vendredi 1 mai 2009

Korsika

La première fois que j'ai vu le nom de l'île écrit comme cela, c'était sur la couverture d'un guide touristique. Il faut bien commencer par un bout (en voici un autre).

C'est de l'allemand, bien sûr.

Je vais citer un extrait d'un poème écrit en allemand (par Hölderlin, en 1799, intitulé "Émilie à la veille de ses noces") pour au moins deux raisons :
- ce texte me reste en mémoire
- notre littérature est de longue date multilingue et accueille donc avec générosité toutes les langues du monde qui produisent des oeuvres qui peuvent nourrir son imaginaire

Oui, je suis d'accord, là aussi, ce n'est pas de la littérature corse au sens strict, mais enfin, c'est traduit en français par un Corse - un écrivain et poète par ailleurs, Marie-Jean Vinciguerra - et c'est publié aujourd'hui (décembre 2006) par un éditeur corse (Materia Scritta)... Et puis, ce poème présente une figure d'engagement guerrier et politique qui entre en résonance avec bien d'autres (voir par exemple, le billet consacré aux rencontres musicales improvisées par James Boswell en 1765, festival qui ne sera pas renouvelé les années suivantes...)

Eccu :

"Ein Edel Volk ist hier sauf Korsika";
Schrieb freudig er im letzten Birefe mir,
"Wie wenn ein zahmer Hirsch zum Wald kehrt
Und seine Brüder trifft, so bin ich hier,

Und mir bewegt im Männerkriege sich
Die Brust, dass ich von allem Weh genese.
Wie lebst du teure Seele ! und der Vater ?
Hier unter frohem Himmel, wo zu schnell
Die Frühlinge nicht altern, und der Herbst
Aus lauer Luft dir golde Früchte streut,
Auf dieser guten Insel werden wir
Uns wiedersehen ; dies ist meine Hoffnung.

Ich lobe mir den Feldherrn. Oft im Traum
Hab ich ihn gesehen, wie er ist,
Mein Paoli, noch eh er freundlich mich
Empfing und zärtlich vorzog, wie der Vater
Den Jüngstgebornen, der es mehr bedarf.

Je passe à la traduction française de Marie-Jean Vinciguerra :

"Il est un noble peuple, ici, en Corse"
M'écrivit-il gaiement dans sa dernière lettre
"Tel le cerf apprivoisé qui retourne à sa forêt natale
Et retrouve ses frères, tel je suis ici

Et mon coeur s'émeut dans cette guerre virile
Qui me guérit de tout mal.
Comment vas-tu, chère âme ! Et le père ?
Ici sous un ciel heureux où les printemps
Ne se pressent pas de vieillir, où les tièdes brises de l'automne
Répandent pour toi leurs fruits d'or,
Sur cette île bénie, nous allons nous revoir,
Voilà mon espérance.

J'adule le Général. Souvent en rêve
Je l'avais presque vu tel qu'il est
Mon Paoli, avant même qu'il m'eût accueilli, en ami,
Et affectueusement marqué sa préférence
Tel un père pour le cadet de ses enfants, celui qui en a le plus besoin.

Le texte se poursuit encore. Je vous laisse le découvrir.

Je suis frappé par le mot "Hier" qui en allemand (beauté des homonymes entre langues !) signifie "Ici". La Corse est un "ici", et non un "là-bas" (même si Hölderlin n'est jamais venu en Corse et n'a jamais rencontré Paoli). L'imaginaire est ce lieu paradoxal : extrêmement individuel et totalement collectif, hors du monde réel et offrande de présences parfois plus fortes que celles de notre quotidien.

Ce qui me frappe aussi c'est cette sensation de vie (le poète parle plus loin de "vivants", "Lebenden", je crois). J'aime cette suite de figures humaines enthousiasmées par le sentiment de faire corps avec la vie, de trouver en Corse, ou en rapport avec la Corse, des emportements réels qui prennent la suite de "rêves" ("Traum"). (Il me plaît de pouvoir les mettre en relation, peut-être, avec des figures plus sombres, irritées, angoissées, suicidaires qui peuplent de plus en plus souvent notre imaginaire.)

Sensation de retrouvailles qu'on rencontre dans le texte de Boswell, mais aussi dans la très belle et très fameuse lettre du fils Paoli au père Paoli, en 1754 : il parle de son retour en Corse comme d'une "fête" ; il faudra revenir à cette lettre, un des sommets de notre littérature (je sais, ça ne coûte rien de le dire et je suis prêt à en débattre !)

Bonne lecture ! Evidemment, pour une vraie présentation du texte, voyez l'édition de Marie-Jean Vinciguerra, voici la table des matières :
- Introduction : Les exorcismes d'un poète qui avance masqué
- Glossaire : Les mots clefs d'une vision originale du monde
- Sept lettres : Un journal intime
- Lexique des noms propres : Nommer le monde, les dieux, les hommes
- La vie d'Hölderlin ou Le "Passage d'Apollon" : Repères géographiques, historiques et littéraires

Dans un prochain billet, (mais il pourrait être le vôtre (je sais qu'au moins trois "récits de lecture" sont en cours d'écriture, par deux personnes différentes...)), j'évoquerai de nouveau la présence littéraire corse sur Internet, il y a des choses passionnantes à découvrir (ou à relire).

8 commentaires:

  1. Moi dans la version originale j'ai compris les mots "vater" (et encore j'ai dû me tromper de sens)et "schnell". Je suis curieux de savoir d'où ça me vient..

    Sinon est-ce qu'on est bien sûr de la traduction de : "Mein Paoli, noch eh er freundlich mich
    Empfing und zärtlich vorzog, wie der Vater"..?

    Ach ! Che soubzonne üne Krosse mébrise ! Ou des révélations à peine avouables quant au père de la patrie !

    Bon je sais, je n'ai rien à raconter de particulier, donc je m'en vais.

    En tout cas j'ai pris le temps de lire le texte en version originale. C'est bien non ?

    Ghjuvan Filici

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  2. Tremendu 'ssu GFi!!ùùn rispetta nuna...LOL

    Bella iniziativa di l'editore "materia Scritta", ùn sapia nunda di a passione di Holderlin per u babbu di a patria...Testu liricu assai.

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  3. A Ghjuvan Felici, A Francesca,

    "rien de particulier", mais tout de même quelques marques forcément bienvenues (il me semble toujours bon d'équilibrer les sentiments) d'un esprit "scherzosu".

    Je vois notre imaginaire collectif (et là bien sûr pas uniquement corse, mais aussi français) occupé par la dernière période historique de nos rapports avec le monde germanique (les guerres) ; au-delà (ou par le moyen) de remarques moqueuses, nous commençons d'avancer vers des lyrismes anciens qui ne nous parlent plus de prime abord...

    Comment lire un texte comme celui de Hölderlin aujourd'hui ?

    Y a-t-il un motif assez fort pour que nous (re)prenions en considération un regard allemand sur la Corse ? (Je pense aussi aux lettres de Nieztsche évoquant son désir - pas réalisé - de venir en Corse se ressourcer ; voir l'article qui lui est consacré dans le Dictionnaire historique de la Corse sous la direction de A.-L. Serpentini, chez Albiana).

    Et si cela ne nous touche plus vraiment, ou plus du tout, voire même si cela nous fatigue, nous paraît resservir de vieilles images, de vieux discours bien dépassés, il me semble bon de le dire.

    Visiblement, Hölderlin avait une vision bien particulière du monde, de l'Allemagne et de la poésie, qu'il a exprimée à travers bien des figures, notamment de la Grèce antique. Paoli n'est qu'une de ces figures, Bonaparte en fait partie aussi. Pour plus de détails, voir ailleurs qu'ici et d'autres personnes que moi !

    Encore merci pour ces efforts de lecture, toujours utiles !

    Peut-être aurons-nous la chance de lire un "récit de lecture" de ce qui fait vibrer Ghjuvan Felici (à part les livres de Marcu Biancarelli...)

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  4. ahah quì o FXR site in cuncurrenza cù u bellu situ (ma pocu frequentatu) di el Subcummandante Marcu (altru cugnome ridiculu di MB lol) : ci mette e so letture ("altri scrittori", "bibliuteca di l'addisperu" : s'è vo avete un pocu di tempu(...) venite à spirità stu situ ancu voi, seria una furtuna pè quellu situ.

    In quant'à l'alemani, ci sò i spezialisti di a lingua corsa di prima trinca ind'è elli!!

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  5. Francesca,

    u cunnoscu issu situ, interessantissimu.
    Pocu frequentatu, ùn a sò. Ma bè frequentatu, sicuru !
    Ind'è st'affare (literatura corsa), cuncurrenza ùn po esse !
    Diversità face richezza, no ?
    Mi piace assai a so "bibliuteca di l'addisperu" : vuliu parla ne ind'è u prossimu articulu... (sopratuttu di l'ultima crunaca chì parla di u "Pinochio" di Walt Disney è di "Orange Mécanique" di Kubrick/Burgess, una maraviglia.

    Hè sempre à listessa cosa : custruì issu spaziu publicu, o issi spazii publichi, ed e leie trà elli ! Issu muvimentu, issu "courant continu de littérature" (Edouard Glissant). Curagiu ! (Ed aspettu issa pagina di Rinaldi...)

    A prestu, quì o quallà !

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  6. Di sicuru ùn ci hè cuncurrenza!!

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  7. Je reviens sur la lettre de Paoli à son père....une lettre...merveilleuse. oui un grand très grand moment d'histoire et quelle plume!!! Il faudrait la reproduire ici (ou ailleurs) afin que nous puissions en débattre. J'ai malheureusement prêté le premier tome de la série ( Edition critique d' A M Graziani et C Bitossi edition A Paizzola) dans laquelle elle se trouve.

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  8. MP, merci pour le commentaire et le retour à cette lettre de Pascal Paoli à son père.
    Je vais la retrouver et l'écrire ici intégralement ; une très belle page de littérature corse, vraiment.

    Il faut que je retrouve les "Chroniques irrespectueuse sur l'Histoire des Corses" (éditions Accademia di i Vagabondi), de Ghjacumu Gregorj, c'est dans son livre que j'ai rencontré cette lettre.

    Allez le premier qui remet la main dessus, prépare un petit billet pour dire comment il l'a lue !

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