jeudi 17 décembre 2009

Du poème au disque au récit de lecture... : vie de la littérature corse

Et voici un récit de lecture par Emmanuelle Caminade :

- Anton Francescu Filippini a écrit un poème (mais quand ? et où ?) ;

- il est lu et cette lecture est enregistrée sur un CD à l'occasion du Printemps des poètes en 2007 et financé me semble-t-il par la CTC ;

- ce disque est écouté par Emmanuelle Caminade, elle s'arrête sur ce poème et nous propose maintenant - jeudi 17 décembre 2009 - des mots de Filippini ("A luna (...) dava vita") sa vision personnelle ("l'évidence lumineuse de la nuit").

Merci !

Et avis à tous les lecteurs qui voudraient discuter de ce poème !

Voici le récit de lecture :

À lu Paese suttanu,
Trà le sepe curiose,
Capitonu strane cose,
Una volta di veranu.

C'era una bella figliola,
A più bella di u cuntornu
Ch'ùn vulia più vede ghjornu
Nè l'amiche di a so scola.

U sole tantu ludatu
Li dava malincunia
Ma di notte si n'escia
Cù lu tempu spurgulatu.

Quandu sopr'à u dolce mare
Spechjulava a prima stella
Bianca come un anghjulella,
S'affacava à lu zigliare.

Tandu u grillu di la machja
A cantava in versu è rima
Sinu à perdesi la stima
Di la so fida grillachja.

U cuccu, per cumpetenza,
Li dava lu benvenutu,
U vechju topu pinnutu
Lu facia la riverenza.

A luna, chi ùn s'ingannava,
Dava vita à fronde è fiori;
U ventu carcu d'odori
Cun manera l'allisciava.

Qualchì volta anc'un zitellu
Di quelli più intraprendenti
Cù a ghjinebera trà i denti,
L'armava un serinatellu.

Ella, invece, si n'andava,
Poi saltava in un giardinu :
Ùn sapia chi pè vicinu
Una foglia la spiava.

Chì dicia : - Soffre la luna
Ma pensava un'altra cosa -
Chì pregava à l'arritrosa
Ch'ella avesse più fortuna

Ma ùn hè voglia di maritu
Chì a guidava à l'abrucata,
Perchì s'era innamurata
D'un persichellu fiuritu.


Extrait de Paisanella, de Anton Francescu Filippini (1908/1985)

Dans la sélection des quatorze poèmes corses présentés sur le CD du printemps des poètes 2007, j'ai beaucoup apprécié ce dernier.
Son thème me semble peu se rattacher à la « lettera amorosa » censée donner unité au recueil. Pour moi, ce poème exalte avant tout la liberté et insère l'homme dans l' univers en lui faisant dépasser le monde limité et étriqué des humains.
De plus, décidément j'ai l'esprit de contradiction, le commentaire introductif de Paisanella ne me paraît pas en phase avec l'extrait proposé : « Ses rimes sont marquées par l'exil, la nostalgie devient mélancolie. Le ton est celui de l'élégie et du lamento (...) »
Je ne ressens point de mélancolie dans ces strophes qui célèbrent la nuit, pas de ton élégiaque dans ces vers empreints, au contraire, d'une joyeuse vitalité!

J'ai aimé cette jolie paysanne qui dédaigne les plaisirs habituels de son âge, délaisse ses amies et se montre insensible aux sérénades de ses galants.
C'est une jeune fille qui s'émancipe des apparences du jour et du conformisme du soleil (U sole tantu ludatu / Li dava malincunia) pour découvrir l'évidence lumineuse de la nuit (A luna, chi ùn s'ingannava). Refusant de voir le jour (Ch'ùn vulia più vede ghjornu), elle s'échappe quand la lune brille (Ma di notte si n'escia / Cù lu tempu spurgulatu.), et fait resplendir les fleurs du pêcher de manière plus intense (Là, j'extrapole, mais ce poète, fin observateur de la nature, sait assurément combien l'ombre intensifie les couleurs claires et , sinon, pourquoi ne pas retrouver son pêcher de jour ? ).
Elle revendique sa liberté et refuse de tomber sous le joug d'un mari (Ma ùn hè voglia di maritu /
Chì a guidava à l'abrucata).
C'est une jeune paysanne heureuse, en osmose avec la nature, attentive à ses vrais amis, grillons, coucous ou rats, amoureuse des arbres et vibrant sous les caresses du vent (U ventu carcu d'odori
Cun manera l'allisciava) : un vent de liberté...
Initiation d'une jeune fille innocente s'éveillant à la lumière de la nuit, comme un agneau blanc se présentant sur le seuil, sachant saisir l'opportunité d'un temps clair pour percevoir un autre monde , quand la première étoile se reflète sur la mer :
Quandu sopr'à u dolce mare
Spechjulava a prima stella
Bianca come un anghjulella,
S'affacava à lu zigliare.

Promenade au clair de lune dans une nuit odorante, bruissante de vie (A luna (...) / Dava vita à fronde è fiori)...

NB :
C'est sans doute prétentieux de ma part de commenter un poème en langue corse ! Certes la structure narrative du poème rend plus facile sa compréhension mai j'ai peut-être fait des contre-sens sur certains mots, car je me suis souvent fiée à la proximité de la langue italienne et à mon intuition sans pouvoir vérifier, vu la pauvreté des dictionnaires accessibles en ligne...


3 commentaires:

  1. Bon choix Emmanuelle, beaucoup de grâce et de légèreté dans ce poème; je suis d'accord avec vous pour dire qu'il n'est pas triste du tout (toujours cette vitalité dont parlait FXR à propos de Spanettu) A moins ... que ce ne soit un soupirant (Filippini lui-même?)qui écrive et qui soit triste de l'indifférence de la belle?

    Filippini est l'un de nos plus grands poètes, c'est pourquoi il se devait de figurer dans la sélection.

    Oui, FXR, c'est la CTC qui a sélectionné les poèmes, commandé les enregistrements et produit le CD (le thème était vu de façon très large, ici la demoiselle est "amoureuse" d'un pêcher et comme je le disais, sait-on si le poète n'a pas quelques "regrets" personnels? Cette "feuille" qui l'épie...qui est derrière?? -))).

    Le CD a été diffusé gratuitement peu à peu (il est allé en Pologne il n'y a pas longtemps, pour des journées de la culture corse). Les poèmes sont en ligne sur le site de la CTC, mais difficiles à trouver, ils seront sans doute sur un futur Portail de la langue.

    Bravo Emmanuelle, non, pas de contre-sens, juste un petit, mais en effet on ne peut guère vous le reprocher : u "topu pinnutu", c'est la chauve-souris (c'est l'un parmi une quinzaine de noms existants, au moins, pour ce sympathique animal de la nuit), non le rat.

    Prétentieux de commenter un poème en langue corse? sûrement pas, votre lecture est très juste.

    Le dictionnaire en ligne de l'ADECEC a le mérite d'exister, est-ce celui que vous consultez? (adecec.net), il a représenté un très gros investissement, un long travail, qui évidemment doit encore être enrichi et amélioré.

    En dictionnaire français-corse, il y a désormais "u Maiò", 1500 pages, aux éditions DCL, 38 euros, 45 000 entrées.
    Dans le sens corse-français (et italien) vous avez déjà trouvé, semble-t-il.

    (NB : Filippini aussi avait réalisé un dictionnaire corse/italien/français).

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  2. Comment n'y ai-je pas pensé ! J'avais pourtant bien reconnu le pennuto italien mais je suis encore trop cartésienne pour imaginer une chauve-souris avec des plumes ...
    Je n'ai pas trouvé mieux que le dictionnaire de l'ADECEC, mais il reste insuffisant et , de plus, il est très lent à répondre .
    Par ailleurs , le trilinguisme me semble mieux convenir à mon approche du corse via l'italien. Je devrais donc résoudre mes problèmes lors de mon prochain passage à Aix...

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  3. Par extension de sens je pense que pinnutu se rapporte aux ailes...et c'est vrai que le cartesianisme ne nous caractérise sans doute pas. LOL.

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