mardi 8 décembre 2009

"Quand Marco Biancarelli retrouve l'innocence du "Petit Nicolas""

Les lectures continuent...

Voici, sur deux fronts, celle de "Extrême Méridien", recueil de nouvelles de Marcu Biancarelli, par Emmanuelle Caminade.

Deux fronts, car je reçois une version spécifique pour ce blog et une version analytique plus longue et plus fouillée est proposée par E.C. sur son blog, "L'or des livres".

Voici la face A (qui commence par une citation de la nouvelle "Le portefeuille" :

Il y avait eu un jour de deuil et l'école avait été fermée pour l'enterrement du pauvre Giuseppe. Marc-Antoine, c'était la première fois qu'il assistait à un enterrement. Tous les élèves y étaient allés en délégation, tous les enseignants aussi, et il y avait ces gens silencieux, il y en avaient tant , qui défilaient devant les parents pour les réconforter. Il y avait surtout ce silence, ce n'était pas comme à l'école, quand ils avaient tous pleuré. Ici, on aurait dit que personne ne voulait pleurer, Marc-Antoine pensait en lui-même que c'était comme dans le jeu, celui où tout le monde rigole du premier qui se met à rire, sauf que là, c'était le premier qui pleurait qui perdait. Il se dit que le monde des grands était ainsi, inversé par rapport à celui des enfants. Il lui semblait le comprendre pour la première fois, ce monde dont sa mère lui promettait toujours qu'il en ferait lui aussi partie un jour. Et donc, ils ne pleuraient pas, et ils se réunissaient pour rester silencieux, pas pour crier ni courir dans tous les sens. Et puis on a mis le petit cercueil de Giuseppe dans le tombeau. Le grand frère de Giuseppe a étreint son père, et le père levait la tête vers le ciel, il ouvrait la bouche, on aurait dit qu'il cherchait sa respiration, ou un cri, mais les paroles ne sortaient pas. Et puis les femmes ont commencé à pleurer pour de bon, et à s'étreindre les unes les autres, et il y avait une vieille qui disait des choses, mais elle parlait sarde, et Marc-Antoine ne comprenait pas ce qu'elle disait. Là, son père l'a tiré vers la voiture. Au retour, pendant le trajet, le père de Marc-Antoine a dit « pauvres gens », il a demandé à Marc-Antoine comment il se sentait ? Et puis il lui a caressé les cheveux et ils sont rentrés à la maison.

Bon, puisque nous recentrons le débat sur la littérature et que je viens de jouer à l'intello sur mon blog en y critiquant , «sul serio», Extrême Méridien, je vous fais part sur ce site, de mes interrogations sur la mutation du style de Marco Biancarelli.
« J’ai traduit la plupart des œuvres de Marco Biancarelli non parce qu’il est corse mais parce que la brutalité et la puissance de son style me paraissent uniques », disait récemment Jérôme Ferrari , traducteur de "Portefeuille", la nouvelle dont est tiré cet extrait, mais aussi d' "Extrême méridien", de "Point de rupture" et d'"Otrante"...
Où est donc passée la «brutalité» du style dans ces nouvelles ?
Vraiment , je m'interroge et, ne pouvant encore lire Murtoriu, je ne suis pas en mesure de dire si la mutation qui semble s'amorcer dans Extrême Méridien s'y confirme.
Si j'ai beaucoup ri à la lecture de Pegasi 51, astre virtuel, et apprécié la brutalité corrosive , la démesure et la crudité inventive du style qui donne un véritable souffle à ce roman, je pense néanmoins que ce genre de style s'épuise sur le long terme.
Et ce style nouveau*, dans sa simplicité, dans sa mesure, et même sa tendresse, me semble gagner en intériorité , en authenticité et en puissance...

* nouveau par rapport à Prisonnier et Pegasi 51, les seuls livres que j'ai lus auparavant.

Voici la face B sur le blog "L'or des livres"

Je me souviens par ailleurs avoir cité la même nouvelle, "Le portefeuille", sur le forum de Musa Nostra : ici. Nouvelle que j'ai lue comme une "archéologie" de la violence, singulièrement "calme" par rapport aux autres, mais faisant entrer dans l'esprit du jeune garçon, bien malgré lui, la conscience de la mort et du désir, une sortie de l'enfance finalement assez brutale (bien que l'écriture mette l'accent sur des subtilités sensibles).

Avez-vous un avis ? Discutons-en sur "L'or des livres" et sur ce blog, ou ailleurs encore (Musa Nostra, etc. etc.) et signalez-le ! Non ?

7 commentaires:

  1. Très beau passage aussi, celui de l'amandier.

    Tu as omis - volontairement ? - le titre que j'avais donné à ce billet : "Quand Marco Biancarelli retrouve l'innocence du ¨Petit Nicolas". C'était plus qu'une boutade !

    La violence ( que ce soit celle du racisme ordinaire dans la première nouvelle, ou celle de la sortie de l'enfance) ne se traduit pas forcément mieux par la "brutalité" du style. Cette dernière peut s'imposer pour réveiller, mais la puissance d'un style peut rimer aussi avec subtilité ...

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  2. Désolé, Emmanuelle, non ce n'était pas volontaire, l'omission de ton titre, je fais le rétablissement !

    Et voilà, la triangulation est faite (L'or des livres, Musa Nostra, Pour une littérature corse)... Réseaux de tous les pays donnez-vous la main !

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  3. Cette nouvelle est ma préférée du recueil avec "a più bella zitedda di u paese" qui est toute de sensualité et de sensibilité, et étonnamment pudique ,

    La pudeur chez MB porte sur les sentiments, ce qui contraste avec la crudité avec laquelle le sexe est évoqué.

    Mais je crois que je l'ai déjà dit quelque part...

    Je ne comprends pas bien ce que FXR veut dire par "archéologie de la violence" pour "le portefeuille".

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  4. Oui, je vais relire la nouvelle pour savoir ce que j'entends par "archéologie de la violence" ; mais je crois déjà me souvenir que l'enfant joue à la guerre, se rêve ainsi et que la mort accidentelle du camarade de classe lui offre la réalité de la mort, insoutenable, et qu'il "intégrera" pourtant à sa conception du monde.
    Je vois cette nouvelle - certes pudique - comme très violente (s'imposent très fortement à l'enfant, le fait qu'il est un survivant, qu'il survit à la mort du camarade et qu'il est un homme que le hasard et le regard des adultes fiance avec une jeune fille dont il n'a que le portrait ; tout cela lui est imposé, et il l'accepte, il doit accepter cette double violence, l'assumer, la maîtriser en acceptant de lui être soumise). Mon dieu, ce sont peut-être de belles élucubrations !

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  5. OK du coup moi aussi je vais la relire. _))

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  6. Allora anch'eiu l'aghju da rileghje LOL

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  7. Ce qui me frappe c'est le contraste entre la pudeur, la retenue (on ne pleure pas...surtout les hommes, en fait) et les larmes des femmes, des vieilles, qui sont à mon sens un vestige des larmes théâtralisées des pleureuses antiques et des "ballatrice" plus proches(dont on trouve l'écho dans l'extrait sur le Salento).
    Enfant, ces deux aspects m'ont profondément troublée, je ne savais pas si j'avais le droit de pleurer ou non, et du coup je n'avais pas pu pleurer le jour de l'enterrement de mon grand-père (j'avais 13 ans), passant immédiatement pour une sans-coeur...Pour un enfant il est parfois compliqué et névrosant d'intégrer les codes.

    "le premier qui pleure a perdu" : cela fait aussi penser au titre du livre d'Alexie, l'écrivain amérindien.

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