lundi 1 juin 2009

Ci vole à dì that the things changent à une vitesse incroyable...

Dans ma mémoire, cette comédie de Ghjacumu Thiers, qui traite avec légèreté un sujet historique majeur (la bataille de Ponte Novu, devenue symbole de la fin du régime de Pascal Paoli - en 1769, défait par les troupes du roi, Louis XV, de France).

Un mince volume de 57 pages, en langue corse, et accueillant toutes les autres langues de notre imaginaire (italien, français, anglais...). Une galerie de personnages connus (Rousseau, Boswell, Grossu Minutu, Faustina Gaffori) ou inconnus (Mammaleccu, messager du sultan de Tunis, des paysans corses, une touriste anglaise, deux soldats français). Et aucun ne parviendra à se rendre sur les lieux de la bataille ; tous tournent autour, se croisant par hasard, échangeant des dialogues mêlant le comique farcesque et une satire de la Corse d'aujourd'hui.

Edité par la Stamperia Sammarcelli, en 2000 (mais joué par U Teatrinu en 1999 : voir leur site).

Et encore dans ma mémoire, donc, pour plusieurs raisons :
- un usage réjouissant de l'anachronisme et des rencontres farfelues : tout cela nous porte à regarder différemment le passé de la Corse (à rebrousse-poil) et donc son avenir (de façon plus large)
- le jeu avec les langues, entre elles, entre leurs différents états : je trouve qu'ainsi une oeuvre artistique est à la fois très fidèle à la réalité (qui est un ensemble toujours mouvant et complexe d'éléments dépareillés) et très proche d'une utopie (qui est une proposition impossible, un horizon inatteignable mais qui dessine un espace où jouer)

La pièce est ouverte et conclue par la même "blague" délicieuse et allégorique de Grossu Minutu : deux hommes le portent, le croyant mort, alors qu'il ne faisait que dormir ; il ne dit rien, ravi de ce moyen confortable de transport ; mais arrivé à un carrefour - un "crucivia" (cela me rappelle celui de Rinatu Coti...) - le "mort" se met à parler pour indiquer la bonne route... effroi des deux porteurs... solitude du "mort"...

Mais j'aime aussi la scène VII, où l'on retrouve notre ami James Boswell, déjà aperçu sur ce blog, ici et ici. (Dans la scène précédente, Jean-Jacques Rousseau est parti, sous le regard de Grossu Minutu et de Mammaleccu, faire plus ample connaissance avec Carluccia, villageoise corse frappée par les malheurs de la guerre...)


SETTIMA SCENA
Minutu è Mammaleccu
cù dopu, turista inglese è James Boswell...

Minutu : L'aghju sempre detta. Ùn sò bugiardi, nò, i pruverbii. È sopra à tuttu quellu chì dice a pratica vince a grammatica...

Mammaleccu (un pocu amaru) : Aghju paura ch'ella vinci sempre a filusufia ! (sentendu vene à unu) O o ! quale sarà torna ?

(Si piattanu torna mentre ch'elli entrenu a turista inglese è James Boswell)

Miss Larson : Very exciting, James... We loose the way of Pontenovò but how nice is the country ! I enjoy so many paysages so romantic and so wild. Always you expect to see something springing out of that bushes, of that maquis, a dark hair and shoggy man, half a man and half an animal, but so tender and so nice and so romanesque il you are careful, if you speak him slowly and with caressing voice, with interest and consideration... Dear James, you are a bit like them since we've landed on this island, you know ?... and perhaps you smell the corsican goat !...

James Boswell : Contain yourself, Miss Larson, tenite vi chì per stu pocu avemu altri ghjatti da pilà, we've got other worrus at this time, you see ?... A way is no so long, la route ne doit pas être encore trop longue to Pontenovo but i think i have lost my way. Mes informateurs did indicate me m'ont bien indiqué le chemin, but i cannot find it again... Ci vole à dì that the things changent à une vitesse incroyable in this country... Tutto è cambiato and i ricognize nothing. Quando ho fatto soggiorno in questo posto five years ago, all the life era concentrée sur Corté... enfin sur Corti ! You need to say "Corti", indeed, avec l'accent tonique on the first syllabe, if you want to be as common, si vous voulez faire peuple ! Ou alors "Corte", like an Italiano vero avec un "è" bien ouvert - wide open - en finale !

Miss Larson : You're worry, dear James, you're annoying with your passion for the languages. Let's talk about this Pasqual Paoli who became an idol all over Europa ! Il devra bien un jour répondre à l'attente de toute l'Angleterre and visit us in his turn...

James Boswell : (scaccaneghja è trinneca u capu) : I don't think, darling ; he's got everything to do here, and now with the war against Frenches...

Miss Larson : Il la gagnera, dear James, il la gagnera... Parce que les hommes de goût et d'esprit sortent toujours vainqueurs des situations les plus délicates... Et puis, avec ces guerriers corses, valeureux, intrépides, rudes à ce qu'il paraît, mais fiers et même un peu farouches... C'est étonnant, cher James, ce peuple représente une énigme et ses hommes ont un grand attrait pour nous...

James Boswell : N'exagérons pas, ma chère, disons ce qui est vrai puisque personne ne nous entend... (s'interrompe, cerca u chjassu, ripiglia à caminà) La Corse est une terre orientale et le Corse est à tout prendre plus proche de l'Orient que de nous, les nations civilisées. De l'Oriental il a, quand il a fait quelques études, la politesse obséquieuse, mais tous les Corses, quelle que soit leur naissance, ont une passion démesurée pour les calculs retors de la politique et les palabres sans fin de la diplomatie. Ils sont donc par là plus Orientaux qu'Européens. Ils font mine de ne s'intéresser à rien et d'être détachés de tout, mais ils sont envieux, bilieux et dissimulés. On croit leur pays désert mais ils ont des yeux et des oreilles partout partout et je ne serais pas étonné d'apprendre qu'au moment même où nous nous croyons seuls nous sommes surveillés...

Miss Larson (chì scopre di colpu u capu impiumaccitu di Mammaleccu) : ah !

(U lume si spenghje. Fine di a scena).

Mais peut-être n'est-ce pas le genre de théâtre que vous appréciez ? Ou bien vous avez un avis plus précis, voire négatif sur la pièce en question ? Je connais plusieurs avis critiques qui remettent en cause la pertinence de cette alliance entre la farce et le jeu sur les clichés pour dire quelque chose de fort et de beau sur la Corse d'aujourd'hui. Mais alors de quel théâtre avons-nous besoin ou lequel désirons-nous ? En voilà des questions !

4 commentaires:

  1. À mè mi rallegra stu generu "débridé", iconoclastu, gioiosu, chì ridiculizeghja i "clichés" : I am morta di risa, nous avons trop le goût du lamentu, haven't we? ...

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  2. Oui, ridiculiser les clichés ; mais il me semble que cela se fait ici en les utilisant à fond, ou en les réincarnant de manière décalée, dans des scènes totalement inventées (et pas seulement en les dénonçant). Aussi peut-être en activant ce qu'il y a de vrai en eux ?

    Et ce travail peut se faire avec des sentiments autres que le rire (je pense par exemple au travail de Marie Ferranti dans "Les femmes de San Stefano" ; j'avais essayé d'écrire quelque chose dans ce sens dans un des cumenti présents sur le site Interromania).

    Bref, toujours la même question : comment créer des images originales dans un imaginaire suroccupé par des clichés très anciens ?

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  3. Umbè ! " I feel a change is coming on " , Bob Dylan said !

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  4. Well I'm looking the world over
    Looking far off into the east
    And I see my baby comin'
    She's walking with the village priest
    I feel a change comin' on
    And the last part of the day's already gone

    paraît-il !

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