samedi 21 février 2009

François Bon, Pierre Bergounioux, entre autres

Ce soir, un très bref message, parce que je ne peux pas faire plus, j'en suis désolé, d'abord pour moi-même, ensuite pour la littérature corse dont je sens qu'elle ne tient quasiment plus qu'au fil de ce blog (et ne répondez pas que je suis prétentieux, vous mettriez en question ma bonne volonté !)...

Voyez - insigne honneur et immense plaisir - dans les commentaires du message précédent, un extrait du prochain roman de Marcu Biancarelli, auteur importantissime, oeuvre majeure, cohérente, riche, variée, troublante (c'est un point de vue, quel est le vôtre ?). Merci à l'auteur !

Voyez, en écho aux réflexions ici menées (par moi et par vous), le regard de François Bon sur un texte de Pierre Bergounioux publié dans le numéro 100 du Matricule des Anges.

Ce que je retiens, ou plutôt ce qui me frappe, c'est cette phrase : "Les grands livres, quoiqu'ils empruntent, pour naître, une main singulière et portent un nom de personne, en couverture, sont toujours adossés à un projet collectif. L'auteur n'est jamais que du social individué, de l'histoire incarnée".

Ceci pour faire écho à la discussion qui se poursuit dans ce message à propos de l'aspect politique de ce blog !

8 commentaires:

  1. Cher François-Xavier, chers contributeurs et lecteurs de ce blog,

    Je profite de cette après-midi dominicale pour contribuer un instant au débat interne à ce blog « pour une littérature corse ». J’avoue ne pas en avoir lu l’intégralité – quelle richesse, déjà, en si peu de temps ! – et me contenterai d’un commentaire – long, trop long, je m’en excuse par avance – sur « l’aspect politique de ce blog », thème probablement inévitable et, pour moi, heureux.

    Tout d’abord, de quoi parle-t-on ? La politique, peut-être faudrait-il la définir un peu, et il y en a tant de définitions possibles… Puisque le remarquable propos d’Yves Citton est cité plus bas, dans le billet en date du 19 février, je citerai celui de Jacques Rancière, dans un petit livre – Le partage du sensible. Esthétique et Politique, La fabrique éditions – qui, pour moi, dit l’essentiel. « La politique porte sur ce qu’on voit et ce qu’on peut en dire, sur qui a la compétence pour voir et la qualité pour dire, sur les propriétés des espaces et les possibles des champs. »

    Partant, je suis personnellement toujours amusé/excédé/ulcéré — ça dépend du goût qu’a pris le café du jour — de voir l’inquiétude suscitée si aisément par l’irruption d’une identité minoritaire – « corse » ou autre – dans l’univers bien ordonné de la Culture, de la Littérature ou de l’Art. Et ce non seulement là, mais plus largement dans la vie même au quotidien, où il est si fréquent de voir – et d’entendre – l’universel servir la cause cachée de particularismes majoritaires qui ne disent pas leur nom et, souvent, s’ignorent volontiers en tant que tels. Remarquons, ce peut être compréhensible : l’irruption du minoritaire est le signe d’un conflit ; au moins potentiel, larvé, sous-jacent. Et l’on craint sans doute de voir la communication se rompre, le dialogue devenir difficile, sinon impossible. Mais quel dialogue reste possible dès lors que la mention de certaines identités est systématiquement forclose par d’autres qui ont, elles, le privilège d’apparaître « en blanc », de pouvoir exister sans avoir à s’énoncer ? Certes, notamment en littérature, le risque est de voir le thème minoritaire, parce qu’il est le signe d’une déviance, d’un fantasme et d’un fétiche, absorber l’intégralité du sens, le surdéterminer. Or, justement, un risque, cela se mesure et cela se prend. Pourquoi pas celui d’un « pour » une littérature « corse » ? Gilles Deleuze et Félix Guattari prirent bien naguère celui d’un « pour une littérature mineure ».

    Un mot, aussi, de « l’identité »… L’identité, pouvait dire Michel Foucault, est « un des produits premiers du pouvoir ». Alors, de même qu’il faut certainement se garder de tomber amoureux du pouvoir, il est préférable de ne pas trop « tenir chère » notre identité. Ceci étant, de même que les relations de pouvoir sont immanentes au social, il n’y a pas à hésiter à faire un usage tactique de l’identité si cela s’avère probant, contingentement nécessaire ; juste faut-il garder qu’il n’y a pas d’identités premières, qu’elles sont des faits relationnels, des construits socio-historiques.

    Enfin, François, tu écris que « on [t’a] gentiment (et légitimement je pense) mis en garde contre une inféodation de la littérature à un projet identitaire (plus ou moins politique, c’est-à-dire nationaliste). » Ces derniers mots suscitent, à mon sens, une remarque ; elle ne prétend en rien répondre à ton propos ou à celui de qui t’a « mis en garde », mais j’espère qu’elle a une petite portée intellectuelle concernant les rapports entre le devenir d’une « littérature corse » et son implication « plus ou moins politique ».

    Voici, donc : concernant la Corse et dès lors qu’il est sujet de « politique », pourquoi encore et toujours rabattre la promotion de la culture et l’usage de l’identité sur le seul nationalisme ? En sommes-nous restés au stade où toute mise en avant de la culture et de l’identité corses est interprétée comme une adhésion à ce mouvement et à son idéologie ? Malgré tout, il semblerait que oui… Pourtant, d’autant si l’on veut penser aujourd’hui les rapports entre la culture et le pouvoir, d’autres chemins sont imaginables que celui passant par le désir de fonder un État ou, à défaut, d’arracher des morceaux d’Etat à l’Etat en référence à une nation. Par exemple, le régionalisme critique que Gayatri Spivak, une des fondatrices des Subaltern Studies, situe, justement, « en deçà et au-delà du nationalisme » afin de penser une forme de citoyenneté, d’organisation politique et d’appartenance qui ne s’appuierait plus sur l’affiliation à une communauté originelle, pourrait être, entre autres, une piste pour nous pertinente (initialement, ce sont la théorie et la critique architecturales qui ont forgé cette idée afin d’échapper au schéma simpliste « modernité globale dominante vs traditions locales dominées » ; et il suffit en effet d’observer le terrain culturel local pour constater qu’on s’y s’approprie la modernité globale autant que l’on en subi les « externalités négatives », pour reprendre une notion d’économie politique). Dans le numéro 4 de la Revue Fora ! – le dernier numéro en date – un article de Patrick Marcolini, « Penser le post-nationalisme », formule également des propositions intéressantes. Que le nationalisme soit à l’heure actuelle en Corse l’un des rares mouvements politiques structurés aptes à défendre publiquement certaines causes et à maintenir l’espoir d’une refondation sociétale, c’est une chose ; elle ne justifie pas pour autant que les artistes et les intellectuels – puisque c’est d’eux/de nous et de leur/notre rapport à la politique qu’il s’agit – réduisent leur horizon à ce projet et à cette idéologie. A ce propos, la très estimable Revue Internationale des Livres et des Idées, mentionnée dans ce blog à propos d’Yves Citton, permet à chaque parution de se faire une idée, assez précise je trouve, du renouvellement de la pensée politique contemporaine, entre autres pour ce qui concerne l’art et la littérature.

    Voilà, j’arrête là ce commentaire, décidément trop long : le soleil est beau aujourd’hui près de Porto-Vecchio et m’appelle à profiter du peu de jour qui reste à ce dimanche. Et, promis, je ferai tantôt en sorte qu’une prochaine contribution de ma part réponde plus à la vocation littéraire de ce blog…

    Amitiés,
    PG

    RépondreSupprimer
  2. Pascal,
    je suis d'accord sur les deux faits : l'importance du mouvement nationaliste et le fait que les artistes corses peuvent imaginer leur pratique avec un autre horizon que celui visé par le nationalisme.
    D'accord aussi sur le fait qu'il est bon d'alterner entre un sentiment de plénitude identitaire et une prise de distance critique qui évite d'essentialiser cette identité.
    Il y a bien des façons d'être corse, c'est l'objet d'une construction individuelle et collective, et c'est cet ensemble mouvant et contradictoire qui constitue quelque chose qui vit.

    Maintenant, au risque de me répéter (mais c'est en fait un plaisir), je suis certain que passer par les lectures réelles des oeuvres littéraires corses est un des biais les plus intéressants pour accéder à l'invention de toutes ces formes de vie (corse, en l'occurrence).

    Et au diable les gentilles personnes qui trouveront que le mot "corse" est trop présent ici (je viens de compter ; 5 fois, pas plus...) ; elles peuvent toujours le remplacer par "humain" !

    RépondreSupprimer
  3. Juste dire bonjour, en passant, en lisant, en n'écrivant pas vraiment, pour dire que je (pour)suis ici et là. Je vagabonde. Sans doute ne puis-je que t'encourager, ami, à étoffer cette entreprise prometteuse et pour toi, je le sais, ô combien (res)source de jouis-sens.
    Benoît

    RépondreSupprimer
  4. Cher Benoît,
    merci pour ce bonjour passant. Sais-tu qu'autrefois existait une "accademia dei vagabondi" ? Elle regroupait les Corses partis de l'île, et elle n'existe plus, mais peu importe : nos esprits la recréent aujourd'hui avec un sens consommé de l'accueil !
    Surtout que ton regard, non obnubilé par la Corse comme le mien, n'hésite pas à exprimer son point de vue !

    RépondreSupprimer
  5. Puis-je aussi rappeler que, sous l'égide de Ghjacumu Gregorj (de Canari), l'Accademia d’i Vagabondi fut aussi une maison d'édition bastiaise qui publia notamment la célèbre édition du Cantu Nustrale de Ghjermana de Zerbi, en 1981.

    RépondreSupprimer
  6. Je me souviens aussi de cette maison d'édition (et de la belle facture de ses ouvrages, grâce à Toni Casalonga, je suppose).

    Nous avions deux livres à Ajaccio :

    - le "Cantu Nustrale" de Ghjermana de Zerbi que ma soeur Joëlle avait acheté je crois (de Zerbi était sa professeur à Corte il me semble). Evidemment, quel ouvrage fondamental ! Il faudra en reparler.

    - les "Chroniques irrespectueuses de l'Histoire des Corses" de Ghjacumu Gregorj. Ah ce "j" en fin de nom, quelle aura mystérieuse pour moi adolescent ! Et puis surtout, un ton, une façon à la fois enthousiasmée, sentimentale et ironique, désabusée de regarder la Corse. J'aime beaucoup ce livre, notamment le chapitre "Paoli avant Paoli" où j'ai lu pour le première fois la lettre que Pascal Paoli a envoyé (en 1754) à son père pour justifier son départ (retour) en Corse en 1755. Il annonce une "fête".

    Il faudrait une étude sur l'historiographie corse d'après guerre et analyser la place de Ghjacumu Gregorj, certainement originale.

    Et enfin je me souviens des poèmes de Gregorj ("Miroirs de la mort", je crois), et d'une cassette achetée dans la librairie d'Ernest Centofanti à Bastia (en 1990 ou 1991) qui nous permet d'entendre la voix de l'auteur dire sa poésie ; et notamment cette phrase :

    "La critique est aisée, l'art est un labyrinthe."

    RépondreSupprimer
  7. J'ai du sang Gregorj dans les veines ! Ce fut l'épouse d'un trisaïeul (Domenicu) revenu de Trinidad et qui fit construire notre maison de Canari (celle où je vis à l'année et que je contribue à faire vivre..). J'ai eu entre les mains un manuscrit de Ghjacumu Gregorj entre les mains. Son journal en fait. Superbe. J'en ai publié un court extrait dans Terres de femmes. Mais j'ai remis ce manuscrit à l'un de ses fils. Je crains qu'il n'en fasse rien hélas...

    9 mai 2009 12:00

    RépondreSupprimer
  8. Madame Paoli,
    heureux de vous voir apparentée à Ghjacumu Gregorj !
    Et vous avez eu entre les mains son journal ! Et il n'est pas encore publié !
    Que de nouvelles incroyables et propres à relancer le désir !
    Je viens de laisser un message sur votre site, avec quelques questions. Merci de votre prochaine réponse.

    RépondreSupprimer