dimanche 15 mars 2009

Sebald et Kerouac

Eh, oui, nous sommes en pleine littérature corse !

W.G. Sebald (j'aime beaucoup son "Vertiges") a fait un voyage en Corse en 1996 (un ou plusieurs, de combien de jours ?). Connaissez-vous cet écrivain ? Allemand, professeur en Angleterre, mort prématurément en 2001. A publié sur le tard des ouvrages, écrits en allemand, traduits dans de nombreuses langues, qui connaissent un grand succès.

Eh bien voici que je lis dans le numéro 101 du "Matricule des anges" que son dernier ouvrage vient de paraître en français chez Actes Sud, qui va décidément devenir une maison d'édition corse ! Car après les livres de Jean-Baptiste Predali et Jérôme Ferrari, l'ouvrage de Sebald concerne en partie la Corse.

Il s'intitule "Campo Santo" (je m'interroge sur le titre en italien, alors qu'il est question d'un cimetière corse, peut-être avez-vous une idée ?).

Voici la quatrième de couverture :

Après la publication des Anneaux de Saturne, l'éminent écrivain de langue allemande W.G. Sebald (1944-2001) projeta d'écrire une histoire naturelle et culturelle de la Corse. Il choisit l'île française comme territoire emblématique de sa vision du monde, et comme point de départ d'une nouvelle pérégrination littéraire.
Les quatre récits corses que voici ont été extraits par l'auteur lui-même du manuscrit inachevé pour être publiés de manière isolée. Réunis ici, chacun d'entre eux nous enchante par une force d'évocation et une musicalité magistrales.
Quatorze essais, inédits en France, complètent le présent recueil. Grâce à la grande érudition de W.G. Sebald, chacun des sujets traités devient passionnant. Qu'elle évoque Piana, Ajaccio, les forêts sauvages du centre de la Corse, Nabokov, la musique, Peter Handke ou Jean Améry, la voix de Sebald est identifiable entre toutes.

Je le répète, j'ai plutôt tendance à apprécier l'oeuvre de Sebald, j'aime cette technique de la digression, des associations d'idées, son obsession de la thématique de la mémoire, de la destruction. Alors d'où naît cette impression de gêne ?

De ceci, je crois : je ressens le voyage de Sebald en Corse comme une extension d'un imaginaire personnel, nullement modifié (pas de rencontre surprenante) par les lieux visités ; un voyage de confirmation, en somme. En bref, l'univers napoléonien à Ajaccio, le cimetière de Piana, la forêt de Bavella viennent confirmer la pensée de Sebald sur la disparition inéluctable de certains aspects humains, plus ou moins archaïques.

De ceci, aussi : le regard de Sebald est celui d'un voyageur (pourquoi pas, ce n'est pas le problème) mais ce regard ne se nourrit (et n'est confirmé) que par les récits des autres voyageurs et analystes extérieurs à la Corse (Stephen Wilson, Dorothy Carrington, Edward Lear, Ferdinand Gregorovius et d'autres encore). M'envahit l'impression alors de lire presque du Mérimée !

Ah, oui, tout de même, je pense à une notation qui a fait tilt en moi, la voici :

La science du passé la plus exacte ne s'approche guère plus de la vérité, inaccessible à l'imagination, que par exemple une affirmation aussi saugrenue que celle qui me fut présentée un jour par un dilettante du nom d'Alfred Huyghens, demeurant dans la capitale de la Belgique, qui se consacrait depuis des décennies à la recherche napoléonienne : selon lui, tous les bouleversements opérés par l'Empereur des Français dans les pays et les royaumes d'Europe ne sauraient avoir d'autre cause que son daltonisme, qui ne lui permettait pas de distinguer le vert et le rouge. Plus le sang coulait sur le champ de bataille, plus il lui semblait voir pousser de l'herbe fraîche.

Un grand merci à Sebald d'avoir signalé une affirmation au moins aussi saugrenue que lucide !

J'en veux pour preuve que Ghjacumu Thiers parle, dans un texte dont nous reparlerons et dont je ne me souviens pas du nom, du "sang vert" du stade de Furiani. C'était juste après la catastrophe et l'effondrement de la tribune.

Enfin, quasiment en antidote à la belle littérature un peu solipsiste de Sebald, j'ai repris ce soir le texte que je trouve merveilleux de Jack Kerouac, "Satori à Paris", qui comme son nom ne l'indique pas se déroule presque intégralement en Bretagne où l'auteur se rend pour trouver l'origine de son nom...

Mais je vous l'ai dit, je ne sais comment il est venu, ce satori ; la seule chose à faire est donc de commencer par le commencement ; et alors peut-être vais-je trouver, au pivot même de l'histoire ; et je terminerai alors, le coeur joyeux, ce récit que je fais uniquement par amitié, ce qui est, parmi beaucoup d'autres, une définition (celle que je préfère) de la littérature : un récit que l'on fait par amitié, et aussi pour apprendre aux autres quelque chose de religieux, une sorte de respect religieux de la vie réelle, dans ce monde réel que la littérature devrait refléter (ce qu'elle fait ici).

Et dans la musique de la langue américaine de JK (si différente de la langue française, regardez par exemple la belle expression "go rejoicing to the end" et le "companionship" qui semble plus fort que "friendship", non ?) :

But as I say I dont know how I got that Satori and the only thing to do is start at the beginning and maybe I'll find out right at the pivot of the story and go rejoicing to the end of it, the tale that's told for no other reason but companionship, which is another (and my favorite) definition of literature, the tale tat's told for companionship and to teach something religious, or religious reverence, about real life, in this real world which literature should (and here does) reflect.

Evidemment, vous n'êtes pas obligé d'être d'accord !

6 commentaires:

  1. Pourquoi vous interrogez-vous sur le titre, puisque camposanto (en italien) veut dire "cimetière" ?

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  2. Oui, "camposanto" signifie bien "cimetière" mais je me demande simplement pourquoi le mot est en italien et pas en corse ("campusantu").

    Le mot de "campo santo" apparaît deux fois : en titre général du volume et en titre du deuxième texte du recueil. C'est aussi le titre de l'ouvrage original en allemand. Mais dans le texte consacré au cimetière de Piana, il n'est plus utilisé ni signalé comme écrit ici ou là (sur une pancarte ou dans un livre consulté par Sebald).

    Je me demande donc à quel moment ce mot en italien a été découvert par Sebald et choisi par lui pour désigner le cimetière de Piana et son propre texte.

    Voilà la question qui me tarabuste ! Non le sens du mot mais sa forme linguistique.

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  3. un texte qui se rapprochera peut-etre de quelque chose que j'attendais, dont je déplorais l'abscence, un texte qui se rapprochera peut-etre du superbe Terra Sarda de E. Junger (ed. il Maestrale)... je me sens impatent...
    amicizia

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  4. Merci pour ce commentaire et cette référence supplémentaire : il faut que j'aille voir ce "Terra Sarda" de Jünger.

    Je crois comprendre que vous êtes impatient de lire "Campo Santo"... : il est déjà disponible en librairie ou sur le site d'Actes Sud.

    Quand vous parlez du fait qu'il comblera une "absence" que vous "déploriez", pouvez-vous préciser ? Qu'attendiez-vous ?

    Et surtout je serai intéressé par votre façon de lire cet ouvrage de Sebald, et ce que vous en pensez, ce que vous avez ressenti à sa lecture, sachant qu'une grand attente précède cette lecture.

    A très bientôt.

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  5. j'attendais quelque chose se rapprochant d'un récit de voyage à la Nicolas Bouvier. les textes ecrits par Ernst Junger et rassemblés sous le titre terra sarda sont des récits de voyage, mais aussi des textes sur l'enfance, la mémoire, le sacré (un beau moment de lecture: "terra sarda, un itinerario attraverso il museo di cagliari", ou la reflexion d'un vagabond à l'oeil clair sur une civilisation disparue, sur la poésie et le pouvoir onirique de quelques statuettes de bronze, leur unicité). je me rappelle avoir été un peu déçu par la lecture de l' itinéraires de rives et des monts de K. White -une attente de lecteur là aussi- qui n'avait pas reussi à me faire "rever" mon pays dans les mots d'un voyageur égaré...
    bref, je vais lire au plus tot campo santo...
    amicizia

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  6. Merci pour ces précisions.

    Il faut que je vois l'ouvrage de Kenneth White. Et que je me plonge vraiment dans "L'usage du monde" de Nicolas Bouvier.

    A très bientôt après la lecture du "Campo Santo".

    Intéressant : "me faire "rêver" mon pays dans les mots d'un voyageur égaré"...

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