doit vivre grâce à la liberté de la parole critique mais que celle-ci est très difficile dans une société de proximité. Cette société accepte les paroles "prophétique ou sages" mais pas le "parler vrai". De même, les rouages économiques de l'édition ont tendance à étiqueter des ouvrages comme "polar" afin de faciliter la vente, alors que les "polars corses" sont souvent des quêtes plus que des enquêtes.

Les spécificités de la littérature corse :

8. G. Thiers insiste sur la coexistence (et les mélanges) de l'oralité et de l'écriture dans la littérature corse. Cela peut donner lieu à des formes inédites et à des modalités d'expression étonnantes (de l'écrit au chant, et vice versa).

9. J'indique que le multilinguisme de notre littérature est une chance pour éviter l'équation "une littérature = une langue". Ce multilinguisme ne contrevient pas à la possibilité de considérer cette littérature dans sa globalité (la plupart des auteurs étaient ou sont bi, tri voire quadrilingues).

10. Quelqu'un dans le public a demandé pourquoi la littérature corse n'avait pas exploré la science-fiction. G. Thiers a signalé que de nombreux textes écrits dans le cadre des écoles investissaient le fantastique et attendent d'être publiés. (Je pense maintenant que "La chronique des dômes" de Marie-Hélène Ferrari est tout de même un texte d'anticipation).

11. Je pense que la littérature corse a naturellement comme spécificité de prendre en charge la réalité corse et de la mettre en jeu dans l'imaginaire. J'évoque alors le début de "Nimu" de J.P. Santini qui évoque une "scène de crime si vaste qu'il est impossible d'en délimiter le périmètre", puis "U Salutu di a morte" de G.M. Comiti dont la particularité est de proposer un inspecteur sicilien et de situer son action entre la Sicile et Bonifaziu via la Sardaigne, étendant ainsi la géographie imaginaire de la littérature corse, au même titre que les romans d'Angelo Rinaldi associent une Corse bastiaise à Paris et à la Toscane.

Les plaisirs de la littérature corse :

12. Après que G. Thiers et J.P. Santini ont à tour de rôle insisté l'un sur le plaisir de l'écrit dans la langue de création (en corse ou en français) et l'autre sur la souffrance dans l'écriture (pour finalement se mettre d'accord sur l'aspect sado-masochiste de l'affaire !), une personne du public a très judicieusement demandé à "entendre" de la littérature corse. Des ouvrages étaient sur la table et

G.M. Comiti a lu la quatrième de couverture de "U sangue di a passione", évoquant des meurtres enduillant Bonifaziu,

G. Thiers a lu la deuxième page de son quatrième roman, qui vient de paraître chez Albiana, "Septième ciel" (texte qui fait alterner les monologues intérieurs de plusieurs personnages réunis dans un avion qui va atterrir à Poretta et qui utilisent une grande diversité de langues et langages : français corsisé, corse, SMS, italien !) - cette page fait parler une jeune femme qui vient de perdre son enfant,

J.P. Santini a lu les deux dernières pages de "Nimu", apocalyptiques,

et j'ai lu un poème d'Alanu di Meglio (dont j'ai parlé ici, celui évoquant la Corse "majeure").

Ah, bien sûr, bien des questions n'ont pas été abordées (le rapport politique-littérature, les difficultés de l'édition et de la diffusion, etc.) : ce sera pour une autre fois ? Avec plus de monde dans le public ?

Que dire maintenant ?

Il faut recommencer et continuer à réclamer une littérature corse ambitieuse, de qualité, variée ! Mettre en place une véritable institution littéraire, assurer l'existence d'une société bilingue (français - corse) afin que notre littérature s'exprime dans les deux langues (tout en conservant la possibilité de se nourrir des textes écrits en latin, italien, voire espagnols, etc.). Donner une grande place à la lecture, aux lecteurs, à tous les types de lectures.

Signalons à ce titre que je vais rater pour la deuxième année consécutive les Journées littéraires organisées par J.P. Santini, ce sera dans le deuxième quinzaine d'août, toujours dans le Cap Corse, mais à Luri, cette année ! Or, il me semble que c'est la seule manifestation qui associe aussi fortement un grand nombre d'auteurs, des lectures et des débats (mais peut-être me contredirez-vous ? car je ne connais pas tout !) Je vous engage à être attentifs aux dates précises qui arriveront (sur le site de Santini ?) et à vous y rendre !

D'ici là, portez-vous bien.

2 commentaires:

  1. Une question : Albiana, pour ne citer que cette maison, est-elle présente au salon du livre à Paris ?

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  2. Voilà une question !

    Oui, les éditions Albiana sont présentes au salon du livre de Paris. Avec les autres maisons d'édition corses. C'est la Collectivité Territoriale de Corse qui finance, je crois. De nombreux auteurs doivent être présents, pour signer des livres.

    Ce qui, entre nous, me paraît bien peu : pourquoi ne pas organiser une rencontre, un débat ? Les sujets sont innombrables !

    Personnellement, je pense que nous pourrions nous passer des auteurs ; ce qui importe ce sont les textes, les oeuvres ; et plus encore, ce qu'elle font en nous, les lecteurs ; et plus encore, comment nous en parlons. A la limite, je me demande si la littérature n'existe pas essentiellement dans nos souvenirs et désirs partagés (et au diable l'institution littéraire, ses auteurs, ses éditeurs, ses libraires, ses diffuseurs, et tutti quanti !)

    Bonne visite quand même, et surtout bonne lecture ; et si un livre a vraiment suscité votre enthousiasme (si sa lecture a été, comme dit Stevenson, "voluptueuse et absorbante"), n'hésitez pas à le raconter ici !

    A tandu.

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